Sortilège 14: premiers secrets

Peu après 17h00, Hercule s'était dégoté un coin tranquille dans l'antre du bibliothécaire. Il s'était jeté sur le parchemin produit par Eugénie et l'avait soumis à la sagacité de sa baguette. Le cœur de Billywig n'avait pas pu déterminer la langue utilisée. Ensuite, il avait écrit une lettre à Max dans laquelle il lui quémandait des nouvelles, glissant au fil des lignes une remarque adroite sur leur professeur de Maléfices, Enchantements et Sortilèges en CHASSE-Magus. Il escomptait une réplique trahissant la surprise.

La rédaction lui avait pris plus de temps que prévu, sa main droite endolorie par la partie de Cecrabebleu se rappelant à lui. Une fois de plus, Katarina l'avait battu à plate couture. À dire vrai, le Belge n'était pas très concentré, son esprit vagabondant de la fumerolle bleue à la mission de la professeure Obscur, en passant par les questions de Shin à propos de mademoiselle Rostopchine et la révolte d'Eugénie, outrée qu'il n'ait pas pu se libérer plus tôt. Il gardait en filigrane l'étrange revirement comportemental de Casper, les questions à la limite de la philosophie du club de sciences, la folie inexpliquée du Sondeur et les silences parfois gênants lors du dîner du soir. Même Shin s'était abstenu de prendre la parole, assommé par ses efforts continuels de compréhension, par la séance de Quidditch épique selon les dires d'Eugénie et Umbelina, par le travail supplémentaire exigé à l'issue des différents cours. Il s'interrogeait, à juste titre, sur sa capacité à tenir la cadence. L'intérêt qu'il suscitait chez les professeurs Laflèche et de Bazincourt, corsait l'affaire.

Au sortir du restaurant, Hercule s'isola avec le Japonais en contournant le château et en prenant le chemin de la fontaine Flamel. Cette nouvelle dérobade généra un agacement visible chez Eugénie. Elle promit aux autres filles de stupéfixer ses paupières et de jaunir son teint pour ressembler à une Japonaise, seul moyen de regagner les faveurs du Belge. Umbelina était curieuse de voir cette métamorphose tandis que Sigrid la conjurait d'y renoncer. Jacques, lui, avait mal au ventre tellement il riait.

Parvenu à hauteur de la fontaine, Hercule prit la parole avec un ton solennel.

—Shin, je tiens à vous présenter mes excuses pour mon attitude cavalière, en début d'après-midi. Eugénie était très insistante, le caractère d'urgence était justifié, mais je n'aurais pas dû vous laisser à l'abandon de manière si abrupte.

—J'ai survécu, Hercule. Vous ne pouvez pas être toujours présent.

—Certes.

—Est-ce que votre réunion a un rapport avec l'autre fleur que vous portez à l'intérieur de votre uniforme?

Hercule retourna le col de sa robe sorcière et dévoila le Gerbera.

—Oui. Sigrid, Eugénie, Umbelina et moi-même n'avons pas été affectés dans les bons ordres. L'année dernière, nous avons choisi d'en fonder un quatrième rassemblant les élèves qui ne se sentiraient pas à leur place.

—Je comprends. J'ai perçu la colère d'Eugénie et je m'en veux d'être toujours… euh… avec vous. Elle voulait dire une chose importante, urgente et je l'en empêchais.

—Eugénie n'est pas la personne la plus patiente de la Terre.

—Est-ce que l'urgence a pu trouver une solution?

—Pas encore. Il faut que vous sachiez que nous avons certaines capacités qui nous permettent de résoudre des énigmes.

—Énigme?

—Mystère.

—Je comprends mieux. Un peu Auror-Enquêteurdès l'école?

—C'est l'idée.

Le Belge ne souhaita pas en dévoiler davantage et aiguilla la conversation sur un autre sujet.

—Mis à part le Japon et votre père, qu'est-ce qui vous manque le plus, en France?

—Madame Sato me manque.

—Il s'agit de votre gouvernante, n'est-ce pas?

—Oui. C'est une personne très instruite, intelligente, gentille.

—Quoi d'autre?

—Les onsen.

—Pardon? Qu'est-ce qu'un onsen?

—Au Japon, nous avons des bains où tout le monde a le droit de se baigner. L'eau chaude vient de la terre.

—Des sources thermales chaudes?

—Oui, il y en a un peu partout. Le Japon est un pays plein de volcans en activité. D'ailleurs, le jour où j'ai quitté mon école, il y avait de la lave qui coulait le long du volcan.

—Impressionnant! N'est-ce pas dangereux?

—Pas tellement. Le directeur a lancé des sorts pour que la lave coule vers la mer. Il est très puissant et respecté. Être capable de diriger les forces de la Terre, c'est de la très grande magie.

—Absolument!

Hercule parut s'absenter pendant quelques secondes. Une idée se dessina dans son esprit.

—Pour me faire pardonner, je vais vous révéler l'un des secrets du pavillon d'Urtica. Suivez-moi!

Le Belge reprit la direction du château. Le leader du tandem franchit le perron, traversa le hall et chercha à se soustraire à la vue des autres étudiants. Hercule éjecta sa baguette, ce qui fit sursauter Shin, pris au dépourvu.

—Faites comme moi! Lumos maxima!

Le Japonais attrapa sa baguette piquée dans son catogan et l'alluma sans même formuler le sortilège.

—Vous m'impressionnez.

—C'est une question d'habitude. Au Japon, l'enseignement de chaque sort est accompli avec ou sans baguette. Ce n'est pas toujours facile.

—J'imagine. À présent, cachez votre baguette sous votre uniforme.

—Qu'allons-nous faire?

—Un peu d'exploration souterraine.

Le Belge conduisit son comparse jusqu'au pavillon Urtica. Il prit le couloir de gauche et alla jusqu'au bout, là où une petite lucarne condamnée distillait un peu de lumière. Hercule ouvrit l'étroit placard où seau et serpillière étaient entreposés avec du savon, attendant un usage par les elfes de maison. Le plus expérimenté prit la serpillière qui s'agita et la frotta le long de la colonne des eaux usées étrangement placée. Le mur s'écarta, dévoilant un escalier plongé dans l'obscurité. Les garçons dégainèrent leurs baguettes et éclairèrent le chemin.

