Sortilège 10: superstitions

La cinquantenaire rousse entraîna son déchiffreur de prophéties opaques à l'arrière de l'escalier menant aux étages. Elle entra dans le vif du sujet sans détour, exhibant un parchemin rédigé de la main des enfants et daté de début juillet 1918:

—Hercule, j'ai été choquée par votre premier hibou. N'y a-t-il pas une infime chance pour que vous ayez fait erreur, avec vos camarades?

—J'aimerais, Madame. Nos conclusions semblent effroyables. À vrai dire, si vous n'aviez pas prévu qu'un jour, les Moldus iront dans l'espace, ce que monsieur Laflèche a repris à son compte, j'aurais été convaincu d'avoir tort et j'aurais élaboré d'autres explications. Depuis le début, j'ai compris l'entame du message. Il utilise la codification du tableau périodique des éléments. «Fe» désigne le fer et«Ra» concerne le radium. Les deux matières contenues dans le mot «fera». Les Moldus créeront une arme basée sur les travaux de Marie Curie et Albert Einstein. Il s'agit de deux scientifiques parmi les plus brillants que les non-sorciers comptent.

—Mais le reste de la prophétie?

—Nous ne la comprenions pas. Monsieur Fontebrune nous a donné, sans le vouloir, un indice capital. La date de réalisation de la prophétie coïncide avec le passage de la comète de Halley au plus près de la Terre. Le 28 juillet 2061. Le code attribué aux prophéties se compose toujours de l'année, du mois et du jour. Je parie que cette pratique vous permet de trier vos fioles dans l'ordre croissant.

—C'est exact.

—Je me suis dit que la prédiction pouvait se lire par la fin. Tenez, là, sur le parchemin. Nous avions«Feras-tu? Oh… fuira, misant Algégira». Le Ra final devient Râ, le dieu Soleil chez les Égyptiens. Gi devint gît. Le soleil meurt. Quant à Gé, il s'agit de la Terre.

—Mais AL?

—Celui-ci nous a posé d'énormes problèmes. En fait, il s'agit d'une Année-Lumière. La distance parcourue par la lumière en une année. Il faudra «miser» sur la fuite à au moins une année-lumière de la Terre, car celle-ci sera anéantie par le soleil mourant, à cause d'une arme lancée vers la comète de Halley. La Terre sera desséchée: «l'eau fuira».

—C'est terrifiant. J'aurais voulu ne jamais faire cette prédiction. Jamais.

Elle se prit la tête à deux mains et ébouriffa sa tignasse.

—La maigre consolation, Madame, c'est que nous ne serons pas là pour y assister. De plus, le terme «fuira» laisse un espoir, celui que les Moldus auront la capacité à voyager loin dans l'univers à ce moment-là. Ils sont capables de tout, du pire comme du meilleur.

—Comment tout ceci pourrait arriver? C'est invraisemblable!

—Professeur, il n'y a que douze ans que le Moldu Santos-Dumont a réellement fait voler un avion. Douze minuscules années durant lesquelles la vitesse de ces machines volantes a été multipliée par vingt. Imaginez ce que les Moldus feront dans un siècle.

—Alors, cela rejoint ma vision devenue la préférée du professeur Laflèche.

—Je le crois.

Le brouhaha ambiant parut s'accroître. L'élève et l'enseignante entendirent des éclats de voix, un craquement suivi de rires et de vociférations. Hercule crut reconnaître le timbre de Rosier.

—Mon garçon, je dois te faire part d'autre chose. Cet été, j'ai eu une prédiction très nette et lisible sur mon bras, concernant la venue d'un élève causant d'immenses problèmes à la rentrée. J'ai averti le directeur et il en a tenu compte, refusant un candidat qu'il n'a pas nommé, mais j'ai mon idée sur son identité.

—D'accord. Que puis-je pour vous?

—Cette prédiction pourrait avoir été mal interprétée. Les erreurs du Sondeur, ce soir. Elvira m'a dit qu'une dalle de la salle s'est soulevée et a craché un Feudeymon. C'est un sortilège noir.

—En substance, que disait votre message? Mot pour mot.

—Il disait: «À la Saint-Renaud, l'enfant s'immiscera dans les esprits et dans les cœurs afin d'y semer la discorde et le venin.» J'ai pensé qu'il s'agissait d'un être capable de lire les pensées et de les divulguer pour engendrer la zizanie dans l'école.

