Sortilège 12: le baptême du feu

Au premier matin d'école, Shin s'éveilla avec l'exquise sensation d'avoir passé la meilleure nuit de sa vie. Il descendit de son lit et se rendit à la douche. Il y retrouva un Hercule aux yeux bouffis de fatigue, l'air hagard, une mèche de cheveux rebelle, un regard suspicieux braqué sur le miroir lui renvoyant son reflet. Le Japonais effectua un salut traditionnel, accompagné d'une génuflexion.

—Bonjour, Hercule. Avez-vous bien… euh… mauvaise nuit?

Le Belge lui fit face et lui confia:

—J'en ai connues de meilleures.

—Est-ce le matelas que j'ai…

—Rassurez-vous! Il n'est pas en cause. Il était très agréable. Non, ce sont plutôt des cauchemars qui perturbent mes cycles de sommeil. Je me réveille plusieurs fois par nuit, ce qui altère ma récupération.

—Des cauchemars? Se ressemblent-ils?

—Ils sont presque identiques.

—Il s'agit peut-être d'une sorte de message, d'avertissement envoyé par un esprit ou d'un pont entre deux personnes très liées.

—Je rêve de mon oncle. Je l'adore. C'est un aventurier. Il est en grande difficulté quand il m'apparaît en rêve.

—Il rencontre peut-être des problèmes dans la réalité et il vous voit comme une aide.

—C'est une explication possible. Une sorte de Legilimancie, à distance?

—Voilà.

—Avez-vous vu l'emploi du temps d'Urtica?

—Je l'ai trouvé sur mon lit. Il y en a un pour vous, je l'ai déposé sur le bureau en bas.

—Et qu'avons-nous au programme?

—Ce matin, nous commençons par l'anglais, puis la botanique. Je ne devrais pas avoir de soucis en anglais. Père m'entraînait souvent à le parler, dès mon jeune âge. Avec la professeure Waldmeister, ce sera inégal. J'ai étudié la botanique mais comme je crois l'avoir dit, il n'y a pas d'animaux à Mahoutokoro. C'est interdit. La pratique va me poser des problèmes.

—Madame Waldmeister est très sympathique. Elle vous aidera. À ce propos, je me demande si Edgar sera au courrier. Je ne l'ai guère vu, cet été.

—Qui est Edgar?

—Un rapace.

Shin ne connaissait pas ce mot. Le Belge compléta l'explication:

—Un oiseau énorme. Grand comme ça.

Le Belge désigna son ventre, à un mètre du sol.

—Oh!

Le Japonais fit mine d'aller dans la douche puis rebroussa chemin alors qu'Hercule examinait de nouveau sa peau.

—Oui?

—J'ai remarqué en entrant que vous aviez l'air inquiet. Vous avez un souci?

—Oui. Ma peau semble noircir un peu partout. Il faut que j'en parle au médicomage de l'école.

—De quoi parlez-vous?

—De ça, là et puis là. Encore ici.

Il désignait ses pommettes, ses joues, le contour de sa bouche.

—Sans être un docteur, je peux vous rassurer. Ce n'est pas une maladie.

—Non?

—Non. C'est… l'âge d'avoir barbe et moustache.

—Quoi? C'est impossible! Je suis trop jeune! C'est… Nom d'une cornue! Je suis ridicule!

Shin rit de bon cœur et disparut dans la douche. Le Belge se fustigea durant cinq minutes avant d'en finir avec sa toilette. Sa maladie se nommait l'adolescence.

Il y avait foule le long de la Cabane Enchantée. Nombreux étaient les élèves qui, comme le Belge et le Japonais, avaient rédigé des parchemins à l'attention de leurs familles. Il y avait des courriers succincts ou de véritables romans décrivant, pas à pas, le déroulé de la veille, de la grève de la RATP à la retraite d'Abraham Piedargile, sans omettre le déraillement du Sondeur. Une noria de volatiles évoluait avec grâce au-dessus de la cabane, prête à vider les casiers de leurs contenus. Le nouveau ne cessait de s'émerveiller face au balai aérien, très coloré même si les préposés volants de la poste magique déclinaient surtout des parures brunes, grises, blanches et noires.