—Mais l'interdiction de faire de la magie? protesta le Nippon.

—Le sort a été lancé dans le château. Nous y retournerons avant d'aller nous coucher, afin de prononcer le sort pour l'éteindre.

—Je… je… ça alors! C'est… malin!

—Si vous saviez ce qu'on a fait, vous nous dénonceriez! s'amusa Hercule.

Ils s'engagèrent dans l'anfractuosité.

—Personne ne connaît cet endroit?

—J'imagine que si. Mais les étudiants ne s'y intéressent pas. Vous, par contre, cela va vous plaire.

—J'ai hâte.

—Soyez prudent. C'est glissant.

—D'accord.

Les garçons s'enfoncèrent sous terre. Parvenu au terme de l'escalier, Shin découvrit un tunnel allant dans deux directions opposées. Hercule en prit une, sûr de lui. La marche dura près d'un 1/4 d'heure avant que l'invité ne ressente une montée en flèche du taux d'humidité et de la température. La chaleur était accompagnée d'une odeur caractéristique, peu agréable: du soufre. Il découvrit une cavité remplie d'eau. Il s'approcha et plongea la main dans le liquide. Il était chaud, très agréable.

—Voici l'onsen d'Urtica! déclara son camarade.

—C'est fantastique, Hercule! Rien ne pouvait me faire plus plaisir.

Ses yeux ronds débordaient de joie.

—Mettons-nous à l'eau!

Les deux garçons ne conservèrent que leurs culottes. Le Japonais ne cacha pas sa surprise de voir un accessoire vestimentaire inconnu porté par son camarade. Le Belge s'aperçut de son étonnement.

—Il s'agit d'un sous-vêtement appelé «slip», fabriqué par une petite entreprise moldue depuis cette année. Une trouvaille de Père.

—Cela semble confortable.

—Ça l'est!

—Je crois que mon père porterait volontiers cette… ce… slip! Il apprécie les vêtements occidentaux et raffole de la mode française. Comment se nomme l'entreprise qui fabrique ce dessous?

—Petit bateau! Ils ont choisi ce nom en référence à une chanson chantée aux enfants. 1 Allez, venez…

Shin se glissa dans la source chaude avec délectation.

—Ne vous approchez pas de la paroi, là-bas. Il y a un gros trou et un courant d'eau froide. C'est une rivière souterraine.

—Entendu.

Le garçon s'adossa à un rocher arrondi et s'enfonça sous la surface. Puis, il émergea, ne laissant dépasser que sa tête.

Les baguettes magiques distillaient assez de lumière pour projeter la silhouette de leurs visages sur les roches. Imitant son camarade, Hercule s'était aussi immergé jusqu'à la pointe des cheveux. Shin se détendit, vida son esprit. Il ne sut comment cela commença, ni à quel moment cela prit fin, mais il y eut comme une déchirure sonore à l'intérieur de son crâne. C'était comme si ses sinus avaient été bouchés par un gros rhume et qu'un coup de baguette magique avait libéré toutes les voies respiratoires. À jamais.

Ses souvenirs d'école primaire à Paris ressurgirent. Le maître, un Moldu nommé Clément Marron, au visage rubicond constellé de taches de rousseur et encadré de boucles orangées. Les conversations dans la cour, sous le préau, les élèves, les instituteurs, les parents. Les promenades au marché, les discours des camelots, les artistes dans les rues, le théâtre, l'opéra. La vie grouillante, des mots, par milliers. Un tsunami d'informations surgit du passé pour déferler sur sa conscience. La folle visite de son histoire personnelle se poursuivit au Japon, jusqu'aux dernières minutes vécues dans la grotte.

Il ouvrit les yeux, ébahi et groggy. Il rompit le silence:

—Pourquoi ne pas avoir dit que cette eau est magique?

—Parce qu'elle ne l'est pas.

Comme l'Asiatique semblait mettre sa parole en doute, il demanda confirmation:

—L'est-elle?

—Bien sûr! Elle… Elle ouvre l'esprit. Elle… lève les barrières.

—Vraiment?

—Hercule, je me souviens de tout.

—C'est-à-dire?

—Tout ce que j'ai appris depuis ma naissance. Tout ce que j'ai entendu, est enregistré dans ma mémoire. Tout est accessible, comme des livres dans une bibliothèque, parfaitement triés, indexés. Ne ressentez-vous pas la même chose?

—Non. Je veux dire: je suis fait ainsi. Hypermnésique. Je peux accéder à ce que je veux et je n'oublie pas.

—Cette eau agit sur l'esprit.

—Parlez-moi en japonais.

—Quoi?

—Dites-moi quelque chose en japonais. Allez, n'importe quelle phrase!

—Watashi wa mizu ga daisukina majishandesu.

L'enfant avait débité la phrase teintée d'accent tokyoïte. L'air ahuri d'Hercule fut trompeur, car il rétorqua:

—«Je suis le sorcier qui aime l'eau». C'est ce que j'entends dans mon crâne.

—C'est… stupéfiant! Pourquoi les élèves du pavillon ne viennent-ils tous pas ici?

—Parce qu'ils ignorent ce lieu situé à près de mille mètres du pavillon. Parce que l'odeur de soufre peut les gêner. Parce que le tunnel va dans l'antre des elfes de maison si on choisit l'autre direction en bas de l'escalier, ce qui les intéresse encore moins. Parce que, face à l'obscurité, ils refusent d'utiliser leurs baguettes pour ne pas enfreindre la loi. Parce qu'il faut s'immerger en totalité. Je n'ai jamais aperçu d'élèves se glissant dans le placard. Pourtant, autrefois, il y en a eus. J'en connais au moins un.

—Quel élève?

—L'actuel directeur de l'entreprise Delacour.

—Le fabricant de notre armoire?