—Un Legilimens?

—Oui.

—Aucun élève des autres promotions ne l'est, je crois.

—Je te le confirme. Les Legilimens ont parfois tendance à vouloir faire croire qu'ils ont le Don, mais je sais vite les débusquer. Cependant, il y a un enfant qui aurait dû rejoindre notre école, cette année. Le directeur ne l'a pas retenu.

—Comment en êtes-vous sûre?

Claire hésita une seconde avant de répondre. Elle compartimentait ses relations avec ses élèves. Néanmoins, elle avoua qu'il s'agissait de Valentin Clairdelune. La Suissesse favorite de l'enseignante se confiait souvent et mentionnait son petit frère. C'est ainsi qu'elle avait compris comment Armand avait interprété sa prophétie. Hercule avait décelé les failles et souligné la précipitation pour l'exploiter.

—Le directeur a pu se tromper. Dans votre prédiction, la rentrée est évoquée mais pas l'année concernée. Vous parlez d'un enfant mais rien ne dit qu'il s'agit d'un nouvel élève.

—C'est ce qui m'a inquiété, lorsque tous ces incidents se sont produits, ce soir. C'est bien 1918 puisque la codification ne laisse aucun doute. Seulement, l'élève concerné n'est pas Valentin Clairdelune.

—Alors, il peut s'agir d'un nouveau comme d'un ancien dont le comportement changerait.

—Voilà.

—Nous serons vigilants, Madame.

—Viens me voir demain à 13h45, dans l'observatoire. Je te donnerai les Gallions pour les travaux.

—Bien, Professeur.

—Allez, file vite rejoindre tes camarades!

—Bonne soirée, Professeur.

Claire fila vers l'aile résidentielle sans s'attarder. Hercule se rendit compte, un peu tard, qu'il aurait pu lui mettre du baume au cœur en lui révélant qu'elle aurait la plus belle des surprises avec l'arrivée de Shin à Beauxbâtons. Au lieu de cela, il lui avait asséné des vérités désagréables à entendre. La vérité, à tout prix, coûtait cher.

Il nota dans un coin de sa mémoire de lui faire part du rêve terrible à propos de son oncle Waldo. Même s'il n'avait pas le Don, comme elle lui serinait à chaque cours depuis une année, Claire avait peut-être une explication ou une interprétation à lui fournir.

Il prit la direction de la loge de Sébastien et assista à une vision enchanteresse: le «Patronus» prédictif de Valentine, s'activant sous les rires de la jeune fille. Un soleil se levait tandis qu'un autre se couchait. Si la scène semblait sibylline au commun des sorciers, elle était d'une limpidité absolue pour le Belge:

«Le soleil levant, emblème du Japon, c'est l'arrivée de notre camarade asiatique. Le soleil couchant, crépuscule de la vie, c'est le départ en retraite du professeur Piedargile.»

Le Japonais se tenait près du perron en compagnie de Jacques, attendant que le Belge les rejoigne. Le Nippon ne pouvait plus détacher son regard de la féerie provoquée par la vision lumineuse de la Suissesse.

—Sa voyance est fantastique, Hercule!

—Valentine est très spectaculaire. Comment se déclenche la vôtre? Au toucher?

—Ce n'est pas si simple. Cela change souvent. Elle n'est pas très…

—Stable, régulière?

—Oui. Parfois, je rêve. D'autres fois, c'est comme un éclair. Mais le mieux, c'est avec les fleurs.

—Les fleurs?

—Je jette une poignée de…

—Pétales?

—Tout devient plus facile, avec des pétales de fleurs.

—La voyance reste un mystère insoluble à mes yeux.

Jacques semblait tout excité.

—Hercule, tu as vu ça?

—Valentine?

—Non, Émilie!

—Vous avez raté une scène étonnante, Hercule.

Les deux témoins entreprirent de lui narrer l'incident survenu quelques minutes auparavant tandis que Eugénie, à quelques mètres de là, fulminait.

Rosier, avec sa bande de crétins suprémacistes à ses basques, n'avait pas attendu le début des cours pour vomir ses théories fumeuses et ses paroles infectes. Dans le hall, il s'était mis en travers de la route d'Émilie et avait craché son fiel:

—Alors comme ça, tu es la sœur du déshonneur de Beauxbâtons, Jacques Boulanger?

