Sortilège 20: les règles du Quidditch
Au soir du 15 octobre, les membres de l'ordre Gerbera s'étaient dispersés à vive allure, sitôt les cours achevés. Sigrid, comme à son habitude, s'était rendue à la bibliothèque pour travailler en compagnie de Noël et d'Émilie. Umbelina avait disparu avec l'équipe de Quidditch de Lonicera au beau milieu de la forêt du domaine. Shin avait mis le cap sur le pavillon à l'ortie, baguette allumée, avec la ferme intention de se rendre dans la source chaude, muni de ses cours. Il était déterminé à combler ses différents retards et à vérifier les propriétés curatives de l'eau. Katarina, défaite une fois de plus au cours de duel par d'Arcy, s'était isolée dans la salle blanche de Lonicera.
Eugénie, après avoir découvert un paquet dans son casier à courrier, s'était réfugiée dans sa chambre. Elle s'était assurée que Hautefeuille et Toscanini ne débarqueraient pas en douce dans sa chambre. Elle s'était installée à son bureau et avait déballé le colis. Il contenait une lettre et un cube de bois. En fait, non, il ne s'agissait pas d'un cube à six faces de 10cm de côté, mais d'un solide en noyer composé de douze faces. Elle avait dû prendre connaissance du courrier pour découvrir le nom de cette forme géométrique.
«Très chère Eugénie,
Nous avons bien reçu le paiement de deux Gallions pour le calendrier perpétuel en bois de noyer. Grâce à ce dodécaèdre affichant douze mois, vous pourrez noter, jour après jour, vos tâches, des dates d'anniversaire, vos réflexions, vos devoirs, vos rendez-vous ou qui sait, vos punitions. Les sorciers étourdis ou tout simplement très occupés, préfèrent les calendriers Delacour au Rappel-tout bien plus imprécis.
Le fonctionnement est très simple. L'objet répond à quatre ordres:
—Móno o Iraklis: conformément à vos demandes, il s'agit de la phrase qui permet d'activer l'objet. Le calendrier glissant –six mois avant la date du jour, six mois après–apparaîtra aussitôt.
—Quel jour sommes-nous? À cette question, vous verrez, illuminé en vert, le jour de la semaine, le jour du mois et le mois.
—Quel est l'agenda? Vous verrez alors, en rouge, les jours passés ayant contenu des éléments rédigés de votre main. En bleu, les jours à venir où vous avez déjà pris des notes.
—Finite Labor: ces deux mots verrouillent le dodécaèdre et les inscriptions disparaissent.
Lorsque l'objet fonctionne, il vous suffit d'appuyer sur la date désirée et un morceau de bois de 10cm de longueur sort. Ensuite, vous le tirez, vous déroulez le morceau de parchemin de 9cm sur 30 qu'il contient, grâce à la molette, vous notez vos rendez-vous, etc, vous roulez le parchemin dans le morceau de bois et vous remettez en place dans le logement libre.
Le calendrier perpétuel efface les écrits passés depuis plus de six mois. C'est automatique. Lorsque vous rédigez, si vous commettez une erreur, tout est prévu! Chaque parchemin est enchanté: il suffit de rayer une phrase et elle disparaît du document. Pratique pour éviter les ratures!
Vous verrez, à l'usage, vous ne pourrez plus vous en passer! Si vous avez des questions, nous restons à votre écoute. Bon travail.
Bien à vous.
G. Delacour
P.S: si des élèves sont intéressés, nous avons encore quelques calendriers en stock. Cependant, nous ne pourrons pas en fabriquer de nouveaux. Nous devons changer notre fournisseur d'acacia auriculis, car monsieur Faulkner ne répond plus à nos demandes.»
Le trublion d'Aloysia voulut le tester sans tarder. Elle prononça la phrase clé activant le solide.
—Móno o Iraklis!1
Les faces se couvrirent de lettres et de chiffres. Elle demanda la date du jour: le m de mardi et le 15 s'illuminèrent sur la face du mois d'octobre.
—Génial! Alors…
Elle tourna la pièce de bois jusqu'à faire face à janvier 1919. Elle enfonça le numéro 22 et le morceau de bois, appuyé sur un ressort, s'éjecta en émettant un «clic». Elle le sortit, tourna la molette et déroula la totalité du parchemin. Elle prit sa plume d'oie, la trempa dans une encre bleue et traça:
—Anniversaires d'Hercule, de Sigrid et d'Umbelina. Et moi. Euh… non, pas moi.
Elle raya la dernière mention. Elle disparut.
—C'est génial! Pour deux Gallions, c'est une affaire.
Elle remit le tout en place. Puis, elle demanda:
—Quel est l'agenda?
Elle tourna son calendrier dans tous les sens. Seul le 22 janvier s'illumina en bleu.
—Parfait! Maintenant, la chose à ne pas oublier.
Elle éjecta la réglette du 1er avril, déplia le support et inscrivit:
—Fouiller l'infirmerie et l'appartement de mon père. Chercher n'importe quoi sur son passé militaire. Récupérer tous mes biens et mes derniers vêtements dans ma chambre.
Elle le réinséra dans l'emplacement vide, contrôla que le premier avril s'allumait en bleu et ordonna:
—Finite Labor.
Le dodécaèdre redevint un morceau de noyer anodin, au détail près que ses faces avaient été biseautées par un artisan. Elle fouilla dans son sac d'école, sortit ses parchemins, ses manuels et attrapa son couteau enveloppé dans un tissu. Elle ne l'avait pas interrogé depuis ses essais en Belgique. Elle empoigna son arme blanche et ressentit cette douce chaleur, pareille à celle d'un bon feu où se réchauffer après une pluie glaciale. Elle ferma les yeux, tenta de ramener la paix à l'intérieur de son esprit et questionna enfin:
—Dois-je parler de mon enquête à quelqu'un?
Elle ouvrit les yeux sur une larme inerte. Son couteau lui conseillait de fouiller en secret et de taire le résultat de ses trouvailles. La réponse de la dague enchantée avait de quoi surprendre. Après tout, ce n'était qu'un tout petit mystère.
Elle reposa l'arme et s'empara du parchemin où elle nota, vite fait, les devoirs donnés par les enseignants. Elle le lut jusqu'au bout et soupira. Les études la dégoûtaient à un point incommensurable. Dans trente minutes, le restaurant ouvrait et c'était bien plus passionnant.
Hercule s'était réfugié dans le quartier général de l'Ordre Gerbera. À l'inverse d'Eugénie, le Belge était à jour dans ses travaux scolaires. Il avait hâte d'être au club de sciences, au club de Cecrabebleu et surtout, il espérait voir Shin en action sur un balai, le service médical l'ayant enfin autorisé à reprendre les entraînements sans Cognard. Néanmoins, il n'était pas assuré d'être titulaire lors du match Urtica-Aloysia prévu le dimanche suivant. En attendant le mercredi réjouissant, Hercule décida de s'attaquer à la rédaction d'un grand tableau. Sur chaque ligne, il inscrivit le nom d'un élève ou d'un professeur, voire d'un employé de Beauxbâtons, elfes de maison compris. Puis, il ajouta des en-têtes de colonne. Date de changement du comportement, évènement déclencheur, mobile pour déstabiliser l'Académie, caractère d'étrangeté, capacité sorcière (forces et faiblesses), aide extérieure, alibi lors d'un événement survenu dans l'Académie. Il était assez satisfait lorsqu'il estima devoir multiplier la colonne alibi par le nombre d'événements survenus. Puis, il eut une idée lumineuse, si évidente qu'il se demanda comment il avait pu faire pour ne pas l'avoir eue auparavant. Elle lui était inspirée par la vision de son plumier enchanté.