—Oui. Le concepteur d'un nombre important de meubles installés dans toute l'Académie. Il m'avait affirmé que le secret du pavillon d'Urtica était, de loin, le plus intéressant.

—Qu'y a-t-il de spécial chez Aloysia et Lonicera?

—La première dispose d'une salle de jeux et d'une fenêtre qui s'ouvre à l'étage.

—Et la seconde?

—Il y a un labyrinthe dans lequel les étudiants disposent d'une bibliothèque, d'une salle blanche et d'un espace de jeux plus cérébraux.

—Une salle blanche? Vraiment?

—Ceci explique, entre autres, pourquoi Umbelina sera finaliste au tournoi de duel.

—Mais Lonicera donnerait cher pour accéder à ses acquis à volonté. C'est un privilège.

Il suspendit sa phrase et son sourire disparut. Ses traits se crispèrent. Son esprit repartit quelques années en arrière, en France, trois mois après leur arrivée. Le 8 octobre 1912. Sa mère, victime de Dragoncelle, allongée sur son lit de mort.

—Un privilège lourd à porter, Shin. Je devine que les moments terribles ressurgissent, ternissant l'époque du bonheur.

—Oui, Hercule. Oui. La mémoire est impitoyable. Je compatis.

Les garçons demeurèrent dans l'eau une bonne heure. Tout au long de ce moment de délice, ils enrichirent leurs vocabulaires, leurs grammaires, le Japonais apprenant du francophone et le Belge découvrant une langue aux envolées poétiques. Puis, ils durent se résoudre à quitter la grotte, sans oublier d'aller éteindre leurs baguettes au château. Chemin faisant, Hercule insista pour que cela demeure un secret, car tous les élèves d'Urtica n'étaient pas aussi bien intentionnés que le Nippon. La source, entre les mains de Rosier et sa clique, deviendrait une arme terrifiante.

Juste avant d'atteindre le pavillon, le Japonais fit une proposition.

—Je vous accompagnerai bien au club de français, maintenant que ma maîtrise de cette langue est avérée.

—Il faudra faire profil bas, car votre compréhension soudaine pourrait susciter des questions. Mais Agathe Bonnelangue acceptera avec joie. Il suffira de lui présenter la chose comme un défi.

—Je vais passer mes samedi après-midi avec elle. Quatre heures, voire plus.

—Vous serez d'autant plus heureux de profiter de vos dimanches.

—Je devrai faire mes devoirs le dimanche. Une chance que les vacances soient régulières dans ce pays.

—C'est un des grands avantages, en effet.

Les enfants se turent. Il était presque 22h00 et de nombreux étudiants dormaient déjà. Ils pénétrèrent dans la chambre et découvrirent Jacques, endormi sur son couchage. L'emplacement dévolu à Casper était vide.

Le 20 septembre tombait un vendredi et les étudiants de deuxième année appréciaient ce jour plus que les autres. Chez Urtica, après un début en fanfare avec mademoiselle de Bazincourt et ses cours de Maléfices, Enchantements et Sortilèges, ils terminaient la matinée avec la Divination. Une fois le déjeuner pris, commençait alors un après-midi consacré aux sorties scolaires, au travail personnel ou au farniente. Avant d'accéder au repos, il fallait d'abord subir les exercices tordus, incompréhensibles et énigmatiques de Claire Obscur.

Urtica n'échappait pas au test du marc de café imposé, comme Lonicera et Aloysia avant eux. Hercule, comme ses camarades, travaillait dans un silence monacal. De temps en temps, il jetait un œil du côté de Rosier dont Casper, présent après avoir passé la nuit hors du pavillon, se rapprochait contre toute logique. Le Belge ne comprenait pas l'attitude du Hollandais et ne pouvait pas omettre la prophétie réalisée par la devineresse fin juillet. Le Batave devenait le numéro un sur la liste des candidats à la forfaiture, mais l'apprenti enquêteur ne pouvait pas négliger les autres prétendants. Il devait s'organiser et utiliser un moyen de stockage de ses élucubrations, ses observations.

«Un accessoire pratique, discret, transportable, ne nécessitant pas l'utilisation de ma baguette. Un objet insoupçonnable.»

Il sentit sa concentration faiblir au fur et à mesure que le temps passait. Il reporta son attention sur son rouleau. Il avait réussi à identifier la figure dans le manuel; elle était en rapport avec un événement du passé de l'enseignante. Hercule en avait déduit que la date importante était le jour où le Don s'était révélé en elle. Obscur était le genre de femme assez fière de figurer dans la courte liste de voyants au pouvoir avéré, au point que le Ministère avait voulu avoir l'exclusivité de ses lumières. Hercule était juste incapable de dater l'événement –au cours de l'adolescence, comme le serinait Claire–et pas fichu de décrire les conditions, l'histoire associée. Il manquait d'indices pour échafauder une théorie valide, probable. Il récolterait une énième Fonte, Étain dans le meilleur des scénarios.

La fin des cours sonna.

—Reposez vos plumes, séchez l'encre et déposez vos rouleaux sur le bureau. Vendredi prochain, nous étudierons les supports les plus improbables pour la voyance. Je vous charge de trouver trois moyens que nous n'avons jamais vus. Merci!

Un à un, les élèves se levèrent et vinrent rendre leurs copies. Alors que Hercule s'approchait, elle lui murmura:

—Attends-moi avant de partir.

Il regagna son pupitre où il rangea ses outils, ses livres, à un rythme de sénateur. Shin déposa un double rouleau, ce qui intrigua l'enseignante. Le Belge sourit en imaginant:

«Elle va avoir une drôle de surprise! Notre camarade était parti dans son passé, j'en suis sûr!»

Le Japonais suivit les autres étudiants, déterminé à ne pas devenir un poids pour le Belge. Claire fit signe à Hercule de venir. Elle desserra le poing et lui tendit une fiole. Il identifia la date: le 25 juillet 1918.

—C'est l'objet de l'enquête?

—Oui. J'ai pris mes précautions pour dissimuler mes prophéties récentes. Mais j'ai peur que cela ne suffise pas. Je préfère la savoir entre tes mains.