Hercule chercha l'emplacement du Japonais et fut rassuré en constatant que le chiffre quatre était absent de la numérotation. Une fois la case identifiée, le camarade déposa le rouleau à destination de madame Sato et les cinq Noises requises pour le transport et la délivrance. La tâche acquittée, les garçons se rendirent au petit-déjeuner, leurs besaces chargées du nécessaire pour la journée de cours. Ils s'assirent à la table où Jacques et Eugénie concouraient pour le trophée du plus gros mangeur. Sigrid n'avait presque rien dans son assiette, se contentant de picorer en faisant diverses moues, comme à son habitude. Umbelina était aux anges pour une mystérieuse raison et s'occupait de conseiller Noël et Émilie. Quant à Casper, il brillait par son absence. Hercule s'en inquiétait, depuis ce coup d'éclat la veille où le Hollandais avait succombé à la colère. La table des professeurs était quelque peu dégarnie, les uns préférant une collation vers 10h00, d'autres prenant le café à l'extérieur avant de rejoindre leur salle de classe. Une discussion assez animée avait lieu entre le directeur, la future référente Lonicera, le docteur Beauxbâtons et Claire. Un Assurdiato avait été lancé par l'un d'eux, car aucune bribe de conversation ne filtrait.

—Intéressé? demanda Shin, notant le regard interrogateur d'Hercule tourné vers les enseignants.

—J'imagine qu'ils évoquent le comportement du Sondeur.

—Si seulement nous pouvions lire sur leurs lèvres.

—Ce serait utile.

Hercule sentit le poids du regard de Sigrid et fit volte-face.

—Avez-vous passé une bonne nuit, ma chère amie?

—Oui. Eugénie a une déclaration à faire.

—Laquelle?

Il se tourna vers la demoiselle à bouclette indisciplinée.

—Il faut qu'on parle.

—Je vous écoute.

—Non, pas ici.

—Après le déjeuner? proposa Hercule.

—Non. Il faut qu'on parle. Sigrid, dis-lui, toi!

La discrète descendante des Flamel se pencha et chuchota à l'oreille du Belge:

—Le quatrième ordre. Les travaux d'été.

—C'est urgent? Ce sera difficile avant demain soir.

—Bon sang! s'exclama la virtuose des potions.

Tous les regards se tournèrent vers elle, certains plus inquiets de voir surgir l'Autre. Hercule sentit qu'elles exigeaient plus de discrétion. Il imita le ton de Sigrid et lui murmura:

—Je dois récupérer cent Gallions pour nos éclaircissements estivaux. La professeure Obscur pourrait nous soumettre une nouvelle énigme et verser un acompte.

Sigrid le dévisagea, interloqué. La devineresse avait-elle eu cette prophétie bleue entre les mains? L'avait-elle confié à Eugénie sans que cette dernière n'en sache rien? La plus brillante élève ne pouvait pas en révéler davantage sans prendre le risque qu'une oreille indiscrète ne s'interpose entre ses lèvres et les tympans d'Hercule. Elle en voulait pour preuve que tous les convives réunis à table, y compris les plus jeunes, avaient soudain cessé de discuter.

—Ce n'est rien, ajouta Hercule, pour dissiper tout malentendu.

Sigrid croisa le regard furibond d'Eugénie, assise en face d'elle. «L'héritière» de Beauxbâtons, comme elle détestait qu'on l'appelle, s'installait toujours à gauche de sa colocataire. Mais ce matin, elle faisait une exception. Hercule avait compris qu'il s'agissait pour sa camarade, de tourner le dos à son père. Le Belge pria secrètement pour ne jamais se faire d'Eugénie, une ennemie. Il fut sur le point de se demander si elle freinerait ses envies de faire des bêtises lorsqu'il la vit enfourner des viennoiseries par poignées dans les poches de son uniforme. Eugénie ne changeait pas. Alfred avait du mouron à se faire.

Tout à coup, une phrase apparut au-dessus des couettes rousses d'Émilie, s'accompagnant d'un sourire mutin et d'un rougissement certain.

«Tu as trouvé comment j'ai répondu au Sondeur?»

—Ça ressemble à un défi! s'exclama Umbelina.

—C'est de la provocation! renchérit Eugénie.

—C'est normal, tu es son idole, informa Jacques. J'ai tellement parlé de vous, à la maison. Toute l'année et plus encore cet été. D'ailleurs, merci pour la lettre envoyée de Bruges! C'était très sympathique.

—Moi, une idole?

—Ben oui, Hercule! Vous êtes sacrément fortiches, la bande des quatre! s'enthousiasma le frère.

—De quoi parle-t-il?

—Je vous expliquerai, Shin. Alors, comme ça, on me lance un défi. D'accord! J'accepte à une condition, Émilie. Si je trouve, vous me direz quel est le cœur de votre baguette.

Elle hésita quelques secondes avant de sourire et d'accepter l'échange.

