Sortilège 18: l'élection des candidats
En s'approchant pour la première fois de la table de l'ordre Gerbera, Katarina s'était attendue à d'éventuelles difficultés. Il n'en avait rien été. Umbelina lui avait fait une place à ses côtés, manifestant sa joie de façon visible.
—Chouette, ma voisine! Assieds-toi, vas-y! Enfin à égalité!
—À égalité pour quoi? questionna Eugénie.
—Lorsque Shin sera revenu avec nous, il y aura trois Lonicera, trois Urtica et trois Aloysia.
—Je vois. Tu as la trouille qu'Aloysia prenne tous les macarons!
—Exactement, Eugénie!
—Nous sommes heureux de vous accueillir, Katarina.
—Merci, Hercule.
Le Belge mit en place sa tactique d'intégration. Il poursuivit:
—Au fait! Je n'ai pas eu le temps de narrer votre exploit d'hier, très chère!
—Ce n'était qu'un hasard, modéra la blonde aux yeux bridés.
—Que nenni! J'ai dégoté une information.
—Qu'avez-vous trouvé?
—Explique-toi, Hercule, somma Eugénie.
—C'est un autre mystère? demanda Sigrid.
Le Belge posa ses couverts et se lança:
—Hier, Katarina parlait avec Shin, plongé dans l'inconscience. Je vous prie de m'excuser, mais je suis arrivé peu après vous, je n'ai pas voulu vous interrompre et j'ai découvert des détails passionnants sur votre famille.
Katarina rougit. Hercule était toujours si prévenant.
—À un moment donné, notre amie ici présente, a supplié le blessé de revenir dans le monde des vivants. Elle a alors pris sa main et a improvisé deux haïkus.
—Des quoi? s'exclama Noël, imité par Émilie à l'écrit.
Pour les plus jeunes, le Belge expliqua qu'il s'agissait de poèmes japonais très courts, respectant un rythme de 5/7/5 syllabes où chacune des trois parties correspondait à un lieu, une action et une sensation physique ou émotionnelle. Il insista sur la codification stricte, rendant l'exercice plus valeureux. Il relata qu'après avoir inventé les deux haïkus liés à la chute dans le torrent, l'attaque des sirènes, la victime avait ouvert les yeux. Hercule s'estimait privilégié d'avoir été le témoin de cette magie. C'est alors qu'il avait dévoilé une nouveauté à ses camarades.
—Le miracle de vos mots ne s'arrête pas à cette sortie de l'inconscience. Katarina, vous vous souvenez des sentiments de Shin à son réveil, sa réaction? Il s'est dit prêt à tirer sa baguette et à frapper les habitantes du torrent, se moquant des décrets ministériels sur l'usage de la magie avant dix-sept ans. Son sentiment reflétait la teneur de vos haïkus.
Elle accusa le choc de la révélation, issue de l'analyse du belge.
—Je l'aurais influencé? À travers mes mots?
—Je le crois. Nous nous sommes demandés, ce matin, si ce pouvoir magique avait déjà existé ailleurs. La réponse est oui. Un sorcier de l'école de magie russe Koldovstoretz, excellent potionniste, est devenu Médicomage et a exercé dans l'hôpital magique Remont 1. Il a ouvert un service que les Moldus appellent aujourd'hui psychiatrie et a soigné avec des mots. Ses confrères l'ont d'abord pris pour un charlatan mais, face à ses résultats, ils ont dû se rendre à l'évidence. Ils venaient de découvrir ou, qui sait, de redécouvrir un pan secret de la magie. J'ai trouvé un bref récit de son existence dans un livre d'histoire de la Médicomagie.
—C'est un vrai talent! Fais gaffe. Mon père va te recruter.
—C'est une éventualité de carrière à prendre au sérieux, Katarina. Il existe un précédent.
—Comment se nomme ce précurseur? demanda Sigrid. Il y a peut-être moyen d'en savoir plus sur lui?
—Il se nommait Igor Valinsky et a vécu au dix-septième siècle, près de Saint-Pétersbourg.
L'élève au chèvrefeuille palissant dévisagea Hercule. Il savait puisqu'il avait entendu le patronyme de la mère de Katarina.
—Ce médicomage serait… mon ancêtre?
—Ce sera à vous de le dire lorsque vous consulterez votre recueil familial. Mais avouez que la coïncidence est troublante, non?
—C'est génial, comme don, s'extasia Eugénie. Rare et fantastique!
Sans s'en rendre compte, la Russe avait réussi son examen d'entrée, grâce à la mise en lumière directe effectuée par le Belge. Non seulement il était digne de confiance, comme elle l'avait toujours imaginé, mais il était d'une chevalerie, d'une classe, d'une élégance folle. Son intelligence était précieuse et le conduisait aux meilleures décisions. Il suffisait qu'il ait les cartes en main.
À l'issue du repas, il avait retenu Sigrid, Eugénie et Umbeijo à table.
—Je vous propose une réunion extraordinaire au quartier général afin d'étudier une extension de l'ordre.
—Ah ouais? Mais comment on peut s'assurer de…
—Eugénie, nous en parlerons et nous mettrons nos idées sur la table.
—Au fait, pourquoi n'êtes-vous pas au club de sciences aujourd'hui?
