Sortilège 15: travail, sueur et résultat
Le temps agréable se prêtait aux promenades des élèves dans les jardins et le bois du domaine. Toute la matinée, Hercule avait cherché une cachette avant de se décider pour l'annexe du laboratoire de potions, sous la loge du concierge. Là, il profitait de l'absence de la professeure Fordecafé et du silence pour relire les lettres reçues de ses parents et de Garrick Ollivander. Il avait sorti plusieurs rouleaux vierges pour leur répondre et écrire à l'entreprise Delacour. Le fauteur de troubles pouvait être n'importe qui mais si c'était un élève Urtica, il entrait dans le pavillon sans la moindre difficulté. Les protections étaient efficaces pour empêcher toute intrusion mais, une fois à l'intérieur, seules les serrures des chambres arrêtaient un intrus. Il suffisait que l'individu mal intentionné profite d'un cours de potions ou de botanique, fouille les effets personnels déposés à l'extérieur des salles, qu'il duplique la clé de la chambre numéro 7 et le tour était joué. Pire: si le criminel était Casper, il pourrait retourner la chambre à loisirs lorsque Hercule était sous la douche ou absent. Le Belge devait coûte que coûte dissimuler le produit de ses réflexions dans un objet existant, insoupçonnable.
Alors qu'il prenait sa plume et son encre dans son plumier, l'évidence lui sauta au visage.
—Mais bien sûr! Van Betavende, parfois, je trouve que tes petites cellules grises tournent au ralenti!
Le plumier, classique, s'articulait en deux parties: la supérieure, fermée par un panneau de bois coulissant, accueillait la plume d'oie majeure ainsi que la bouteille d'encre noire. La partie inférieure, accessible en faisant pivoter la première sur un axe, contenait le matériel de réserve et des crayons de bois au graphite.
Le garçon dégaina sa baguette, vida le contenu de son plumier et appliqua la pointe de sa fidèle amie sur l'objet en bois. Il chercha le mot adéquat en latin pour le désigner, mais il n'existait pas dans l'Antiquité. Il arrêta son choix sur la traduction latine de l'étui.
—Casus Gemino.
Sa possession fut doublée à la perfection, comme si la faussaire de leur quatuor avait sévi en personne. Même la tache imprégnée dans le couvercle, consécutive à une maladresse d'Eugénie dans la bibliothèque, avait été recopiée. Il soupesa la copie: comme l'original en noyer, son poids n'était pas négligeable. Un hibou Petit Duc ne saurait transporter une telle charge. Une chouette Effraie y parviendrait. Dans l'idéal, c'était une mission pour Edgar, mais la harpie féroce avait disparu depuis le début du mois de juillet. Il avait sollicité son aide pour amener une lettre de Bruges à la ferme des Boulanger. Le volatile avait refusé, en dépit d'une ration généreuse de friandises pour oiseaux et de quinze Noises pour le travail. Edgar s'était agité avant de se carapater, comme s'il avait été submergé par son instinct sauvage. Hercule avait cherché dans ses manuels comment il avait pu froisser la créature et plus il avait creusé, moins il avait trouvé d'explication.
Il remit tout en place dans son plumier, empaqueta la copie dans un parchemin un peu fripé, prit sa plume d'oie, la trempa dans l'encre et entama sa missive.
«Très cher monsieur Delacour,
Par la présente lettre, je viens solliciter vos lumières et éventuellement, obtenir un devis de votre part. Dans le cadre de mes activités, je suis amené à devoir stocker de nombreux rouleaux, des fioles de taille standard –quinze centimètres–, divers sachets servant à récolter des échantillons, une coupelle d'une trentaine de centimètres de diamètre, une loupe, voire une Hyperloupe enchantée –j'en ai entendu parler lors de mon séjour à l'hôpital Bonpied–. Bref, tout l'attirail nécessaire à un enquêteur. Il faut respecter les conditions suivantes:
—La réalisation doit avoir l'aspect d'un objet usuel d'un écolier, insoupçonnable, qui ne choque pas le public entre mes mains.
—La fabrication doit pouvoir révéler ses secrets sans faire usage de la magie –pas de baguette, pas de sortilège classique–.
—Enfin, ma demande ne doit faire l'objet d'aucune information auprès des autres élèves, mes proches ou les enseignants de l'école. La confidentialité absolue est la règle, car le risque d'être dépouillé de mes preuves est important.
Je vous joins une copie de mon plumier afin d'illustrer ma demande.
En espérant avoir donné assez de détails pour le calcul du coût, je vous prie d'accepter mes meilleurs sentiments.
Hercule Van Betavende.
PS: j'ai compris pourquoi être résident du pavillon Urtica est une bénédiction.»
Satisfait de son courrier, il le roula et le ficela au paquet. Puis, il se mit à observer son environnement. L'annexe au laboratoire des potions était une pièce aveugle, éclairée par un unique Feu Éternel si faiblard que le lieu restait presque toujours dans la pénombre. Il fallait un œil exercé pour parvenir à lire les étiquettes des ingrédients entreposés. La sensation d'exiguïté était accentuée par la longueur de la pièce et son étroitesse. Tous les pans de murs, hormis celui accueillant la porte d'accès, étaient couverts d'étagères poussiéreuses où Ambroisine Fordecafé stockait les achats pour la confection et l'étude des potions. Il n'y avait presque pas d'emplacement vide et certains composants, rares, peu usités, étaient rangés ici depuis des décennies.
Hormis les étagères remplies, il n'y avait qu'une étroite paillasse sur laquelle Hercule avait composé ses courriers, une chaise tabouret équipée d'un dossier sommaire et une échelle mobile accrochée à un rail faisant le tour de la pièce. La professeure de potions disposait d'un assortiment mirifique et en connaissait la composition par cœur. Il n'y avait pas de système de classement apparent; seule Ambroisine s'y retrouvait. Enfin, il y avait le coffre-fort où l'enseignante stockait les productions les plus dangereuses ou coûteuses.