L'heure de se rendre en cours approchait. Ils se levèrent; les plats, les couverts et les succulents mets disparurent. En un tournemain, la table fut prête pour le service du midi.

Le cours d'anglais de Sean McFlurry se passa à la perfection pour le Nippon. Il put se rendre compte à quel point les enseignants n'avaient rien à voir avec leurs homologues de son ancienne école. Il nota que son niveau d'anglais dépassait celui des Français et égalait celui des autres Européens comme l'étrange Van Kriedt. Il fut enchanté par le cours mêlant, à titre exceptionnel, la botanique et les créatures magiques, animé par Ursula Waldmeister. La Suissesse avait profité de ces deux heures pour détailler le programme des deux matières qu'elle enseignait. Elle avait expliqué qu'au cours des prochaines rencontres, le mardi serait consacré à la botanique dans la serre tandis que le lundi, l'étude des créatures se passerait soit dans la ménagerie pour les travaux pratiques, soit parmi les plantes d'intérieur, soit dans le bois. Ensuite, la femme leur avait présenté un Lutin champêtre, vivant dans des terriers creusés par des lapins ou des renards, la créature dérobant leur habitat car ignorant tout de l'excavation. Elle avait dû le bombarder de sauterelles pour le forcer à s'éveiller, cet insectivore passant 80% de sa vie à dormir.

Shin n'était pas parvenu à noter les informations secondaires sur la créature, car le français de cette Suissesse semblait victime d'une transmutation labiale extraordinaire. Hercule lui avait avoué avoir éprouvé quelques difficultés à la comprendre dans les premières heures de l'année passée.

Le déjeuner s'était déroulé sous les auspices d'un exquis Osso Bucco, suivi d'une omelette norvégienne alliant un chaud-froid d'un équilibre parfait. Hercule et Shin ne s'étaient pas montrés avant 12h45, le Belge insistant pour que le Japonais recopie toutes ses notes afin de compléter ses connaissances. Eugénie avait poussé un énorme soupir d'exaspération en découvrant le nouveau duo inséparable. Il avait fallu toute la pondération et la gentillesse de Sigrid pour l'amener à faire preuve de plus de patience.

À 13h44, Hercule se leva et s'excusa, invoquant un rendez-vous important, sans donner plus de précisions. Claire quitta la table une minute plus tard et prit l'escalier de droite, dans le hall, pour rejoindre l'Observatoire. Hercule l'y attendait près de la porte. La professeure ouvrit, l'invita à rentrer et verrouilla.

Sans attendre plus longtemps, la rousse dévoila une bourse et l'offrit à l'enfant.

—Voici les cent Gallions pour la prophétie de 2061.

Elle exhiba une seconde bourse qui semblait garnie à l'identique.

—Cent Gallions supplémentaires pour l'affaire évoquée hier soir. Attention, cette fois, je ne veux pas d'explication, car le message semble limpide: il y a un perturbateur. Je veux un nom. Je veux savoir qui, parmi les élèves présents dans notre école, est capable de semer la discorde et le chaos dans notre établissement.

—C'est une véritable enquête, Professeur.

—J'en suis consciente. Ma lucidité ne s'arrête pas là. Dans l'hypothèse où la prophétie ne concerne pas un nouvel arrivant, cela signifie que n'importe qui parmi les élèves ou les professeurs, peut être la cause du trouble jeté sur Beauxbâtons.

—J'ai la sensation, Madame, qu'un authentique Legilimens pourrait se dissimuler parmi nous et œuvrer dans l'ombre. Je n'exclus pas qu'il soit doté d'autres talents. Si les mises en défaut du Sondeur sont liées à votre prédiction, nous pourrions avoir affaire à un véritable génie de la magie.

—Cela complique la recherche, n'est-ce pas?

—Oui et non. Un authentique Legilimens saura piocher le génie dans les esprits des plus doués. Je n'écarte aucune possibilité.

—Tu comprends que tu ne dois parler de cette enquête à personne. Pas même à tes amis. De même, je serai la seule à savoir que tu cherches à identifier le coupable.

—Cela risque de me mettre en porte-à-faux, mais j'ai conscience du prix. Si personne ne sait, celui ou celle qui sera coupable, n'aura aucune raison de sonder nos esprits.

—Le secret non partagé garantit notre sécurité.

—Bien, Professeur.

—Tout le monde est concerné par la recherche, n'est-ce pas?

—Un Legilimens se montrera maladroit pour dissimuler ses facultés. Il y a plus de sept cents suspects.