—Umbelina, Émilie et moi avons trouvé porte close, ce midi. Après dix minutes d'attente, madame Bonnelangue est venue nous avertir que monsieur Racine avait un empêchement.
—Mais vous n'aviez pas eu cours avec lui, juste avant, chez Urtica?
—Si, justement, Eugénie. Rien ne semblait le perturber durant les deux heures d'enseignement.
—Ce n'est pas le genre à annuler au dernier moment.
—En effet. Rendez-vous à 17h00 au quartier général.
—D'accord.
Le reste de la tablée s'était dispersé dans le désordre. Hercule s'était rendu au courrier où il avait découvert une lettre pour Shin. Il l'avait prise pour la lui délivrer. Il s'était retourné vers la Cabane Enchantée et avait aperçu une ombre s'enfuyant à tire-d'aile. Edgar jouait toujours au sauvage.
Le quatuor de l'ordre Gerbera était au complet dans son abri perché dans les arbres, invisible aux yeux de tous. Eugénie avait ramené des pâtisseries et une grosse gourde de jus de pomme, au cas où les débats s'éterniseraient au-delà de 18h00, heure de sa collation vouée à lui ouvrir l'appétit. Comme le voulait la tradition, c'était la plus bavarde qui avait ouvert les hostilités.
—Alors, comme ça, tu songes à augmenter le nombre des membres de l'ordre Gerbera?
—Oui. Nous l'avons créé pour celles et ceux qui ne se trouvaient pas à leur aise avec celui attribué par le Sondeur. Ceux qui se sentent différents, en difficulté avec le reste de l'école.
Umbelina lui coupa la parole.
—Ainsi que ceux qui se sentent abandonnés par leur famille ou qui sont endeuillés.
—Je suis d'accord, fit Sigrid.
Hercule reprit:
—Nous connaissons bien Katarina. C'est une personne intelligente, d'une culture phénoménale, agréable mais qui manque d'assurance. Je la sens désireuse de s'impliquer, de se sentir utile. Elle est rongée par l'ennui, la solitude et cela se traduit par un effet direct.
—Ses couleurs, ajouta Umbelina.
—Elles dépérissent. C'est pourquoi je pense qu'elle a sa place dans l'ordre. Je suis sûr qu'à notre contact, elle va s'épanouir et être heureuse.
—Il faut s'assurer qu'elle défend la vérité, Hercule. C'est la devise de notre ordre.
—C'est juste, Sigrid. C'est un passage obligé. Elle doit prouver sa sincérité. Je me demande comment procéder? Avez-vous des idées?
—On pourrait…
—Sans Veritaserum, Eugénie.
—Ah zut!
—Je peux en fabriquer, assura Sigrid, avec un sourire un brin tortionnaire. Il faut juste me trouver une plume de Jobarbille.
—Mais enfin! Nous ne sommes pas des sauvages! s'insurgea la princesse portugaise.
Chacun se mit à réfléchir de son côté. Au bout d'une minute, Eugénie osa:
—Dites! Le sondeur Alpha, il déteste le mensonge. On pourrait préparer un questionnaire sur Katarina pour le faire réagir?
—Oh oui! s'exclama Umbelina. Ça, c'est jouable! On l'amène les yeux bandés, on manœuvre les bancs, on pose les questions. Si elle réussit, elle est admise et on lui révèle le coup du sondage par Alpha. Si elle échoue, elle ressort sans rien savoir. On dira que c'est Hercule qui faisait la voix modifiée par un sortilège. Au pire, un petit coup d'Oubliette.
—Brillant, mesdemoiselles!
—Pas mal du tout, concéda Sigrid. Et maintenant, abordons l'autre candidature.
—Une autre? Shin?
—Bien sûr, Eugénie. Il est venu d'une autre école, à l'autre bout de la planète, il est orphelin de mère, il est détesté par Rosier et sa bande, il a subi la plus violente des agressions, il fait des efforts constants pour s'intégrer, il est en plus doué, dans de multiples domaines, il possède une autre culture et il a été intégré de force chez Urtica. Ça fait beaucoup. Plus que tout autre élève, il mérite d'intégrer l'ordre.
Sigrid avait cerné le personnage à la perfection. Elle en remit une couche:
—Elvira n'a pas hésité une seule seconde à dévoiler son jeu devant lui. À mes yeux, c'est la meilleure des garanties. C'est…
—Logique, acheva Hercule. Qu'en pensez-vous?
—Son prénom veut dire vérité. C'est un sacré gage de confiance, avoua Umbelina.
—Il a été victime d'une agression lâche, reprit Eugénie. Ça compte. Comme tu le dis, Umbeijo, son prénom veut dire vrai. Il est si parfait qu'il m'agace comme ce n'est pas imaginable. Mais bon, c'est une vilaine habitude des garçons que je connais. Tant qu'il ne veut pas me transformer en Japonaise, je vote pour. Le souci, c'est l'interdiction ministérielle d'entrer chez le Sondeur avec un voyant.
—Cela reste un obstacle, concéda Hercule.
—Mais j'ai une solution de secours si ça tourne à la Bérézina.
—Vraiment? Un plan Eugéniesque?
—Eh oui, p'tit gars! J'ai un plan infaillible. Je crois. Ne me regarde pas comme ça, tu me fais douter!