Alors que ses yeux noirs glissaient d'un niveau à l'autre, il découvrit que la vieille femme ne se contentait pas d'extraits de plantes ou d'éléments animaliers. Elle possédait toutes sortes de poudres minérales ou végétales qu'il n'avait jamais vues entrer dans la composition de potions. Il en vint à la soupçonner de se livrer, en secret, à des travaux d'alchimie pour réussir par cette science ancienne, ce qui lui était interdit par la magie classique.
Lorsqu'il lut «alumine» sur une étiquette, il y eut comme un éclair au milieu de ses neurones.
«Les Moldus utilisent de l'alumine pour relever des empreintes digitales et confondre les criminels. Je pourrais appliquer de la poudre d'alumine avec un pinceau, dans les isoloirs, afin de déterminer s'il y a des empreintes et les transférer sur un support par un Gemino. Non, cette idée est ridicule! Je risque de découvrir un nombre incalculable de traces. Elles seront partielles, se chevaucheront. Tous les élèves y passent, ce serait un foyer gigantesque. Ce n'est pas comme ça que je découvrirai le coupable. De plus, je n'ai aucune preuve indiscutable que l'individu, objet de la prophétie de madame Obscur, est responsable de la folie du Sondeur, qu'il n'y a qu'un même et unique personnage. Il faudrait qu'Elvira en dise un peu plus sur le modus operandi qu'elle a mis en œuvre l'année dernière pour réunir le quatuor. Si je savais comment elle s'y est prise, je serai en mesure d'éliminer des suspects parmi les élèves, voire les enseignants.»
La tentation était grande. Il se redressa, attrapa l'échelle qu'il amena au pied de l'étagère visée, grimpa et s'empara du pot cylindrique d'une contenance proche d'un litre. Il chercha un pinceau dans sa besace en cuir. Il n'était pas rond et évasé comme cela aurait dû, mais il ferait l'affaire. Le garçon ouvrit le pot d'alumine, ce qui prit plus de temps que prévu. Il était ancien et la fermeture était gorgée d'humidité au fil des années. Hercule utilisa un chiffon et frotta un carreau anthracite de la paillasse. Lorsqu'il fut propre comme s'il était neuf, le garçon appliqua son index gauche avec force sur la surface lisse et froide. Puis, il trempa le pinceau dans l'alumine et la dispersa sur l'empreinte digitale. Il répartit la poudre sans appuyer, avec délicatesse et en tournant le pinceau, jusqu'à ce que la trace de son doigt apparaisse avec toutes ses circonvolutions.
«Parfait! À présent, créons la référence.»
Il trempa son index dans l'encre noire et l'appliqua sur un parchemin vierge. Il inscrivit son nom à côté des arabesques sombres.
«Maintenant, la méthode d'extraction!»
Il se servit de sa baguette pour pointer l'empreinte blanchie sur la paillasse grise. Il inventa:
—Digitum Gemino.
Le résultat ne fut pas du tout celui escompté. Il se retrouva avec un doigt sanguinolent qui s'effrita dès qu'il tenta de le déplacer avec sa baguette.
—Nom d'une cornue! Quelle horreur! Allons, Van Betavende, réfléchis… essayons… Digitum Vestigia Gemino.
La copie eut lieu, mais la poudre se dispersa à la première expiration de l'apprenti.
—C'est mieux, mais ce n'est pas encore la bonne méthode. Voyons ce qui pourrait convenir… Digitum Vestigia Extractio.
Il n'eut pas le temps de compléter sa phrase. Le dessin du vestige digital fut reproduit sur le support qu'il désigna. Ainsi, il put comparer visuellement l'exacte correspondance.
Hercule n'était pas encore satisfait. Il voulait que sa méthode soit infaillible, incontestable. Il cogita quelques minutes, évaluant chaque ordre dans son esprit. Il fallait, si possible, que la comparaison ne dure pas des heures. Une fois de plus, il se rendit à l'évidence: il ne devait pas «comparer» des empreintes, mais trouver une paire identique entre les deux supports utilisés –celui récoltant la preuve et celui servant de référence–. Une paire! Il devait enrichir son document de référence pour valider son expérience. Il trempa alors l'index droit et ses deux majeurs dans l'encre. Il les appuya sur son parchemin de référence. Puis, il tapota un petit coup sur le carreau gris de la paillasse ayant reçu la dose d'alumine, toucha le document où figuraient désormais ses quatre empreintes et énonça:
—Gemini Ostentatio.
L'empreinte du carreau s'illumina en vert et celle de son index gauche en fit autant sur le parchemin. Il se félicita:
—Bravo! Van Betavende, c'est de l'excellent travail!
Il rangea toutes ses affaires et reposa le pot d'alumine sur son étagère. Puis, il se rendit à la Cabane Enchantée. Il déposa ses courriers dans son casier et demeura dans les parages pour vérifier si un oiseau venait chercher le colis. Il finit par abandonner après dix minutes de surveillance. Beaucoup plus loin, dans le bois du domaine, perché à la cime d'un épicéa, un rapace au drôle de plumage surveillait le château. Il attendait que les enfants se massent dans la bâtisse principale et aillent déjeuner. Ce ne fut que lorsqu'il fut assuré de ne croiser aucun humain qu'il prit son envol pour procéder à l'enlèvement postal.
Le dimanche après-midi, Hercule était retourné en Salle Blanche, déterminé à obtenir un résultat avec les exercices imposés par Elvira. Il s'était donné sans compter, cherchant à faire parler la raison, la peur, le cœur, les cauchemars, tout ce qui était susceptible de produire une émotion actionnant un sortilège. Il avait échoué. Tout du moins, il pensait avoir raté lorsque Sigrid lui avait fait remarquer qu'il avait une petite écharde dans son index droit noirci par l'encre. Il n'avait pas pu se blesser le matin, ni le midi au restaurant. Il n'était pas retourné au pavillon Urtica, n'avait pas traversé le jardin. Cette écharde n'avait aucune origine sauf si:
«Sagittalignam a fonctionné! Mais à quel moment?»