—Je te libère. Rends-toi en salle blanche et je partirai dans cinq minutes.

—Bonne journée, Madame.

Le garçon respecta les ordres à la lettre. Il dissimula les deux bourses sous son uniforme. Claire avait eu du flair en séparant les sommes. Ainsi, il pourrait rétribuer ses amis sans éveiller le moindre soupçon. Par contre, elle avait doublé le tarif pour ce qui relevait de la véritable passion du garçon: l'enquête. Elle pourrait prendre l'année entière, voire plus. Une période jalonnée d'événements particuliers parmi lesquels il faudrait trier les «impondérables», ce que le professeur Racine nommait les «points hors du nuage» par lequel passerait la droite menant au nom du coupable. Pour cette raison, il accepterait l'invitation d'Umbelina à rejoindre le club de sciences animé par le professeur responsable de ces matières. La maîtrise des statistiques et la création d'un modèle mathématique l'aideraient sur la voie de la vérité. Il lui faudrait trouver un moyen de stocker le produit de ses réflexions dans une cachette sûre, inaccessible au regard de ses amis ou de ses colocataires. Une vraie gageure.

À 14h00, les enfants de l'ordre Urtica pénétrèrent dans la Salle Blanche. Elvira, glissée dans une robe fourreau d'un noir scintillant, les y attendait de pied ferme. D'un geste rageur de la main, trente ensembles bureau-chaise firent leur apparition. Les élèves s'installèrent en silence. Elle déambula entre les rangs, les dévisagea, un par un, sans prononcer une seule parole. La tension monta d'un cran. Elle accorda à chacun, un regard plus ou moins long. Elle marqua une courte mais remarquable pause devant Casper. Elle se contint pour masquer son trouble et choisit de passer à l'élève suivant. Le Nippon n'échappa pas à son manège. Il la fixa droit dans les yeux, sans se départir de ses moyens, ayant déjoué son plan. L'adulte resta plantée devant lui plus d'une minute avant de le lâcher et de s'attaquer à Hercule, manquant de déraper sur le sol, la faute à ses talons à la hauteur déraisonnable.

Lorsqu'elle eut achevé son tour de la classe, elle consentit alors quelques révélations:

—J'espère que vous avez passé de bonnes vacances. J'en suis même convaincue, car lire dans les pensées de cette assemblée a été d'une facilité si déconcertante que j'ai la sensation de ne rien vous avoir appris!

Elle avait ponctué cette phrase d'une tonalité aiguë trahissant son agacement. Les élèves redoutèrent le pire à venir.

—En conséquence, ajouta-t-elle en agitant sa baguette.

Une plume trempa sa pointe dans un flacon d'encre noire et suspendit son mouvement au-dessus d'un parchemin. Elle dicta:

—Comme je vous ai cueillis à froid et que je suis magnanime, la promotion Urtica commence l'année avec Étain sauf pour les exceptions suivantes…

La plume peinait à suivre le rythme effréné du professeur.

—Rosier: Bronze. Il y a quelques restes honorables.

La plume gratta le nom et la note. Puis, elle attendit en frissonnant comme si elle était douée de sentiments.

—De Luca Rosso: il y a quelques imperfections mais c'est pas mal du tout. Argent pour toi.

L'intéressé s'estima heureux de s'en sortir avec les honneurs.

—Van Betavende: Or. Les réflexes et la protection sont conformes à ce que j'attends d'un élève de seconde année.

Tout le monde retint sa respiration, caressant le fol espoir qu'elle cite d'autres vainqueurs.

—Ishii: Platine.

—Oh! firent les élèves.

Hercule se tourna vers son voisin comme s'il venait de lui révéler être le nouveau ministre de la Magie. L'intéressé n'avait pas entendu parler de cette note et questionna, en toute légitimité:

—Platine, Professeur?

—C'est lorsqu'un élève dépasse le résultat attendu. J'attendais de vous tous une forte résistance. Vous, Ishii, avez été un mur infranchissable. Vous avez reçu un enseignement de très haute qualité. Bravo!

—Merci, Professeur.

Elvira martela un discours maintes fois seriné. Si les vacances étaient, à son avis, propices à la détente, au relâchement, un mage noir s'en moquerait et ne donnerait jamais l'occasion de recommencer l'exercice en cas d'échec. Il exploiterait leurs failles et arracherait leurs secrets. Sans la pratique assidue de l'Occlumancie, les élèves ne tiendraient pas cinq minutes face à un maître de la Legilimancie.

—Est-ce compris?

