Sortilège 21: le club d'Alinea
Les précipitations piquantes s'étaient muées en neige. Le silence des flocons remplaçait le tumulte des grêlons. Le parchemin, ouvert et déroulé, se couvrait de poudreuse. Les mots s'effaçaient peu à peu. L'écriture était celle de Saya Sato, mais les termes teintés de diplomatie émanaient du père de l'enfant. L'armistice n'était plus qu'une question de jours, tant la débâcle de l'Allemagne de Guillaume II était consommée. Kikujirò prenait ses quartiers à Versailles où les articles du futur traité seraient négociés, annotés, amplifiés, avant d'être gravés dans le marbre. Le vicomte n'aurait pas une seconde à accorder à Shin durant les vacances de Noël.
«Tous ces efforts, ces changements pour que Père soit plus absent qu'au Japon? Pourquoi? Suis-je une telle honte à ses yeux? N'en fais-je pas assez? Jamais assez! Toujours des promesses!»
Il jeta le parchemin dans la boue, le piétina et courut, droit devant lui, sans réfléchir. Puisqu'il n'était rien aux yeux de son père, puisqu'il n'était bon qu'à ramener des félicitations de ses enseignants, puisque le vicomte lui interdisait une fois de plus de jouer au Quidditch, l'un de ses rares plaisirs, tout cela pour ne pas exposer sa vie inutilement, il allait lui en offrir du risque, du danger! Cette petite forêt devait bien mener quelque part. Quand il aurait atteint l'orée, il viserait un autre point et en ferait son objectif. Et ainsi de suite. Il dépassa le terrain de Quidditch, la serre d'Ursula Waldmeister et s'enfonça dans le bois sans ralentir sa course.
Edgar, la harpie féroce, jouait les vigies depuis un épicéa. Le rapace s'était chargé de cette missive, faisant une apparition remarquée à la poste magique, place Cachée, à Paris. Aucun sorcier n'avait déjà vu une bête d'une telle envergure et les hiboux disponibles à l'instant où madame Sato avait apporté le parchemin, s'étaient écartés face à ce morceau de choix. L'oiseau prit son envol et effectua des 8 allongés, au-dessus des cimes, suivant la course erratique du garçon. En dépit de la neige tombant à gros flocons, l'animal à la vue perçante embrassait du regard toute la topographie du domaine. Au nord, la grille enchantée empêchait les élèves de s'échapper et les intrus de violer le territoire scolaire. Au sud, le bois se terminait au ras d'un précipice haut de 500 mètres.
Le Japonais ne ralentissait pas. Il n'était plus qu'à une cinquantaine de mètres du gouffre lorsqu'Edgar poussa un cri effroyable, à glacer le sang. Shin stoppa net, hors d'haleine. Il chercha tout autour de lui et n'aperçut que des troncs d'arbres, des ombres et la blancheur éclatante, aveuglante. Il poursuivit son avancée au pas. Après une minute de progression, il comprit qu'il avait atteint l'orée du bois. Il sentit le sol se dérober sous ses pas: une pierre se détacha, roula et disparut sans un bruit. Il tomba à genoux. La neige engloutissait toute chose visible, tel un maléfice. Le silence était total, comme si la vie avait cessé à l'approche de cette frontière. Une ombre se matérialisa devant lui et il sentit un déplacement d'air, une forme lourde battant des ailes. La créature frôla le sommet de son crâne, poussa son hurlement terrifiant et reprit de l'altitude. Le volatile l'avait averti de l'imminence de la chute. Pourquoi? Était-ce l'oiseau d'Hercule? L'avait-il dressé à autre chose que la délivrance du courrier? Le Belge avait un don avec les créatures. Le rapace disposait d'arguments de poids. Non! C'était impossible! La colère et la douleur étaient si puissantes qu'il perdait l'esprit, tous ses moyens. Il posa sa tête entre ses mains et pleura.
Le froid, allié à l'humidité, s'infiltrait partout. Shin, couvert de neige, formait un petit monticule se fondant dans le paysage uniformisé. Peu à peu, il s'effaçait. La fatigue, l'envie de dormir, devenaient obsessionnelles. Il se laissa aller, vidant son esprit. Son environnement changea. Comme un mouvement d'air, un volume ajouté. Une main s'abattit sur son épaule droite. Une autre s'empara du côté gauche. Elles s'activèrent sur son corps et déblayèrent la poudreuse amassée. La froidure brûlait les chairs sans protection. L'activité s'intensifia, des sons frappèrent ses tympans sans que son cerveau ne parvienne à les décrypter et les assembler.
—Shin! Shin! Vous m'entendez? Est-ce que vous pouvez marcher? Shin!
Il redressa à peine la tête. Ses yeux rougis, les larmes gelées sur ses joues. Katarina lui portait secours. Elle avait planté son parapluie pour empêcher l'amoncellement de la neige. Le temps fut suspendu.
—Désolation froide,
La fée surgit du néant,
Chaleur comme offrande.
Hiver effacé,
Afflux d'énergie soudain,
Vous vous redressez.
En dépit de la tétanie des muscles, de la mortification de ses membres, le garçon se remit debout, se tourna et avança, guidé, poussé et soutenu par la jeune Russe. Leur marche lente durera près de vingt minutes avant d'atteindre les marches du château. Là, Katarina mena son protégé jusqu'à l'infirmerie où il s'écroula. Rose prit soin de lui et le recouvrit de chaudes couvertures. Sa camarade déposa le parchemin sur un chevet jouxtant le lit. Même s'il grelottait, le garçon était au moins conscient.
—Shin…
—Comment m'avez-vous retrouvé?
—Il y avait cet oiseau bizarre. Il faisait du rase-motte et s'éloignait. Puis, il revenait à l'attaque, comme si je devais le suivre. Je viens de déchiffrer la lettre. Je comprends votre déception.
—Je suis désolé. J'ai perdu le contrôle. J'ai craqué.
—Shin, vous devriez abonder dans son sens et lui montrer que cela ne vous atteint pas. Vous ne fêtez pas Noël, au Japon?
—Non.
—Ni Pâques, bien sûr.
—Pas plus. Les congés ne sont pas organisés comme en France.
—Alors, écrivez-lui que pour obtenir les résultats exceptionnels qu'il attend de vous, vous devrez passer toutes les vacances à Beauxbâtons. Privez-le de votre présence, frappez là où cela l'atteindra. Alors, il mesurera le mal qu'il vous a fait. Laissez entendre que vous aimeriez rester ici, cet été. Même si c'est impossible, il n'en sait rien, n'est-ce pas?