—C'est entendu, Professeur. Je songeais à acquérir une création magique pour y mettre mes travaux, les indices récoltés. Je pensais que l'entreprise Delacour saurait combler mes attentes. Qu'en pensez-vous?

—Ils sont très qualifiés. Il faut un objet banal, qui ne détonne pas si on te voit avec.

—Oui, mais je ne vois pas quoi.

—Vraiment? Un livre. Un manuel. Tout le monde s'attend à te voir avec un bouquin à lire.

—Astucieux, Madame. Merci.

—Je t'en prie. Bon courage!

—Euh…

—Oui?

—Je pense que ma copie ne présentera pas d'intérêt. Par contre, vous devriez lire sans tarder la production du nouvel étudiant, Shin. Je crois que cela devrait vous donner le sourire pour un bon moment.

—Pourquoi? Attends un peu…

Elle fouilla dans le tas de parchemins et trouva ceux du Japonais. Elle entama la lecture, en silence. Quelques secondes passèrent et ses yeux s'embuèrent. Les larmes formèrent deux sillons sous ses joues rougissantes d'émotion. Hercule savait que son camarade avait misé en plein dans le mille. Il était sûr que l'événement ayant bouleversé l'existence de Claire, était d'une nature dramatique. La femme, incapable de refréner ses pleurs, passa au second rouleau et réprima un hoquet émotif. Elle acheva sa lecture, colla les rouleaux contre son cœur, sous le choc.

—Un… un deuxième élève! C'est la première fois que j'ai deux élèves touchés par le Don!

—Une belle source de joie, n'est-ce pas, Professeur?

—Oh oui!

—Même si les circonstances de votre première prophétie furent dramatiques. J'en suis certain.

—Elles le furent, en effet. Vous avez bien déduit.

Elle inspira, sécha ses larmes et avoua:

—Votre camarade a été d'une précision stupéfiante. Il a su que j'avais un peu plus que votre âge, quand c'est arrivé. J'étais sur la plage, en Haute-Normandie, une petite crique très discrète, au pied des falaises. Il y avait mon père et ma grand-mère paternelle. Nous étions en tenue de bain. Il faisait une chaleur écrasante. Ma grand-mère s'est avancée pour tremper ses pieds dans l'eau. À ce moment, j'ai commencé à ressentir des fourmillements désagréables dans le dos. Mon père a tout de suite pensé que j'attrapais un coup de soleil, mais nous n'étions là que depuis quinze minutes. Les démangeaisons se sont transformées en brûlure insoutenable. Papa s'est emparé de sa baguette. Il a lancé des sortilèges de soins, mais je m'agitais tellement qu'il a dû m'immobiliser à l'aide d'un Petrificus Totalus. Il m'a retournée, mon dos saignait, comme si un fer rouge avait été appliqué sur ma peau. Il a alors tenté un Aquaglaciem pour refroidir la blessure. Sous la glace, une phrase est apparue. Elle disait:

«La créature la saisira,

aucun sort ne sera jeté,

la baguette oubliée,

au fond de l'eau salée se noiera.»

Ma grand-mère a poussé un cri. Mon père l'a vue être projetée en arrière et traînée vers le large. Elle n'avait pas sa baguette, elle n'a pas pu se libérer ou former un Têtenbulle. Elle est morte sous nos yeux. Plus tard, nous avons appris que des Strangulots vivant dans la Durdent, un petit fleuve côtier, s'étaient aventurés en mer. La grande magie habitant ma grand-mère les avait attirés.

—Je suis navré, Professeur. Votre grand-mère était-elle voyante?

—Oui. Le Don s'est toujours manifesté chez les femmes de la famille. Je sais où tu veux en venir, Hercule. On ne voit pas pour soi. Presque jamais.

—Shin Ishii a décrit…

—Pour ce que je viens de lire en diagonale, il a été d'une précision stupéfiante. Une pépite, sa production.

—Qu'est devenue votre première prophétie, Professeur?

—Mon père l'a recueillie. Je la conserve dans mon appartement.

—Pour vous souvenir du prix payé?

L'intelligence de la question la fit sourire.

—Exactement.

—Oh… une question idiote, Professeur.

—Je doute qu'elle le soit.

—Shin estime sa voyance encore instable, bien qu'elle se réalise à merveille avec des pétales de fleurs. Est-il arrivé que votre Don se manifeste autrement? Des flashs ou des rêves?

—Hélas, non! Il s'est toujours révélé dans la douleur, souvent de façon incontrôlable.

—Toujours avec ces fumées rouges?

—Toujours. Rouge comme le sang ou les brûlures, j'imagine. Pourquoi?

—Eh bien, bredouilla le garçon, j'avais espéré que vous aviez déjà fait des rêves prémonitoires.

—Pourquoi?

—Je fais un cauchemar récurrent, Madame. J'y vois mon oncle Waldo en souffrance, appelant à l'aide, hurlant. Ce n'est pas un rêve identique, à chaque fois, mais des éléments communs y figurent.

—Voilà ce que je sais: un rêve répétitif n'est pas prémonitoire. Il trahit plutôt l'expression d'une angoisse de la part du rêveur, voire révèle un lien mental avec un émetteur et un récepteur. C'est le caractère répétitif et non unitaire qui me fait écarter l'explication prémonitoire. Tu te débrouilles pas mal en Legilimancie et en Occlumancie, d'après tes résultats. Ceci expliquerait cela, non?

—Je crois que vous avez raison, Professeur. Merci pour l'éclaircissement.

—Allez, va déjeuner! Et pense au manuel ou au livre.

—Merci pour tout, Madame.

Il la salua et quitta l'observatoire. Il se hâta de rejoindre ses camarades à table. Lorsqu'il s'assit, il murmura à son camarade nippon:

—OR pour votre travail en Divination. Mais vous le saviez déjà, n'est-ce pas?

Le Japonais se contenta de sourire et de se régaler d'œufs brouillés à la ciboulette, saupoudrés de muscade.