Le frère s'était aussitôt interposé. Thibaldus avait dégainé sa baguette.

—Tu es une honte, Boulanger! Une anomalie! Une monstruosité! Ta frangine, c'est une estropiée incapable de parler! Ta mère a dû fricoter avec une de ces saletés de Moldus! Quant à cette académie, c'est un ramassis de handicapés, de sangs impurs, la concentration de la médiocrité! Comme si deux dégénérés ne suffisaient pas, elle accueille une espèce exotique! C'est pathétique!

Son regard visait Shin.

—Ce n'est plus une école, c'est un zoo! Une ménagerie, un cirque, tenu par des clowns pitoyables!

Un filet de bave s'échappa de sa bouche tant sa colère était démesurée.

—Qu'est-ce qu'il fiche là, ce singe japonais? ajouta-t-il. Ils l'ont capturé pour le faire se reproduire avec l'autre handicapée?

Ne comprenant pas grand-chose aux insanités proférées par Rosier, mais percevant toute la haine incluse dans les mots, l'émissaire de Mahoutokoro tendit la main au-dessus de la tête de son agresseur, fléchit les doigts vers sa paume et réalisa une torsion du poignet. Enfin, il agita ses phalanges comme s'il se débarrassait de miettes de pain.

Un nuage rosé se forma au-dessus de Rosier. Il commença à déverser une pluie de pétales roses sur sa cible. Rosier se déplaça et le nuage suivit. Son adversaire n'avait pas touché à sa baguette, toujours piquée dans son catogan. Il n'avait pas murmuré un mot.

Rosier enragea:

—Vire-moi ça! Finite Incantatem! Finite! Finite!

Il tenta de briser le sort, en vain. Il fit de grands moulinets pour chasser le nuage comme s'il s'agissait d'une mouche. Jacques et Émilie étaient hilares, bientôt suivis par de nombreux élèves se moquant de Rosier.

—Ça te fait rire, petit moucheron? Je vais t'envoyer là où est ta vraie place!

Il visa la fillette et hurla:

—Incendio!

Émilie s'empara de sa baguette noire et para le coup d'un Protego. Dans la même fraction de seconde, le nuage bénin créé par Shin noircit et éructa un éclair électrisant Rosier sur place. L'ignoble Urticant se vautra sur le sol, se tortillant en poussant des petits cris ridicules. Ses cheveux gras se redressèrent sur son crâne, chargés par l'électricité statique. Jacques s'écria:

—La vache! Si Lucie avait pu voir ce coup! Bien joué, sœurette!

Le Tokyoïte ne perdit pas une miette de la scène. Émilie venait de faire preuve d'une redoutable efficacité. Elle était époustouflante. Jacques avait des raisons d'être fier d'elle et de parier qu'elle deviendrait une puissante sorcière. Un homme à la coupe militaire, identifié comme le médicomage, accompagné de l'infirmière, intervint sans tarder:

—Je vous signale que l'année n'a pas commencé! Aidez-moi à ramasser ce benêt!

L'assistante s'exécuta.

—Tu tiens debout? Hum… Combien ai-je de doigts? Bah, sais-tu seulement compter? Bon, ça va aller, il est juste sonné. Que ça te serve de leçon!

—Croyez-vous qu'il la retiendra? douta Rose.

—Cela m'étonnerait! Ces fichus Rosier…

Thibaldus, soutenu par ses sbires, quitta le hall, suivi de son nuage, redevenu rose, saupoudrant des confettis végétaux. Shin invita Émilie à sortir avant lui, faisant preuve de galanterie. Il lui confia que Rosier en aurait pour une semaine avant que le sort ne s'évanouisse de lui-même. Puis, avec Jacques, ils patientèrent, cherchant Hercule dans le flot d'élèves sortis ou sortants. Le Belge fit son apparition deux minutes plus tard.

Le futur enquêteur se fustigeait d'avoir raté l'humiliation de Rosier, le dur à cuire, par une petite nouvelle censée tout ignorer de la magie. Émilie avait été insultée par un type à la bêtise incommensurable et avait retourné une plaisanterie bénigne de Shin –c'était une blague potache en vigueur à Mahoutokoro –en un sortilège cuisant, à la mesure du criminel Incendio proféré par son adversaire.

