CE QU'ON LAISSE DERRIERE SOI
(octobre 844)
Vinzenz Ansgar, recrue du bataillon

Le tout, c'est de faire son travail consciencieusement, et tout ira bien ! C'est ce que je répète pour la énième fois à cet abruti de cadet qui a encore renversé le grain des chevaux. Faut les soigner, ces bêtes ! On serait rien, sans elles, tu comprends ?! Si elles avaient couru un tout petit peu moins vite, j'étais cuit !

On arrête pas de me féliciter et de me demander comment je m'en suis sorti. Même le major m'a reçu, je dois être dans ses petits papiers maintenant, hehe ! Je vais sans doute faire carrière ! Les titans me font plus peur pour l'instant. C'est vrai que j'en rajoute un peu quand je raconte toute l'histoire, mais je me souviens pas de tous les détails, alors j'invente. Quand je me croyais foutu, Greta Elfriede a surgi de la nuit, lumineuse comme une déesse, et a abattu un des titans qui me coursaient. C'était incroyable ! Elle virevoltait dans tous les sens et en deux temps trois mouvements, c'était fini. Moi, j'ai pas bougé de la route et j'ai tout fait comme il fallait pour que le chariot s'en sorte. Elle a atterri juste à côté de moi et s'est rechargée en lames le temps qu'on s'échappe. J'ai remarqué qu'elle avait l'air inquiète et jetait des regards appuyés vers la forêt mais on a tracé jusqu'à l'orée du bois. Là, des explorateurs nous ont repérés et protégés jusqu'à l'avant-poste découvert plus tôt.

Je croyais pas à cette veine ! J'ai un peu pensé à Franz, qui s'est en pas sortie, ça m'a rendu triste, mais j'étais content d'être en vie. J'en pouvais plus à force de remercier Elfriede ! Elle a été très modeste alors qu'elle nous a tous sauvés ! Si le chariot avait été détruit... j'ose pas imaginer...

C'est pas si rare que ça d'être un bon soldat ! Greta est une héroïne, je vous le dis ! En général, quand j'en suis rendu là dans mon récit, on m'interrompt pour me demander "Et Livaï ? Il était où ?" Ah ! parlons-en ! C'est qu'un incapable, celui-là ! Tout juste bon à s'éborgner lui-même ! Vous avez remarqué qu'il est blessé à la tête, non ? Il s'est fait ça tout seul, l'abruti ! Cette demi-portion vaut vraiment pas la réputation qu'on lui a faite ! Il aurait dû être là pour sauver la situation, il paraît que c'est son truc ! Tu parles ! Si on avait dû attendre après lui, on serait tous crevés là-bas depuis des lustres ! Il a même mis son propre chef d'escouade en danger !

L'incrédulité que je lis sur leur visage dans ces moments-là me réjouit presque. Ca me dérange pas de cracher sur ce minable, même devant lui. Il le mérite bien. En plus, il rend pas les coups. On dirait qu'il s'en fout. Je le croyais plus sanguin que ça. J'aimerais presque qu'il essaie de m'en coller une, pour voir. J'ai failli mourir, putain ! C'est sa camarade qui m'a sauvé, pendant qu'il pissait le sang je ne sais où ! Il aurait dû rester près du chariot, s'il est si bon ! Bah, ce n'était que des salades. Les anciens ont beau me répéter que Livaï a fait des prouesses, ça me fait une belle jambe. C'est vrai qu'il a bien fait le ménage au début de l'expédition, mais il a pas été plus impressionnant que ça. Zacharias a fait bien mieux. Quand je pense que je m'étais engagé à cause de lui, comme pas mal d'autres...

Mais je crains plus rien, Elfriede nous protègera ! Je compte plus sur ce type. En plus, il est désagréable à mort ! On a vraiment pas envie d'en dire du bien ! Quand les gars ont été incinérés, il a même pas bronché, une vraie porte de prison ! Apparemment, ça l'empêche pas de dormir !

Je ramasse le grain répandu et le replace dans la brouette du picotin. Ces deux chevaux aussi sont des héros pour moi, je les bichonne ! Je déplace la brouette et commence la tournée, ils ont faim. Ouais, ils méritent plus leur bouffe que certains...

Merde, voilà Zacharias qui se pointe. Lui, il apprécie pas que je dise du mal de Livaï. Elfriede me jette de temps en temps des coups d'oeil gênés, mais évite en général de se mêler de tout ça. Elle n'aime pas trop que je fasse ses éloges, mais elle pourra pas m'en empêcher. Je lui dois tout. J'essaie de contourner les écuries afin d'éviter Zacharias ; il a toujours le chic pour me renifler... Depuis que Smith et chef Hanji sont partis avec le major pour la ville remettre les boîtes cinéraires aux familles des victimes, il s'est improvisé surveillant. J'ai pas peur de lui, hein, je me tairai pas ! S'il est pas content, qu'il voit avec son pote, le nabot ! Je dis que la vérité !

Il est où, d'ailleurs ? Il doit se planquer de honte. Ou alors il se fait dorloter à l'infirmerie, en pensant à tous ceux qui ont pas sa chance. Je le déteste. Je bougerai pas le petit doigt pour le sauver. Il a qu'à se faire bouffer, tiens.