—Ce serait mentir, non?
—Pas du tout. Qui sait si le directeur ne vous l'accorderait pas? lâcha-t-elle avec un sourire et un clin d'œil.
Il lui rendit son sourire éclatant, à grand-peine et murmura:
—Avez-vous composé un haïkupour m'aider? La magie n'est-elle pas interdite hors du château?
—J'ai créé deux haïkus. Rappelez-vous: ceux que j'avais créés pour vos doigts, n'ont eu aucune conséquence. Et puis, la poésie est autorisée, non?
Elle se fit taquine.
—Désolé d'avoir…
—Cela ne vous rend que plus humain.
—Un garçon comme les autres.
—Absolument… pas. Vous êtes différent à tous points de vue.
Il leva les yeux sur elle et se dit qu'il était temps de se confier.
—Je dois vous avouer un secret.
—Lequel?
—Je connaissais votre visage avant d'arriver à l'Académie.
L'aveu la surprit quelque peu. Puis, elle fit le rapprochement avec la nature du Japonais.
—Une vision?
—Un rêve. J'avais aussi vu Hercule mais, plus âgé. Avec une moustache en guidon de vélo.
—Vraiment? Et d'autres élèves? C'était un événement particulier?
—Non, plutôt un rêve de présentation, l'introduction du futur. Il y avait d'autres visages, mais je ne les ai pas vus ici. Peut-être l'année prochaine? Les rêves sont, par essence, incontrôlables. Je préfère la divination dans les pétales de fleurs.
—Dans vos rêves, suiviez-vous mes conseils?
—Il n'y en avait pas. Vous apparaissiez juste.
—Écrivez en restant ferme. Votre père étant diplomate, il verra qu'il devra négocier avec vous et non imposer sa volonté.
—Il ne veut toujours pas entendre parler du Quidditch.
La passion pathologique du Japonais intriguait la jeune fille réfractaire au vol sur balai. Elle creusa néanmoins le sujet:
—Il connaît vos talents pour le Confundo?
—Hélas, oui! Ma mère l'avait très vite remarqué. Dès mon plus jeune âge, je les faisais craquer très facilement, les amenant à oublier leurs décisions contraires à mes envies.
—Elle vous manque? Votre mère.
—Comme votre père vous manque, j'imagine. Avez-vous remarqué? Dans l'ordre Gerbera, tout le monde a perdu au moins un lien familial. Soit par un décès, soit par l'oubli. Sauf Hercule qui incarne le ciment entre nous tous.
—Le professeur Piedargile m'a fait comprendre que pour m'intégrer, il me faudrait l'assentiment d'Hercule. Il est d'une générosité sans limite et l'âme de l'ordre Gerbera.
—Vous avez raison, Katarina. Mais il ne m'a pas sauvé à deux reprises en quelques jours. J'ai une double dette d'honneur auprès de vous.
La Russe rougit jusqu'aux oreilles. Shin ferma les yeux et s'endormit.
Le garçon, transi de froid, avait pu se rétablir dans la nuit de dimanche au lundi 25 octobre et suivre les cours normalement, comme ses camarades d'Urtica. Néanmoins, les engelures aux doigts, couverts de bandages imprégnés d'onguent, compliquaient sa prise de notes en classe. Pour l'heure, ce n'était pas essentiel puisque le cours sur les Moldus, se déroulant de 14h00 à 16h00 chaque début de semaine, était une succession d'inepties qu'il valait mieux ne pas consigner sur un parchemin. La professeure Alinea, une Italienne issue d'une lignée de sorciers de Sang-Pur jusqu'à l'époque romaine selon ses dires, n'en démordait pas.
—Les Moldus pratiquent un rituel avec leur progéniture. Il consiste à se rendre, de nuit, à la première pleine lune suivant la naissance, en bord de mer, au sommet d'une falaise et à jeter l'enfant le plus loin possible dans les flots. S'il survit à la chute, nage et regagne le rivage, alors il sera viable. Vous conviendrez qu'il s'agit d'une pratique d'une barbarie sans nom qui souligne à quel point les Moldus représentent un danger pour l'humanité. Sans pouvoir magique, un nourrisson a très peu de chances de survivre à cette terrible expérience.
Hercule leva la main. Sa demande agaça Alinea de façon si visible qu'on aurait pu croire que le Belge lui causait des ulcères gastriques à répétition. L'élève et l'enseignante avaient pris pour habitude de s'affronter.
—Oui, Van Betavende?
—Pardonnez mon interruption, Professeur, mais comment la population peut-elle croître si, disons 999 nourrissons sur 1000, ne survivent pas au lancer depuis la falaise?
Elle eut l'air navré par la question aussi affligeante et répondit aussitôt:
—Les couveuses, Van Betavende! Les Moldus femelles mettent leurs bébés dans des boîtes vitrées appelées couveuses qui ramènent à la vie tous les nourrissons noyés!
Si, effectivement, les Moldus avaient bien mis au point un moyen de réchauffer de façon constante, les enfants présentant des faiblesses à la naissance, réduisant ainsi le taux de mortalité infantile, ces appareils n'étaient pas supposés créer des miracles. Mais rectifier la méconnaissance de Sidonia était stérile. Alors, le jeune enquêteur la conforta et poussa le bouchon plus loin.
—Comment font les Moldus qui n'habitent pas auprès d'une falaise bordant une mer ou un océan?
Décidément, l'Italienne avait réponse à tout. Elle rétorqua en gesticulant:
—Le train, mon garçon! Ils prennent tous le train pour se rendre à la mer! On trouve ces choses fumeuses et fumantes dans toutes les campagnes!
—Ah d'accord! Mais, en Russie ou, comme les nouveaux dirigeants l'appellent maintenant, l'union soviétique, dans cette nation gigantesque où les transports d'un océan à l'autre prennent un mois, comment font les gens souffrant de faim pour se payer un billet de train afin de se rendre à temps sur une falaise?
—Ils ne peuvent pas! Leurs enfants meurent aussitôt après la pleine lune pour ne pas avoir été soumis à l'épreuve! La Russie ne survit que grâce aux populations bordant les côtes de la Mer noire et des océans Pacifique et Arctique.