—Van Betavende! Tu disposes d'un objet signé A.D pour dissimuler le produit de tes enquêtes. Il semble évident que le fauteur de troubles, pour collecter des informations, mettre au point ses maléfices, dispose lui aussi d'un coffre, d'un sac ou d'un objet enchanté pour cacher ses manigances. J'ose espérer que ce n'est pas un enseignant ou un elfe de maison. S'il s'agit d'un élève, en possession d'un ouvrage interdit, il le cachera où personne ne pourra le trouver. Pas dans sa chambre: trop évident! Pas dans un espace public très fréquenté. À moins que… La bibliothèque. La colonne manquante. Un élève a peut-être trouvé un passage, dans le tonneau. J'ajoute un en-tête de colonne au document: objets dotés d'un sortilège. Qu'il soit à extension ou à accès par phrase-clé, peu importe.
À l'aide d'une règle, il traça toutes les lignes entre chaque nom et les rubriques. À la fin, il disposait d'un énorme tableau tenant sur 4 parchemins, recto-verso. Il commença par le remplir avec les éléments en sa possession. Cela lui prit près de quarante minutes. Il ne connaissait pas tous les élèves en personne bien qu'il ait pu mémoriser toutes les identités. Cependant, il constata un point, après la survenance des faits ayant troublé l'école: soit ils touchaient le corps enseignant, soit ils le touchaient lui et ses proches, ceux qui mangeaient à sa table. Casper avait changé de caractère, mais n'avait pas été agressé ou victime d'un épisode étrange. Sa propension à envoyer promener tout le monde n'était pas réservée à Hercule, mais appliquée à bon nombre d'élèves, de façon récurrente. Quant à Rosier, son talent pour semer la zizanie n'était pas une nouveauté. Il avait peut-être décidé de passer à l'acte. Ses oreilles avaient beau traîner, Hercule n'avait toujours pas capté de vantardise de la part du suprémaciste. Pourtant, la description physique de l'agresseur, établie par Shin, collait en tous points. Hercule désirait que ce soit Rosier, rêvait de pouvoir le démontrer et obtenir sa condamnation, suivie de son renvoi.
Hercule, pour garnir son tableau, devrait obtenir des informations fiables, sans poser de questions directes. Il devrait les recouper. C'était le travail de plusieurs Aurors pour traiter près de 700 individus. Il devait trouver un moyen d'éliminer plus vite des suspects potentiels.
Le garçon, satisfait de ce premier jet, roula les parchemins ensemble. Il prononça:
—Casus Apero.
La formule, signifiant peu ou prou «ouverture de l'étui», engendra un déclic dans son plumier. Il s'empara de la boîte en bois, fit glisser le couvercle et manipula la partie mobile. Deux coups à gauche, trois à droite, un dernier à gauche. Il reposa l'objet sur la table commune du quartier général. Tout se déplia en une myriade d'étagères, de logements, de casiers et le fond se changea en armoire de triage avec des dossiers suspendus. Il y avait tout ce qu'il avait demandé, rêvé. Il pouvait même insérer un éclairage derrière une vitre et y fixer une radiographie moldue. Il y avait de l'espace pour ranger un appareil photo et une Hyper-Loupe. Il pourrait ranger une trentaine de fioles, des fiches, des sachets de prélèvement par dizaines. Il déposa la fiole bleue, le texte associé, la fiole rouge du fauteur de troubles et le tableau croisé en quatre parchemins. Puis, il ordonna:
—Finite Labor.
Il ignorait, bien sûr, qu'un sortilège identique fermait le calendrier perpétuel d'Eugénie. Il quitta la cabane pour rejoindre ses camarades patientant devant la porte close du restaurant. Il regagna le sol, masqua son Gerbera et prit la direction du terrain de Quidditch. À quelques mètres du stade, il fut le témoin d'une scène surréaliste. L'équipe d'Aloysia s'entraînait, en vue du match à venir contre Urtica. Marcello Di Maggio, Souafle en main, fonçait vers les buts gardés par son coéquipier, Germain Delatour.
Soudain, sans qu'il n'y comprenne quoi que ce soit, la course de son balai devint erratique. La courbe de la trajectoire fléchit vers les hauteurs. Puis, contre toute attente, il effectua un virage à 90 degrés et accéléra au maximum des capacités du Friselune. Luisa Fellini, en vol stationnaire, ne comprit pas quel était le but de la manœuvre. L'attrapeuse n'avait que faire du Souafle. Elle ne réagit pas. Di Maggio la percuta de plein fouet, explosant le manche de son balai dans les côtes de l'adolescente. Les deux élèves chutèrent dans le vide. Mondague fonça sur sa monture, intercepta Luisa, inconsciente. Delatour se chargea de Marcello, mais son Astro 20, très maniable mais lent, idéal pour son poste de gardien, ne put arriver avant que l'Italien ne heurte la pelouse boueuse du stade.
Hercule, témoin, dans l'incapacité de faire quoi que ce soit, courut au château le plus vite possible. Il ne trouva pas le concierge et se rabattit sur le couloir de l'infirmerie. Il tomba sur Alfred, en compagnie d'Agathe Bonnelangue. Il vociféra:
—Vite! Il vient d'y avoir un grave accident dans le stade de Quidditch!
Les deux enseignants transplanèrent aussitôt, à l'initiative d'Agathe. Ils atterrirent au beau milieu de la pelouse. Les autres joueurs avaient regagné le sol. Luisa était blessée aux côtes, une grosse tache marron maculait son uniforme aux couleurs d'Aloysia. Elle était groggy, hagarde mais consciente. Di Maggio ne bougeait plus. Son corps était tordu.
Alfred lançait la panoplie de sortilèges à sa disposition tandis que Rose forçait Marcello à ingurgiter une potion Vitaclaire pour contraindre son corps à réagir. En quelques minutes, la nouvelle avait fait le tour de l'Académie et les élèves étaient accourus de partout. Les professeurs et Sébastien tentaient de juguler la cohue sous la pluie battante tandis qu'Alfred faisait tout son possible pour réanimer le garçon.
Hercule et ses amis assistaient, impuissants, aux efforts conjugués du corps médical. Elvira leur faisait face, un air de désespoir et de résignation dans le regard. Umbelina semblait la plus touchée, peut-être parce qu'elle était une mordue de Quidditch et qu'elle éprouvait du respect, de l'amitié, de l'admiration pour ses coéquipiers comme pour ses adversaires. Alfred se mit à appuyer sur la cage thoracique de Marcello. La Portugaise comprit ce que cela signifiait. Le cœur du garçon s'était arrêté de battre.