—Tu aurais vu la tête de l'autre crétin!

—J'imagine.

—Le docteur Beauxbâtons s'est fichu de lui! J'étais aux anges!

—Le souci, c'est que l'autre imbécile va chercher à se venger.

—S'il essaie, il s'en mordra les doigts. Mon daron m'a fait scier des bûches pour tout l'hiver. J'ai les mains dures comme la carapace d'un Crabe de Feu, si tu vois ce que je veux dire.

—J'ai la vision de noix mûres écrasées entre deux paumes.

—Ouais! s'extasia Jacques.

—Au fait, où se trouve Casper? Ce soir, je l'ai aperçu à une autre table. Il paraissait absent.

—En arrivant à la Cabane Enchantée, je l'ai salué. Il n'a pas répondu. Curieux!

—En effet! L'impolitesse ne lui ressemble pas et l'apathie, encore moins.

Le joyeux compagnon de chambre traînait avec l'arrière-garde au lieu d'être aux avant-postes. Il ne bondissait pas comme un Jackalope mais affichait l'entrain d'une tortue. Quant à ses amies, Hercule les aperçut un peu plus près du pont enjambant le torrent, en grande discussion. De temps à autre, Eugénie se retournait et lui lançait des regards inquiets.

Une fois la rivière franchie, Émilie rejoignit les deux Aloysiennes pour intégrer son pavillon. Le trio d'Urtica bifurqua vers la résidence des tenants de l'ortie. Elvira y attendait ses disciples, indiquant aux uns et aux autres le numéro de leur chambre. Soit ils entraient directement, soit ils patientaient, pour les élèves les plus jeunes.

—Jacques, Hercule, Shin. Chambre numéro sept, cette année.

—Bien, Professeur.

—Merci, Madame, ajouta le nouveau locataire.

Ils prirent le couloir dévolu aux garçons. Shin esquissa un pas chassé et détourna le regard à hauteur du numéro quatre. La manœuvre n'échappa pas au futur Auror-Enquêteur. Le numéro sept était grand ouvert. Les trois garçons s'engagèrent dans le couloir gris et nu, éclairé par un Feu Éternel. La sensation de dénuement persistait chez Urtica. Tout au fond, trônait une armoire identique à celle de l'année précédente. La pièce n'avait toujours qu'une seule fenêtre, condamnée à ne jamais s'ouvrir. Les murs gris étaient aussi dépourvus de décorations que ceux de la chambre 42. L'ascétisme apprécié par Hercule avait des limites. Les bagages étaient entreposés au pied du mobilier. À droite, on trouvait le classique espace douches et toilettes. À gauche, un renfoncement faisant la même longueur que le couloir, abritait le coin sommeil. Cependant, celui-ci différait du précédent. Il n'y avait pas quatre literies s'élevant dans les airs dès que l'élève était allongé dessus. À la place, les garçons découvrirent un immense matelas transparent rempli d'eau claire. Il était fixé au plafond par quatre chaînes aux maillons épais et n'était accessible qu'à l'aide d'une échelle de corde fixée au bout du «lit». Tous les élèves dormaient côte à côte, comme des sardines dans une boîte de conserve. En contrepartie, deux bureaux avaient été installés dessous, évitant la promiscuité des armoires à sortilège d'extension.

Hercule crut défaillir. En 1917, il n'avait pas cessé de contourner le problème des matelas volants, incompatibles avec son acrophobie aiguë. Cette fois, il ne pourrait pas se débarrasser du couchage sans scier les chaînes et sans pénaliser ses camarades. Il ne pourrait pas le troquer contre une paillasse d'un elfe de maison. Un matelas transparent! Il ne pourrait jamais fermer l'œil de la nuit.

Il prit appui contre un mur, terrassé par sa phobie. Son teint rosé vira au verdâtre.

—C'est fantastique! On doit bien dormir, là-dessus! s'enthousiasma Jacques.

—J'adore l'eau. La chambre numéro 7. C'est parfait, concéda Shin. Mais… Hercule? Vous semblez… malade.

—Je vais mourir! Comment vais-je faire?

Ses genoux fléchirent.

—Hercule a le vertige.