—Ah! Fort bien! Mais quand l'enfant naît en hiver, en Arctique, les parents le lancent quand même dans l'océan gelé? L'enfant rebondit et revient dans leurs bras?
Il y eut quelques ricanements dans la classe. Alinea y coupa court en affirmant sur un ton ne prêtant pas à la contestation:
—Non! Rappelez-vous! Il y a une autre caractéristique physique des Moldus que nous avons étudiée. En temps normal, un Moldu ne peut pas boire d'alcool supérieur à 30 degrés comme un Armagnac des Forges Volcaniques. S'il le fait, vous le savez bien, il s'enflamme dans les minutes suivantes et brûle intégralement.
La femme recommençait avec ses idioties de combustion moldue. Hercule savait bien que son père avait été parfois convié à des repas avec les dirigeants de la banque moldue où il travaillait. Lors de ces libations, l'alcool arrosait copieusement les mets. Même en dégustant un cognac et en fumant un énorme cigare, ses confrères non magiques ne s'étaient jamais consumés.
—Alors, en hiver, les parents russes se procurent de la vodka Trolliska, un tord-boyau titrant 80 degrés. Ils en versent une tasse entière dans le gosier de leur progéniture et la jettent en direction de la banquise. L'alcool envahit le corps du nourrisson moldu et élève sa température jusqu'au point de combustion. Tout se joue à la seconde près! En touchant la glace à la température idéale, elle fond et le nouveau-né la traverse comme un couteau dans une motte de beurre mou. Une seconde trop tôt, et le moldu s'écrase comme une crêpe! Une seconde trop tard et il flamboie avant de toucher au but! Comprenez-vous?
Hercule joua le jeu, car il ne tenait pas à écoper d'une punition:
—Tout à fait, Professeur. Tout est beaucoup plus clair.
Puis, il ajouta en murmurant à l'attention de son voisin Shin:
—Elle est folle. Elle mérite vraiment son surnom anagramme «Aliéna».
—Je le crains. L'utilisation de Kappasaké, l'alcool des sorciers japonais, titrant 55 degrés, fausserait tous les calculs, plaisanta l'Asiatique avec un clin d'œil et un sourire qui en disaient long. Il faudrait soumettre les calculs au professeur Racine, non?
Rosier ne put s'empêcher d'ajouter sa touche d'immondices habituels:
—Professeur, ne pourrait-on pas remplacer l'eau bue par les Moldus par de la vodka Trolliska, afin qu'ils s'enflamment tous et disparaissent de la surface de la Terre qu'ils salissent avec leur sang si impur et infect qu'un vampire n'en voudrait pas?
—Oh mon garçon, cela ne serait pas envisageable avec les directives actuelles des différents ministères de la Magie. Et puis, les productions de vodka Trolliska, l'alcool le plus fort au monde, seraient insuffisantes pour enflammer toute la population.
—Pensez-vous que le professeur Fordecafé pourrait produire la quantité nécessaire?
—Non. Cette tâche serait d'une ampleur colossale. Mais, si vous le souhaitez, nous pourrons débattre des différentes façons existantes pour les Moldus de s'éliminer entre eux, ce sont les petits amusements de mon club.
—Merci, Professeur, répondit Rosier avec déférence et respect.
Hercule faillit tomber de sa chaise. Sidonia animait un club où elle débattait de l'extermination des Moldus?! Il parcourut la classe du regard pour y lire quelques stupéfactions –dont celles de son voisin japonais et de Jacques –et un ravissement certain ou de la passivité, comme si cette nouvelle stupéfiante, n'en était pas une. À priori, le club d'Alinea était connu. Mais où et quand avait-il lieu? Pas le mercredi après-midi, créneau horaire dévolu aux activités para-scolaires. Ni les vendredis après-midi, réservés aux éventuelles sorties. La direction de l'école était-elle au courant? Si oui, comment pouvait-elle tolérer l'emprise de Sidonia? Comment Elvira pouvait-elle supporter ça, elle qui condamnait les théories suprémacistes avec la plus grande vigueur? Même Armand ne pouvait accepter une telle ignominie! Le directeur accueillait des étrangers, des Né-moldus, un Cracmol! Il acceptait les punitions de Rosier et de tous ceux qui supportaient ces immondes ragots.
«Rosier est forcément membre de ce club. Rostand de Hautefeuille, idem Casper van Kriedt? Hélas, je le crains. Toute la cour d'Urticants qui gravite autour de Rosier, comme d'Arcy et de Valmy, qui en sont, je parierai ma baguette là-dessus! Qui d'autre? Dans les autres ordres, sûrement des personnes chez Aloysia, mais bien moins chez Lonicera, où les nids de Basilics se font rares! Mais quand et où peuvent-ils…»
Le garçon suspendit sa réflexion, l'embryon d'une réponse se dessinant dans son esprit. Le soir, avant ou après 22h00. Comme lorsqu'il avait été bousculé par Casper, qui découchait à intervalles réguliers. Mais où? Pour le savoir, il devrait traquer le Hollandais.
Sur le chemin menant à la serre de l'Académie, Jacques, Hercule et Shin riaient de bon cœur en se remémorant la cavalcade orchestrée par le Belge pour déterminer où s'arrêtait l'imagination débridée de l'enseignante. Ils s'accordaient à lui décerner le titre du pire professeur, depuis le départ de Mysterio Flamingo et convenaient de ne récolter que des notes Bronze lors des épreuves et des contrôles de connaissances jalonnant l'année scolaire. Par chance, l'étude des Moldus n'était pas une matière incontournable, éliminatoire, quelles que soient les options de CHASSE choisies après le BANQUET. Même pour devenir Oubliator et nettoyer de la cervelle moldue à longueur de temps, il suffisait juste de savoir que le cerveau des cibles était un peu plus évolué que celui du plus brillant des Trolls.
Lorsque les enfants eurent déposé leurs effets personnels dans le couloir vitré jouxtant la serre, puis revêtu leurs tabliers de cuir et leurs gants de protection, ils se répartirent derrière les paillasses faisant le tour des du sanctuaire végétal. Ursula fit son entrée en tenant une cage dissimulée par un tissu usagé et terni.
—Bonchour, les enfants!
—Bonjour, Professeur, répondit avec vigueur une partie de la promotion.
—Auchourd'hui, che zuis de très bonne humeur et ch'ai dézidé de donner une bonne note à zelui qui definera quelle créature est dizzimulée zous zette filaine couferture. Fous afez droit à une zeule queztion et enzuite, fous pourrez proposer des réponzes.