—Oui, Madame! répondit l'ensemble de la classe.

—Parfait. Prenez vos baguettes! À tour de rôle, vous allez lancer le sortilège Legilimens sur votre voisin. Ce dernier devra user d'Occlumens pour résister à l'incursion. Celui qui aura le rôle de «sondeur» devra arracher un détail des dernières vacances du «sondé». Plus il sera précis, meilleure sera la notation. Compris?

L'assistance saisit le but de l'exercice proposé par l'enseignante.

—Hercule, tu commences. Shin, tu résistes. Maintenant.

—Legilimens!

—Occlumens!

Le duel débuta mais Hercule se heurta à la vision d'un océan en furie, de déferlantes le frappant de plein fouet. Il lutta, arc-bouté sur sa baguette. Son corps se raidit, sa vision se brouilla, sa mâchoire se serra jusqu'à faire crisser l'émail des dents. Un vrombissement perça dans le vacarme marin. L'adversaire renforça son esprit, mais Hercule décela une minuscule brèche. Pliage. Des doigts exécutaient un pliage savant pour donner une forme au papier. L'objet avait des ailes mal placées. Il prenait vie et… Un maelstrom s'ouvrit devant lui. Il fut englouti par des millions de litres d'eau salée. Ses poumons avalèrent l'eau, il suffoqua. Une fraction de seconde, il fouilla dans sa mémoire et identifia le bourdonnement –un Billywig–. La lutte s'acheva par l'épuisement des deux protagonistes. Ils avaient tout donné et ils éprouvaient un respect mutuel. Hercule salua son adversaire et ce dernier lui répondit à l'identique.

Dès que le Belge eut récupéré, il annonça:

—J'ai vu un Billywig. Vous aviez une reproduction, en papier plié.

Il marqua une courte pause et reprit:

—Un origami. Ensorcelé pour voler.

—C'est exact. C'est un cadeau de notre gouvernante. Elle me l'a offert pendant les vacances.

—Or pour Van Betavende.

—Hercule m'a poussé à bout, Professeur.

—Pas tout à fait. Il a failli échouer, mais il possède d'autres talents précieux. N'est-ce pas, Hercule?

—C'est la vérité, Professeur.

Le Japonais fut intrigué par la connivence. Quels étaient ces autres talents?

—À présent, inversons les rôles. Prêt? Allez-y!

—Occlumens!

Hercule érigea une barrière à toute épreuve. Contre toute attente, il n'entendit pas son camarade formuler l'ordre d'extraction suprême. Cela déstabilisa le Belge, juste assez pour que le Japonais en profite pour le fouiller. Sa baguette effleura celle du Belge. Le combat fut très bref. Il ferma les yeux et énonça, sans faiblir:

—Une promenade sous les canaux de votre ville, Bruges. Dessous? C'est possible?

—Impressionnant. Votre victoire comme la visite.

—Oui, très très bien. Or pour Shin.

La plume enchantée gratta le résultat.

—Il a été beaucoup plus rapide que moi, Madame, fit remarquer Hercule à juste titre.

—Tu as raison. Cependant, je n'oublie pas que notre nouvel élève se trouvait dans la maison Yosamu, l'année dernière. Pour une bonne raison, n'est-ce pas?

Le garçon sourit en baissant la tête. L'enseignante l'avait démasqué. Un peu de voyance en lieu et place de la Legilimancie, c'était une astuce dont il usait et parfois, abusait, face à un remarquable Occlumens.

Le Japonais et son colocataire se réjouirent d'avoir décroché de bonnes notes et d'avoir dû s'affronter en premier. Ils disposeraient davantage de temps de récupération. Le Nippon se dit qu'Elvira était digne de figurer dans le personnel de Mahoutokoro. Elle dissimulait une forme de puissance dévastatrice et s'efforçait de ne jamais en faire usage. Elle était différente. Il l'avait ressenti à l'instant où elle avait vacillé, au moment précis où, à un puissant Legilimens, il en avait opposé un microscopique à son tour. Elle savait qu'il savait. Il se demandait ce que ce pressentiment allait lui coûter.

Les deux heures de torture, prévues avec mademoiselle de Bazincourt, chaque mardi après-midi, étaient suivies d'une nouveauté avec le même enseignant: le club de duel. Accessible à partir de la deuxième année, il était de niveau junior jusqu'à la quatrième année, puis dénommé expert de la cinquième à la huitième année d'étude. Les mardis soir promettaient d'être suivis de migraines carabinées. Ce créneau horaire revêtait une caractéristique particulière: il regroupait les trois ordres.

