OBSERVATIONS & DEDUCTIONS
(janvier 845)
Hannes, capitaine de la garnison
Les ouvriers sont là, en train de casser la croûte avant la descente. Cela fait une semaine que les repérages ont été faits, il ne manque plus que de réparer. Ils ne sont pas seuls cependant : le Révérend Nick est de retour, avec deux acolytes, dont une femme, a l'air très distingué. Tous portent le même épais collier en or brillant. Il a l'air extrêmement lourd... et cher... Mais seul le Révérend arbore la soutane du clergé. Ce sont sans doute de simples ouailles. J'ai bien essayé de les empêcher de monter - le Mur est interdit aux civils - mais le révérend m'a montré un laissez-passer exceptionnel, comme celui de la dernière fois. Alors, je n'ai rien pu faire...
Les travailleurs s'impatientent ; les explorateurs ne sont pas encore là. Alors les adeptes en profitent pour prêcher leur bonne parole parmi eux. C'est une musique que je n'apprécie pas. Les gars n'y prêtent qu'une oreille distraite, mais pas tous. D'autres paraissent plus intéressés. Il faut dire que cette nouvelle religion s'est davantage propagée dans l'aristocratie que chez les gens du peuple, ce qui explique sa discrétion. Les croyants tentent de dissuader les ouvriers de descendre, en prétextant que le Mur ne doit pas être touché sous peine de châtiment.
Eh quoi ? Ils veulent que le Mur s'écroule et qu'on tombe tous à la merci des titans ?! Ils en ont de de bonnes, ceux-là ! Ils tiendraient pas le même discours si on les collait en bas, en pâture à ces monstres ! Mais... c'est que ça marche en plus ! En voilà un qui décide de laisser tomber, parce qu'il craint d'attirer le malheur sur sa famille. Il se dirige vers la plate-forme pleine de matériel et demande à descendre. Ouhlà, on se calme ! Et si on attendait les explorateurs plutôt ?
Il me répond que les explorateurs sont des hérétiques, et qu'ils vont attirer des ennuis à tout le genre humains avec leurs blasphèmes. Voyez-vous ça... T'as le droit de penser ce que tu veux, mon gars, mais tu as été payé pour faire quelque chose, et tu le feras. Il rétorque qu'il se fout de l'argent et qu'il préfère rentrer. Je dois me dépêcher de mettre ces loustics au travail avant qu'un véritable esclandre n'éclate...
Je les exhorte à se mettre au travail maintenant, car les titans ne sont pas dans les parages. Ils refusent, aucun ne veut se risquer sur la muraille sans protection. C'est mauvais, chaque minute qui passe permet au message de ces fanatiques de faire son chemin dans leurs cerveaux... Qu'est-ce qu'ils foutent ?!
Bordel, en voilà un autre qui s'en va. Les autres se mettent à danser sur leurs pieds... Non, non, vous restez là ! Vous pouvez ne pas bosser si vous voulez, mais vous restez sur le Mur ! Je jette un oeil du côté de Shiganshina et j'aperçois les explorateurs en train d'escalader la façade. Enfin ! C'est explosif ici, que je jette au visage d'Erwin Smith. Encore un peu et vous auriez fait les travaux vous-mêmes ! Il me répond qu'ils ont croisé des brigands sur la route, ce qui les a retardés. Aucun n'est blessé en tout cas. Allez, en piste tout le monde !
Sans prendre de pause, les explorateurs précèdent les ouvriers le long du Mur, escortant la plate-forme de matériel. Je scrute toujours l'horizon avec crainte, mais aucun signe des titans pour l'instant. La plate-forme stoppe sa course à une distance raisonnable du sol, puis les ouvriers, harnachés dans un équipement très semblable au nôtre mais moins mobile et confortable, se risquent à leur tour sur la muraille et rejoignent leurs outils de travail. Les explorateurs leur désignent les endroits à réparer - la peinture s'étant en partie effacée avec les intempéries - et tout ce beau monde se met au travail.
Il s'écoule quelques minute avant que les titans finissent par se pointer. Les explorateurs courent sur la muraille, à l'horizontale, afin d'attirer les monstres ailleurs. Zoe se met à faire de grands mouvements des bras en criant pour les occuper, tandis que Livaï et Zacharias se chargent de tuer ceux qui se montrent pas assez coopératifs. Le Révérend Nick, penché à côté de moi, ne peut pas s'empêcher de lâcher un soupir agacé à chaque mise à mort. C'est quoi, son problème ? Il voudrait qu'on les laisse vivre ? Même Zoe qui est obsédée par les titans ne va pas jusque-là. C'est à se demander de quel côté ils sont, ces corbeaux...
Les ouvriers se déplacent vers l'est et nous suivons tous le mouvement afin de continuer à observer. Les explorateurs se reposent un peu à l'écart, toujours suspendus à leurs câbles ; ils semblent discuter, tout en jetant de temps en temps des coups d'oeil vers le sud. Ils sont vraiment détendus, tout ceci paraît très banal pour eux. Y a pas à dire, ce sont des durs. Aucun de mes hommes ne seraient très rassurés d'être livrés à eux-mêmes en bas. Moi non plus d'ailleurs, même avec un verre dans le nez.
Des titans apparaissent derrière une courbe de Maria, et se mettent à courir, les bras en avant. Leurs gueules sont vraiment hideuses... Les explorateurs les interceptent et Livaï en tue pas moins de deux d'un seul passage de lame. J'entends les ouvriers - qui ne peuvent pas s'empêcher de regarder aussi le spectacle - siffler d'admiration, mais aussi le Révérend Nick grincer des dents. Sa réaction me procure une certaine satisfaction. Je préfère définitivement la compagnie de ces tarés de casse-cous que la sienne... Je serais pas fâché s'il s'en allait.
Smith et Zacharias se paient même le luxe de se porter au-devant d'autres titans venus du sud, s'éloignant dangereusement du Mur, pour aller leur couper la nuque en tandem. Qu'ils fassent attention, poser un pied sur le sol extérieur leur est interdit actuellement ; et le Révérend ne ratera pas une occasion de leur faire du tort... Mais ils réussissent leur coup sans mettre pied à terre et rejoignent le Mur sans aucun problème. Livaï les rejoint et mime un applaudissement avec ses deux mains, ce qui me fait sourire. Ils ont vraiment peur de rien. J'ai beau avoir déjà assisté à cette opération plusieurs fois, cela me laisse toujours admiratif.
Les ouvriers placent des blocs de pierre, consolident au mortier, étalent, obstruent avec ce qu'ils ont sous la main. Le Mur doit ressembler à un étrange assemblage disparate vu de l'autre côté, avec tous les ajouts faits au cours des cent dernières années. Je devine que cela enrage notre révérend. Mais il n'a pas son mot à dire, ces réparations ont été ordonnées par le roi lui-même. Il ferait mieux de pas l'ouvrir et de s'estimer heureux que de vaillants soldats aient à coeur la sécurité des gens ; apparemment ce n'est pas son souci, il ne s'inquiète que de l'état de Maria.
Elle sera réparée et assurera notre sécurité pour la prochaine année, c'est tout ce que je demande. M'en fous de vos délire mystiques, moi.