—Vertige? Qu'est-ce que c'est?

—La peur d'être en hauteur. Il s'évanouit.

—Évanoui? Pardonnez mon français.

—Dès que je suis en hauteur, je suis envahi de peur et je tombe par terre comme si j'étais mort. Tous les lits sont près du plafond, chez Urtica.

—Et l'année dernière?

—Hercule, après avoir essayé plusieurs solutions, a fini par échanger son matelas avec la chose sale sur laquelle les elfes de maison dorment. Une horreur qui sentait mauvais, malgré des Tergeo.

—Oh! Vous vous contentez de peu.

—Du moment que je touche le sol. Bon, nos bagages sont là, il faut les vider et ranger. Je vais vous montrer comment fonctionne notre armoire à sortilège d'extension.

Le nouvel arrivant parut dubitatif jusqu'à ce que Jacques tire le tiroir du bas qui s'allongea à n'en plus finir, ce qui soutira un large sourire au Japonais. Casper Van Kriedt fit son apparition et un vent polaire glaça la chambrée.

Sigrid rangeait ses affaires dans la commode de sa chambre spacieuse. Elle vidait ses deux valises sans réfléchir, par automatisme. En réalité, son esprit était à des kilomètres de Beauxbâtons, plus précisément en Belgique. Le manoir des Van Betavende incarnait son refuge, l'unique lieu où elle se sentait en sécurité. Le don de Legilimancie de Louis n'était pas étranger à ce sentiment de quiétude. La douceur de Gertha faisait le reste.

Elle se mit à pendre sa demi-douzaine de chemises dans l'armoire lorsqu'une enveloppe s'échappa de l'une d'elles. Elle la ramassa, la décacheta et la lut:

«Chère Sigrid,

Tu ne peux pas imaginer la joie que j'ai éprouvée à vous recevoir toutes les trois, cet été. Avec mon mari, nous rêvions d'une grande famille, avec plusieurs enfants, mais le destin en a décidé autrement. Il nous a fait cadeau d'un fils, unique, à tous points de vue. En vous observant, toi, Eugénie, Umbelina et Hercule, mon cœur s'est rempli de bonheur, comme si nous étions cette famille élargie dont je rêvais. Notre garçon ne mesure pas toujours les conséquences de ses actes, tout à son émerveillement face à la magie et à ses réflexions pour solutionner des problèmes. Mais toi, tu es sa bonne conscience, le côté raisonnable qui lui fait parfois défaut. Je te demande de poursuivre ce rôle essentiel auprès de lui. Je sais que ce n'est pas ce que tu espérais –j'ai des yeux et un cœur pour le voir–mais ainsi, la vie ne vous éloignera jamais, Hercule étant d'une loyauté et d'une fidélité sans faille.

Je sais que cela ne sera pas toujours facile, car l'Autre guette tes failles. Mais crois en tes capacités pour vaincre et obtenir ce que tu chéris le plus: rester près de notre fils.

J'espère te revoir aux prochaines vacances. Toutes mes amitiés.

Gertha.»

La jeune fille ne put retenir ses larmes. L'émotion fut si soudaine et puissante qu'elle n'entendit pas Eugénie débouler en trombe dans sa chambre.

—Sigrid! Il faut que je te montre un truc incroyable!

L'héritière des Flamel essuya ses larmes d'un revers de la manche.

—Eh! Ça va?

—Ce n'est rien. Juste un souvenir émouvant. Que veux-tu me montrer?

—Ça!

Elle extirpa une fiole de sa poche. À l'intérieur, une fumerolle flottait mollement.

—Mais… C'est ce que je crois? C'est bleu!

—Oui.

—Bon sang! Où l'as-tu chipée? Tu as joué les exploratrices, au mois d'août?

—De quoi parles-tu?

—Du coffre.

—Quel coffre?

—Celui d'Obscur.

—Je n'ai rien piqué! Je le jure!

—Elle te l'a donnée pour que nous le déchiffrions?

—Non. Où as-tu vu Obscur me faire confiance? Elle s'adresse à Hercule, à personne d'autre. Remarque, je ne lui en veux pas. J'aime pas cette femme! Je n'oublie pas ce qu'elle a fait à notre ami. Mais bon, le cerveau de la bande, c'est notre copain, pas une tête de linotte comme moi!

