Sortilège 22: Halloween festive
Les enfants, réfugiés dans la cabane de Gerbera, n'avaient pas palabré durant des heures. Ils étaient trop exténués. Le garçon était bouleversé par ses découvertes, la teneur des discours, la violence des propos. Katarina en avait rajouté quelques couches, lui rapportant les trois autres réunions secrètes auxquelles elle avait pu prendre part, en mode silencieux et anonyme. Elle avait avoué que les autres membres du club étaient persuadés d'avoir affaire à Carla Baggio, une élève Lonicera de 3e année. Lorsque le garçon lui avait demandé si elle avait découvert l'existence de ce «club» durant l'enseignement sur les Moldus, suite à une fuite d'Alinea Sidonia, la jeune Russe avait nié. Elle tenait l'information de Rosa Fuchs à laquelle un des suiveurs de Rosier s'était confié, pensant trouver une supportrice. Une confidence bien malheureuse, car si le tempérament de la Luxembourgeoise était extrême, prête à démolir les dictateurs moldus, elle en avait autant pour tous les suprémacistes qui prônaient la guerre contre les Moldus, voire leur extermination avec celle des Sang-Mêlés.
Dès que Katarina avait su que ces raclures sorcières avaient tenté d'enrôler Rosa, elle avait décidé de risquer le tout pour le tout en les espionnant à distance, puis en profitant de l'anonymat. Le garçon avait loué son courage et avait convenu, rouge de honte, ne pas avoir pris autant de risques, en restant caché sous la cape de dissimulation. Il lui avait narré sa découverte supplémentaire: l'enquête parallèle du concierge et du professeur Perlenjoie. Selon lui, la direction serait mise au courant sans délai et Armand Fontebrune organiserait un piège, quitte à s'adjoindre quelques Aurors pour l'opération. Néanmoins, la nasse n'était pas près de se refermer sur les suprémacistes. Il faudrait accumuler des preuves, ce qui prendrait du temps. Un temps précieux que Rosier utiliserait pour fomenter une attaque afin d'anéantir le frère et la sœur Boulanger. Le plan, une fois mis au point, serait vite mis en œuvre. Le danger encouru par Jacques et Émilie était réel. Le point positif, dans toute cette histoire, c'est que ce groupe ne paraissait pas être à l'origine des errements du Sondeur, ni à celle des accidents ou agressions survenus depuis la rentrée. Hercule ne savait d'ailleurs pas si c'était positif ou négatif, car cela innocentait les suprémacistes, ce qui était révulsant.
—Cela n'exclut pas Rosier et Rostang de Hautefeuille qui n'accordent aucune confiance au reste des membres du club, avait noté le jeune Belge.
—Il faut avertir le Gerbera. Il faut protéger Jacques et Émilie. Et peut-être même le directeur, avait proposé la Russe.
—Vous avez raison. Entièrement raison.
Les enfants s'étaient ensuite endormis. Dans un des rêves d'Hercule, Noël Millefeuille était apparu, nimbé de lumière aveuglante. Au réveil, le Brugeois était convaincu que le garçonnet, en dépit de son ignoble aïeul, ne pourrait pas basculer du côté des partisans du Sang-Pur. Il s'était levé très tôt et avait filé, accompagné de sa camarade, en direction des pavillons. À 6h00, ils étaient entrés dans leurs bâtiments respectifs et avaient rejoint leurs chambres. Grâce à la configuration de Lonicera, Katarina était assurée de ne croiser aucune de ses colocataires. Pour Hercule, c'était plus compliqué: il devait donner l'impression de sortir de l'armoire. Pour cela, il lui fallait passer devant l'espace dévolu aux couchages aquatiques. En glissant comme un Fléreur, il n'avait pas réveillé les dormeurs. Ils étaient trois. Surpris de découvrir Casper, s'étant joué du fronton runique et de ses terribles défenses urticantes, il en avait déduit que Sidonia savait les lever sans difficulté afin de permettre à ses adeptes de regagner leurs pénates en douce. Hercule s'était alors rendu compte qu'il ne savait pas grand-chose de cette professeure, à part ses capacités inouïes à débiter des âneries sur les Moldus. Était-elle douée en sortilèges? En potions? En métamorphose?