Peu après le déjeuner, Claire se retrouva à patienter dans le couloir menant au bureau d'Armand. Le directeur souhaitait lui communiquer une information importante. Elle attendait que son précédent entretien soit achevé. Aux éclats de voix s'échappant de la pièce, elle sut que la conversation n'avait rien d'aimable. Dans le flot de pics vocaux, elle entendit le responsable de l'Académie proférer un avertissement:

—Vous êtes malade! Vous outrepassez vos droits! Si vous n'en êtes pas conscient, vous ne ferez pas de vieux os dans mon Académie! Votre démarcheest d'une stupidité incommensurable!

—Votre réaction est absurde!

L'interlocuteur n'était autre que Wilfried. Le référent d'Aloysia en prenait pour son grade, mais il ne se laissait pas marcher sur les pieds.

Agathe la rejoignit, accompagnée par deux élèves: Valentine Clairdelune et Shin Ishii. La présence de sa consœur –remplaçante occasionnelle–et des deux seuls enfants touchés par le Don, titilla sa curiosité. Elle lança:

—Toute l'essence divinatoire de l'école réunie, ce n'est pas un hasard.

—Je le crains, ma chère.

—Avez-vous une petite idée?

—Je suppose que c'est en relation avec ma lamentable tentative de vol… sans balai dans le couloir du Sondeur.

La porte du bureau s'ouvrit d'un coup et monsieur Laflèche sortit en trombe, en désaccord manifeste avec son supérieur. Il effleura Agathe sans paraître le vouloir, à moins qu'il ne s'agisse d'une ruse pour obtenir un effet en retour, lui délivrer une information et espérer un éventuel soutien. En une fraction de seconde, Agathe sut ce qui préoccupait son fougueux collègue. Elle fut acquise à sa cause, corps et âme. Armand vint à leur rencontre, la démarche agitée de tics nerveux et ordonna:

—Entrez!

Il avait l'air maussade du sorcier sur le point de perdre son travail et d'être remplacé par son pire ennemi. Voyant qu'il ne disposait que d'un seul siège invité, il en fit apparaître trois autres, d'un geste rageur de la main. Shin admira la technique du directeur: sort informulé, sans usage de la baguette –rangée dans son costume impeccable–. Une fois les quatre personnes installées, il tenta de recouvrer son calme. Il fit plusieurs allers et retours entre son bureau et la fenêtre qu'il finit par ouvrir. Il inspira et expira longuement, comme s'il cherchait à évacuer l'air vicié de ses poumons. Il parut se calmer et au bout d'une interminable minute, il se posa enfin sur son siège, le visage livide, exsangue. Il s'expliqua:

—Suite aux événements de la rentrée, mettant en cause la stabilité du Sondeur, entraînant des défauts d'affectation et surtout, sa réaction violente à votre encontre, Agathe, lorsque vous avez tenté d'utiliser votre voyance, j'ai écrit au Ministère. Comme je le craignais, ces andoui… incapa… euh… spécialistes du Département des Secrets d'État n'ont pas pu apporter de réponse, ni logique, ni farfelue, à Notre problème.

—Notre?

—Oui, Agathe. Vous avez compris ce renvoi de balle, digne d'un match de tennis moldu. Leur unique recommandation est, au nom de la sécurité des enfants et des enseignants, d'interdire la salle aux personnes capables de divination, à savoir: vous quatre.

—Shin aussi? s'étonna l'impératrice de la grammaire.

—Il m'a fourni une preuve édifiante en cours, ce matin, notifia Claire.

—Bien. Rien d'autre, Armand?

—Il faut nous débrouiller par nous-mêmes.

—Nous devrions tout de même vérifier si la Salle peut être utilisée par les autres, pour commencer? proposa Claire. Histoire d'éviter un nouveau souci.

—C'est fait. J'y suis allé en compagnie de Sébastien, d'Alfred ainsi que de Delplanque, Torpeur et Mondague. Nos intrépides joueurs de Quidditch, issus des trois ordres de Beauxbâtons, ont joué le rôle de public testeur. Nous pouvons affirmer que la salle et les isoloirs sont sûrs à presque 100%.

—Et pour la prochaine rentrée? s'inquiéta Agathe.

Armand se leva et joignit ses mains dans le dos. Il se mit à tourner en rond, donnant des coups de pied sur d'invisibles obstacles. Il ronchonna:

—C'est le gros hic! Nous ne pouvons pas tester le Sondeur en cours d'année, du moins dans son rôle de répartiteur. Ensuite, une fois la promotion constituée et listée, nous ne pouvons plus entrer.

—Ne pourrait-on pas avancer l'arrivée des enfants de quelques heures?

—J'y ai songé, Agathe. Nous le ferons. Cela compensera son inquiétante lenteur.

—Et un briseur de sorts?

—C'est l'ultime recours.

—À condition que le Sondeur ne le traite pas comme un voyant. Si le Sondeur est capable de prévoir…

—C'est le risque, en effet. Hormis ce principe de précaution vous concernant, je n'ai, hélas, rien à proposer.

Il stoppa sa ronde infernale et fixa les enfants:

—Vous avez compris? Pas de Sondeur pour vous.

—Oui, monsieur le directeur, répondirent les deux perles de Claire.

—Aucune divination sur ce sujet, mesdames. Je ne tiens pas à voir un autre sort noir traverser le château.

L'homme se dirigea vers la porte et invita ses hôtes à sortir. Ils aperçurent monsieur Laflèche un peu plus loin, furibond, écrasant son poing sur les murs du château comme s'il s'agissait du nez de monsieur Fontebrune. Il n'avait pas digéré sa convocation.

Le lendemain matin, les élèves et les professeurs avaient droit à une grasse matinée, comme tous les samedis. Un repos relatif, car Elvira tenait au cours de perfectionnement avec son quatuor, leçons particulières initiées en douce l'année précédente. Ils avaient rendez-vous à l'entrée de la Salle Blanche et ils étaient en avance. Eugénie tirait une tronche de trois kilomètres parce que Shin s'était joint au groupe, à la demande insistante de la maîtresse du duel. Le Japonais s'en aperçut aussitôt et décida de partager un résumé de l'entrevue dans le bureau du directeur. Eugénie se détendit un peu et finit par le questionner:

—Tu es vraiment bon, en Divination?