Il avait eu beau repasser les événements au crible dans sa fantastique mémoire, il n'avait pas identifié une infime réussite. Le soir, Shin et lui s'étaient rendus à la source chaude et avaient devisé en japonais et en français. Le duo apprenait à une vitesse folle, sous l'influence magique du liquide. Le lendemain, Shin avait découvert les derniers cours qui allaient devenir hebdomadaires. S'il avait brillé en métamorphose et en potions, il avait été très amusé par le cours délivré par Sidonia Alinea, deux heures truffées d'inexactitudes toutes plus farfelues les unes que les autres. Selon elle, les Moldus étaient incapables de supporter l'ingestion d'alcool fort. S'ils tentaient de le faire, ils s'enflammaient comme des torches. Toujours selon ses dires, les Non-Sorciers possédaient deux cœurs et des branchies leur permettant d'aller sous l'eau sans sortilège Têtenbulle. Enfin, si la population moldue était aussi nombreuse, c'était parce que les Moldus plaçaient des poupées sans vie, molles, dans des appareils appelés «couveuses» et qu'ils en ressortaient des bébés roses en pleine santé. Une série d'inepties aptes à déclencher des fous rires.
Le dernier cours affronté par le garçon avait été le plus craint: l'étude des créatures magiques. Ursula Waldmeister avait lâché un Niffleur dans la classe. L'animal, croisement de taupe avec un bec de canard, affolé par tout ce qui brille, s'était jeté sur Shin pour arracher la pince en argent maintenant son catogan. Il avait poussé des cris et s'était débattu comme un beau diable jusqu'à ce que Faustina Rinaldi, une brunette à couettes et à la peau translucide, ne stupéfixe l'animal et que l'enseignante le remette dans sa cage. À l'issue de la leçon, la victime s'était jurée de faire appel au talent de Sigrid pour métamorphoser le métal précieux en une matière anodine.
Le soir, au restaurant, tous les élèves dotés d'une baguette n'avaient plus qu'un sujet de discussion: le club de duel du lendemain. Jacques, Cracmol, suivait des cours supplémentaires de botanique avec Ursula lorsque les sorciers en découdraient entre eux. Les deux jeunes, Noël et Émilie, ne perdaient pas une miette de la conversation, ayant hâte l'un comme l'autre de découvrir ce club l'année prochaine.
—Vraiment, Noël? Hâte d'être en club de duel?
—Oui, Hercule. Pas pour des sorts d'attaque. Je veux apprendre à maîtriser Protego avant quoi que ce soit d'autre.
—C'est une sage décision. Assurer avant d'oser, réduire les risques. Et vous, mademoiselle Émilie?
Elle agita sa curieuse baguette taillée au couteau.
«J'espère qu'il y aura un tournoi!»
—C'est prévu. Chaque niveau a le droit à un ou plusieurs tournois dans l'année.
«Inter-niveaux.»
—Oh oh!
«Et je gagnerai!»
—Très ambitieuse! Nous allons tous devoir travailler nos Protego!
—C'est ma sœur!
Jacques était on ne peut plus fier d'elle.
«Toujours pas résolue, mon énigme, Hercule?»
—Non mais patience. Je trouverai. Vous pouvez en être convaincue.
Il la détailla de la tête aux hanches, la table masquant ses jambes et ses pieds. Un élément lui sauta aux yeux. Émilie avait maigri. Pourtant, elle se nourrissait en quantité suffisante, même si ses rations n'avaient rien de commun avec celles de son frère ou celles, pantagruéliques, englouties par sa voisine Eugénie. Cet amaigrissement était illogique et d'une rapidité quasi magique. Hercule chassa cette idée de son esprit et promena son regard dans le restaurant. Il s'arrêta sur la table de Rosier où Casper avait élu domicile. Thibaldus murmurait à l'oreille du Hollandais qui hochait la tête. Complotait-il pour avoir le dessus en cours de duel? Fomentait-il une alliance d'un autre genre?
Hercule effleura sa baguette dissimulée dans sa manche et fixa le duo improbable. Rien ne survint. Les mouvements de leurs lèvres demeurèrent un mystère. Une brève seconde, il avait espéré pouvoir décrypter l'échange grâce aux capacités linguistiques de sa baguette. Il les délaissa pour se consacrer à l'observation de la table centrale, celle des professeurs. Les enseignantes animaient la conversation tandis que les hommes faisaient preuve de mesure.
«Monsieur Laflèche a changé de place. Il s'est placé entre Agathe et Sébastien, ce dernier jouxtant notre directeur. Cela lui permet de ne pas croiser son regard. Le torchon brûle entre le référent Aloysia et le directeur. Par contre, notre professeur de vol sur balai est très attentif aux paroles d'Agathe. À moins que… Non, il fait juste preuve de contenance. Il commet quelques erreurs d'attention, il a l'esprit ailleurs. S'agit-il de Quidditch? Je le parierais. Mais depuis quand est-il aussi soucieux, absent? Qu'est-ce qui a chan…
Le Belge se rendit compte qu'il venait d'inscrire le sémillant sportif dans la liste des candidats aux troubles de Beauxbâtons. Après tout, pourquoi les «victimes» du Sondeur ne joueraient-elles pas un double jeu? Le plateau tournant des enseignants le mit face à face avec Wilfried. Le Belge sentit Shin s'incliner vers lui et lui délivrer:
—Il est toujours parcouru par la colère et l'amertume.
Hercule fut étonné d'avoir été pris sur le fait en train d'analyser. Il se ressaisit et rebondit:
—Je me demande quel motif peut l'ulcérer à ce point et aussi longuement. Le Quidditch?