Jacques leva la main sans tarder:
—Oui?
—S'agit-il d'une créature fantastique ou d'un animal sans pouvoir?
—Z'est un animal fantaztique qui a une capazité machique. Attenzion! Che zuis au courant qu'il y a un élèfe qui a le Don, comme dit le profezzeur Obzcur. Pas queztion de faire de la difination!
Les enfants se dévisagèrent, puis se tournèrent vers Shin, le seul nouveau dans la classe abonnée aux notations Fonte avec Claire.
Hercule leva la main et fit une proposition:
—Un Demiguise.
—Dommache, ze n'est pas za! Mais zette créature partache une caractériztique afec le Demiguise.
Gros silence parmi les trente élèves. Tout le monde savait que le Demiguise était capable de prévoir des événements quelques secondes, voire une minute ou deux avant qu'ils ne se produisent. Quelle fichue bestiole chimérique pouvait en faire autant? Même Jacques était au point mort.
Tout alla très vite dans les petites cellules grises d'Hercule. L'impassibilité de l'animal, tranquille dans sa geôle métallique en mode aveugle, les caractéristiques complètes du Demiguise, la taille de la cage, les dimensions des animaux susceptibles d'entrer dans ces limites –elle était étroite, pas très longue mais mesurait un bon mètre de hauteur –, les incompatibilités climatiques des Pyrénées avec les hôtes potentiels, les nourritures compliquées à trouver ou introuvables, le croisement avec les contraintes de fraîcheur alimentaire, les interdictions ministérielles liées aux classifications –madame Waldmeister n'aurait jamais introduit un Dragon, un Basilic, voire un Éruptif en classe –et une seule créature lui apparut comme satisfaisant toutes les conditions. Il agita la main:
—Encore Fan Betafende! Faz-y!
—Une coquecigrue.
Tout le monde se retourna vers lui comme s'il avait énoncé une imbécillité. Tous sauf Jacques, qui s'exclama:
—Mince! Je n'y ai pas pensé!
—Z'est une bonne réponze, coupa Ursula. Or pour toi, mon garzon! Che ne fais pas fous montrer l'animal tout de zuite. Fous allez d'abord enfiler fos proteczions d'oreilles, car le cri de la coquezigrue est très perzant, prezque autant que zelui de la mandragore! Allez-y, faites comme moi! Bien, bien! À présent, che fous demande de ne pas faire un zeul bruit, ni un moufement. Faites comme si fous afiez rezu un Petrificuz Totaluz. On attend quelques zecondes en zilence.
Tout le monde patienta et Ursula fit tomber le tissu recouvrant la cage. Les élèves purent observer un oiseau au plumage bariolé d'un coq, avec une queue en panache, à l'instar du gallinacé symbole de la France. L'oiseau possédait une crête comme le roi de la basse-cour. En revanche, la hauteur de sa cage s'expliquait par des pattes d'une longueur exceptionnelle, rouges, fines, comme celles d'un flamant rose ou d'une grue. Quant à son bec, l'animal l'avait hérité de l'échassier: il était long, pointu, fait pour fouiller la vase à la recherche de minuscules crustacés ou de vers juteux.
Hercule était fasciné par le bel oiseau, majestueux, à l'œil alerte, cherchant d'où viendrait le danger. Rosier, pour ne pas changer, balaya les consignes du revers de la main. Il se racla la gorge et gesticula comme un pantin désarticulé. La coquecigrue le vit et réagit comme prévu par Ursula. Elle poussa un cri perçant, à déchirer les tympans et disparut.
—Oh! s'écrièrent les élèves.
—C'est ça, son pouvoir? Ce gros poulet sait transplaner? fit le suprémaciste.
—Non. En présence d'humains, il se protège en se rendant invisible. S'il n'était pas emprisonné, il s'enfuirait, gagnant les plus hautes altitudes, dans le ciel, répliqua Jacques.
—Je ne t'ai pas sonné, le résidu de Sang séché! insulta le frère de Vinda.
—Rosier! vociféra madame Waldmeister, en recouvrant la cage.
Si l'utilisation d'un sort cuisant avait été autorisée, le brun à brillantine aurait été crucifié.
—Tu fiendras me foir à la fin du cours que che m'occupe de ton cas.
—Pour quoi faire?
—Che ne feux pas d'inzultes pendant mes lezons! Z'est compris?
—Z'est compris, répondit l'effronté en singeant l'accent de la Suissesse.
—Problème réglé. Comme fous afez pu le foir, la coquezigrue est une créature très craintife qui ze rend infizible dès qu'elle aperzoit un humain, qu'il zoit Moldu ou Zorzier. Est-ze que quelqu'un peut me dire ce que manche zet oiseau, à part des fers ou des graines? Che fous donne un indize: z'est une plante très toczique pour tous les humains.
Jacques s'empressa de lever la main, soucieux de se rattraper.
—Oui?
—La ciguë. La coquecigrue adore en manger. Comme chez la plupart des oiseaux, cette plante ne lui fait aucun mal. Bien au contraire! D'ailleurs, on dit que la coquecigrue tirerait son origine et son nom des amours entre un coq, une grue et de la ciguë.
—C'est ignoble! Ces hybrides sont dégoûtants! se plaignit Rosier.
Ursula fit comme si elle n'avait rien entendu et poursuivit:
—Bonne réponze. Or pour Boulancher.
—Eh ben voyons! De l'Or pour le débile et sa famille de dégénérés!
Ursula changea de couleur et fut sur le point de sortir sa baguette pour faire taire l'insupportable Thibaldus lorsqu'une idée de génie traversa son esprit:
—Puisque tu zembles abzolument confaincu de tout zavoir sur les Boulancher et leur fantaztique ferme, che fais proposer une zortie chez les parents de Chacques pour les deuxièmes années.
Thibaldus s'effrita sur son siège. Ses courtisans frémirent.
—Tes parents zeraient heureux de poufoir présenter toutes leurs produczions, leurs animaux?
—J'en suis convaincu, Professeur.
—C'est hors de question que je mette un pied dans cette famille de demeurés!
Jacques esquissa deux pas, mais Hercule le retint. Le Belge murmura:
—Il n'en vaut pas la peine.
Shin ajouta un mystère:
—Vous aurez bientôt l'occasion de vous venger, d'une façon très amusante.