—Madame!
L'espace d'une seconde, les défenses mentales de la jeune fille s'abaissèrent et Elvira entrevit la folie traversant l'esprit de son élève.
—Umbelina! Non! Pas ça! Tu vas…
Trop tard! Baguette en main, le prodige du Quidditch fonça sur le terrain. En deux secondes, elle fut près du duo de soignants et de la victime inerte. Elle hurla:
—Écartez-vous!
Elle les bouscula pour précipiter leur reculade. Sa baguette pointa droit sur le cœur de Marcello. Le vide total se fit en elle, comme si un Oubliette dantesque avait effacé toute son existence. La pluie rebondissait sur elle. Les gouttes changèrent de direction, s'écartèrent. L'électricité de l'atmosphère se concentra en elle. Elle puisa au fond de ses entrailles, fit remonter le courant dans son bras, son poignet, ses doigts. Elle murmura:
—Fulguracrucio.
Un jet de lumière blanche bleutée fila de la pointe au cœur et illumina le stade. Le sort ne dura pas plus d'une fraction de seconde. Le corps de Marcello s'arc-bouta et retomba. Quelques secondes s'écoulèrent dans le silence, devant la foule médusée, les professeurs stupéfiés par l'audace de la Portugaise. L'Italien inspira d'un coup, poussant un long râle, ouvrant les yeux. Il sembla perdu, affolé par l'immense attroupement l'encerclant. Il chercha sa baguette, entre les mains du docteur Beauxbâtons.
—Tout va bien, mon garçon! Tout va bien.
En dépit des paroles rassurantes, la victime semblait en proie à une terreur démente. L'adrénaline retomba et il finit par s'évanouir, terrassé par la douleur de ses os fracturés et des autres lésions endommageant ses organes. Le médicomage fit apparaître un brancard et déposa la victime avec le plus de précautions possible.
La foule d'élèves, incrédule, commença à murmurer. Les regards allèrent du brancard à la jeune fille de Lonicera, à quelques mètres de l'Italien. Elvira lui suggéra de venir se fondre dans la masse d'élèves, derrière le cordon de sécurité. Umbeijo obéit et se dirigea vers l'enseignante, le pas assuré, déterminée. Elle savait quelles seraient les conséquences. La référente Urtica ne la quittait plus des yeux, bouche bée. Une seule question lui taraudait l'esprit: quel bobard incommensurable allait-elle inventer pour expliquer le geste de son élève? Armand, à quelques pas d'elle, comprit d'où venait ce miracle. Il s'empara de sa baguette, tournoya sur lui-même et hurla:
—Oubliette!
Tout était allé si vite. Le breuvage d'Alfred avait accompli un miracle: faire repartir le cœur, tout en appuyant sur la poitrine à un rythme soutenu. Les élèves l'applaudirent avec chaleur ainsi que l'infirmière. Aidés de deux CHASSE-Médico, le personnel soignant évacua les Italiens. Armand pria les élèves de se disperser et peu à peu, le terrain fut clairsemé. Hercule se rapprocha des restes de balai. Celui de Luisa était presque intact, hormis un des étriers qui était tordu. Le manche du second était en morceaux. Monsieur Fontebrune se dirigea vers le Belge, comme s'il craignait que son sortilège n'ait pas été assez puissant.
—Van Betavende! Qu'est-ce que vous fichez? J'ai dit: tout le monde quitte le terrain.
—Je sais, Monsieur. Mais j'ai été le témoin de la collision.
—Un regrettable accident!
—Non et mes camarades d'Aloysia, sur le terrain ou en vol, en plein entraînement, pourront confirmer ce que j'ai vu.
—C'est-à-dire?
—Di Maggio a dévié sa course et a percuté Fellini, sciemment.
—Quoi?
Le directeur s'accroupit pour se mettre à la hauteur du garçon qui tentait de ramasser les morceaux de bois éparpillés.
—La stricte vérité.
—Que faites-vous?
Muni de ses gants, le garçon récupéra le plus gros morceau de manche brisé et ensanglanté. Il l'introduisit dans un sac en papier. Il le referma et le glissa dans une de ses poches d'uniforme.
—Je recueille les preuves.
—Des preuves?
—J'ai mis au point une potion pour détecter le sang humain. J'ai aussi élaboré une méthode de recueil d'empreintes de doigts et de comparaison fiable.
—Pourquoi puisque vous avez été témoin?
—Parce qu'une preuve irréfutable vaut mieux que tous les témoignages du monde. Je vais relever les empreintes de Di Maggio et les comparer avec celles que je trouverai sur le manche cassé de son Friselune. Je chercherai d'autres empreintes que les siennes, savoir si quelqu'un a trafiqué son balai.
—C'est évident qu'il a été envoûté! Pourquoi Di Maggio aurait-il fait exprès de percuter Fellini? Un différend entre eux? Je vais interroger leur référent. S'il y a eu embrouille, Wilfried l'aura su. Je vais convoquer l'équipe à titre de témoin. Vous viendrez.
—Bien sûr, Monsieur. Ce que je peux dire, c'est que Fellini ne s'y attendait pas. Elle a à peine réagi. Tout le monde sait pourtant à quel point elle est rapide, que ses réflexes sont étonnants. C'est comme si elle avait été stupéfixée juste avant l'accident.
—Je vois. Je vous autorise à prendre les empreintes de l'agresseur, de la victime et tout ce dont vous aurez besoin.
—Merci, monsieur. Je…
—Oui?
—J'ai le sentiment que c'était orchestré.
—Comme pour Shin?
—Oui, Monsieur.
—C'est pourtant impossible puisque j'ai refusé…
Il se rendit compte un peu tard que le garçon n'était pas supposé connaître des détails sur le fonctionnement de l'Académie. Il planta le Belge sur le terrain, dégaina sa baguette et lança un sortilège repoussant la pluie torrentielle.
Afin que les esprits se soient calmés mais que les mémoires ne soient pas altérées par une nuit de sommeil, le directeur avait convoqué les cinq joueurs de Quidditch encore valides ainsi que l'unique témoin de l'accident. Armand tenait à ce terme avant d'affoler qui que ce soit. Il n'avait laissé que 45 minutes aux enfants pour dîner. Hercule s'était rendu à l'infirmerie, avec l'autorisation d'Armand pour effectuer tous les prélèvements. Di Maggio, en miettes, était immobilisé avec une multitude d'attelles et de carcans. Le Belge avait effectué le relevé d'empreintes et l'avait adjoint à sa collection personnelle. Il avait extrait le morceau de manche recueilli sur le terrain, avait isolé une empreinte nette et avait effectué la comparaison. Le manche brisé était bien celui de Marcello. Il n'y avait aucune autre trace de doigt. L'envoûtement avait été réalisé sans toucher au balai. Un exploit.
Ensuite, il avait pulvérisé un peu de Sanguis Vestigia sur le bois brisé. L'odeur de pomme avait confirmé l'origine humaine du résidu. Le garçon avait remarqué que la couleur obtenue était turquoise. Surpris par le résultat, il était retourné à l'infirmerie et avait effectué des tests sur des compresses ensanglantées. Celles de Di Maggio ressortaient en bleu roi tandis que celles de Fellini donnaient du turquoise. Il avait noté dans un coin de sa mémoire de confirmer que Sanguis Vestigia pouvait distinguer, ainsi, un sang féminin d'un sang masculin.