Le garçon s'en amusa.
—Pas d'autres candidats? questionna Sigrid.
—Non, pas pour moi, répondit le garçon. Nos habitués de la table sont à l'aise dans leurs ordres, vivent dans des familles aimantes, se lient avec leurs camarades de promotion. Encore que Noël soit souvent seul, mais je crois qu'il travaille avec acharnement. Il est très appliqué.
—Pas d'autres suggestions? ajouta Sigrid, lançant sa question à la cantonade.
—Quand les amène-t-on devant le Sondeur?
—Dimanche après-midi. Shin sera sorti. C'est le moment où il y a le moins de monde dans les ailes du château. Il faudra surveiller les abords et inventer un prétexte pour distraire d'éventuels curieux. Eugénie, une tâche pour vous?
—Pas de souci.
Tout paraissait clair. Au dernier instant, la petite frisée suggéra de pétrifier le Japonais pour le rendre inoffensif aux yeux du Sondeur. En cas d'agressivité de l'oreille du château, elle révélerait l'existence du couteau, sa capacité magique et en ferait usage pour dévoiler les convictions des candidats. Une fois tombés d'accord, les enfants consacrèrent la fin de la journée à élaborer le questionnaire d'entrée. Eugénie promit de s'occuper de la fabrication et de l'apposition des gerberas au revers des uniformes. Aucune fleur blanche pour les candidats: un fuchsia serait préparé pour les deux prétendants.
Une heure plus tard, au dîner, Katarina se vit remettre une convocation officielle, discrète. Lorsqu'elle lut le billet, hors du château, sur le chemin la menant à son pavillon, sa joie intense rendit son chèvrefeuille aussi bleu qu'au premier jour. Shin, toujours alité à l'infirmerie pour encore deux jours, resta maître de lui-même, mais ses yeux noirs devinrent deux supernovas à la magnitude extraordinaire.
La victime des sirènes était enfin sortie de l'infirmerie et avait été autorisée à reprendre les cours sans danger à partir du lundi 7 octobre. Il était près de 15h00 et les enfants se trouvaient au beau milieu du terrain de Quidditch. La plupart des élèves de quatorze ans et plus étaient absents tandis que les autres, à de rares exceptions, s'étaient réfugiés dans leurs pavillons respectifs. La météo était exécrable: en quelques jours, les Pyrénées-Orientales étaient passées de l'été indien avec des températures étouffantes à quelques degrés au-dessus de zéro et des trombes d'eau. La pelouse était gorgée et les élèves progressaient en zigzag.
—Il est temps. Eugénie, bandez-leur les yeux et ajoutez les bouchons d'oreille, puis les cache-oreilles. Voilà. À présent, enfilez les cagoules sur leurs têtes. Parfait! C'est parti pour le manège.
Le Japonais et la Russe furent contraints d'effectuer une dizaine de tours sur eux-mêmes. Puis, ils furent poussés en avant, guidés par les voyants. Ils ne ressentaient plus rien d'autre que les intempéries et le sol spongieux s'enfonçant sous leurs pas. À de multiples reprises, ils rebroussèrent chemin et firent des détours par le jardin. Afin que les deux candidats ne puissent pas reconnaître les marches du perron du château, Hercule se porta à l'intérieur de la bâtisse, là où la magie était autorisée. Il tira sa baguette pendant que les filles continuaient à ordonner aux candidats de marcher en exécutant des virages. Il se concentra et exécuta le geste partant de sa poitrine et se lançant le plus loin possible. Il énonça:
—Deambulignam.
Une longue passerelle de bois enjamba les marches de pierre, trop faciles à identifier. Les voyantes poussèrent les aveugles à emprunter l'assemblage de planches.
—Aguamenti.
Il répandit de l'eau de l'entrée jusqu'à la porte du Sondeur afin que les chaussures des candidats fassent des clapotis trompeurs. Eugénie inspecta les alentours, prête à détourner l'attention d'éventuels curieux. Umbelina et Sigrid guidèrent Shin et Katarina jusqu'à la porte du Sondeur.
—Finite.
Le plan incliné et les litres d'eau disparurent. L'équipée pénétra dans la salle. Le Sondeur ne réagit pas à la présence du Japonais. Une aubaine! Désormais rompu à l'exercice, Hercule effectua un Collaporta pour bloquer l'accès et ligota les bancs à l'aide d'Incarcerem. Ensuite, il les manœuvra. La grotte du degré dix remplaça la réalité. Umbeijo avait retenu l'Oubliette en cas d'échec: ainsi, tout l'attirail destiné à les priver de leurs sens leur fut retiré. Les nouveaux venus seraient plus à l'aise. Ils découvrirent la cavité, les trois isoloirs, une porte scellée, un long tunnel s'enfonçant dans l'obscurité et une source d'eau stagnante, bleutée, semblant chuchoter.
—Où sommes-nous?
La question venait de Shin. Personne ne répondit.
—Asseyez-vous autour de l'eau, ordonna Hercule. Eugénie?
—Le questionnaire. Par qui je commence?
—Honneur aux dames.
—D'accord. Katarina, seulement lorsque je t'y inviterai, tu répondras. Tu as compris?
—J'ai compris.
—On commence. Tu demandes à entrer dans l'ordre Gerbera.
—Oui.