—Pour la première fois, vous allez mettre en pratique les sortilèges de base appris l'année dernière, complétés par de nouveaux qui seront abordés cette année. Pour cette raison, je vais changer la physionomie de cet endroit.

Elle agita sa baguette tordue. Les bureaux disparurent et d'épais tapis les remplacèrent.

—Voilà qui est mieux! Vous allez vite comprendre à quoi ces amortisseurs servent. Alors…

Elle se frotta les mains et Hercule fut persuadé de ne jamais l'avoir vue faire auparavant.

—Vous avez lu des manuels ou des récits vous décrivant des duels qui respectent tout un cérémonial. Ce sont des histoires pour enfants, des balivernes, des âneries! La seule règle qui vaut, lors d'un duel, c'est de vaincre par tous les moyens.

Elle jeta un regard noir à Rosier.

—Sans faire usage des sortilèges impardonnables, cela va de soi. Croyez-moi! Un Stupefix, envoyé avec toute la rage et la volonté possible, peut envoyer votre adversaire à l'hôpital Bonpied. Certains d'entre vous peuvent en témoigner.

Hercule se racla la gorge et se concentra sur ses chaussures vernies.

—Quand vous en aurez assez de mordre la poussière, quand vous en aurez assez de perdre, vous réagirez et vous apprendrez à rendre les coups. Et ça commence tout de suite!

Elle tourna sa baguette en direction du jeune Belge, placé aux avant-postes. Il éjecta son arme en cèdre et para l'attaque-surprise d'un Protego. Le Petrificus Totalus d'Elvira rebondit sur le bouclier et toucha Rosier de plein fouet. Il tomba sans plier la moindre articulation, comme une pierre.

La mésaventure du suprémaciste soutira quelques rires incontrôlables. Elvira écarquilla les yeux. Comment son poulain avait-il prévu son attaque surprise? Elle garda cette question au chaud pour plus tard.

Elle demanda aux élèves de former des duos au sein de leur ordre. Naturellement, les amitiés ou affinités jouèrent à fond. Une fois les équipes formées, Elvira s'ingénia à les défaire. Elle se justifia:

—Vous risquez de vous retenir. Ce n'est pas l'objectif.

Hercule se coltina Rosier, comme il le redoutait. Shin tomba sur un dénommé Edmond d'Arcy, un blond au front bombé et à la mèche tombante. Casper sembla insatisfait de l'adversaire dont il avait hérité. Dans le fond de la salle, Umbelina fut opposée à Fuchs, la révolutionnaire luxembourgeoise, très vindicative et plutôt à l'aise en sortilèges. Sigrid hérita d'un petit brun au physique ingrat, copain avec Rosier, ce qui lui soutira un sourire carnassier. Eugénie dut se farcir Rostang de Hautefeuille; elle imagina la tête de son père à la place de celle de la noble à particule.

L'enseignante délivra les consignes: un attaquant avec un Petrificus Totalus et un défenseur usant du Protego. Elle se chargerait de lever les sortilèges touchant au but. Elle promit un face-à-face douloureux si l'un des élèves avait la malencontreuse idée de s'écarter des consignes.

Durant deux heures, le Japonais, à la concentration perturbée par la vision de la blonde de Lonicera, mordit la poussière plus que de raison.

La deuxième heure de duel touchait à son terme. La professeure conseilla aux élèves de venir en Salle Blanche pour s'entraîner. Juste avant de vider et de remettre les lieux à l'état d'origine, mademoiselle de Bazincourt s'arrangea pour que Shin et Hercule soient les derniers à sortir. Elle bloqua la porte devant leur nez. Surpris, les deux garçons firent volte-face, sur la défensive.

—Venez par là, vous deux!

Un sentiment d'inquiétude les traversa de part en part. Ils s'approchèrent avec une certaine lenteur, la main sur la baguette ou le poignet prêt à éjecter d'une simple torsion.

—On se calme, messieurs. J'ai besoin d'éclaircir deux ou trois points et de vous faire une proposition.

Les garçons se détendirent un peu. Elle sourit.

—D'abord, mes félicitations. Hercule, tu n'as pas perdu la main. Les leçons supplémentaires ont porté leurs fruits.

Le jeune Belge fut étonné par la réflexion, car elle venait de trahir le secret sur leurs cours particuliers de l'année précédente, enseignements strictement interdits par le Ministère. Il lui fit la remarque:

—Professeur, n'était-ce pas une information supposée rester cachée?

—Si je me permets de briser le sceau du secret, c'est parce que je souhaite poursuivre les compléments le samedi matin.