—Je pourrais essayer de voir. J'aime beaucoup monsieur Laflèche. Il est entier, sincère, vrai.
—S'immiscer dans son esprit ne serait pas très éthique, à moins de l'aider dans son entreprise si elle est honorable. Vous n'avez pas de pétales de fleurs à disposition et le nuage de Rosier s'est tari.
L'Asiatique laissa échapper un rire nerveux. L'humour d'Hercule était toujours inattendu. Ce dernier changea de sujet:
—Avez-vous reçu du courrier de votre père?
—Pas encore. J'imagine qu'il doit être très occupé. L'essentiel est qu'il sache que je vais bien. À ce propos, vous ne m'avez pas expliqué comment vous avez découvert ma véritable identité.
—Mon cher, vous vous êtes presque dénoncé tout seul.
—Vraiment?
—Vous avez, dès le premier soir, utilisé le terme «diplomate» à mon propos. Or, ce mot, peu usité dans une conversation courante pour un étranger, a surgi comme un iceberg au milieu de l'océan. Vous aviez appris le français lors d'un précédent séjour, vous aviez quelque peu perdu en restant au Japon. J'ai alors songé à un diplomate en poste en France puis chargé d'une autre mission, avant de revenir en France pour représenter le Japon, lors de l'inévitable conférence de paix suivant l'armistice imminent. Un homme de premier plan, assez illustre pour se voir confier des missions délicates. Cela ne pouvait être que l'ancien ambassadeur, artisan de la paix russo-nippone, Kikujirò Ishii. Mes lectures des journaux moldus auront fait le reste.
—Je suis impressionné. Quelle sera votre prochaine enquête? Le secret d'Émilie face au Sondeur? La folie du répartiteur? La colère du professeur Laflèche?
—Rien de tout cela. Ma prochaine mission se déroulera mercredi après-midi. Je vous présenterai Katarina.
Shin rougit.
—Vous survivrez. Je vous le jure.
Les deux enfants se réinscrivirent dans le fil de la conversation ambiante. L'heure de se coucher arriva, trop vite.
Il était près de 23h00. Hercule, allongé sur son matelas dans la mezzanine de l'armoire, ne parvenait pas à s'endormir. Il entendait la forte respiration de Jacques et le mince filet d'air exhalé par Shin, en bas. Casper avait une fois de plus disparu de la circulation. L'histoire tournait en boucle dans l'esprit du Belge. À l'issue du cours de potions, ce lundi matin, juste avant le déjeuner, il était allé voir madame Fordecafé. Il n'avait pas cherché à tergiverser:
—Professeur, puis-je vous parler?
Elle s'était retournée, une gourde à la main, des traces vertes à la commissure des lèvres et avait fait quelques pas au bruit spongieux en s'approchant de lui.
—Bien sûr.
Elle s'était vite essuyée la bouche d'un revers de sa robe sorcière de travail, miteuse. Son faciès défiguré, creusé, encadré par des cheveux blancs épars, filasses, causait toujours un mouvement de recul chez ses interlocuteurs.
—Je voulais vous avertir que hier, j'ai réalisé quelques expériences utiles pour mon futur métier d'Auror-Enquêteur. Pour cela, j'ai utilisé un peu de poudre d'alumine qui se trouve dans la réserve.
—De l'alumine? Ah oui! J'en ai un pot. D'ailleurs, je ne crois pas l'avoir déjà utilisé pour une potion. Mais je suis quelque peu prévoyante. Un peu excessive. J'achète, j'accumule, mais je n'utilise pas toujours.
Elle amorça un rire qui se transforma en immonde gargouillis.
—Excuse-moi…
—Je vous en prie.
—Tu dois te demander ce que j'ai bien pu faire pour parvenir à un tel résultat? Personne ne demande. Jamais.
—Eh bien… j'ose faire la requête.
Elle sourit et le garçon put constater que la dentition d'Ambroisine était à l'image du reste de son corps: en perdition. Pourrie et teintée de verdure, c'étaient les qualificatifs les plus seyants aux ratiches de la femme.
—J'étais élève en dernière année à Beauxbâtons. Difficile d'y croire, mais j'étais une des plus jolies personnes de l'Académie. Les garçons me courtisaient sans cesse. J'étais une excellente étudiante, chez Lonicera, comme ton amie Umbelina. Très appréciée des professeurs. Un matin, j'ai découvert des cheveux blancs dans ma chevelure brune. Je me suis sentie mal. J'ai tenté de créer des potions de teinture, j'ai appliqué des sortilèges de toutes sortes, sans succès. Je n'avais que 17ans lorsque ma peau a commencé à se flétrir, à se recouvrir de rides. Ensuite, tout est allé de mal en pis. Douleurs au ventre, aux reins, aux articulations, aux muscles, difficultés respiratoires, le cœur qui s'emballait, puis ralentissait jusqu'à m'évanouir. Je me suis mise à vieillir bien plus vite, j'ai commencé à perdre mes cheveux blanchis et comme tu peux le voir, il n'en reste plus grand-chose. J'ai consulté un nombre incalculable de médicomages qui se sont avérés impuissants. Par désespoir, j'ai même consulté un professeur de médecine moldue, à Paris. Il n'a pas su mettre de nom sur ma maladie, car elle n'a été identifiée qu'en 1898. Tu t'en doutes, il n'existait aucun traitement. Alors, j'ai décidé d'en trouver. J'ai fabriqué des potions par dizaines, je les ai testées en les avalant, j'ai aggravé mon cas. J'avais 19ans lorsque j'étais sur le point d'abandonner et de mourir. Un matin, à la porte de mon petit logement, un homme est venu frapper. Tu l'as croisé, l'année dernière, à la remise des diplômes.
Hercule sut d'instinct que cela ne pouvait être qu'une personne:
—Nicolas Flamel.