—Pour nous espionner.
—Certainement pas! explosa une voix jaillie de la source, se répandant dans la caverne.
—C'est quoi? D'où cela vient-il? coupa le fils de diplomate.
La Russe se taisait mais tremblait, terrorisée. Hercule se fit énigmatique:
—Les réponses viendront après. Ou pas.
Eugénie reprit ses assertions:
—Tu te moques de la vérité.
—Mais ça ne va pas?
—Tu aimes mentir.
—N'importe quoi!
—Tu nous veux du mal.
—Quel ramassis d'imbécillités!
La jeune fille se détendit un peu et trouva le jeu à son goût. La chose ou la voix répondait avec justesse, comme si elle était apte à lire dans son esprit ou dans son cœur.
—Tu es prête à prendre des risques.
Alpha se mura dans le silence et cette réaction attisa l'intérêt des enfants. Leur camarade avait-elle une âme d'aventurière?
—Tu nous admires tous.
—Eh! Ce n'est pas dans le questionnaire, objecta Sigrid.
—Je suis celle que tu admires le plus.
Aucune remarque désobligeante du Sondeur simplifié. Katarina appréciait tous les enfants présents mais Eugénie, touchée par un drame familial, notée comme un des pires élèves, demeurait un modèle de popularité au sein de Beauxbâtons. La petite frisée ne s'attendait pas au silence d'Alpha. Croyant qu'il venait lui aussi de connaître une panne sévère, elle acheva par:
—Tu as déjà triché, notamment au Cecrabebleu.
—Même pas en rêve.
—La question était d'Hercule, je le précise.
—C'est moche, d'accuser les camarades!
Katarina éclata de rire. Umbelina prit le parchemin et déroula un examen peu ou prou similaire à l'attention de Shin. Son cas fut tout aussi exemplaire. Au terme, la princesse portugaise ajouta:
—Tu es le fils de l'empereur du Japon.
—Et je suis le roi des Trolls!
—Bien essayé, Umbelina. En réalité, mon père, Kikujirò Ishii, fut ambassadeur du Japon en France. L'empereur l'a fait vicomte. C'est l'artisan de la paix entre la Russie et le Japon. Dernièrement, il a mené des négociations avec les États-Unis. Un échec, selon lui. À présent, il se prépare à la fin de la guerre, il va négocier la paix et ensuite, il sera de nouveau ambassadeur. Nous sommes en France pour quelques années. D'où mon arrivée miraculeuse à Beauxbâtons. Je crois que le fait que monsieur Fontebrune parle japonais, a un rapport avec ma chance de poursuivre mes études sorcières. Il était important que vous connaissiez ma véritable identité.
—C'est le secret qui a duré cinq minutes avec Hercule, souligna Sigrid.
—Il est épatant. Quel secret lui résiste vraiment?
—Il y en a. Ici, notamment.
—On peut leur dire, coupa Eugénie.
—Oui, répondit Hercule. Cette caverne est dans la salle du Sondeur. En fait, ici, c'est la salle du Sondeur.
—Pardon? Mon passage pour la répartition fut assez bref, mais ce n'était pas comme ça, dans mes souvenirs. À part les isoloirs, là-bas.
—J'ai du mal à vous comprendre, Hercule. Nous sommes dans la salle… dans un passage souterrain?
Le Belge expliqua alors qu'il y avait des astuces avec les inventions de A.D, que les isoloirs renfermaient des secrets, que tout le château en dissimulait. Il éclaira les mystères d'Alpha, aussi efficace que du Veritaserum si on savait le manipuler. Ensuite, il les invita à se rendre dans le tunnel. Au bout de quatre cents mètres, les enfants éclairèrent la porte de pierre scellant le passage. L'utilisation de la magie, à cette distance, inquiéta la blonde aux yeux bridés.
—Hercule, le Ministère ne dit rien à propos de l'usage de la magie hors du château?
—Non. Ce qui me fait croire qu'en dépit de l'éloignement, la magie considère que nous sommes toujours dans l'enceinte du bâtiment. Ce n'est pas la même chose avec les souterrains qui serpentent sous le domaine.
—Des souterrains? Il y a des secrets que je ne connais pas…
—Chaque chose en son temps. Voici l'un des mystères qui nous résiste. Nous n'avons pas trouvé le moyen d'actionner les runes. Il n'existe pas d'ouvrage ou d'éléments concernant cet endroit à la bibliothèque.
—Vous n'avez aucune idée de ce que cela cache?
—Non, Shin. Nous supposons juste que c'est une des cinq sorties secrètes de l'école.
Katarina s'approcha, effleura les symboles runiques gravés dans la pierre et suspendit son geste. Elle revint en arrière et réitéra son manège.
—Il y a toujours eu ces runes?
Hercule répondit:
—Oui.
—Le même nombre?
—Tout à fait. Vous pouvez vous fier à ma mémoire.
—Vous avez remarqué qu'il y a deux types de runes? Certaines sont rugueuses et la plupart sont lisses, sans arêtes.
—Comment?
Le garçon se rapprocha et éclaira les gravures. Rien ne les différenciait à l'œil nu.
—Passez votre main. Là, rugueux. Là, poli.
—Nom d'un Gnome! Vous avez raison!