Le Cracmol revint à sa paillasse. Ursula enfonça le clou:
—Z'est entendu. Che ferai une demande offizielle. Quant à toi, Rosier, ta punizion fa avoir lieu très fite et che zais ze qui fa te calmer. Ambroisine Fordecafé a demandé à zes élèfes de première année d'Aloysia de fabriquer la Pozion de Zérénité. Il lui faut un cobaye pour tezter les 30 pozions et donner une note. Che ne t'apprends rien en te disant que zi elle est ratée, za a le goût de pizze de Troll qui aurait bu des litres de zitron. Za brûle l'eztomac. Et zi la Pozion de Zérénité est trop dosée, alors le bufeur zera totalement obéïzant pendant 24heures, faisant tout ze qu'on lui dira.
Hercule crut discerner un rictus de plaisir non dissimulé dans le visage de la Suissesse. Plus tard, lorsque le cours s'acheva, le Belge fit exprès de traîner pour rassembler ses affaires. Lorsqu'il fut certain d'être seul avec l'enseignante, il s'approcha et elle le questionna sur cette prolongation:
—Tu as une queztion, Fan Betafende?
—À propos de la punition de Rosier.
—Che t'écoute.
—Je me souviens de cette potion de base, mais pas si simple à réaliser. Je me rappelle que peu l'avaient réussie. Je suis certain qu'aucun élève des trois ordres n'était parvenu à réaliser une version plus puissante. Or, tout à l'heure, j'ai eu la sensation que vous étiez certaine qu'un élève de première année réussirait ce tour de force. N'est-ce pas?
—Z'est naturel. Che m'attends à un eczploit de Noël Millefeuille. Z'il y a un élèfe capable, z'est lui. Z'est un pozionniste eczceptionnel! Allez! Demain, che crois que fous allez touz fous amuser à faire faire n'importe quoi à Rosier! Bonne zoirée…
—Bonne soirée, Professeur.
—Attends…
—Oui?
—Chuste une chose.
Elle plongea sa main dans une poche de sa robe rapiécée et en tira quelques graines.
—Oufre ta main.
Hercule s'exécuta et recueillit la nourriture. Il comprit où Ursula voulait en venir. L'enseignante tira le tissu de la cage et ne fit plus un bruit, ni un mouvement. Hercule découvrit l'œil de la coquecigrue le fixant. Il esquissa un mouvement. L'animal cligna des yeux. Le Belge fit un pas, puis un second. Il tendit la main en douceur, au ras des barreaux. L'oiseau l'observa, le jaugea et passa son bec démesuré entre les barres de fer. Il engloutit les graines, une à une.
—Wunderbach! 1 lâcha la professeure.
Hercule fut aux anges. L'oiseau était intrigant et d'une grande beauté. L'attraction était mutuelle.
La femme remit la couverture en place.
—Franchement, Fan Betafende, tu pourrais defenir chef du Département des Créatures Machiques, un chour. Pour reprendre les termes de madame Obzcur, tu as le Don.
—Merci, Professeur, pour cet instant fantastique.
—Che t'en prie.
Le garçon, abasourdi, finit par quitter la serre, à contrecœur. Puis, un mot résonna dans son esprit. Noël avait un nom de famille. Millefeuille. C'était, sans contestation possible, l'héritier du célèbre empoisonneur Luc Millefeuille. Il venait de prendre la première place sur la liste des fauteurs de troubles potentiels.
Le lendemain matin, Hercule se présenta au petit-déjeuner avec des cernes. Sa nuit avait été courte et agitée. Il n'avait cessé de ressasser l'information, tentant de calquer les faits survenus au château sur l'emploi du temps de Noël, d'analyser son caractère solitaire pour y déceler une fracture dangereuse et de souligner ses capacités exceptionnelles en potions, transposées en noirs desseins. L'ascendance du garçonnet, au physique similaire à celui de son ancêtre, ne plaidait pas en sa faveur. Il y avait un os dans cet engrenage parfait où mobile –venger son aïeul –, moyen –une capacité exceptionnelle –et planning –où se trouvait le garçon lors des incidents, accidents ou agressions des accidents? –coïncidaient. Le grain de sable, c'était l'information des enseignants.
En effet, si Ursula connaissait le nom de l'élève, l'ensemble du corps professoral le connaissait. Armand avait validé son entrée dans l'Académie, en connaissance de cause. Aucun professeur ne l'avait jugé sur son nom de famille. Tous le jaugeaient sur ses résultats. Si Ursula affirmait que Noël était surdoué en potions, c'était à juste titre. Elle étayait son jugement sur les dires experts d'Ambroisine. Hercule ne mettait pas leurs paroles en doute. D'ailleurs, n'avait-il pas surpris le garçon en train de préparer du Polynectar, une potion que lui-même ne parviendrait pas à réaliser correctement? Cela faisait-il de Noël un potentiel criminel? Non. L'enfant ne s'en était pas caché. Il avait juste dit que cela servirait pour une raison personnelle. Cette réflexion était troublante mais, après tout, son usage ne serait peut-être pas subversif.
«Présomption d'innocence. Je ne révélerai rien de votre lourd secret.» ajouta-t-il en pensées, alors que le petit avalait goulûment ses tartines remplies de confiture.
Jacques lui donna un discret coup de coude. Hercule reporta son attention sur son voisin.
—Hé! Regarde à la table de Rosier. Il n'y a pas un truc qui te choque?
Hercule lorgna du côté des suprémacistes. L'ignoble leader, un pichet de jus de citrouille à la main, faisait le service auprès de ses camarades aux anges, à commencer par Casper. Dès que Thibaldus eut rempli les verres, il prit un couteau, trancha du pain et beurra les tartines qu'il distribua avec générosité. Le visage du Belge s'éclaira:
—C'est bien ce que je crois?
—Il a testé les potions de sérénité et l'une d'entre elles était surdosée.
—Brillant!
—Comme mon idée! répliqua Jacques. Attends!
L'aîné des Boulanger se leva, traversa le miroir et fondit sur la table de la bande à Rosier. Casper voulut se mettre en travers, mais Jacques le repoussa sans ménagement et glissa quelques mots au creux de l'oreille du pantin temporaire. Ce dernier abandonna le tartinage, se mit à quatre pattes puis détala en courant et en aboyant. Ses camarades firent de leur mieux pour le stopper, mais il montra les crocs, bava et courut dans la direction opposée. Il traversa les miroirs sans cesser de japper, fou furieux, menaçant ou frétillant de joie. Lorsqu'il déboula en trombe à la table d'Hercule, il déclencha la liesse. Jacques flatta sa nuque, lui donna un morceau de sucre et s'exclama:
—Bon Croup! Bien! Va chercher!