—Alors? Comment l'as-tu obtenue?

—C'était après mon retour de Belgique. Je rangeais mes frusques dans ma commode quand c'est tombé d'une poche.

—Hein?

—Comme je te le dis!

Sigrid tenta de trouver une explication.

—Attends, attends! C'est tombé de ton uniforme ou d'un vêtement civil?

—Civil.

—Et quand? Date et heure.

—On dirait Hercule!

—Je sais. Je dois être sa jumelle cachée. Alors?

—C'était le 2 août. Il était quelque chose comme 16h00 ou 17h00.

—Pas le matin?

—Non.

—Mais tu es partie tôt. Tu aurais dû arriver bien avant midi.

—Je suis arrivé le matin. Je me suis fâchée avec mon père. J'ai décidé de retirer toutes mes affaires de l'appartement. J'ai tout déménagé ici.

—Cela t'a pris toute la journée?

Eugénie réfléchit. Son père était si radin qu'elle ne possédait pas grand-chose.

—Tu as raison. C'est pas logique. Il faut la montrer à Hercule! Seulement, cet oiseau reste cramponné au Japonais ou à Jacques. Impossible de déballer la fiole en plein repas ou à la bibliothèque! Il faut qu'on réussisse à se voir, mais j'ignore quand. Tu as vu l'allure de l'emploi du temps? On dirait celui du ministre de la Magie! Cette année, en plus, on a le cours de duel junior, une fois par semaine avec Elvira. Coup de chance: son club de perfectionnement se déroule en même temps que l'entraînement de Quidditch.

—Tout dépend de ce que tu veux faire plus tard. Tu ne souhaites pas être Auror, j'imagine.

—Tu es dingue?! Je n'ai pas votre niveau, à toi, Hercule ou Umbelina.

Eugénie n'avait pas tort. Elle s'en sortait avec les honneurs dans quelques matières mais la Défense contre les Forces du Mal, essentielle pour le métier d'Auror, n'en faisait pas partie.

—Je ne vois que le mercredi, en fin de journée, pour nous réunir. Si Hercule ne le comble pas avec tous les clubs existants.

Sigrid observa une pause et reprit:

—Tu l'as essayée, la fiole?

—Ouais. J'ai tout fait comme il faut dans une salle de classe avec une bassine d'eau. La bonne nouvelle, c'est écrit!

—Bien.

—Mais c'est du charabia!

—Si c'est écrit, c'est un souci d'interprétation en moins.

—Je te jure, c'est incompréhensible. Tu as vu le code de l'étiquette?

—Non. Fais voir.

Sigrid l'examina et se décomposa. Tracée de la main même de la professeure Obscur, avec cette écriture aux envolées et aux descentes caractéristiques, l'année, le mois et le jour formaient «28090808».

Casper achevait de ranger ses effets personnels dans un silence monacal. Jacques, n'y tenant plus, mit les pieds dans le plat en le prenant par l'épaule, amicalement:

—Ça va, Casper? Tu as passé de bonnes vacances?

Le Hollandais se détourna d'un coup sec, repoussa la main amicale et hurla, les yeux injectés de colère:

—Qu'est-ce que ça peut te faire?! Fous-moi la paix!

Hercule s'en mêla, voyant que l'explosion n'était qu'un symptôme d'un mal plus profond:

—Expliquez-nous, Casper. Nous vous écoutons et vous aiderons, autant que possible.

—Toi, ne m'adresse pas la parole! Plus jamais!

Puis, sans un mot d'explication, il jeta le reste du contenu de sa valise dans l'armoire, balança la malle sur un bureau, grimpa sur le matelas volant et s'allongea sur la partie la plus éloignée de la fenêtre. Abasourdi, le Belge ne sut comment interpréter ce revirement radical. Leur camarade semblait avoir été remplacé par un autre humain. Jacques laissa parler sa nature optimiste:

—Bah! Ça ira mieux demain. Au fait! Rosier est dans la chambre numéro quatre. On le croisera dans le couloir, mais on n'aura plus à supporter sa présence et sa méchanceté tous les jours.

Hercule repensa à la discussion avec madame Obscur. Casper pourrait-il être cet élève au revirement absolu?