—Ça se répète. Il y a deux sortes de runes rugueuses. Celle-ci et celle-là. Les runes ᚷ et ᛒ.
—GER et BEORC. En fait, il y en a…
Le garçon fit un rapide calcul de tête.
—ᚷ apparaît onze fois et ᛒ douze fois dans le texte.
—Tu crois qu'il s'agit de la répétition d'une lettre?
—Peut-être, Sigrid.
Shin s'avança à son tour et effectua un comptage, à la lumière de son Lumos Maxima. Puis, il livra à voix haute:
—Je suis très loin d'être expert en mathématiques et je suis novice en runes, mais il en manque, non? Monsieur Piedargile dit que les alphabets runiques comptent un peu moins de symboles que l'alphabet latin. Mais là, il y en a que la moitié.
—Vous avez raison. Les sorciers qui les ont gravées, ont dû estimer qu'il y avait assez de symboles pour perdre les explorateurs éventuels. Imaginez un mot de passe composé de quatre symboles. Si nous avons le droit de réutiliser le même plusieurs fois, cela donnerait 12121212 possibilités soit 20736 mots possibles. De quoi occuper des élèves pendant toute leur scolarité.
—C'est énorme, déclara Umbelina. Ce n'est pas aujourd'hui que l'on trouvera la suite.
—La suite…
Katarina leva le doigt, comme si elle était en classe. Cela fit sourire Hercule. La jeune fille en fut confuse puis, elle poursuivit:
—Il y a comme une sorte d'harmonie mathématique ou des mathématiques harmonieuses.
—Je la perçois aussi, affirma le Japonais.
—Une suite, répéta machinalement le Belge.
Soudain, tout lui parut clair.
—Une suite! Regardez! Les douze runes présentes apparaissent un nombre de fois précis. ᚻ qui se prononce HAEGL, je n'en compte qu'une. NYD existe en cinq exemplaires. TIW se retrouve neuf fois. Pareil pour tout le reste. Chaque rune apparaît un nombre de fois différent. Cela donne une suite allant de un à douze.
—Hercule, tu crois qu'il faut presser les runes autant de fois qu'elles existent dans le texte, dans l'ordre croissant?
Suivant le conseil de Sigrid, le garçon commença par la rune unique, suivie de la rune répétée à deux reprises, celle à trois et ainsi de suite. Il supposa qu'il fallait commencer par le haut et la gauche. Lorsqu'il eut appuyé sur chacune des runes, rien ne se produisit.
—C'était trop beau! enragea le Belge.
Katarina s'imposa entre la porte unique et ses camarades. Elle s'étonna:
—Est-ce que c'est normal d'avoir tapé les quatre runes de Lonicera, dans l'ordre?
—Les pavillons. Je crois avoir tenté ces combinaisons, dans n'importe quel ordre. Cela n'a rien donné.
—Attends. Katarina a raison. Les runes d'Aloysia sont en position un, deux et trois.
—Lonicera suit avec quatre, cinq, six et sept, confirma Umbelina.
—Urtica est bien en huitième, neuvième et dixième position, termina Shin.
Katarina enfonça le clou.
—Il reste les deux runes récentes. Qu'est-ce qui manque?
—Le quatrième ordre: Gerbera. Il a été créé avant notre première visite dans le tunnel.
—La magie a opéré, Hercule. Les trois ordres existent depuis toujours, les runes sont polies. Mais en créant le quatrième, vous avez forcé la porte à modifier son code. De nouvelles runes se sont multipliées. Quant à la troisième, elle existait déjà dans le mot Lonicera. Si cela se trouve, une simple pression sur chaque rune dans l'ordre croissant de création, suffit.
Sa main vola au-dessus des symboles à douze reprises. La roche trembla. De la poussière terreuse tomba du plafond. La porte minérale glissa sur le côté, avec lenteur. À peine entrouverte, une lumière aveuglante envahit le tunnel tandis qu'un grondement terrible, un brouhaha pareil au grésillement des postes de TSF moldus, résonna jusqu'au Sondeur Alpha. Lorsque leurs yeux furent accoutumés à l'éclat, ils discernèrent un monde infini.
Terrifiés, les enfants avaient reculé et la lourde paroi rocheuse, couverte de runes, était revenue à sa position initiale. La luminosité stellaire et l'assourdissement avaient cessé d'un coup.
—Par Flamel! Qu'était cette immensité? Avons-nous vu la même chose? Il n'y avait ni début, ni fin! Quelle clarté aveuglante!
—Et ce bruit effroyable! J'ai cru que l'Autre allait se montrer, lâcha Sigrid de manière involontaire, avant de se reprendre. L'Autre… côté du tunnel. Mais il n'y a rien eu qu'un gigantesque enchevêtrement de millions de sphères lumineuses reliées par des milliards de liens. Ça ressemblait à… Hercule, tu nous en as parlé, cet été.
—Les neurones.
—De quoi s'agit-il? demanda l'autre Urticant.
—Un Moldu, nommé Santiago Ramón y Cajal, a découvert que notre cerveau est constitué d'éléments nommés neurones et de connexions appelées synapses. Notre intelligence repose sur les connexions et l'accès aux informations unitaires contenues dans les neurones. J'avoue que cela ressemblait à l'intérieur d'un cerveau gigantesque.