Il lui lança un rond de serviette que Rosier s'empressa d'attraper à la volée et de ramener en animal obéissant à son maître.
—C'est qui le bon Croup à Jacques? Hein? C'est Thibaldus!
Alors que d'Arcy et de Valmy débarquaient pour lui mettre la main au collet et lui donner des ordres remplaçant les précédents, Jacques envoya une tartine à travers le miroir et le «Croup» fila pour la croquer.
À table, les enfants étaient pliés en deux, comme les autres tablées. Tout le monde se tordait de rire. Jamais une journée n'avait débuté dans une joie pareille. L'hilarité était partagée par la table des enseignants. La Suissesse leva même un discret pouce en l'air à l'attention du Cracmol.
Dès que les enfants eurent recouvré un semblant de sérieux, Jacques dressa un rapide compte-rendu du cours d'études des créatures magiques de la veille. Ils échafaudèrent un plan diabolique pour exploiter le merveilleux cadeau fait par la potion surdosée.
Le château et les jardins se paraient de couleurs orange, agrémentées de touches de noir. Des citrouilles évidées par les élèves de 3e année, à coups de Diffindo, un exercice ludique concocté par Elvira, décoraient l'Académie et annonçaient la fête d'Halloween, le dimanche 31 octobre. Pour l'heure, planqué sous la cape de dissimulation subtilisée à Claire Obscur l'année passée, le petit Belge patientait près du pavillon Urtica. Il était plus que jamais décidé à faire coïncider les fréquentes absences de Casper dans la chambre numéro 7 au club si secret de Sidonia Alinea. Un secret de polichinelle mais un club impénétrable, pour l'instant.
La journée avait été longue et le garçon ressentait de la fatigue. Néanmoins, ce mercredi avait été instructif. Lors de la session du club de sciences, il avait appris que cette année, le professeur Racine ne se rendrait pas à la fête d'Halloween. Dès le vendredi, il partirait, en train moldu, près de Poitiers, au château de Fougeret. La bâtisse détenait le record de France d'apparitions spectrales et fantomatiques. Les enfants l'avaient questionné sur les raisons de son séjour, s'attendant à ce qu'il s'y rende soit à titre d'observateur, soit avec l'intention de chasser des esprits et de les faire passer dans un autre monde. Jean avait alors dévoilé un petit meuble caché sous une couverture. Il s'agissait d'un ancien range-partition de musique dont les innombrables tiroirs, très fins, fermaient à l'aide de cadenas. Jean avait racheté le meuble à un musicien et l'avait fait transformer par une entreprise très sérieuse, spécialisée dans le mobilier enchanté, afin qu'il puisse y stocker, à plat, des spectres aplatis par le sortilège Oppressi Spectrum. Lorsque les élèves lui avaient demandé à quoi pourraient bien lui servir des spectres en boîte, il avait juste répondu «mystère!» et avait souri sans pouvoir détacher son regard d'Hercule et d'Umbelina, traduisant un rapport entre les deux membres de l'ordre Gerbera et sa propre personnalité ou sa propre histoire.
Pour l'heure, Hercule patientait toujours dans la froidure, frigorifié par la neige tombant par flocons légers, caressant l'espoir d'un peu d'action. Il n'était pas loin de 22h00. Encore quelques minutes et il devrait rentrer. Si Casper sortait, il le suivrait et lorsque la filature prendrait fin, il se rabattrait sur le quartier général. Il avait prévu cette éventualité et pris quelques affaires. Il se collerait au plus près du Feu Éternel, se réchaufferait avec du thé chaud préparé dans le château –le laboratoire d'Ambroisine Fordecafé avait été utile pour concocter une demi-marmite de boisson chaude –et pourrait faire une toilette rapide grâce au tonnelet récupéré en cuisine –merci Orpi! –et rempli d'eau avant d'être installé dans la cabane.
Il y eut enfin du mouvement! La surprise fut de taille: Rosier et Van Kriedt sortirent du pavillon, emmitouflés dans leurs vêtements d'hiver. De Valmy et d'Arcy les suivaient comme leurs ombres. Cinq autres individus, de différents niveaux, emboîtèrent leurs pas. Ils enfilèrent des cagoules noires afin de ne pas être reconnus. Plusieurs élèves cagoulés les rejoignirent, tous en provenance d'Aloysia, à une exception près de Lonicera. Un autre groupe, mené par la professeure Alinea, venu du château, arriva à la hauteur des pavillons. À la taille des individus, Hercule identifia des élèves en cursus de CHASSE –ils logeaient au-dessus de l'amphithéâtre Flamel –. En tendant l'oreille, il fut en mesure de tous les identifier hormis une fille, s'il en jugeait par la silhouette, l'inconnue de Lonicera, en retrait. La troupe s'ébranla et prit la direction du stade de Quidditch. Le Belge les suivit à bonne distance. Il supposa que le club allait se réunir dans les vestiaires, mais il n'en fut rien. Le groupe bifurqua vers le bois et s'enfonça dans les ténèbres. Quelques baguettes furent allumées par Sidonia et les plus âgés des élèves dont Geoffroy de Polignac, un élève de 2e année de CHASSE-Magus, un de ces possesseurs de baguettes au cœur de poil de Troll. Des bagarreurs pas très finauds, mais issus de riches familles sorcières, nobles, exécrant le mélange avec des familles aux origines douteuses ou aux bourses plates. Hercule énuméra les silhouettes: il y avait près d'une vingtaine d'élèves, plus l'enseignante. Le Belge se tenait toujours à distance et marchait dans le sillage des étudiants. Sans source de lumière –une baguette ou la lune dans le ciel –, la filature s'annonçait périlleuse.
Soudain, il entendit un craquement et se figea. Il était difficile d'identifier la provenance du bruit alors, il choisit de s'écarter du chemin et se plaqua contre un arbre. Si on ne pouvait le voir, on pouvait l'entendre. Mais ce fut lui qui fut témoin: deux ombres le suivaient! Des retardataires? L'un était un gaillard solidement bâti, adulte et l'autre, un être très chétif, un adolescent peut-être. Les deux personnages murmurèrent à quelques dizaines de centimètres de l'espion brugeois:
—Tu crois qu'ils nous ont entendus?