En cours, à l'inverse de monsieur Racine ou de madame Bonnelangue dont les matières n'étaient pas axées sur la magie, Sidonia ne faisait jamais étalage de ses talents sorciers. De mémoire, l'annuaire de Beauxbâtons n'en disait guère plus, se contentant d'indiquer les dates de sa scolarité, ses résultats dans la moyenne et son emploi actuel. Elle résidait à Nice, non loin de la frontière italienne. Elle était l'une des enseignantes passant le plus de temps dans les transports magiques, contrainte d'effectuer un changement à Marseille, puis à Paris, avant de rejoindre Bourg-Enchanteur. Elle était mariée à un verrier vénitien, sorcier, créateur de flacons résistants, capable d'enfermer des âmes sorcières, infligeant des tourments éternels grâce à des kaléidoscopes fous et tortionnaires, inclus dans le verre. Il fournissait le ministère de la Magie italienne qui usait de ces prisons de verre pour enfermer les esprits tandis que les corps des prisonniers étaient conservés dans des cocons en fil d'Acromentule. Selon les dires de la professeure, le système carcéral italien, basé sur la séparation de l'âme et du corps, était le plus performant de toutes les nations sorcières. Les élèves la croyaient sur parole, pour une fois. Hormis ces éléments, rien ne filtrait sur la femme. Le midi, lorsqu'elle déjeunait, elle se contentait d'écouter les conversations sans vraiment y participer, croisant les bras, adoptant des postures fermées.
Dès le petit-déjeuner, Hercule s'était heurté à un problème auquel Eugénie avait été confrontée: l'impossibilité de communiquer une information ou d'organiser un rendez-vous sans éveiller les soupçons de Jacques, Émilie, Noël ou les élèves des tables voisines du miroir. Il fallait trouver une astuce pour que chaque membre soit averti qu'un rendez-vous au Quartier Général était réclamé, avec toute la discrétion nécessaire. Les casiers à courrier ne présentaient pas de garantie de sécurité –Shin en avait fait les frais –, ni la certitude d'être consultés en temps et heure.
Katarina ne cessait de lui jeter des regards, lui signifiant qu'elle souhaitait partager tout comme lui. Il fallait un subterfuge commun aux trois ordres, ce qui excluait les éléments colorés comme l'écharpe. Dans l'idéal, il fallait que cela fonctionne en dehors du château. Un objet manufacturé? Mais lequel? Et par quelle entreprise? Les Delacour n'étaient pas les seuls dans le monde magique. Il se rendit compte qu'il ignorait presque tout sur le monde du travail sorcier. Alors, l'espace de quelques instants, il replongea dans son mental, feuilletant l'annuaire de Beauxbâtons, à la recherche de sorciers exerçant des métiers artisanaux magiques, des anciens et rares élèves ayant choisi la défunte voie CHASSE-Enchant'art. Un nom lui sauta aux yeux: de Bazincourt. Honoré, le père d'Elvira, était gérant d'une boutique de réparation et de vente d'artefacts magiques nommé Baz'repair. Aucune adresse n'était notée mais ce n'était pas un problème pour un hibou postal. Si seulement il pouvait savoir ce dont monsieur de Bazincourt faisait commerce! Il ne pouvait tout de même pas poser la question à Elvira, sans quoi elle devinerait vite qu'il y avait anguille sous roche. Il pourrait interroger Théophile Amand qui s'était révélé d'un grand secours l'année dernière, à propos de la fabrique Delacour.
«Bien! Encore un peu de fouille dans l'annuaire… Voyons… Tiens! Un nom de moldu célèbre: Jacqueline Bréguet. Je me demande s'il s'agit de la famille des avionneurs et des concepteurs de montres? Une famille qui concentre un nombre et une qualité incroyable d'inventeurs! Se pourrait-il que la CHASSE-Enchant'art l'ait conduite à créer des montres et des horloges enchantées? Mais pourquoi envoûter une horloge? Quel enchantement utiliser pour un objet qui n'est destiné qu'à mesurer l'écoulement du… temps! Nom d'un Gnome! Une horloge remontant le temps! Se pourrait-il que le professeur Racine connaisse aussi cette personne? Voyons… Non, impossible! Jacqueline Bréguet est née en 1832, ce n'est pas une de ses contemporaines. Aucune date de décès n'est mentionnée. Elle aurait presque 90ans. J'imagine qu'elle n'exerce plus. Sans le nom d'une boutique sise Place Cachée ou ailleurs, il est compliqué de dénicher cette personne. Qui pourrait créer un artefact magique usuel comme une montre enchantée?»