—Oui. Le génie des potions. Il m'a aidé à en créer une, dérivée de son élixir de jeunesse. Elle redonne de la consistance à mon organisme rendu flasque par la maladie.
—Elle prolonge votre vie de façon remarquable, Madame.
—Pourquoi dis-tu cela?
Il avait piqué sa curiosité.
—Vous n'avez pas 65ans comme vous le dites mais 111.
—Tu es malin, Hercule. En effet, j'ai 111ans. Mon infâme bouillie verte a prolongé mon existence. Je suis la plus âgée, après monsieur Piedargile. Voilà, tu sais tout. Parfois, on est obligé de se surpasser et ce n'est pas sans risque.
—Le regrettez-vous, Madame?
—Absolument pas! Enseigner est ma raison de vivre. Pour rien au monde, je ne changerais ma vie. Et toi, alors, ton but est de devenir Auror-Enquêteur?
—Oui, Madame.
—Tu veux utiliser des potions pour résoudre des crimes?
—Oui. Je trouve que les Aurors ne sont pas assez performants lorsqu'il s'agit de démontrer la culpabilité sans prendre sur le fait.
—Intéressant. Et la poudre d'alumine, quel usage en as-tu fait?
—Relever mes empreintes. C'est une méthode moldue.
—Es-tu de ceux qui pensent que les sorciers devraient s'inspirer des Moldus et adapter leurs inventions?
—Tout à fait. Il y a des bonnes choses à prendre, sans remettre en question la culture des sorciers.
—Hum… En tous les cas, si tu désires élaborer de nouvelles potions utiles, je te guiderai avec plaisir.
—Merci, Professeur.
Hercule ne pouvait se détacher de l'histoire d'Ambroisine. La progéria. C'était le nom du syndrome d'une rareté absolue, identifié par les Moldus Hutchinson et Gilford. Elle concernait un cas pour 8 millions d'habitants. Elle apparaissait dès la naissance chez les Moldus mais s'était manifestée à la fin de l'adolescence chez Ambroisine. Madame Fordecafé était la seule sorcière atteinte de cette dégénérescence, depuis un siècle. Sa bouillie verte solidifiait son corps pour quelques heures et ensuite, tout était à recommencer. Une existence douloureuse. Elle n'en était que plus admirable et digne de respect.
Hercule sentit la douleur au bout de son index droit. L'écharde tentait de se frayer un chemin dans les tissus de la phalange. Demain, il tenterait un Episkey et s'il échouait, il confierait la tâche à l'infirmière. Il devait être au summum de ses capacités pour le cours de duel. S'il tombait face à Rosier, il devait le battre. Et s'il tombait face à Casper? Elvira, consciente de la glissade du Hollandais, désireuse d'en savoir plus sur son revirement, était assez retorse pour les opposer dans un duel d'où la vérité éclaterait à coups de sortilèges. Oh oui! Elle en était capable.
Il consulta sa montre à gousset. 23h30. Rien à faire pour dormir. C'est alors qu'il entendit du bruit. La porte d'entrée, ouverte, puis refermée. Froissement de vêtements, jetés avec négligence. Le son aqueux du matelas. Casper venait de rentrer. Il était allé dans une autre chambre avant 22h00 sinon, la protection du pavillon se serait déclenchée. Où s'était-il dissimulé? Chez Rosier? Dans une autre chambrée? Chez les filles?
«Pas la grotte! Surtout pas!»
Cette dernière hypothèse lui fit l'effet d'une douche froide. Si Casper avait découvert le secret, Rosier était au courant. Si le suprémaciste avait accès à de la magie noire, le pire était à craindre.
Il ferma les yeux, desserra la mâchoire et ouvrit ses paumes. L'épuisement finit par l'emporter.
Les portes s'ouvrirent à 16h05 et les 91 élèves de deuxième année se massèrent dans la Salle Blanche. Ils se répartirent équitablement de part et d'autre, face à face, respectant les amitiés, les affinités ou les inimitiés. Hercule frissonna: la quasi-totalité d'Urtica se rangeait dans le camp adverse tandis que la majorité de Lonicera choisissait son côté. Même Rosa Fuchs, la terrible révolutionnaire, animatrice haute en couleurs du club de sciences, avait jeté son dévolu sur Hercule et l'ordre Gerbera. Aloysia se scindait en deux moitiés plus ou moins égales. La pimbêche de Hautefeuille se pavanait auprès de Rosier le désossé, mettant en avant son statut de Sang-Pur sur au moins dix générations.
L'enseignante se plaça au centre de l'arène, bien en vue des deux camps. Elle exécuta un tour sur elle-même; le sol ainsi que les murs se parèrent d'épais tapis bourrés de caoutchouc. Ensuite, de sa baguette tordue, elle généra une pluie d'étincelles violettes qui s'abattit sur l'assistance médusée. Chaque enfant se vit doté d'une sphère de la même teinte, flottant au-dessus de sa tête. Quelques petits futés tentèrent de la chasser à l'aide de leur baguette ou de leurs mains. Ils écopèrent, en retour, d'un éclair piquant, à la limite du supportable.
—Bonjour. Aujourd'hui, vous allez vous affronter. Pour de vrai.
Certaines mines se réjouirent, d'autres se décomposèrent.
—Cela signifie que vous n'échangerez pas des sorts à tour de rôle, avec amabilité, bienveillance si vous échouez, comme la semaine dernière. Cette fois, c'est le plus rapide et le plus précis qui gagne. Cette fois, vous vous lâchez sans retenue pour vaincre.
Les termes choisis firent tiquer Shin. Il les avait déjà entendus, répétés à l'envi.
—Cependant, il y aura une règle à respecter: vous serez limités à une liste de six sorts pour attaquer ou vous défendre. Vous allez devoir les mémoriser et les utiliser. Si, par le plus grand des hasards, il vous arrivait de transgresser cette règle, la sphère lumineuse vous administrerait une piqûre de rappel aussi douloureuse que la brûlure d'un Crabe de Feu et même plus, si vous persistez à outrepasser vos droits.