—Non. Ils poursuivent leur progression. Continuons à les suivre.
—Je n'y vois rien! J'ai de la buée sur les verres de mes satanées lunettes! La grêle a endommagé le sortilège de désembuage.
—Chut! Mais où vont-ils comme ça? Viens!
Hercule n'avait pas pu voir leurs visages, mais il avait identifié le timbre de leurs voix. Il s'agissait du concierge, Sébastien et du professeur Perlenjoie. D'où les silhouettes d'un costaud et d'un gringalet. Que faisaient-ils ici?
«La même chose que toi, Van Betavende! Ils sont sur la piste des suprémacistes. Ils ont eu vent du club et ont eu la même idée. Mais pourquoi eux? Bah! Monsieur Grossel est un ex-Auror et les filatures, ça le connaît. Auror un jour, Auror toujours. Quant au professeur, pas besoin d'aller chercher très loin: il est Né-Moldu de parents croque-morts, il est chargé de l'encadrement des Né-moldus, il les défend et combat les thèses nauséabondes de Rosier et sa clique.»
Hercule reprit sa marche avec un soupçon d'inquiétude. La troupe progressait en direction du quartier général!
Les élèves «anonymes» venaient de faire une halte devant un splendide sapin pleureur, de variété Picea Abies Inversa. L'enquêteur en filature le connaissait, car il ne se situait qu'à quelques mètres de leur cabane, guère plus d'une vingtaine. Le garçon était loin d'imaginer le danger encouru lorsque les membres de Gerbera se rendaient au quartier général. Faudrait-il le déplacer?
Un à un, les éléments du club se glissèrent entre les branches tombantes du sapin, jusqu'à ce qu'il ne reste plus un seul élève. Les deux adultes suiveurs patientèrent en tendant l'oreille, hésitant à s'engager. Hercule les entendit murmurer:
—Tu entends quelque chose?
—Rien. Et toi?
—Pareil.
—Peut-être n'ont-ils pas commencé? Ou alors, ils nous ont repérés! Ta baguette!
Sébastien sortit sa fidèle compagne, mais rassura son comparse:
—Je pense qu'ils ont lancé des protections ou au moins, un Assurdiato.
—Tu crois?
—À moins que cet arbre cache autre chose. Viens, Edmond!
Les deux hommes écartèrent les branchages et se glissèrent près du tronc. Hercule se rapprocha et les écouta commenter avec incrédulité:
—Mais ils sont où?
—Attends… Fais le tour. Là!
Une lueur perça la noirceur de la nuit.
—Ce trou entre les racines. Écarte les branches. Voilà! Je suis sûr qu'il y a des marches. C'est un passage!
—On ne voit rien! Ce n'est pas un terrier?
—Non.
La lumière de leur baguette disparut dès qu'ils firent un pas en avant. Les deux formes partirent en fumée, englouties par un sortilège. Le Belge s'avança à son tour et, au jugé, perçut les racines mentionnées. Il souleva un pied et l'avança. Il se reposa un peu plus bas, sur une matière dure. Le silence de la nuit neigeuse fut aussitôt remplacé par le grondement d'un torrent lointain, amplifié par une cavité naturelle. Instinctivement, le garçon se mit à compter les marches de plus en plus glissantes. Son énumération le mena jusqu'au nombre 66, soit une dizaine de mètres sous la surface. Il avança à tâtons dans l'étroite saignée en pente, jusqu'à ce qu'il détecte la faible lueur d'une baguette, celle d'Edmond. Son Lumos était tout en légèreté, parfaitement modulé. Après une cinquantaine de mètres parcourus sous terre, les deux adultes parvinrent à une plateforme rocheuse située au-dessus d'une gigantesque cavité remplie de concrétions calcaires et d'un petit lac souterrain alimenté par une source jaillissant d'une anfractuosité. L'eau s'écoulait ensuite dans un goulet très resserré et s'enfonçait dans les entrailles de la Terre. Les deux espions s'abaissèrent et épièrent le groupe d'élèves s'asseyant en cercle autour de l'animatrice du club.
Une série de marches, taillées dans la roche, descendait jusqu'au lieu du regroupement secret mais les emprunter, c'était s'exposer à la vue de tous. L'endroit avait subi quelques aménagements sorciers: une myriade de Feux Éternels et des bougies disposées sur le sol rendaient l'endroit assez lumineux pour y discerner les couleurs basiques. Une table en bois à l'épais plateau et aux pieds noueux avait été assemblée ou fabriquée sur place, à moins qu'elle n'ait été le résultat d'un sortilège de métamorphose. Elle accueillait de nombreux cierges et tout un bric-à-brac de livres, de couteaux, de calices et une large coupelle en argent ou en métal argenté, finement ciselée et ornée. De leur point d'observation, les deux hommes pouvaient tout voir, mais le vacarme de l'eau et l'écho rendaient la réunion inaudible.
Hercule avança, pas à pas, prenant garde à ne pas déraper ou à briser la plus petite stalagmite. Il put enfin découvrir, juste à côté des enseignants, la scène qu'ils observaient. Un des élèves se leva et sembla exposer, verbalement, un sujet à ses camarades. Au bout d'une minute, il fut applaudi. Le Belge avisa l'escalier de côté et tenta sa chance. Couvert par sa cape de dissimulation, il ne risquait rien. Il franchit la trentaine de marches et fondit en direction du cercle. Lorsqu'il fut en mesure de percevoir les paroles, il s'accroupit derrière une roche saillante de la paroi. Il remarqua que les bougies, posées sur le sol, formaient un pentagramme. Celui-ci pointait vers la table de bois.
«C'est un autel. Organisent-ils des sacrifices? Tentent-ils d'appeler d'hypothétiques forces maléfiques? Ce sont des sornettes! Ces idiots n'ont même pas réalisé le bon pentagramme! Il n'est pas inversé, comme le prônent et l'utilisent les satanistes moldus!»
Hercule fut à deux doigts de rire, tant la mise en scène était ridicule lorsqu'un autre élève se leva et prit la parole:
—Professeur, si nous ne pouvons pas éliminer les Moldus et tous ces Sangs-impurs, ne peut-on pas faire en sorte que le Sondeur les rejette? N'a-t-il pas déjà évolué dans ce sens en refusant d'affecter des dégénérés dans les trois ordres?