—C'est une de mes forces. Je m'en servirai lorsque je serai Avocat-poète devant le Tribunal du Ministère.

—Pas de Sondeur pour vous quatre parce que cela pourrait être dangereux?

—D'après ce que j'ai compris, madame Bonnelangue a tenté de «voir» ce qui perturbait le Sondeur. Elle a été projetée contre le mur opposé à la porte. Avec violence. Quant au feu qui a traversé l'école, il a fini sa course dans le bureau de monsieur Fontebrune.

—Il ne s'en est pas vanté!

—Il n'a rien mentionné, mais il suffit de suivre les traces de brûlure. La porte et l'intérieur du bureau ont été touchés. Je parie que madame Bonnelangue s'y trouvait.

—C'est logique, mon cher. Au moment de l'accident, Valentine et vous étiez au restaurant. La voyance de madame Obscur nécessite des conditions spécifiques. Il ne reste qu'Agathe.

—Ce n'est pas très important. Le Sondeur ne sert qu'à répartir les élèves, n'est-ce pas?

Comme personne n'osa répondre, il en déduisit que ce silence cachait autre chose. Un secret qui n'était pas partagé avec tous les élèves.

Sigrid leva un pan du voile mystérieux:

—Le Sondeur est une intelligence sorcière, la mémoire des lieux, de l'Académie. Il est capable d'analyser, de conseiller. Un élève a tout à fait le droit de le consulter pour s'informer, exposer un problème, collecter des informations. De plus, les isoloirs sont propices à la paix, au repos, au silence si nous l'exprimons. Le Sondeur respectera ce vœu de tranquillité.

—Je comprends. Il est regrettable que je ne puisse pas y aller.

—Je crois que le Ministère, n'y comprenant rien, a instauré un principe de précaution, pensa Hercule à voix haute. Je suis persuadé qu'un voyant, entrant dans la pièce sans intention de percer le dysfonctionnement du Sondeur, n'a rien à craindre.

—Je m'abstiendrai, en attendant mieux du Ministère.

—C'est une idée folle de ma part ou ton français s'est nettement amélioré? nota Umbelina.

—Hercule m'a donné quelques cours de rattrapage.

Ce n'était pas faux.

—C'est vrai que les cours de soutien ont lieu le samedi après-midi? s'insurgea Eugénie.

—De 14h00 à 20h00. Tous les élèves dont le niveau est insuffisant. En principe, cela ne concerne que les premières années. Pour les autres, madame Bonnelangue délivre deux heures de perfectionnement entre 8h00 et 10h00, le samedi matin.

—Tes semaines seront très chargées, nota Umbeijo. Avec le Quidditch et Laflèche qui ne veut pas te lâcher.

—J'en conviens. À propos du professeur Laflèche, nous l'avons vu sortir furieux du bureau de Fontebrune-Senseï.

—Vraiment? fit Hercule, titillé par la nouvelle.

—Oh oui! Sa colère n'était pas retombée lorsque nous sommes sortis. Il ressassait l'entrevue.

—Étrange, nota Umbelina. Wilfried n'est pas du genre à exploser de rage. C'est plutôt une nature joyeuse, optimiste, teintée d'humour.

—Bizarre, aussi, ton rattrapage de français, ajouta Eugénie. Je sais que Hercule est capable de nous épater mais là, ton niveau a grimpé en flèche.

—Hercule est très doué pour les langues, assura Sigrid. C'est sa grande force.

—Cela va être le thème du jour!

L'intervention venait de mademoiselle de Bazincourt, arrivée entre-temps.

—Bonjour à vous!

—Bonjour, Professeur! répondit le quintet.

—Allons-y!

Au lieu de poser la main sur la poignée de porte, comme d'habitude, Elvira choisit de prendre sa baguette et de provoquer l'ouverture par un sortilège. Le Belge constata que cela ne se déroulait pas comme prévu. Là où un geste rapide et un sort informulé auraient suffi à la demi-vampire, le garçon perçut une ribambelle de phrases mentales ainsi que de savantes positions de poignet et de gestuelles dans l'espace. Au début, il crut qu'il s'agissait d'une nouvelle anomalie du château, gangrené par le mal affectant le Sondeur. Puis, il douta, car la femme ne laissait pas transpirer de questionnement intérieur.

Le Belge choisit de se porter en tête du groupe et éjecta sa baguette à la seconde où la porte s'ouvrait à toute volée. Shin, à ses côtés, perçut un danger et leva le bras. Un dragon, de race Vert Gallois, leur faisait face. Se sentant menacé, il cracha une longue flamme dévastatrice.

—Aquatormenti! hurla Shin.

Une tornade liquide jaillit de ses doigts et s'engouffra dans la gueule du monstre. Terrifiées, les filles furent incapables d'agir.

—Aquaglaciem!

Shin, après avoir paré au plus pressé, tenta de paralyser le museau et les pattes avant de la créature, le privant d'une contre-attaque.

—Diffindo!

Le coup porté par Hercule atteignit l'animal en pleine face. En dépit de sa carapace, le dragon sentit ses yeux s'écarter, sa mâchoire se disloquer, sa tête perdre du liquide vital.

—Ventus!

Le puissant courant d'air, déchaîné par Umbelina revenue de son premier choc, déséquilibra la bête. Le Vert Gallois mordit la poussière, terrassé. Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'il ne s'évanouisse en un million de scories et que toute trace de son existence n'ait été effacée.

—Qu'est-ce que c'était, ça? s'égosilla Eugénie.

—Un dragon, je crois, osa Shin. Une espèce européenne, d'après les manuels.

—Une illusion. Très réelle.

—Tu as raison, Sigrid. Une réalisation de mon crû, destinée à vous éprouver.

Elle les invita à entrer dans la pièce et ferma la porte à double tour. Elle fit apparaître de simples sièges et ajouta des coussins pour les rendre plus confortables. Ils s'assirent et firent preuve d'attention.