—Bien, Madame.

—Je souhaite t'intégrer, jeune homme.

—Moi? Je ne suis pas très à l'aise en Défense contre les Forces du Mal. Je crois que vous l'avez remarqué. Vous m'avez beaucoup vu à terre, avec d'Arcy.

—J'ai pu le constater, en effet. Mais je requiers ta présence pour une autre raison que je ne souhaite pas révéler à Hercule, ni à ses amis. Pourras-tu te joindre à nous?

—Avec joie, Professeur.

—C'est parfait. Je vous libère. Euh…

—Oui, Madame?

—Hercule, que se passe-t-il avec Casper? On dirait une autre personne.

—En effet, Professeur. Je ne le reconnais pas. Il a refusé de donner une explication. Pire: il a explosé de colère et a commis quelques écarts de langage.

—Ah!

—Pouvons-nous…

—Oui, oui. Bonne soirée.

Les enfants n'en demandèrent pas plus et se hâtèrent de rejoindre leur pavillon. Chemin faisant, le Belge sentit un trouble certain chez le Japonais. Il voulut en avoir le cœur net. Shin lui dit la vérité.

Appuyé sur le parapet du pont enjambant la Rivière Enchantée, le tandem de garçons passait en revue la première journée. L'air était sec, chaud mais une brise légère soufflait et soulevait de minuscules gouttelettes du torrent, rafraîchissant les visages rougis par l'effort. Les deux enfants étaient exténués, comme toute la promotion de deuxième année mais plus encore, car ils s'étaient investis sans compter leurs forces.

Les raisons de cette débauche d'énergie n'étaient pas identiques. Hercule souhaitait démontrer à madame de Bazincourt qu'il n'avait rien perdu des leçons, même si sa baguette refusait d'exécuter les sorts d'attaque à pleine puissance. Ensuite, il avait battu Rosier à plate couture et ça, cela valait un Platine à ses yeux, car le suprémaciste paraissait avoir reçu des conseils –assortis de pratique?–avisés en famille. Quant au Japonais, d'ordinaire rétif à faire usage de sa baguette comme un va-t-en-guerre, il avait fait de son mieux pour briller aux yeux de la jeune fille blonde de Lonicera. Hélas! Elle n'avait rien vu de ses malheureuses tentatives.

—Quel dommage que nous n'ayons pas eu l'occasion d'affronter des adversaires des autres ordres! se lamenta Hercule. Vous auriez pu vous retrouver face à l'une de mes amies.

—Laquelle?

—Peu importe. Sigrid est très douée, rapide. Vous verrez qu'elle réussit toujours ses sortilèges. Elle a été la première de la promotion, l'année dernière et a même battu la meilleure moyenne détenue par la professeure Bonnelangue. Sigrid est une immense sorcière, complète, à tous points de vue.

—Aucune faiblesse?

—D'un point de vue scolaire, non. De mes amies, c'est Umbelina, la plus puissante. Un seul sortilège de sa part est suffisant pour vous mettre à terre sans pouvoir vous relever. Si un tournoi de duels a lieu, soyez assuré de trouver Umbelina en finale. Notre championne de Quidditch est une stratège: elle analyse les faiblesses de l'adversaire.

—Et Eugénie?

—La Défense contre les Forces du Mal n'est pas son point fort. Mais elle compense par certaines idées folles, audacieuses.

L'intéressée patientait non loin de là, en compagnie de Sigrid. Elle était très agitée. Près du pavillon Lonicera, Umbeijo était entourée par des élèves plus âgés de son ordre. Le Quidditch était, à coup sûr, l'objet de leur discussion.

—Hercule, j'ai une question à propos de la professeure de Bazincourt.

—Je vous écoute.

—Elle est… spéciale. J'ai ressenti une nature de pouvoir… différente.

—J'ai mis beaucoup plus de temps à le découvrir que vous. Vous êtes surprenant.

—Il y a autre chose.

—Oui?

—Chez Lonicera, il y a une jeune fille blonde aux yeux bleus. Elle était en cours de duel avec nous.

—Cette description correspond à plusieurs personnes.

—C'est… euh… la plus… belle.

—Oh, je vois.

Hercule ne put s'empêcher de sourire. Elle était effectivement d'une beauté irréelle, à couper le souffle. À se demander si elle n'était pas une hybride de Sirène ou de Vélane.

—C'est Katarina Rostopchine. Pourquoi cet intérêt soudain?

—Je l'ai déjà vue.

—Où donc? Au Japon?