Puis, dans le feu de l'action, une autre idée lui était venue à l'esprit: il s'était piqué le doigt et avait effectué une comparaison entre son sang et celui de Di Maggio. Le sortilège lui avait paru facile à créer:
—Sanguis Vestigia Ostentatio.
Rien ne s'était passé. Mais quand il avait relancé le sort de comparaison entre une compresse ayant servi pour la blessure de Fellini et le manche de bois brisé, les vestiges sanguins s'étaient illuminés sur les deux supports tapotés par la baguette.
Hercule avait exulté. Il était désormais en mesure d'identifier une victime ou un criminel grâce au sang et aux empreintes.
Dans le bureau du directeur, la tension était palpable. Armand voulait être assuré des faits.
—Vous confirmez le témoignage de Van Betavende?
—Oui, Monsieur, répondit Henri Mondague, le capitaine. C'est… incompréhensible. Il lui a foncé dessus.
—Et Fellini n'a pas réagi?
—Elle était léthargique.
—Oui, confirma Delatour. Une seconde avant, elle était aux aguets, surveillant les Cognards, scrutant le ciel à la recherche du Vif d'Or. Après, ce n'était plus une attrapeuse mais un pantin inanimé, une poupée de chiffon.
—Van Betavende? Vous avez pu effectuer vos tests?
—Oui, Monsieur. Je rédigerai le rapport dès demain sur la méthodologie comparative. Le sang sur le manche brisé et celui de Luisa. Le balai brisé et celui de Marcello. J'ai utilisé des gants pour ne rien compromettre. Cependant, il faudrait peut-être pousser plus loin l'analyse du balai de Marcello. Un briseur de sorts serait indiqué, s'il a été envoûté.
—Excellente idée. Et si le résultat est négatif?
—Un Confundo puissant. C'est le sortilège idéal contre Luisa. Par contre, pour Marcello, mes connaissances sont trop limitées. On peut exclure une potion prise sans le savoir. Le dernier repas était trop éloigné de l'horaire d'entraînement.
—Nous avons partagé une grosse gourde de jus de citrouille dans nos gobelets vers 18h10. Nous aurions tous été atteints de folie. Fellini comprise.
—Bien vu, Mondague. Je vous remercie, messieurs. Croisons les doigts pour que vos amis recouvrent vite leurs moyens.
L'équipée était sur le point de sortir du bureau lorsque la voix du directeur se fit entendre:
—Van Betavende!
Hercule s'était retourné.
—Restez deux minutes. Fermez la porte.
—Monsieur?
—Venez.
L'adulte l'invita à s'asseoir.
—Sale affaire. À quelques jours du match Urtica contre Aloysia.
—Vous croyez qu'un élève d'Urtica serait derrière cette manipulation?
—Qu'en pensez-vous?
—Je ne vous apprendrai rien en vous disant que certains individus, que je n'apprécie pas pour leurs théories suprémacistes, feraient des coupables idéaux. Mais justement, c'est trop gros.
—Je trouve aussi. J'ai sollicité de l'aide extérieure. Il y a trop d'événements, de plus en plus graves. Je relie cet accès de folie de Di Maggio aux autres anomalies survenues depuis le début de l'année scolaire. Je suis sûr que vous faites le même rapprochement.
Hercule avait rougi.
—Je prends ça pour un oui. Si cette folie gangrène l'école, la suspicion va s'installer partout, entre tous. Cela va se savoir, vous pouvez en être sûr. Les parents vont s'affoler et retirer leurs enfants de notre établissement. Ce sera un drame pour de nombreux sorciers sans ressources, sans famille, si nous sommes contraints de fermer.
—Je le crains, Monsieur.
—Je retiens votre idée d'un briseur de sorts. Il faut découvrir le moyen utilisé pour nous monter les uns contre les autres. C'est…
—… essentiel.
—Je n'ai plus le choix. J'écris au Ministère. Allez, passez une bonne soirée et prenez garde à vous. Vos capacités de limier pourraient vous attirer des ennuis.
—Je ferai preuve de prudence, Monsieur. Bonne soirée.
Le garçon avait quitté le bureau directorial et avait pris le chemin du pavillon Urtica. Le domaine était désert. Il était seul. Il était près de 20h30 et la lune, dans la phase ascendante de son premier quartier, était masquée par les nuages. La pluie était incessante.
Lorsque le garçon franchit le pont de la Rivière Enchantée, il fit face à une sirène jaillissant des eaux tumultueuses et s'aplatissant contre le parapet. Ses griffes lacérèrent le bois, sa nageoire s'agita avec violence. Hercule éjecta sa baguette et la mit en joue. La créature, éprise d'instinct de conservation, plongea aussitôt. Le garçon se pressa de rejoindre sa résidence. Il regagna la chambrée, sur le qui-vive, s'attendant à une embuscade de Rosier ou de n'importe quel autre individu. Son cœur battait la chamade. Il introduisit sa clef dans la serrure et tomba nez à nez avec Casper. Le Hollandais fonça sans crier gare et prit la direction de l'entrée. Il ne stoppa pas au niveau du numéro 4, mais sortit du bâtiment.
Un bref instant, Hercule fut tenté de rebrousser chemin pour lui dire de prendre garde aux sirènes. Puis, il se souvint que leur colocataire l'avait presque bousculé.
—Hercule? Ça va comme tu veux?
C'était Jacques. Rassurant, enthousiaste, à l'écoute.
—Je sors du bureau du directeur.
—Tu as tout vu? C'est vrai?
—Oui. Je ne crois pas à la thèse de l'accident.
—C'est dingue! Marcello, enfin, quoi, lui, un fou furieux?! C'est Di Maggio! C'est un gars sympathique, serviable, talentueux. Katarina était complètement retournée. Elle a souvent mangé à sa table et jure qu'il ne ferait pas de mal à un Pucestis. Et puis, franchement, foncer avec son balai, c'était le meilleur moyen de tomber et de se fracasser!
—Je suis tout à fait d'accord avec Jacques, ajouta Shin, une serviette nouée autour de la taille et les cheveux mouillés. Il faut être fou pour briser son balai sur un adversaire. Surtout à une pareille hauteur. En général, en vol, on se bouscule, on essaie de désarçonner, mais en préservant sa propre monture sinon, cela ne sert à rien. C'est d'autant plus incompréhensible qu'à l'entraînement, on évite de viser ses coéquipiers. Pourquoi une agression gratuite?
—Agression, oui. Gratuite, ça reste à voir.
—Hercule, pourquoi tu te promènes avec ta baguette en main?
—Comment? Ah oui! Une sirène vindicative qui s'est accrochée au parapet. La menacer a suffi à lui faire regagner le torrent.
—Encore les sirènes?
—Oui. Deuxième affaire. Je devrais le consigner.
—Vous devriez, confirma Shin.