La réjouissance du camp de Rosier se fendilla. Les suprémacistes comptaient bien expédier quelques Sangs Impurs dans les cordes, pour reprendre une expression moldue liée au sport.
—Les sorts autorisés sont les suivants: Protego, Expelliarmus, Stupefix, Petrificus Totalus, Brachialigo et Fulgari. Uniquement ces six et pas un de plus. Afin d'éviter le rebond de sorts sur d'autres élèves, j'élèverai un charme protecteur au-dessus des adversaires. Enfin, je choisirai la composition des duellistes… inter-ordres.
La nouvelle satisfait les plus radicaux défenseurs de leurs couleurs.
—Rosier! Ishii!
Thibaldus s'empara de sa baguette et se vanta:
—Je vais te démolir, sale faiseur de nuages! Tu vas mordre la poussière et apprendre à me craindre. Tu vas regretter d'être venu profaner notre patrie!
Le Japonais ne pipa pas un mot et s'avança, déterminé à ignorer les provocations du maigrichon à brillantine. Concentré, il attendit le Protego Totalum autour d'eux. Elvira sépara les protagonistes des spectateurs avec un dôme de lumière bleutée. L'arbitre compta jusqu'à trois et ordonna:
—Maintenant!
Rosier pointa sa baguette en direction du Japonais. Shin ne s'empara pas de la sienne. Il se jeta à terre, roula en avant, se redressa, bloqua le bras de Rosier d'une main, tira sa baguette de l'autre et lança:
—Stupefix!
Thibaldus, projeté en arrière, perdit sa baguette en route, rebondit sur le dôme protecteur et s'écrasa comme une figue molle sur le tapis, face en avant. Il fut incapable de se relever. Shin n'était pas puissant, mais il avait projeté son sort à bout portant. Elvira retourna le perdant; son nez saignait et la cloison nasale était déviée. Elle mit fin au sortilège et formula un Episkey réparateur et radical. Rosier poussa un cri de mandragore, ce qui soutira des ricanements. Il protesta aussitôt, accusa Shin de tricherie, d'usage de méthodes de sauvage, insistant avec lourdeur sur ce terme désobligeant, pour souligner sa supériorité raciale.
—Retourne à ta place et analyse ta défaite.
—Tu me le paieras cher! Je te le garantis, espèce de singe savant!
—Rosier! Tu viendras me voir à la fin du cours!
—Ça ne m'empêchera pas de lui faire la peau!
—Dussé-je te donner des cours particuliers au fond d'un cachot, tu vas changer d'attitude, ça, je te le garantis! hurla Elvira. J'en ai plus qu'assez de toi et de ton racisme à vomir!
L'élève en eut le souffle coupé. L'adulte n'était pas connu pour ses pertes de contrôle. Un silence de mort s'abattit sur la classe tandis qu'Elvira soufflait comme un taureau, les yeux jaunes comme deux énormes tournesols. Hercule, éberlué comme ses camarades, se questionna sur les racines de cet épisode colérique.
«Après Casper, le référent d'Aloysia, le directeur, voici qu'Elvira explose. Pourquoi? Est-ce un mal inconnu qui se répand, comme la grippe espagnole qui touche les Moldus? Est-ce l'œuvre du château? Celle du fauteur de troubles annoncé par Claire? Ou celle de Rosier et sa bande? Si c'est une maladie ou un maléfice, comment cela se propage-t-il? Est-ce dans l'air? Dans l'eau? La nourriture? Ou un simple contact physique suffit-il?»
Mademoiselle de Bazincourt exécuta quelques tours en rond sur les tapis avant de recouvrer son calme. Puis, elle ordonna d'un ton sec:
—Rosier! Tu reviens ici!
La vedette des théoriciens radicaux pensait s'en tirer avec une punition comme du nettoyage dégradant, des travaux de jardin salissants ou le ramassage de bois de chauffage pour l'hiver.
—Voyons… Quel Né-Moldu pourrais-tu affronter? Umbelina, s'il te plaît. Au centre, tous les deux.
Rosier pâlit tandis qu'Umbeijo accumulait de la rancune proportionnelle à son appréciation du Japonais. Elvira effectua le décompte. Rosier écopa d'un Petrificus Totalus d'anthologie avant d'avoir déversé son fiel sur la Portugaise ou d'avoir formulé un Protego. L'attaque de la princesse héritière fut si violente, si parfaite que les parties apparentes du corps de Thibaldus –sa face et ses mains–se mirent à briller comme s'il était fait du plus rare des marbres ou que sa bouteille de brillantine avait vomi des litres sur sa peau.
Au lieu de lancer un Finite, la professeure exécuta un Repulso adroit et précis pour renvoyer l'odieux personnage dans son refuge d'imbéciles. Les adversaires applaudirent avec enthousiasme. Shin s'abstint de suivre. Il n'avait d'yeux que pour la princesse brune aux réflexes dignes d'un Samauror à la puissance respectable. Il se contenta de hocher la tête en avant lorsqu'elle fut près de lui. La marque de respect ne lui échappa pas.
Elvira reprit la farandole des affrontements codifiés. Certains durèrent plus longtemps, les combattants rivalisant d'adresse ou de maladresse. Sigrid, respectueuse des lois et règlements, ne fit qu'une bouchée de Jacqueline Esteves, une franco-espagnole originaire de Perpignan, classée dans les modérés d'Urtica.