—En rêve.

Hercule fit la moue du garçon s'engageant dans une voie sans issue, malfamée. La prémonition s'écartait de son chemin cartésien.

—En rêve? Vous voulez dire que c'est en lien avec vos capacités de voyance?

—Je crois.

—Vous avez rêvé de Beauxbâtons?

—Pas de l'école, mais j'ai vu des visages d'élèves. C'était au mois de juillet.

—Katarina et qui d'autre?

Le Japonais hésita et puis, il se dit qu'Hercule devait être au courant de sa véritable nature d'Uranaishi, même si le Belge faisait preuve de circonspection vis-à-vis de cette discipline.

—Vous.

—Moi?

—Oui. Plus âgé.

—Vieux?

—Jeune.

La logique des rêves échappait au Belge. Pour lui, un songe n'était qu'une succession de fariboles déclenchées par la fatigue du cerveau, en quête de repos. Mais Shin avait peut-être des arguments logiques à opposer dans ce labyrinthe sans queue ni tête.

—Comment pouvez-vous dater le rêve?

—Vous portiez une moustache très drôle!

—Drôle?

—Elle ressemblait à… euh… pour conduire une bicyclette.

Hercule ricana, le ventre secoué par des spasmes.

—Vraiment? Quelle idée saugrenue! Une moustache recourbée!

—Très très recourbée! s'amusa l'Asiatique.

Les deux garçons se tordirent de rire.

—Peut-être était-ce pour plaire à une fille? suggéra le Japonais.

—Que Flamel me garde d'une telle sottise!

—Le rêve ne disait pas si cela fonctionnait.

—Prévenez-moi si vous recevez d'autres informations, que je me prépare au pire! Une moustache en guidon de vélo, sérieusement!

Le duo quitta le pont, le cœur léger, de bonne humeur et rejoignit le pavillon Urtica. Alors que le Japonais évitait la chambre quatre, il remarqua un tapis au sol. Des questions fusèrent aussitôt:

—Y a-t-il un sous-sol, Hercule?

—Oui. C'est là où se trouve le système de chauffage entretenu par les elfes de maison.

—Et à l'étage?

—Il n'y a rien.

C'était la vérité puisque l'accès secret d'Urtica menait sous terre.

—Les pavillons sont identiques?

—Pas du tout. Je vous décrirai leurs différences, apprises de la bouche de mes amies.

—Est-ce vrai qu'il est impossible d'entrer dans les autres pavillons?

—Oh que oui!

—Vous parlez par expérience?

—Les sécurités des pavillons sont très efficaces et très désagréables. Ne tentez pas de rentrer chez Urtica après 22h00. Ce serait mémorable.

Le nouvel arrivant se douta que, sous ses airs raffinés, sérieux, travailleur, son camarade faisait preuve d'une curiosité si insatiable qu'elle le conduisait parfois sur des chemins bordés d'ornières.

Une fois entrés, les garçons se dirigèrent vers l'armoire pour rejoindre les deux bureaux de la mezzanine. Jacques occupait une place libre sous les lits superposés. Il était attelé à la tâche, plongé dans ses manuels de botanique. Le Cracmol ambitionnait de trouver à l'aspérule d'autres applications que ses propriétés gustatives. Un projet spécifique donné par la professeure Waldmeister dont le nom, d'origine germanique, se traduisait en français par Aspérule.

Casper était dans la pièce, mais il s'était réfugié sur le lit. Il était plongé dans un bouquin qu'Hercule n'était pas parvenu à identifier. Le Hollandais n'avait pas bronché, pas prononcé un mot. Il avait agi comme si personne n'était entré dans la pièce. Installé à son bureau, le Belge avait songé que ce changement total de personnalité ou de comportement, cadrait avec la prédiction de Claire Obscur. Cependant, Casper ne s'était pas montré désagréable au point d'exploiter des informations pour engendrer le mal. Mais l'année ne faisait que débuter.

Le garçon proposa son aide pour la botanique et l'étude des créatures magiques. Il fallait produire un rouleau entier sur les capacités, les dangers et les coutumes du Pitiponk, sans oublier son régime alimentaire et son descriptif physique. Hercule avertit son camarade: Ursula, sous ses airs aimables, exigeait que ses étudiants aillent au-delà de ses demandes. Mentionner les sorts repoussant la créature, était un exemple.

Shin espérait ne pas truffer le travail de fautes d'orthographe. Son voisin lui promit une relecture. Ils s'attelèrent à la tâche jusqu'à 19h30, heure du dîner.