Le sous-entendu «enquête-mystère» était limpide. Hercule grimpa dans l'armoire afin d'aller chercher ses affaires de toilettes. Il se rendit à la douche, se dévêtit et entra sous le jet d'eau chaude. Il prit appui sur le mur et pencha la tête, regardant le liquide couler jusqu'à l'évacuation. Ses membres tremblaient. La sirène avait voulu le tuer. La mise en garde d'Armand s'était accomplie.
Il s'assit sur le carrelage, ferma les yeux et vida son esprit. Une image s'imposa: un éclair bleuté.
Comme chaque mercredi, à l'issue du cours de sciences, les membres du club animé par Jean Racine se dirigeaient vers l'amphithéâtre Flamel. En arrivant, ils constatèrent que les portes étaient grandes ouvertes et que l'hémicycle était plein à craquer. Armand se tenait derrière le bureau, droit comme un i, entouré de ses consœurs et de ses confrères. Une inconnue s'était glissée dans le personnel de l'école. La femme, grande, brune, les cheveux courts, était vêtue d'une robe sorcière écarlate et coiffée d'un immense chapeau pointu carmin, augmentant sa stature. Lorsqu'elle bougea, sa robe fluide dévoila des cuissardes pourpres. Elle semblait agréable mais ne souriait pas, à l'instar des autres adultes. Les gradins étaient combles, les élèves s'asseyaient sur les marches, dans les allées, jusqu'aux pieds des professeurs. Hercule fut acculé près de la porte d'entrée, avec ses camarades du club. Armand réclama un silence impérial et il appliqua sa baguette sur sa gorge pour en amplifier la puissance.
—J'espère que tout le monde est là et écoute bien. Hier soir, j'ai envoyé un hibou au ministre de la Magie et au commandant des Aurors. Ils ont été mis au courant des anomalies frappant l'Académie. J'espère que les autorités vont agir sans délai. Comme vous le savez, je pense, hier soir, un nouveau drame a eu lieu. J'entends tout mettre en œuvre pour que les agressions cessent. Vous l'ignorez mais un élève a failli se faire attaquer par une sirène en franchissant le pont, trois heures à peine après l'accident entre Di Maggio et Fellini. Même si nous ignorons le mode opératoire, nous savons que la collision entre les deux joueurs de Quidditch n'est pas le fruit du hasard. Ils sont hors service pour le match de dimanche.
Un murmure envahit la salle. Ce double forfait faisait les affaires d'Urtica.
—S'il vous plaît! Après l'agression de notre élève japonais, c'est un autre élève de son ordre qui a failli être blessé hier soir. Monsieur Grossel, aidé de madame de Bazincourt, va sécuriser le pont pour qu'il ne puisse plus y avoir d'autres incidents avec les sirènes. Cependant, nous ne pouvons pas éviter tous les actes fomentés par le ou les traîtres. Oui, des traîtres, je pèse mes mots. Attendez-vous à des enquêtes serrées, à des fouilles poussées. C'est, hélas, dans ce contexte délétère que je vous demande d'accueillir madame Dune Dunne qui sera amenée à prendre la succession de monsieur Piedargile au poste d'enseignement des runes anciennes.
Une salve d'applaudissements polis salua son avancée et sa révérence devant l'Assemblée. Puis, la femme recula et s'intercala entre Abraham et Claire.
—Madame Dunne assistera au cours d'Abraham afin de s'imprégner de ses méthodes et des programmes. Ensuite, elle assurera les enseignements, les notations, sous le contrôle de notre vénérable professeur, jusqu'aux examens de fin d'année et au départ du titulaire.
Hercule détaillait la nouvelle venue, accordant une oreille discrète aux propos catastrophiques d'Armand, reparti sur son sermon, caressant le fol espoir que le coupable se dénonce dans la foulée. La quarantenaire dégageait une aura mystérieuse. Les yeux de la femme étaient différents de ceux d'Elvira mais tout aussi singuliers. Ils étaient dorés, entre or et cuivre. Hercule se posait mille et une questions sur elle car, il en était sûr et certain, elle n'avait jamais mis les pieds à Beauxbâtons. L'annuaire de l'Académie ne faisait mention d'aucune Dune Dunne. Le prénom de la femme avait été prononcé par Armand à la française, comme une dune de sable. Par contre, son nom de famille avait été dit à l'anglaise: dioune. Avait-elle fréquenté Poudlard, comme Sean McFlurry? Elle n'avait pas ouvert la bouche. Il était compliqué d'identifier un accent.
Armand poursuivit:
—Le match Urtica contre Aloysia est maintenu. Le capitaine remplaçant de l'équipe d'Urtica, Charles Schmitt, a fait preuve d'une initiative louable et a proposé de remplacer deux titulaires par de nouveaux joueurs. Tout ceci, afin de ne pas pénaliser Aloysia, contraint de procéder à des changements de dernière minute.
L'initiative d'Urtica fut saluée par tous les élèves. Hercule scruta la foule, à la recherche du point isolé, hors du nuage de la normalité. Rosier et sa bande ne validaient pas l'initiative de Schmitt, voyant dans la défection de Fellini l'occasion providentielle d'écraser Aloysia. Bref, rien de nouveau dans l'attitude de Thibaldus. Casper approuvait son mentor, s'abstenant de féliciter Schmidt pour sa sportivité. Soit le criminel était l'un d'eux, soit le traître était l'un des plus fabuleux comédiens que l'Académie ait accueillis.
—Je vous remercie de m'avoir prêté attention. Bon appétit à tous.
Armand, suivi des enseignants, se dirigea vers la sortie. Les camarades du club se placèrent contre les cloisons du petit couloir menant aux portes de l'amphithéâtre. Il observa le défilé des professeurs. Aucun d'eux n'eut de regard insistant sauf Dune dont les iris d'or, irréels, s'attardèrent sur sa personne. Il crut percevoir l'amorce d'un sourire sur le côté gauche de son visage, comme si elle était habitée par deux sentiments: la joie d'un côté, une immense retenue de l'autre. Elle poursuivit son chemin sans ralentissement ou déviation. Pourtant, l'espace d'une fraction de seconde, le Belge avait cru qu'elle allait stopper à sa hauteur, le saluer et lui dire:
—Alors, c'est vous, le célèbre Hercule!
Il se ressaisit et se dit que son imaginaire lui jouait des tours. Il l'avait cru, ce matin, au réveil et avait vérifié le parapet avant de le signaler à monsieur Grossel.
Une fois l'amphithéâtre vidé, les adhérents au club de sciences purent prendre place. Monsieur Racine choisit d'aider les élèves sur leurs devoirs et leurs leçons tandis que Hercule le questionnait sur une branche des mathématiques qui l'intéressait: les statistiques. Le garçon explorait toutes les méthodes qui lui permettraient de supprimer des noms de la liste des coupables potentiels. Les deux heures filèrent trop vite et le moment de se séparer arriva. Monsieur Racine, rangeant ses affaires, déposa sa baguette dans une boîte capitonnée de velours gris. Hercule remarqua la griffe sous la boîte, lorsque Jean s'en empara après l'avoir refermée. Il s'approcha du spécialiste des sciences et lui dit:
—Bel objet en bois.