—J'ai décidé de poursuivre les leçons particulières entamées l'année dernière et de les intensifier. J'avais un doute sur la pertinence de ma démarche, mais les événements de mardi soir m'ont convaincue. J'ai demandé à votre camarade de venir afin qu'il vous fasse profiter de ses apprentissages à l'école Mahoutokoro. Vous l'avez sûrement déjà constaté, Shin est capable d'exécuter des sorts sans baguette. Comme il débute, il est certain qu'il ne les maîtrise pas tous. Shin, dis-moi si je me trompe, mais tu peux te passer de baguettes pour les sorts qui sont liés à l'eau, n'est-ce pas?

—C'est exact, Professeur.

—Au Japon, on enseigne à faire avec ou sans baguette. Vous devez être convaincus que la magie est en vous. La baguette facilite sa canalisation, mais cela vient avant tout du sorcier, avec ses forces et ses faiblesses. Shin ne viendra que quelques fois. Son agenda est très chargé. Il va vous expliquer, vous aider à faire sans ou du moins, sans sortir votre baguette. Si vous l'observez bien, vous constaterez qu'il garde sa baguette près de sa tête, l'outil directeur de sa magie. Ce sera l'objet de nos séances. Mais ce ne sera pas notre seul objectif. Qu'avez-vous utilisé pour vaincre le dragon?

—Un Aquatormenti, un Aquaglaciem, un Diffindo et un Ventus, répondit Hercule.

—Pourquoi ces sortilèges? Pourquoi pas cinq Stupefix simultanés qui auraient suffi pour le maîtriser, comme l'enseignent vos manuels?

—Parce qu'il s'agit de nos forces. Le Ventus, c'est ma marque, Madame.

—Tu as raison, Umbelina. Tout comme les sorts impliquant l'eau sont la marque de notre nouvel élève et le Diffindo, qui sauva une vie, la spécialité de notre enquêteur. Vous avez eu le réflexe d'user de vos bases les plus puissantes. Sigrid aurait mordu à l'hameçon, elle aurait utilisé une métamorphose animalière pour faire de ce dragon destructeur, un inoffensif papillon. Quant à Eugénie, qu'aurait-elle fait?

—Je me serais carapatée! Affronter un dragon, non mais ça ne va pas!

—Effectivement, tu aurais utilisé la panoplie des sorts pour forcer la serrure et courir hors de la Salle Blanche. En résumé: vous vous êtes appuyés sur ce que vous maîtrisez.

—M'dame! Umbelina est douée avec Oubliette!

—C'est vrai, Eugénie. C'est même son meilleur sort. Mais un Oubliette sur un dragon dont les seules pensées se limitent à manger, boire, se reproduire et détruire, est-ce indiqué?

—Si je réponds non, j'ai un Or?

Elvira plissa les lèvres, leva les yeux au ciel et secoua la tête.

—Umbeijo, tu t'es appuyée sur une capacité que tu as d'instinct élue comme une puissance. L'air est un élément. Mais à toi, je t'en demanderai plus. Bien plus. Cette année, ton objectif sera de me surpasser.

Les enfants tombèrent des nues. L'enseignante glissa sur sa remarque:

—D'ailleurs, vous avez tous un élément de prédilection. Réfléchissez… Quel est l'élément qui vous représente? Quelle expérience avait dépassé vos attentes ou les miennes? Hercule?

Le garçon chercha dans son esprit. Il se souvint de l'épisode du Wingardium Leviosa exercé sur le bureau d'Elvira. Il avait explosé le meuble. Il adorait sa baguette. Il s'était amusé de la séance de ski joëring derrière les Abraxans. Il n'était jamais plus heureux que lorsqu'il se retrouvait dans la cabane, dans l'arbre, avec ses amis. Les créations d'AD l'enchantaient et stimulaient son appétit de mystères.

—Je sens poindre l'embryon d'une réponse.

—Le bois. Une liste d'événements heureux me ramène au bois.

—Je garde en mémoire un «incident» avec mon bureau. Ta passion pour les baguettes. Bien. Tu travailleras un sort que l'on nomme Sagittalignam. Je t'expliquerai en temps voulu. Sigrid…

—Oui, Professeur?

—Avec quoi te sens-tu heureuse?

—Une discussion philosophique avec Hercule, railla Eugénie.

Les enfants rirent de bon cœur. Shin comprit que la jeune fille avait pour le Belge, une affection puissante.

—Merci, Eugénie.

—De rien.

—Alors, Sigrid? Quand as-tu obtenu un Platine?

—Jamais, je crois.

—Réfléchis.

—Purée de bazar de boudin! s'excita Eugénie. Je sais! Tu ne te rappelles pas du coup que tu m'as fait un samedi matin, ici? Je parlais trop et…

—… j'ai changé ta langue en plomb.

—Oui et après, quand tu as levé le sort…

—… tu as dit que cela mériterait un Platine parce que j'avais réussi à ne changer qu'une partie précise.

Elvira souligna que Sigrid était à son aise avec le métal. Après tout, n'était-elle pas la descendante de Nicolas Flamel, un sorcier alchimiste ayant voué une part de son existence à changer le plomb en or? L'enseignante lui demanda de maîtriser le sortilège Ferrapunta, traduisible par «Pointe de fer». C'était la base pour manipuler le métal le plus commun sur terre.

Lorsque le tour d'Eugénie vint, l'hybride lui demanda avec quelles formules elle se sentait en harmonie, exception faite des utilitaires servant à exécuter ses bêtises les plus farfelues.

—Quel est ton domaine de prédilection, Eugénie?

—Le restaurant, intervint Hercule, par réflexe.

Un fou rire s'empara de l'assemblée, sans épargner l'enseignante. Elvira s'attendait si peu à ce que le trait d'humour vienne du Belge, qu'elle en avait perdu tous ses moyens. Le pire, c'est que le garçon était dans le vrai. Il était impossible de confier une cuisine à cette jeune fille, car elle avalerait les profits. Lorsque le calme revint enfin, l'adulte proposa que les autres enfants répondent à la place d'Eugénie qui n'était pas la plus apte à se juger.