Les minutes défilèrent. Hercule se demanda si les deux heures de cours suffiraient à organiser les 45 duels, la durée de chacun n'étant pas une constante, pour reprendre les termes et les notions expliquées par monsieur Racine. Le Belge mémorisait tous les matchs, tous les duos formés. Elvira ne respectait pas toujours la répartition initiale en deux camps. Ainsi, la grue à particule Hautefeuille fut invitée à affronter une de ses bonnes camarades, faisant preuve de ruse et de vacherie pour lui clouer le bec. Toscanini combattit contre Fuchs alors qu'elles s'entendaient plutôt bien. Joop de Vries triompha contre Laurine de Clermont-Tonnerre tandis qu'Ysandre de La Fare donnait du fil à retordre à Jean Laplace, victorieux. Plus le temps s'écoulait, plus la probabilité de ne pas combattre augmentait. Eugénie se réjouissait d'échapper au duel, n'étant pas friande de la Défense contre les Forces du Mal. Hercule consulta sa montre. Il restait à peine cinq minutes avant que la cloche ne sonne 18h00 et il y avait encore des élèves en lice.
Elvira appela Valentine Clairdelune et Franco de Luca Rosso. La protégée de Claire Obscur avait toutes les peines à réussir un Protego et son Stupefix avait tout d'une pichenette. Franco, élève d'Aloysia, authentique aristocrate hautain, se donnait les moyens de son assurance teintée d'arrogance en travaillant d'arrache-pied, ne négligeant aucun domaine. Elvira le considérait d'ailleurs comme un finaliste potentiel dans le tournoi. L'affrontement, déséquilibré, tourna à l'avantage de l'Italien en cinq misérables secondes. Le duel suivant fut tout aussi couru d'avance. Roland Clervois, bon batteur de Quidditch, ligota d'Arcy en deux temps trois mouvements. Eugénie commença à se faire du mouron, car au rythme où les derniers duels se déroulaient, elle était certaine d'affronter un élève avant la cloche libératrice.
Hercule sut ce qui allait se passer. Tous les indices concordaient pour que la femme décide que Campari, Bruno de son prénom, se fasse étrier par Godefroy de Valmy, alias le boucher de Lorraine, supporter de Rosier et que Sebastian da Oliveira, de l'ordre Lonicera, très appliqué, n'avale la pauvre Katarina Rostopchine, bien plus à l'aise en poésie et en français qu'en attaque et en défense. Elvira voulait le voir face à Eugénie. Pourquoi changer de tactique par rapport au cours précédent? Le fonctionnement du cerveau du professeur de Bazincourt échappait à toute logique.
«À moins qu'elle n'ait assisté à une scène particulière, comme la crise de jalousie de mon amie, mercredi dernier. Ou qu'elle détienne une information glanée en cours de Legilimancie?»
Le déroulé des matchs eut lieu comme Hercule l'avait prévu. Au terme, il se retrouva face à son amie. Il perçut, dans son regard, une lueur de bienveillance. Elle se confirma lorsque les adversaires, tournant l'un autour de l'autre, s'échangèrent d'aimables Stupefix parés par des Protego, à tour de rôle. Le combat avait l'air d'un «Tirez les premiers, messieurs les Anglais!».
Une fois le jaugeage mutuel passé, le rythme s'intensifia et la puissance augmenta. La jeune fille tenta d'entraver Hercule, de le projeter au sol et il en eut autant à son service. La fille d'Alfred usa même du bouclier pour faire rebondir ses sortilèges et prendre le garçon à revers. Puis, n'y tenant plus, elle lança un Repulso pour le déséquilibrer. Elle récolta un éclair violet sur la tête et encaissa le coup en poussant un cri aigu. Cela ne la refroidit pas pour autant, car elle commit un premier Bombarda, suivi d'un second amplifié par Maxima. La sphère violette se déchaîna, aiguisant sa colère. Des flammèches firent leur apparition au bout de sa baguette. Hercule cria:
—Pallium!
Sa palissade de bois, interposée entre lui et son assaillante, lui valut une punition cuisante administrée par sa sphère. La protection fut insuffisante pour résister à la flamme de l'Incendio généré par la jeune fille. Il répliqua:
—Aquatormenti Maxima!
Une masse d'eau jaillit de sa cachette provisoire et s'abattit avec violence sur Eugénie, coupant le jeu enflammé en deux. Le brûlant sortilège tenta de contourner le garçon par les côtés. Les sphères violettes se déchaînèrent au maximum de leur puissance. Hercule leva sa baguette et fit rebondir un sort. Eugénie fut tétanisée.
—Ça suffit! s'égosilla l'adulte. Ça-su-ffit!
La nouvelle explosion de colère leur causa un véritable électrochoc. Elvira agita sa baguette et libéra la jeune fille.
—Le cours est terminé!
Elle désenvoûta Rosier dont seuls les yeux, mobiles, avaient participé à la séance comme spectateur.
—Vous deux, vous restez là!
Le dernier duo s'y attendait. Lorsqu'Elvira fut assurée que la Salle Blanche avait été évacuée et qu'aucune oreille indiscrète ne traînait, elle se planta devant le tandem de contrevenants et éructa:
—Mais qu'est-ce qui vous a pris?! Non content de ne rien respecter, vous utilisez des sorts réservés aux cours particuliers! Devant Rosier et sa clique de crétins! Il va se régaler! Vous êtes complètement inconscients! Je vous croyais amis, solidaires et surtout, surtout: intelligents!
Les gamins fixaient leurs chaussures, incapables de soutenir le regard furibond. Leur attitude exaspéra l'adulte.
—Regardez-moi! Je vous parle!
Ils levèrent les yeux et croisèrent son regard jaune orangé.