—N'est-ce pas? C'est de l'orme.
—Une création A.D.
—Toujours aussi observateur. C'est un cadeau de Gervais Delacour. Vous l'avez rencontré l'année dernière, je crois.
—Tout à fait. Un homme charmant et passionnant.
—Je vous le confirme.
—Vous le connaissez bien?
Jean considéra la question avec amusement. Le petit Belge était futé, intuitif, vif.
—C'est un ami de longue date. D'autres questions, monsieur l'Enquêteur?
Le garçon rougit.
—Euh…
—Je vous vois venir, Van Betavende. Il vous faudra trouver les réponses autrement. Désolé!
—Cela ne coûte rien d'essayer.
Jean éclata de rire et ajouta:
—Hâtez-vous! Il vous reste deux heures de souffrance avec Agathe.
—Souffrance?
Hercule comprit que monsieur Racine savait qu'il était souvent battu à plate couture par Katarina.
—À bientôt, Professeur.
—Bonne fin de journée, Van Betavende.
L'enfant quitta l'amphithéâtre. L'enseignant retourna l'écrin en orme et considéra la marque A.D. Il ne put s'empêcher de penser:
«Il a compris. Il sait comment chercher. Du coup, je pourrais bien avoir besoin de ses talents.»
Les enfants s'étaient massés dans les gradins du stade pour assister au dernier entraînement des joueurs de Quidditch des trois ordres avant le premier match officiel de la saison, dans quatre jours. La séance touchait à sa fin. Monsieur Laflèche avait convaincu Shin de remonter sur un balai, harnaché comme jamais. Il avait promis de respecter les consignes médicales excluant toute libération de Cognard. Le Japonais ne se sentait plus aussi mal qu'au premier jour de réveil. Le professeur lui avait promis qu'il n'aurait qu'à arrêter les tirs des poursuiveurs les moins aguerris et que la séance ne durerait pas plus d'un quart d'heure. Eugénie, en vol, tentait d'envoyer le Souafle dans l'un des cercles, mais échouait à chaque tentative. Wilfried était perplexe: quel que soit le poursuiveur réserviste des trois ordres, le prodige nippon stoppait les tirs mais dès que Eugénie entrait en scène, elle mettait tout à côté. Les joueurs n'avaient pas le droit de garder leurs baguettes en vol et le Japonais n'échappait pas à la règle. Il l'avait déposée au vestiaire, comme ses camarades. Pourtant, les échecs continuels d'Eugénie avaient l'air surnaturels. La petite frisée enrageait: le forfait de Di Maggio lui entrouvrait une porte et elle ne passait pas une balle. Pourquoi l'entraîneur avait-il choisi de faire entrer l'impénétrable portier nippon au moment où elle passait des sélections? Pourquoi n'avait-elle pas hérité de Garcia, la passoire?
Alonzo, Sigrid, Katarina et Hercule étaient admiratifs.
—Umbelina est déjà passée?
—Oui, Hercule, répondit Jo. Je pense qu'elle repassera au poste d'attrapeuse face à Aloysia et Urtica. Fellini sera remise d'ici janvier.
—C'est certain. Quatre côtes en miettes, même avec du Poussos, c'est une blessure peu commode à guérir, vraiment mal placée. Elle doit souffrir le martyr. Quelles sont les nouvelles de Di Maggio?
Jo fit une moue dubitative et répondit:
—Il est à l'isolement. Personne n'a le droit de lui rendre visite. J'ai l'impression qu'il n'a pas seulement été atteint dans sa chair en se fracassant. Il y a autre chose.
—C'est inquiétant.
—J'espère juste qu'il n'arrivera rien à Umbelina, durant la rencontre.
—Vous l'appréciez.
Jo regarda Hercule dans les yeux et avoua, la gorge nouée par l'émotion:
—Bien plus que ça. C'est… Elle est…
—Exceptionnelle!
Sigrid entendit la réflexion et s'agita. Katarina ajouta:
—Hercule a été fantastique, aujourd'hui. Encore plus que d'ordinaire. Lui et Shin nous ont battues au Cecrabebleu! Exceptionnel!
Sigrid se mit alors à trembler, son regard devint noir. Elle plongea la main dans son uniforme et en ressortit sa baguette. Eugénie effectua un virage et fonça sur le groupe d'élèves. Elle bascula sous son balai, faisant l'andouille au maximum pour attirer l'attention de sa colocataire. Manœuvre réussie; Sigrid rengaina sa baguette.
—À l'endroit, Beauxbâtons! cria Wilfried. À l'endroit!
Eugénie, d'un violent coup de rein, remit sa monture dans le bon sens. Hercule dévisagea Sigrid. Elle oscillait entre amusement et colère d'une violence inouïe, comme si un flux et un reflux de vague passait dans son corps et son esprit.
—Fin de l'entraînement! siffla le référent Aloysia.
Shin décrivit une longue boucle avant d'atterrir en douceur. Le professeur Laflèche se porta à sa hauteur et s'enquit de son état de santé:
—Tout va bien, Ishii?
—Oui, Professeur.
—Pour un miraculé, ce n'est pas mal du tout. Pour dimanche, c'est à Schmidt de décider. Les Cognards seront de la partie et Mondague, le batteur d'Aloysia, ne fera pas de cadeaux. J'hésite… Il ne faudrait pas qu'un sale coup signe l'arrêt de ta convalescence.
—J'ai eu beaucoup de chance. Mon entraînement, sans conditions réelles, était très privilégié.
—Tu as eu de la veine, en effet. Beaucoup, même, fit le référent, soudain songeur.
—J'espère que la météo sera meilleure, dimanche. Cette pluie continuelle dégrade la visibilité. Un puissant Ventus…
—C'est le jeu! En janvier, il y aura de la neige. Tu n'as pas vu ça, à Mahoutokoro. Le Quidditch dans une tempête de poudreuse, c'est démentiel! Bon, allez, à la douche!
Les équipes se dispersèrent. Shin se rapprocha des gradins où il découvrit ses amis dont Hercule à l'air contrit et Sigrid au visage traversé par des émotions contradictoires. Le Belge prit la main de l'héritière des Flamel et se mit à la réchauffer, à la tapoter en douceur.
—Que se passe-t-il?
—Je ne sais pas, répondit Jo Alonzo, surpris par l'état soudain de la deuxième année.
Eugénie atterrit et fonça sur Sigrid. Elle la satura de questions:
—Tu as vu, copine? Je sais voler à l'envers! Par contre, je n'ai pas logé une cacahuète! Tout à côté! Tu trouves ça normal? Hein? C'est pas logique! Tu m'as déjà vu avoir moins de chance que ça? À part quand mon père me tombe dessus en pleine bêtise! Mais qu'est-ce que tu as? Tu as pris la foudre? C'est pourtant pas un temps à orage! Si? Tu en penses quoi? Hein? Dis!