—C'était pas celui de mon père! Le sien n'est pas aussi actif sauf quand on mentionne mon prénom!
Eugénie amusait la galerie, pour ne pas changer.
—Mais là, les liens se créent et se défont à toute allure. Dans un cerveau, chaque lien dure ou meurt. Shin, vous semblez perplexe.
Le nouveau membre de l'ordre illustra sa pensée par des gestes.
—J'y vois plutôt des âmes perdues, jetant d'innombrables ponts entre elles, à la recherche de leur sœur. Une activité éternelle jusqu'à la rencontre. Après, peut-être fusionnent-elles, ces sphères!
—C'est si poétique, admit Katarina avec un sourire lumineux et des papillons dans les yeux. J'adhère à cette explication. Le bruit assourdissant, ce sont les mots, les conversations entre elles.
—Cela mériterait un haïku. Le contexte s'y prête.
—Des milliards de conversations? Pour des millions d'âmes? J'ai déjà du mal quand je me parle à moi-même! s'amusa Eugénie.
Umbelina donna son avis:
—Plus je pense au cerveau, qui nous paraissait gigantesque, plus je pense à Alice au pays des merveilles. Cela pourrait être l'entrée dans un monde aux dimensions différentes. Comme dans le roman de Lewis Carroll.
—Je vois. Un chemin pour passer dans l'infiniment grand et vice-versa. Comme si ce tunnel était un conduit auditif d'un cerveau titanesque. Celui d'une créature différente.
—Voilà, Hercule. En tous les cas, quoi que ce soit, nous n'aurions pas trouvé sans l'aide de nos deux nouveaux membres. Bravo à vous! félicita la Portugaise en battant des mains. Vous méritez vos Gerberas! Eugénie?
—Hein? Ah oui!
La fille d'Alfred fouilla dans toutes ses poches avant de mettre la main sur deux fleurs en tissu. Elle ordonna:
—Approchez-vous. Retournez le col de votre uniforme. Parfait!
Elle appliqua, à deux reprises, le tissu orné et dicta en pointant sa baguette:
—Vestimenti sutura.
Un fil d'argent, sorti de la pointe, courut tout autour de l'emblème.
—Je m'en suis occupé. Ça tiendra. Umbelina a choisi la couleur: fuchsia pour vous deux. J'avais proposé du blanc, mais je crois que c'est mauvais, pour toi.
—Tout à fait, Eugénie. Au Japon, c'est une mauvaise couleur, signe de mauvais présage. En France, je crois les présages sont plus compliqués comme ne pas offrir des œillets, pas de fleurs jaunes.
—Exact!
—À quoi va servir la fleur, hormis à valider notre entrée dans le quatrième ordre?
Le quatuor historique se dévisagea et Sigrid dévoila le pot aux roses.
—Vous pourrez accéder au quartier général.
—Vous avez un quartier général? Dans l'école?
—Pas tout à fait. On vous fera bientôt les honneurs. Hercule, je pense qu'on ne devrait pas s'attarder. Hercule?
L'intéressé avait le regard fixe, perdu. Il était hermétique, focalisé sur l'univers entraperçu derrière la porte runique. C'était terrifiant et attirant. La machine Van Betavende était en marche.
Le Belge, accompagné de ses camarades, avait organisé la sortie des isoloirs et du degré dix. Il avait mis en garde les deux nouveaux: la salle du Sondeur et ses secrets représentaient un danger. Il les avait exhortés à ne pas se rendre seul chez Alpha. Ils avaient enregistré les avertissements, surtout le Japonais, convalescent. Les enfants s'étaient ensuite promenés dans le domaine. Les deux nouveaux étaient heureux d'avoir pu contribuer à la résolution d'une énigme, même si elle en avait généré une nouvelle. D'un commun accord, les membres originels avaient confié travailler sur des prophéties ardues de Claire Obscur, dont celle annonciatrice de la fin du monde en 2061. La nouvelle les avait choqués.
Durant ces conversations, Hercule avait paru absent, l'esprit toujours tourné vers le monde enfoui dans le tunnel. Dans son esprit, les questions s'accumulaient et la liste des tâches à mener pour y apporter des réponses, ne cessait de s'allonger.
Pour lui, il devenait de plus en plus évident que Gervais Delacour, brillant artisan sorcier, prince des mots de passe et autres astuces pour accéder à des secrets, n'avait pas tout dit sur le Sondeur dont son entreprise avait autrefois conçu les isoloirs. Il savait, il avait vu. Hercule devait déterminer si Gervais, contemporain de Jean Racine lors de sa scolarité, avait été ami avec le professeur de sciences. Si c'était le cas, comme il le soupçonnait, l'animateur du club scientifique savait ce que la porte runique masquait.
Parvenu au pied de l'arbre menant à la Cabane invisible, le groupe s'arrêta à la demande de Sigrid.
—À présent, répétez ceci: je jure de servir la vérité.
Ils se conformèrent à la demande. La Cabane dans les arbres devint visible et provoqua leur stupéfaction. La meilleure élève de tous les temps rajouta:
—Montrez le revers de votre col d'uniforme. Mettez-le en évidence devant l'arbre.