Il proposa à Shin de découvrir l'étage mezzanine aménagé dans l'armoire. Le Japonais était dubitatif. Comment pouvait-on créer un sortilège d'extension multipliant le volume par quinze ou vingt? Il dut se rendre à l'évidence après avoir grimpé les marches de l'escalier hélicoïdal.

—C'est incroyable.

—C'est une réalisation de l'entreprise Delacour. Nous l'avons visitée, l'année dernière. C'était bigrement intéressant, fabuleux.

—Hercule, j'ai honte. Je ne comprends pas toujours les mots que vous utilisez.

—La professeure Bonnelangue vous aidera. Dans quelques semaines, vous nous en apprendrez à votre tour!

Le garçon sourit. Puis, il s'interrogea à propos d'une machine au centre de la pièce.

—C'est un distributeur de friandises, alimenté depuis les cuisines du château.

—C'est extraordinaire. La France, l'école sont si différentes du Japon.

—J'imagine. À propos de différences, j'en ai remarquées quelques-unes.

—Lesquelles?

—Vous avez semblé très heureux d'être dans la chambre numéro sept et vous avez fait un écart en passant devant la numéro quatre. Vous avez même détourné la tête.

Shin confirma les remarques du Belge. Il expliqua qu'au Japon, le sept était un porte-bonheur. En revanche, si le quatre était synonyme de malheur, au point de disparaître de certains lieux –numéro d'étage, numéro de table dans les restaurants, numéro de cabine dans les bateaux–, c'était parce que sa prononciation en japonais –Shi–était phonétiquement identique au mot signifiant la mort. Seuls les caractères kanji utilisés différenciaient les deux termes à l'écrit.

Hercule lui confia être désireux de découvrir les us et coutumes japonaises. Son camarade lui fit alors une proposition:

—Je crois que j'ai dans ma malle une chose qui pourrait vous intéresser.

—De quoi s'agit-il?

—Un shikibuton de voyage et le kakebuton allant avec. Je les avais emportés avec moi, au cas où. Il s'agit d'un matelas de voyage et de la couverture épaisse que l'on met sur soi.

—Vous me sauvez la vie! Je vais demeurer dans la mezzanine pour dormir. Bon sang! Si je croyais à toutes ces fariboles, je dirais que le destin nous a mis en présence l'un de l'autre.

—Fari…?

—Je pense que la destinée, c'est une plaisanterie, cela n'existe pas. Ne m'en voulez pas même si des prophéties de notre enseignante des arts divinatoires se sont réalisées, j'éprouve toujours du mal à croire que tout est écrit à l'avance.

—C'est un choix respectable.

—Cependant, le ministère de la Magie ne pense pas comme moi.

Hercule résuma les mésaventures survenues l'année précédente, la séquestration et la douleur subies par Claire, son attitude de début d'année et son revirement après que leur groupe l'ait aidée –il ignorait comment–à échapper au harcèlement gouvernemental. Quoi qu'il en soit, ces péripéties avaient démontré l'importance des visions de la voyante. Shin avait appuyé cette théorie en évoquant la disparition horrible de Maître Araii, considéré comme l'un des meilleurs dans sa spécialité, peut-être détenteur d'un secret important, à moins que l'élève Makoto, l'assassin, ait juste été pris de folie, ce qui était plus vraisemblable.

Le moment de dormir approchant, le Japonais avait récupéré le couchage et l'avait mis à disposition du Belge. Puis, d'un commun accord, ils avaient rédigé de courtes lettres afin de rassurer leurs familles respectives. Hercule avait promis de lui expliquer le fonctionnement du service postal de l'école dès le lendemain. Une fois les missives réalisées, Shin était revenu sur la soirée. Hercule avait commenté:

—Mouvementée, n'est-ce pas?

—Entre les affectations du Sondeur, le Feudeymon, mes visions qui prennent forme humaine, la sorcière au Patronus ou l'exploit d'Émilie, je ne sais que choisir.

—Ce n'est que le début. J'enrage d'avoir raté l'humiliation de Rosier.

—Qui est ce Rosier?

—Le fils d'une famille de Sang-Pur, désireuse d'éliminer les Moldus et tous les sorciers Sang-mêlés ou Né-Moldus. Un abruti aux théories nauséabondes, stupides.