Sigrid parut sortir de son état second, l'oscillation entre calme et agitation. Elle clignota des yeux avec lenteur, puis un peu plus vite et tourna la tête vers sa copine. Elle se mit à respirer, ce qui souligna l'apnée dans laquelle son état catatonique l'avait immergée. Elle se mit à trembler. Shin retira sa cape et la posa sur les épaules de la jeune fille. Hercule la frictionna jusqu'à ce que ces tremblements cessent d'eux-mêmes.
—Que… Qu'est-ce qui… murmura-t-elle enfin.
Elle découvrit plusieurs visages autour d'elle. Elle y lut surtout de l'incrédulité, mais aussi de l'inquiétude et de la fatalité. Eugénie proposa son Friselune à Shin et demanda:
—Tu veux bien le ranger?
Il s'empara du balai de l'héritière de Beauxbâtons tandis qu'elle tendait une main secourable à Sigrid. Cette dernière la saisit mollement et esquissa quelques pas mal assurés.
—Viens, copine, dit la joueuse de Quidditch, toujours en tenue.
Les élèves d'Aloysia s'éloignèrent sous le regard d'Hercule. Ce dernier consentit à livrer des explications lorsque Jo, Shin et Katarina, côte à côte, furent regroupés pour qu'il n'ait qu'à murmurer.
—Sigrid est atteinte d'un mal particulier. Il y a une autre personnalité au fond d'elle qui tente de prendre le pouvoir. Il s'agit d'un être vil, méchant, violent alors que Sigrid est douceur, calme, pondération.
Il observa une pause que Katarina interrompit:
—Cet autre personnage a été invoqué par une phrase, n'est-ce pas? Lorsque j'ai dit que vous aviez été exceptionnel. Ai-je raison?
—Oui. Tout compliment, tout sentiment avoué à mon encontre, déclenche la remontée de l'autre personnalité. Nous avons remarqué que le transplanage était très déconseillé pour elle. Les phénomènes visuels saccadés et rapides, aussi.
—N'y a-t-il pas un sortilège ou une potion pour la guérir?
—Non, Jo. Rien. Pour l'instant, seules les folies d'Eugénie sont capables de ramener Sigrid au premier plan.
—Cela vous condamne à former un trio veillant sur elle: ta présence parce qu'elle te voue une admiration mêlée d'amour fraternel, la présence d'Eugénie pour inhiber l'émergence de l'autre personne.
—Parfaitement analysé, Jo.
—L'autre… je comprends. Elle avait laissé échapper l'information.
—Oui, Shin. Tout ceci doit rester secret. Nous contrôlons ces accès de personnalité.
—Mais que se passerait-il si le fauteur de troubles s'en prenait à Sigrid?
—Ce serait le pire scénario que l'on puisse imaginer, Katarina.
La jeune Russe frissonna. Puis, elle déclama, résolue:
—J'essaierai de trouver une formule qui puisse la neutraliser. Peut-être pas un haïku trop long mais un sortilège adapté, capable de la faire rentrer dans l'ombre.
—Toute initiative est la bienvenue.
Les enfants se mirent en route vers les pavillons lorsque Shin leur avoua:
—Je crois que monsieur Laflèche a un doute sur mes petites habitudes au Quidditch.
—Vos habitudes?
—Ma réussite insolente au poste de gardien, Hercule.
—Il doit savoir qu'à l'instar de madame Bonnelangue, vous savez prévoir quelque temps à l'avance.
—Pas seulement.
—Expliquez-vous.
—Je suis un confusionniste naturel. Je n'ai aucun besoin de baguette magique pour lancer des Confundo. C'est ma marque. Semer la confusion. C'est pour cette raison que je veux devenir avocat. Cela me sera utile.
—Étrange…
—Quoi donc?
—Sigrid était confuse. Comme si vos sortilèges à répétition avaient neutralisé la violence de l'autre personnalité. Nous tenons peut-être une idée pour l'aider.
—C'était involontaire. Enfin, je crois avoir abusé. Monsieur Laflèche a eu un doute mais pas Eugénie.
—Elle ne sera pas remplaçante, s'amusa Jo.
—Qui ne sera pas remplaçante? demanda Umbelina, venant de rejoindre le trio de garçons.
—Eugénie. Elle a tout mis à côté, répondit la Russe de Lonicera.
—Oui. Trop curieux!
Les garçons se regardèrent et sourirent. Hercule se promit de demander à Shin pourquoi il avait risqué de dévoiler cet avantage en ne l'exerçant que sur la plus extravertie.
Le troisième matin de travaux forcés pour Hercule et Eugénie s'était déroulé sans encombre. Après un déjeuner copieux, les élèves, couverts de capes anti-pluie et munis de parapluies, se dirigeaient vers le stade de Quidditch pour assister à la première des trois rencontres de l'année. Le rideau de précipitations était si épais que les spectateurs d'un gradin n'apercevaient pas leurs homologues installés en face d'eux. Les températures étaient glaciales et les nuages d'un gris foncé n'auguraient ni un arrêt imminent des précipitations, ni même une baisse d'intensité.
Contre toute attente, le commentateur ne fut pas un élève de CHASSE-Magus, comme le voulait la tradition mais un enseignant: Edmond Perlenjoie! Le jeune professeur d'Histoire de la Magie avait sorti sa plus belle redingote et son plus grand haut-de-forme enchanté dont les rebords accueillaient la pluie sans jamais déborder. Certains le soupçonnaient d'alimenter la fontaine Flamel! Il avait rafraîchi sa coupe de cheveux en brosse et taillé sa barbichette brune. Ses lunettes cerclées de métal évaporaient les gouttelettes d'eau au fur et à mesure qu'elles atteignaient le verre. Le sorcier, Né-Moldu de parents croque-morts, s'affichait toujours avec des tenues d'un noir absolu et follement classes, effaçant son physique peu avenant. La première chose que l'on remarquait chez Edmond, c'était son nez. Il était énorme, tordu et cassé. Il résistait à tous les sortilèges de réparation dont le classique Episkey.
Il appliqua un Sonorus et entama:
—Pour cette première rencontre de l'année, faites un tonnerre d'applaudissements à l'équipe d'Urtica. Capitaine et gardien des cercles: Juan Garcia. Les deux batteuses: Charlotte Valembreuse et Constance d'Aussaguel de Lasbordes. Les poursuiveurs: Bruno Cortès, Valérie Hoffmann et Gabriele Sabatini.
La première surprise venait du forfait de Schmidt qui avait donné son brassard de capitaine à Garcia. La seconde déception, c'était bien sûr l'absence du Japonais pour veiller aux trois cercles.
—Pour capturer le vif d'or, le nouvel attrapeur: Casper van Kriedt.
La nouvelle ébranla l'ordre Gerbera. Était-ce un revirement du Hollandais, sachant que sa passion pour le Quidditch, l'année passée, n'était pas un vain mot? Schmidt avait tenu la moitié de la promesse puisque Casper remplaçait Ange Continu, le Corse acrobate, titulaire du poste. Schmidt prenait un énorme risque en attribuant le rôle-clé à un novice.
—À présent, accueillez comme il se doit les valeureux équipiers d'Aloysia. Le gardien Germain Delatour. Yves Troplein dans le rôle du premier batteur et Marco Ricci dans le rôle du second.
—Hein? fit Eugénie. C'est pas Mondague?