Les enfants obéirent. Le pin fit pousser des branches horizontales, sur une soixantaine de centimètres de large. Il se couvrit de marches végétales sur plusieurs mètres. Les enfants grimpèrent à vive allure. Eugénie crut bon d'ajouter:
—Je voulais mettre une autre formule plus sympathique comme «je jure de servir Eugénie Beauxbâtons», mais les autres ont voté contre.
—On se demande pourquoi, ironisa Hercule.
—Comment la cabane peut-elle rester invisible? demanda Katarina.
—Elle est enduite d'un vernis saturé de poils de Demiguise. Seule la formule et la fleur débloquent l'accès.
Le pont-levis s'abaissa à leur arrivée. Ils purent constater que le quartier général, à l'instar des pavillons, disposait de son propre fronton runique. La Russe reconnut les symboles.
—Gerbera.
—Exact!
—Existe-t-il une protection, comme dans les autres pavillons?
—Oh oui! Si quelqu'un grimpe dans l'arbre et vient à la cabane sans fleur, sans âme dévouée à la recherche de la vérité, il reçoit un châtiment très gênant, s'enthousiasma Umbelina.
La porte fut ouverte et les nouveaux s'extasièrent. La création disposait d'un fabuleux sortilège d'extension.
—Quel est le châtiment?
—L'impossibilité de mentir pendant vingt-quatre heures. Pire: dire la vérité, quoi qu'il en coûte!
La révélation parut allumer une ampoule moldue dans l'esprit de la jeune franco-russe.
—Vous l'avez testé sur un élève. Rosier, vers la fin de l'année scolaire. Il était devenu très bavard, sans filtre, pire que d'habitude. C'était votre œuvre!
—Exactement! Bravo, ma chère! Vous avez déjà l'esprit de déduction essentiel à l'ordre.
Les enfants s'installèrent et prirent un goûter organisé par Eugénie toujours à cheval sur la logistique nourricière. Ils échangèrent avec chaleur, voulurent tout savoir des aventures du quatuor, furent fascinés face à leur rocambolesque transport de la cabane, la folie et l'ingéniosité de tous. Le Japonais regretta de ne pas avoir pu assister à autant de péripéties. Au bout d'une heure, Hercule leur rappela le but de leur ordre: la vérité. Il alla alors chercher le parchemin et la fiole de la prophétie bleue. Il leur relata les circonstances de l'arrivée de cette prophétie spéciale et leur avoua où se trouvait le reste. Il ne passa pas le moindre détail sous silence, confiant le rôle de Mysterio Flamingo et l'ignorance de Claire Obscur. Enfin, il avoua que cette prophétie bleue était une anomalie dans le paysage de la voyance de la femme. Il leur fit la lecture du texte et se heurta à une incompréhension conjuguée de la Russe et du Japonais. Le texte était abscons et les deux nouveaux, polyglottes, confessèrent ne pas connaître de langues similaires au texte. De plus, Katarina souligna que les prophéties d'Obscur étaient rouges.
Shin demanda alors à manipuler le tube de verre. Dès qu'il l'eut en mains, il ressentit du froid. Il se crispa, se mit à claquer des dents. La matière lisse se couvrit de givre, puis de glace. Le froid devint morsure, puis brûlure. Il dut s'arracher la peau pour décoller l'objet de ses doigts. Il poussa un cri strident au moment de la séparation.
—Bon sang!
—C'est si glacé! Ça fait mal! Oh!
—Vite, partons au château, à l'infirmerie! ordonna Hercule.
—Attendez! répliqua la victime, serrant les dents, les sens malmenés par la douleur. Katarina, s'il vous plaît… Essayez.
Elle leva ses immenses yeux bleus bridés sur lui, étonnée. Puis, elle comprit ce qu'il espérait d'elle. Des mots. Elle paniqua.
—Je… je peux pas. C'est trop grave!
—Plus grave qu'un sommeil éternel?
—Je…
—J'ai confiance, jura le Japonais. J'ai confiance.
Elle ferma les yeux, posa la main droite sur la poche où se nichait sa baguette, contre son cœur. Elle effleura les doigts meurtris du garçon et laissa l'inspiration la guider:
—Quartier invisible,
Un maléfice glaçant,
La chair suppliciée.
Moment hors du temps,
Je connais le contre-sort,
Regard guérissant.
Comme si elle avait usé d'un onguent à l'efficacité redoutable, ses paroles effacèrent les lésions. Le garçon retrouva l'usage de ses doigts. Katarina ouvrit les yeux et se mordilla les lèvres, ébahie par sa capacité magique.
—Alors là, ça me coupe la chique! Elle m'épate, elle m'épate, elle m'épate!
Le compliment d'Eugénie alla droit au cœur de la Russe. Shin la remercia d'un regard signifiant ««tu n'as pas à douter».
—La prophétie est protégée contre la voyance. Ça n'a pas de sens.
—Je suis d'accord avec vous, Sigrid. Ce que madame Obscur désire par-dessus tout, c'est interpréter tous ces messages, afin de comprendre et d'avertir. Claire n'aurait jamais l'idée tordue de l'empêcher.
—Elle n'a pas les compétences, ajouta l'héritière des Flamel. Alors?
—Le Sondeur qui se défend contre la voyance, cette fiole qui en fait autant. Je suis sûr que ces deux maléfices ont été créés par la même personne.