—Vous vouliez montrer que vous avez travaillé d'arrache-pied, soit! Mais ce qui se passe le samedi, n'a pas pour vocation à déborder sur la semaine! Bon sang! Alors, je vais faire simple et court: la séance de samedi est supprimée pour vous deux. À la place, de 8h00 à 20h00 sans interruption, vous allez produire, en commun, un devoir sur le danger de l'irrespect des règles sorcières. Je veux des exemples, actuels et historiques, sur le résultat des errements. Je veux un plan à mettre en œuvre pour que votre attitude devienne exemplaire! Et, avant d'émettre la moindre remarque superflue ou poser une question malvenue, sachez que vos parents respectifs recevront un courrier, que le directeur sera informé et libre d'ajouter la sanction de son choix. De plus, soyez bien conscients que je vous traite sur un pied d'égalité dans votre stupidité, même si tes sortilèges, Hercule, ont pu paraître moins dangereux que celui, brûlant, d'Eugénie. C'est une fichue illusion! Il y a bien plus de sorciers victimes de noyade ou d'empalement sur un pieu que de morts par Incendio ou Feudeymon! Une dernière chose: parlez, expliquez-vous, crevez-moi cet abcès et sans délai! Il y va de la survie de vos amitiés. Maintenant, fichez-moi le camp!
Assommés, ils ramassèrent leurs capes et leurs besaces avant de s'éclipser. La descente dans l'escalier fut lente et prudente. Une fois parvenus dans le hall, les enfants échangèrent un regard lourd de tristesse et de regret. Hercule fut incapable de prononcer une parole et Eugénie, d'ordinaire si prolixe, fut aussi muette qu'Émilie Boulanger. Face à l'incompréhension et à la paralysie, le garçon se dirigea vers la salle du Sondeur et s'y réfugia. Son amie quitta le château et partit vers son pavillon. Lorsque Elvira passa près du réfectoire, elle lorgna du côté du miroir où le quatuor avait ses habitudes. Elle fit la moue et secoua sa crinière brune en signe de négation. Elle quitta l'Académie avec un sentiment d'amertume, de gâchis.
Hercule était resté cloîtré dans un des isoloirs, refusant de répondre aux sollicitations du Sondeur. La douleur morale était immense. Il avait beau se repasser la scène au ralenti, il ne comprenait pas comment la situation avait pu dégénérer à ce point. La magie de sa camarade ne s'était jamais exprimée avec une telle rage. Elle faisait figure de dernière du groupe, toujours à la traîne dans l'accomplissement des exercices distribués par les enseignants. Là, c'était comme si elle avait été l'objet d'une révélation, comme si un monde infini s'offrait à elle. Quoi qu'en dise madame de Bazincourt, il s'était positionné dans l'attitude défensive, ne faisant que répondre aux coups portés avec une intensité croissante. Sa camarade s'était-elle acharnée, comme il le croyait dur comme fer? Rien n'était moins sûr.
Il visualisait de nouveau la bataille lorsqu'il fut terrassé par le doute.
«J'ai porté la dernière attaque. J'ai voulu gagner, avoir le dernier mot.»
Au moment où le terme «mot» résonnait en lui, il sut que cela clochait.
«Je ne l'ai pas prononcé! Il est sorti de ma baguette sans être formulé! J'ai atteint Eugénie sans… Si, je le voulais. Hercule, tu l'as fait. Elle ne le méritait pas. Pourquoi? Qu'est-ce qui se passe en nous?»
Il se leva du banc. Son index droit se rappela à son souvenir. Il ronchonna:
—Fichue blessure!
—Tu es blessé, mon garçon? questionna le Sondeur.
—Ce n'est rien. Je vais aller voir madame Cacheton.
—Est-ce sérieux?
—Une simple écharde de bois. Le probable reste d'un sortilège balbutiant.
—Une blessure, même minime, consécutive à un bois d'origine magique, est plus grave qu'une écorchure dans la nature. Cependant, il est inutile de te rendre chez l'infirmière. Tu connais les sortilèges.
—Vraiment?
—Réfléchis. De quoi as-tu besoin pour solutionner ton problème?
—Inciser. Retirer l'écharde. Recoudre.
—À quelles formules correspondent ces trois actions?
Hercule savait. Il prit sa baguette de la main gauche, posa la droite paume ouverte vers lui et visa l'entaille refermée. Il murmura:
—Diffindo.
Il grimaça. Le doigt se mit à saigner. Il se concentra:
—Accio écharde de bois.
L'objet, long d'un centimètre, fut extrait et atterrit dans le creux de sa main.
—Episkey.
Le dernier sort referma la plaie, forçant la jointure et tirant sur les chairs. Il poussa un grognement consécutif à la douleur.
—Ces plaintes m'indiquent que tu as réussi. Te verra-t-on rejoindre la CHASSE-Médico?
—Je ne le crois pas. Je ne pourrais pas infliger des tortures aux patients. Ça fait un mal de Croup!
—Ah ah! J'apprécie ton humour, Hercule. Vraiment. Le château manque de joie, je trouve. N'es-tu pas de mon avis?
—Totalement, Sondeur. Merci pour le conseil.
—Je t'en prie.
—Au revoir.
Le Belge ne resta pas plus longtemps dans la salle. Il mit le cap sur le pavillon Urtica, avec un détour près des casiers à courrier. La réponse attendue de monsieur Delacour n'y était pas. Il avait peut-être réclamé l'impossible. Ou la lettre avait été perdue par l'animal, pas aussi fiable que Edgar? Si seulement les sorciers adoptaient le téléphone moldu, tellement pratique!
Il reprit sa route, errant sans but. Il ne put se résoudre à aller au pavillon. Les élèves étaient tous au réfectoire, il n'y avait personne dans les parages, hormis les Abraxans hennissant dans les écuries et le professeur Laflèche, effectuant des cabrioles au-dessus du terrain de Quidditch, solitaire. Hercule longea le stade et prit le chemin du bois. Il fila entre les troncs séculaires et trois minutes plus tard, il prononça la phrase-clé tout en dévoilant son Gerbera. Les branches-marches percèrent l'écorce et accueillirent ses pas. Il grimpa jusqu'à l'invisible cabane. La fleur du quatrième ordre lui ouvrit la porte. Il entra, posa ses affaires sur une chaise et s'affala sur le couchage. Il trouva un sommeil agité où l'oncle Waldo s'invita.