—Quelle nouveauté! s'exclama Umbeijo. Il a passé la main?
—Voici les poursuiveurs: Félix Leclerc, Karl Moser et Henri Mondague, le capitaine.
—Mondague est passé à l'attaque. Logique! Il va falloir engranger des points, analysa la Portugaise.
—Enfin, pour rattraper le Vif d'Or, qui d'autre que… Luisa Fellini!
—Nom d'un Chartier! jura Hercule.
L'Italienne déboula dans le stade, soulevant un enthousiasme général. Elle était incapable de tenir son balai mieux que du bout des doigts, comme si un carcan rigidifiait son buste. Un guidon en bois, relevé, avait été fixé sur son Friselune, lui donnant une drôle d'allure. Le bricolage n'était peut-être pas très orthodoxe, mais il était efficace pour compenser son manque de souplesse. Elle s'efforçait de sourire aux spectateurs, mais sa souffrance se lisait sur son visage.
—Fellini diminuée, Van Kriedt inconnu au rôle d'attrapeur, le match est équilibré, décida Umbelina.
—L'arbitre du match: Wilfried Laflèche.
Le référent fit son entrée, toujours spectaculaire, à une vitesse supérieure à 100km à l'heure. Il avait vraiment trouvé le moyen d'augmenter les performances de sa monture.
Le quarantenaire siffla le début de la partie et libéra le Souafle. Les deux Cognards s'envolèrent. L'un d'eux croisa la trajectoire de la batte de Valembreuse qui visa Mondague, désormais privé de son accessoire de renvoi. Petite vengeance personnelle bien légitime contre Mondague, le mitrailleur impitoyable. Alors que Fellini cherchait le Vif d'Or des yeux, Van Kriedt fendit les airs et se rua sur son homologue italienne. Il n'avait aucune autre intention que de l'éperonner, pour la neutraliser. Luisa l'évita et prit de la hauteur dans la masse nuageuse pour échapper à sa vue. Le Hollandais volant se mit à percer les nuages au hasard, sans se préoccuper du Vif d'Or, ni des vociférations de Garcia, le capitaine du jour.
Entre-temps, Cortès effectua une longue passe à Hoffmann qui envoya la balle dans le cercle supérieur. Sur la remise en jeu suivante, Sabatini la joua en solo jusqu'au bout, en dépit de Mondague et ses acolytes. Dix points supplémentaires s'inscrivirent au tableau des scores. La nouvelle remise en jeu se traduisit par une domination des jaunes mais soudain, un éclair zébra le ciel et s'abattit dans la montagne. La pluie se fit plus brutale, épaisse. Hercule perçut une tonalité différente sur son parapluie. Il vit de petits grêlons rebondir. La grêle se fit plus cinglante et les joueurs ralentirent la cadence, criblés par la glace. Urtica profita de ce retournement météorologique pour engranger dix points de plus. Delatour passait un sale moment tandis que Garcia, statique et inutile devant ses cercles, vociférait sans cesse contre Casper, toujours à la recherche de Fellini. Les jaunes étaient intraitables et les rouges subissaient. Après quarante minutes de jeu, Luisa choisit de prendre de l'altitude et de fendre le rideau glacé, le visage constellé de points de sang. Elle serra les dents. La foule se questionna sur son attitude jusqu'à ce que les rares possesseurs de Multiplettes puissent entrapercevoir le Vif d'Or aux ailes tordues par les éléments déchaînés. Il déboula des hauteurs, filant à la même vitesse que d'habitude, incapable de percevoir la révolution dans son environnement. Luisa perdait du terrain sur son objectif. Elle cabra son balai, engendrant une douleur dans ses côtes fracturées. Sa manœuvre lui fit éviter un nouvel assaut de son adversaire. Il était en mesure de capturer le Vif, il était rapide et doué avec sa monture, il tenait face à l'averse de grêle alors, pourquoi cet acharnement contre sa personne? Le Vif plongea vers l'extérieur du stade. Luisa décrivit une boucle lorsqu'une boule de feu blanche la frôla. L'éclair s'abattit sur un arbre du domaine.
Fellini, au prix d'un effort intense, gagna de la vitesse et fonça vers le sol, en dehors du stade. Elle faillit percuter le toit de son pavillon et redressa, suivant la sphère dorée qui repartait vers le stade. Lorsque, dans son sillage, elle passa près du tableau des scores, l'Italienne constata les dégâts: 100 à 0 pour Urtica. La foudre frappa son balai et l'électrisa. Son corps fut secoué dans tous les sens, ses cheveux se hérissèrent. L'éclair poursuivit sa route et l'acheva sur Mondague, à quelques centimètres du sol à ce moment-là, évitant un Cognard. Le choc lui fit toucher le sol et Henri mordit la boue, fumant. Fellini reprit ses esprits, vit son capitaine à terre. Il était immobile.
Deux professeurs coururent pour lui porter secours. Luisa accéléra et captura le Vif au mouvement moins erratique. La fin du match fut sifflée, mais cela n'empêcha pas la jeune fille de subir un dernier assaut de Casper. Elle tomba de son balai, éjectée, tandis que Wilfried amortissait sa chute fatale.
—Van Kriedt! hurla l'arbitre.
Le Hollandais s'amena à la hauteur du référent.
—Qu'est-ce qui se passe, dans ta tête?
—Rien.
—Ce que tu viens de faire, hors du temps de jeu, va te valoir une exclusion définitive. Je ne veux plus te voir sur un balai de l'année. Tu iras t'expliquer chez le directeur.
—Comme vous voulez.
—Professeur!
—Comme vous voulez, Professeur.
—Victoire d'Aloysia 150 à 100! aboya Edmond. Une ovation pour les joueurs et filons vite nous mettre à l'abri!
Son haut-de-forme, enchanté pour canaliser la pluie, n'était pas conçu pour la grêle. Il était troué à de multiples endroits et un filet de sang coulait de l'arcade sourcilière du professeur. Le désembuage de ses lunettes était hors service. Tous les élèves déguerpirent tandis que Mondague et Fellini rejoignaient l'infirmerie sous bonne garde.
L'ordre Gerbera suivit le mouvement et mit le cap sur le château. Eugénie était muette et ce n'était pas dans ses habitudes. Sigrid, revenue depuis de l'entre-deux personnalités, livra l'explication.
—Si Eugénie avait été retenue, elle aurait été à la place de Mondague qui serait resté à son poste de batteur. Mais comme elle a raté les sélections, elle n'a pas tenu ce rôle tragique.
Hercule lança un regard interrogateur à Shin et celui-ci ne lui répondit que par un large sourire. Le Belge comprit que le Japonais avait joué au voyant, qu'il avait prévu que l'orage serait de la partie, que la foudre anéantirait Eugénie si elle chevauchait son balai. Nanti de cette prémonition, le Japonais avait tout fait pour lui mettre des bâtons dans les roues. Il avait changé le futur! Le discret sauveur quitta le groupe pour faire un détour par la Cabane Enchantée. Il découvrit une lettre. Lorsqu'il en prit connaissance, il fut anéanti.
1«Seulement Hercule» en grec.