Le fils du vicomte avança une hypothèse:
—Pourrait-il y avoir un autre voyant dont le pouvoir se manifesterait d'une manière similaire?
—Imaginez que quelqu'un ait trouvé le moyen de récupérer les voyances de Valentine, suggéra Katarina. Enfermer son Patronus. Le résultat pourrait être bleu, non?
—Ce sont des explications qui tiennent debout. Nous avons supposé une arrivée précise de cette fiole dans les affaires d'Eugénie. Nous nous sommes peut-être fourvoyés.
—Vous dites que Claire ignore où sont ses prophéties, sauf celles accomplies cet été. Supposez que d'autres élèves ou professeurs sachent où elles sont. Supposez que la personne qui met le bazar depuis le début de l'année, sache où sont les prophéties et qu'elle en ait découvert une qui la concerne, qui la dénonce. Elle lui a jeté un sort et c'est terminé. Madame Obscur ne s'en apercevra pas puisqu'elle est incapable d'accéder à la cachette. Pire: la plupart du temps, c'est le médicomage qui les a récoltées sans qu'elle ne sache de quoi il s'agissait. Même si, je suppose, elle les consultait avant de les confier au professeur Flamingo, elle est incapable de se rappeler toutes les prophéties, étant donné qu'elle a prédit des centaines d'événements. Aujourd'hui, si elle allait dans le coffre, elle ne serait pas plus avancée.
Les arguments de Katarina étaient de poids. La Russe, prenant de l'assurance, poussa le raisonnement plus loin:
—Même si Hercule retourne là-bas, qu'il utilise sa mémoire extraordinaire, rien ne dit qu'il verra une différence. Et s'il en voit une, s'il détermine quelle fiole a été ensorcelée avant qu'elle ne se retrouve en possession d'Eugénie, il sera incapable de dire ce qu'il y avait auparavant puisque vous n'en avez consulté que quelques-unes.
La démonstration était imparable.
—Il faut retourner dans le coffre, conclut Hercule. En avoir le cœur net. J'irai seul sous terre et là, nous serons fixés sur l'origine de la fiole. Cependant, à la lumière de sa réaction face au talent de Shin, nous savons qu'elle a été ensorcelée pour taire un secret. Quand, comment, où, nous l'ignorons.
—Qui pouvons-nous prévenir? Elvira? Cette histoire de fiole bleue nous dépasse, s'inquiéta Sigrid.
—Peut-être madame Obscur. De façon indirecte. Une expérience avec Shin. Il faudrait qu'elle lui propose une de ses fioles.
Eugénie réagit avec vigueur:
—Mauvais plan, l'amateur! Tu vas lui mettre la puce à l'oreille, elle va se persuader qu'un événement imprévu est survenu avec ses prophéties. Et comme nous ne sommes pas supposés en posséder, elle va comprendre, se déclencher une vision à ce sujet et tu seras marron.
Hercule ne pouvait pas la contredire, sans révéler être en possession de la prophétie annonçant la venue du fauteur de troubles. Il se rattrapa de son mieux.
—Pas si je lui présente sous la forme d'une stratégie sur la voyance.
—Mouais. De toute façon, j'aime pas cette bonne femme. Elle va nous dénoncer ou nous attirer des ennuis. Je crois à la malédiction jetée sur la fiole. Ton expérience ne t'apportera rien parce que Shin ne sera pas blessé. En plus, je te trouve un brin tortionnaire sur les bords, sur ce coup-là.
—Vraiment?
Les filles hochèrent la tête et l'intéressé estima avoir assez donné de sa personne. Hercule le concéda:
—D'accord. Oublions cette idée. Après tout, comme notre divinatrice ignore tout du coffre, elle ne pourra pas nous soupçonner d'en ramener une ou deux, au hasard. Histoire d'étudier, de comparer. Pourquoi pas celle de la fin du monde?
—Si je tente de vérifier votre interprétation, il serait préférable que…
—… je sois à vos côtés si vous touchez la fiole et que cela tourne mal.
—Merci, Katarina, papillonna le Japonais.
Hercule la taquina:
—Vous êtes désormais indispensable, ma chère!
—Toutes ces intentions sont magnifiques, mais nous sommes toujours à l'arrêt avec cette fumerolle bleue.
Hercule secoua l'index:
—Pas tout à fait, Sigrid. Dès que j'aurai visualisé la réserve, je pourrai comparer dans mon mental. Nous aurons fait un pas.
Les enfants se mirent d'accord pour le meilleur créneau d'intervention. La semaine était exclue, les soirs, susceptibles d'être consacrés à l'observation des astres, trop dangereux. L'instant idéal, c'était le samedi matin, très tôt, bien avant le club de duel officieux. Umbelina surveillerait l'escalier, Eugénie l'intérieur de l'observatoire et Hercule s'enfoncerait dans le passage secret pour aller photographier, avec ses yeux, les étagères. Il vérifierait la présence d'autres fioles bleues et les prendraient en priorité. Une analyse aurait lieu le dimanche suivant, après l'accomplissement des corvées.
Le plan était au point. Le groupe décida de quitter le quartier général en ordre dispersé afin de ne pas attirer l'attention. Shin et Katarina partirent ensemble sous le regard attendri d'Hercule. Une paire d'yeux les observait en silence.
1«Réparation» en russe.