—Comment voyez-vous votre camarade? Shin, toi qui ne la connais que depuis quelques jours, quelle est ta première impression?

Il prit le temps de cogiter avant de formuler une réponse prudente, évitant de toucher à la susceptibilité flagrante de la demoiselle.

—Le premier mot, c'est l'énergie. Nous sommes sagement assis à écouter la professeure et vous êtes la seule qui bouge ses jambes, ses mains, avec ce mouvement nerveux de la tête. Comme si un feu allumé sous votre siège vous empêchait de tenir en place.

—C'est pas faux!

—Hercule?

—Eugénie est comme le feu du Phénix dont la plume est au cœur de sa baguette. Le feu peut tout détruire, mais il est indispensable à la vie, à la survie. On peut se brûler avec, mais il vous sauve du froid. On ne le contrôle pas, on ne fait que le canaliser et admirer son œuvre. Le feu exécute une danse envoûtante, presque hypnotique.

La fin de sa phrase fut suivie d'un long silence, jusqu'à ce que mademoiselle Beauxbâtons lâche:

—C'est vachement poétique! C'est Shin qui t'a initié au coucou japonais?

—Les haïkus.

La magie s'estompa comme si l'Asiatique avait exécuté un Aquatormenti.

—Le feu sera ton élément, Eugénie. Pour toi, je vois une variante d'Incendio qui se nomme Formincendio. Tu devras travailler comme jamais pour le maîtriser, car il va prendre la forme que ton esprit lui donnera. Si tes pensées sont confuses, désordonnées ou torturées, le feu généré aura une consistance démentielle. Tu mesures bien la dangerosité de ce sortilège?

—En gros, il faut que je me surpasse, pour changer?

—Tu dois cesser d'être ton pire ennemi.

—Je le note. Me surpasser sinon, je vais sentir le cramé.

Elvira sourit. Eugénie ne changerait jamais. Elle se tourna vers Umbelina:

—Quant à toi, je vais te demander de réaliser un sort dont l'accomplissement échappe aux CHASSE-Magus. Il s'agit de Fulguracrucio.

—Est-ce normal qu'il s'achève par Crucio? C'est…

—La terminaison d'un Impardonnable, utilisé à la place d'Endoloris.

—Que fait ce sort, Madame?

La question venait d'Hercule, le plus curieux.

—Il lance la foudre.

—Oh!

—Madame? La foudre?

—Umbelina, tu as toujours fait preuve d'une puissance hors du commun. Ton aisance avec le Ventus, les sortilèges liés à l'air, me font croire que tu as la capacité, comme notre directeur Armand, de maîtriser les éléments de la météo. Je te crois même capable de… voler.

—Voler? firent les élèves.

Les yeux de la princesse portugaise pétillèrent.

—Oui.

—J'en rêve, Professeur, avoua-t-elle, les yeux baignés de larmes d'émotion.

—Alors, il te faudra travailler dur. Mais juste avant, j'aimerais que Shin nous montre comment se passer de baguette. Tu veux bien?

—Avec plaisir, Professeur.

Le Japonais se leva et s'éloigna de sa chaise. Sa baguette de cerisier toujours en place dans sa chevelure, il tendit le bras droit vers le siège où il était assis quelques secondes plus tôt. Il tourna la main et abaissa en prononçant:

—Wingardium Leviosa!

L'objet en chêne commun décolla du sol et flotta comme si des vaguelettes l'animaient, à une cinquantaine de centimètres du marbre. Le garçon esquissa des gestes délicats, comme s'il tapotait un animal invisible.

—T'es fortiche!

Tout en restant concentré sur sa démonstration, Shin concéda:

—Je n'ai pas compris ce mot, mais j'imagine qu'il s'agit d'un compliment.

—Ah ouais, alors!

—C'est fantastique, murmura Hercule.

Le démonstrateur reposa l'objet de l'exercice et expira assez fort. La concentration était énergivore.

—Les grands sorciers sont capables, après des années d'étude et d'expérience, de réaliser les sorts les plus compliqués sans même la présence d'une baguette. Notre directeur en est capable, car il a étudié, en partie, à Mahoutokoro et Uagadou, en Afrique, où les élèves n'ont pas toujours l'argent pour s'offrir des baguettes. L'apprentissage est plus long, plus dur, plus susceptible de vous décevoir mais au final, un adversaire, désarmé, demeure tout aussi dangereux. Voilà votre objectif, cette année.

La tâche paraissait insurmontable, mais Shin y était parvenu après une année d'apprentissage. La mission était atteignable.

Durant le cours particulier, l'invité fut sollicité pour expliquer comment il ouvrait ses canaux mentaux, comment il les utilisait, comment il visualisait sa magie, ses forces. Après d'innombrables tentatives infructueuses, les enfants essayèrent les sortilèges affectés par Elvira, en accord avec leurs personnalités. Personne ne réussit à produire ne serait-ce qu'une étincelle. Mais alors que midi allait sonner et mettre fin à la séance, Sigrid produisit une pointe, une minuscule aiguille de couturière. Elle reçut, en retour, les chaleureuses félicitations de ses camarades et un Platine d'encouragement –il ne compterait pas pour la notation de l'année–d'Elvira, n'espérant pas une réussite au premier essai.

Soudés, les enfants la saluèrent et partirent déjeuner. Shin se régala du navarin d'agneau et déclara que la pavlova aux fruits rouges faisait de l'ombre aux macarons. Eugénie se tâta pour le faire descendre d'un cran de son piédestal, jugeant les douceurs au chocolat, rivées à la première place.

Les enfants se dispersèrent pour vaquer à leurs occupations. Umbeijo prit Sigrid à part pour requérir son aide en métamorphose. Eugénie partit «travailler», causant la stupéfaction. Quant à Hercule, bien qu'il ait son lot de devoirs à accomplir, il décida de retourner en Salle Blanche, déterminé à ne pas la quitter sans une substantielle avancée.

1Ces informations sont authentiques. Petit bateau est né en 1918.