—Émilie l'a combattu avec efficacité. Elle est très rapide. Jacques a raison d'être fier de sa petite sœur. Il a parlé d'une autre personne. Euh… Lucie. Il a dit: «Si Lucie avait pu voir ça!»

—Lucie?

Le Belge plongea dans sa mémoire. Il fit défiler l'Annuaire de l'École, ses rares discussions avec le Cracmol. Il ne trouva aucune mention d'une Lucie et cet échec le troubla. Cette Lucie n'avait peut-être pas été acceptée à Beauxbâtons. Il se rendit compte que Jacques ne parlait jamais de sa famille, hormis pour rappeler que ses parents étaient un fournisseur majeur de l'Académie. Si Hercule savait que ses géniteurs se nommaient Firmin et Janine, c'était parce que l'information était inscrite dans l'Annuaire de l'École. En réalité, s'il ignorait tout de Jacques, il en était de même avec tous ses autres camarades. Hercule n'était pas très sociable, pas très liant, à l'instar de Sigrid. Tout le contraire des populaires Umbelina et Eugénie, curieuses, confidentes.

Dans l'armoire, à l'étage, Hercule ne s'était pas encore mis en pyjama. L'excitation de la rentrée, les rebondissements agitaient son cerveau et l'empêchaient de trouver le sommeil. Assis à l'un des deux bureaux, il rédigeait un second rouleau à l'attention de Garrick Ollivander. Il le félicitait pour les nouvelles créations permises par son père. Il lui communiquait ses découvertes de trois nouvelles baguettes, regrettant que les informations soient partielles mais jurant qu'il parviendrait sous peu à combler ces lacunes.

À la baguette de noyer au venin d'Acromentule, il associa les traits de caractère suivants: ambitieux, désireux d'expérimenter, un brin secret voire mystérieux, plaisant.

À la création en aubépine noire, il allia la grandeur, la timidité, l'assurance, la rapidité, le talent, l'ingéniosité. Il avoua à son ami anglais être surpris par l'existence d'une baguette en aubépine noire, un arbuste à la fois frêle, souple, aux aiguilles dangereuses et acérées, blessantes, ne favorisant pas l'installation de Botrucs. Il promit de compléter la personnalité et les talents de la fillette dont le frère, un ami, était un Cracmol. Enfin, il termina sa missive par la production japonaise. Le cerisier et la moustache de Zouwu convenait à un sorcier capable d'en faire usage sans la toucher –un exploit en soi–, très à l'aise avec des sortilèges qu'il jugeait lui-même compliqués –le nuage à pétales de fleur était une merveille–. Hercule décrivait l'éducation, la sérénité du Nippon, maître de lui-même et le cœur de Zouwu, un animal puissant, rapide mais pacifique, correspondait à ses premières impressions à propos du Japonais. Hercule expliqua que, plus il en apprenait sur les baguettes et leurs propriétaires, plus il estimait que les cœurs révélaient les appétences des sorciers plutôt que leurs aptitudes pour des sortilèges spécifiques. Le dard de Billywig suscitait l'élévation par l'apprentissage, y compris les langues étrangères. Mais le don pour un sortilège, l'Oubliette, par exemple, n'avait rien à voir avec le cœur de la baguette. Le directeur de Beauxbâtons maîtrisait l'Oubliette pour rayer l'éternelle jeunesse d'Elvira de l'esprit des élèves et des enseignants. Hercule était incapable de réaliser ce sort tandis qu'Umbeijo, dont la baguette en orme contenait une plume d'Oiseau-Tonnerre, avait réussi un Oubliette parfait, précis. Le point commun entre le directeur et son amie était une qualité comme la volonté d'oublier. Hercule n'avait pas cette volonté; pire, il ne pouvait rien effacer de sa mémoire.

Le garçon avait dû abréger la lettre, car il aurait pu élaborer des théories durant toute la nuit. Il s'était glissé dans la chambrée, avait récupéré son pyjama dans son tiroir, avait fait un brin de toilette à la lueur du ciel dégagé et de la lune presque pleine. Puis, en tenue nocturne, il était remonté dans l'armoire et s'était allongé sur le matelas prêté par Shin. À même le sol, il était très ferme tout en étant d'une grande qualité, sans commune mesure avec la paillasse des elfes de maison. Il avait baissé ses paupières et il était apparu, hurlant sa terreur. Waldo.