La voix était celle de Rosier. Le détective aurait identifié ce timbre faussement précieux, pincé et vicieux entre mille.
—Cette méthode a échoué. Les élèves en question ont été répartis, de force, dans les trois ordres. C'est à la source qu'il faut prendre le problème. Durant l'été, les trois référents recueillent et évaluent les candidatures. Au final, c'est le directeur qui décide. Si les Sangs-Impurs sont inscrits sur le registre initial, le directeur a toute latitude pour les sélectionner. Quand bien même le registre serait modifié pour ne signaler que les Sangs-Purs, les familles de Sang-Mêlés ou de Cracmols auraient le recours d'adresser un courrier au directeur qui serait libre d'accepter.
—Alors, il faut changer de directeur?
—Au ministère de la Magie, certains s'y emploient, pointent du doigt les dérives de l'Académie et donc, de sa tête pensante. Hélas, ce n'est pas suffisant et ils n'ont pas le poids nécessaire pour influencer le Ministre en poste.
—Il faudrait que le directeur parte de lui-même. Qui serait nommé à sa place? Et comment le faire partir?
—C'est à vous de faire des suggestions, répliqua Alinea. Quel moyen mettriez-vous en œuvre pour le pousser à quitter ses fonctions?
—C'est difficile, intervint de Polignac. Il n'a pas de famille, pas d'amis. Il n'a pas conservé de contact étroit au sein de son ancienne confrérie du Ministère. Il n'y a personne à qui il tienne vraiment!
—Je ne suis pas d'accord, coupa de Valmy. Piedargile est son talon d'Achille.
—Et tu proposes quoi? rétorqua de Polignac. T'en prendre à Abraham?
—Pourquoi pas! Il décline, il n'en a plus pour longtemps!
—On connaît ta réputation, de Valmy. Seulement, même face à un Piedargile diminué, dix bouchers de Lorraine ne suffiraient pas. Néanmoins, il y a quelque chose à creuser. Il va partir en retraite. L'année prochaine, le directeur pourrait sombrer dans la mélancolie. Quelques sortilèges additionnés de potions pourraient précipiter son départ.
—Et alors? contre-attaqua Rosier. Fontebrune parti, il sera remplacé par l'un des trois référents. Sûrement par De Bazincourt! Et ça, ce serait pire que tout! L'urgence n'est pas là. C'est trop difficile de parvenir à obtenir un directeur acquis à notre cause. Pour l'instant, ce qu'il faut, c'est dégager les dégénérés de cette école pour qu'elle retrouve un peu d'éclat. J'aurais bien aimé que l'autre exotique du Japon soit tué par les sirènes mais hélas, la personne qui s'en est prise à lui, a fait la moitié du travail! Moi, ce que je veux absolument, c'est que les deux Boulanger soient sortis d'ici! Un Cracmol et une handicapée! Quelle honte!
—Et tu as un plan, Rosier? ironisa de Polignac.
—On en a un, coupa Rostang de Hautefeuille. J'ai appris une information de premier choix qui nous débarrassera de ces deux parasites.
—On peut savoir de quoi il s'agit?
—Non, décida Rosier. On doit étudier comment exploiter au mieux cette faille.
—Bien, nous avançons grandement, intervint Sidonia.
La suite des échanges se résuma à un credo d'allégeance à leur confrérie stupide. Hercule sentit que le moment de se carapater était arrivé. Hélas! Il n'eut pas le temps de s'esquiver. Il contourna la masse d'élèves se groupant en file indienne et se dissimula sous l'autel. Il poussa un soupir de soulagement lorsque le dernier membre du club, la personne de Lonicera, s'engagea dans l'escalier en pierre brute. Il se demanda si les deux adultes espions allaient se révéler et les arrêter, mais il fut vite convaincu du contraire. Le duo en embuscade n'avait pas entendu un seul mot et n'avait donc aucune raison de les arrêter, hormis le dépassement du couvre-feu fixé à 22h00. Hercule profita de l'éclairage de la grotte pour consulter sa montre à gousset. Il était presque 23h00. Il remonta jusqu'au surplomb et constata que le duo avait décampé. Lorsqu'ils avaient assisté aux préparatifs de départ, ils s'étaient glissés dans le tunnel avec leurs baguettes et avaient filé à l'extérieur bien avant les élèves. Le Belge suivit la cohorte à bonne distance, revint à la surface, pas mécontent de retrouver l'extérieur. Il écarta les branches du sol et s'avança en silence. C'est alors qu'il se passa un fait inattendu: la personne de Lonicera ralentit son allure, se figea et se jeta hors de la vue des autres, derrière un arbre. Hercule ne fit plus un mouvement, le cœur battant à toute allure. Il s'écoula plus d'une minute avant que la silhouette ne sorte de sa cachette. Elle fit quelques pas et stoppa. Elle se tourna en direction du Belge, aux aguets, stressée. Puis, elle s'approcha de l'arbre de la cabane.
«C'est pas vrai!» paniqua le garçon.
Elle murmura quelques mots et retourna le col de sa cape. Les branches de l'arbre-escalier sortirent du tronc. Elle grimpa, enjamba le pont-levis et entra dans leur quartier général.
«Ce n'est pas possible! J'ai dû rêver!»
Hercule en fit autant et en quelques secondes, il fut derrière la porte. Il éjecta sa baguette, compta jusqu'à trois et bouscula l'unique ouverture. L'occupante, prise sur le fait, poussa un cri de surprise:
—Aaaaaah!
—Katarina?
La Russe venait juste de retirer sa cagoule. Elle ne prit même pas la peine de dissimuler sa forfaiture.
—Hercule, vous m'avez fait peur!
—Que faites-vous ici?
—Et vous? rétorqua-t-elle, les mains sur ses hanches, un brin amusée.
—Je suivais les adeptes du club d'Alinea qui grouille de suprémacistes aux théories puantes.
—J'ignore comment vous avez fait pour vous y prendre et les espionner mais moi, cela fait quatre séances que je les ai infiltrés. Les horreurs de ce soir n'étaient que des zakouskis.2
Le Belge tomba des nues. Il referma la porte. Ils s'installèrent autour de la table.
—Je vous écoute avec la plus grande des attentions.
1«Merveilleux» en allemand.
2Les entrées des repas russes.