Hercule consulta sa montre à gousset. L'heure de se rendre en cours approchait. Il termina son thé et ses œufs brouillés refroidis. Face à l'insistance du regard de Katarina, il fit signe de la main de temporiser, puis toucha sa tempe du bout de l'index gauche. La Russe acquiesça, ayant compris qu'il réfléchissait à une solution. Les enfants se levèrent lorsque les mets gourmands disparurent et que les tables furent préparées pour le service suivant. Ils se souhaitèrent une bonne matinée et chaque ordre se rendit dans ses cours respectifs.
Quelle que soit la matière enseignée, en règle générale, Hercule prenait place au premier rang en compagnie de Jacques –lorsqu'il était concerné par la matière –et Shin. Souvent, Ysandre de La Fare, une élève studieuse, captait une place de choix aux avant-postes. Elle était accompagnée de Laurine de Clermont-Tonnerre, une jeune fille travailleuse mais affublée d'une mémoire défaillante et d'une malchance chronique qui avait failli lui coûter un rarissime redoublement.
Cependant, sans un mot d'explication, poussé par son intuition, le jeune Belge avait abandonné les habitués du premier rang pour s'installer au troisième, non loin de Rosier et de sa cour d'admirateurs. L'espionnage du suprémaciste n'était pourtant pas au programme. Hercule s'était assis juste derrière Dune Dunne, la future remplaçante d'Abraham Piedargile au poste d'enseignant des runes. La mystérieuse quarantenaire, vêtue d'une robe sorcière lie-de-vin, coiffée d'un bibi avec une voilette accordée, était assise parmi les élèves pour écouter, noter les paroles d'Abraham et observer sa méthodologie.
Le Brugeois sentait que sa position –dans le dos de Dune –causait un problème de concentration à l'enseignante. Elle se trémoussait, profitant de n'importe quel bruit venu du coin de Thibaldus pour jeter un œil à Hercule. Le garçon se décala pour échapper à son champ de vision et à sa vigilance. Il put jeter un œil au bureau de la femme: trois parchemins noircis –soit bien plus que ses propres notes –, une bouteille d'encre noire et une liasse de parchemins vierges bloqués par sa baguette magique. Hercule ne pouvait pas déterminer l'essence, ni la composition du cœur, car l'objet était en grande partie masqué par les parchemins enroulés autour de l'artefact. Néanmoins, il avait tout le loisir d'observer l'embout du manche. Là où il y aurait dû avoir une légère brèche bouchée avec un amalgame de bois, abrasé puis verni, après y avoir logé et bloqué l'inclusion magique, il y avait en fait une adjonction métallique sur laquelle les 24 runes celtiques du vieux futhark avaient été gravées. En soi, la gravure de l'alphabet complet sur une pièce de 25mm de diamètre, représentait une vraie gageure. Ensuite, il était étonnant, amusant, que la baguette s'accorde avec la matière enseignée par la femme. Était-ce un souci purement esthétique? Hercule se refusait d'y croire, même si la sorcière tenait à ses accords. S'il s'agissait d'une baguette reçue dans son enfance, le destin ou le hasard avaient de quoi forcer le respect.
Tout à coup, sans raison particulière, Dune prit sa baguette en main. Elle était beige, lisse, droite, conique, sans gravure, peinture ou fioriture, hormis une unique longue rainure rectiligne allant de la pointe à l'extrémité du manche. Elle la saisit par un bout et tourna la partie métallique gravée de runes.
«Une molette?» s'étonna Hercule, en entendant les légers cliquetis engendrés par la rotation. Une fois positionnée sur la rune ᚢ, symbolisant la force, elle lança un sortilège sur son bureau usagé et tâché par des siècles d'utilisation. Le mobilier devint aussi propre, verni et neuf que s'il venait de sortir d'un atelier du meilleur ébéniste! Hercule était admiratif; Dune ne s'était pas contentée d'une restauration, elle avait accompli une sublimation. Même son appétence pour le bois était loin de lui faire atteindre un tel niveau. C'est alors qu'une idée émergea des méandres de ses petites cellules grises.
«Bon sang! Tout le monde ou presque possède une montre à gousset, pour ne jamais être en retard au cours, même si le hall d'entrée dispose d'une magnifique horloge franc-comtoise que nous autres, élèves, consultons souvent. La montre est un objet usuel passe-partout. On s'en sert souvent, même si les modèles à gousset ne sont pas pratiques et discrets. L'idéal, ce serait que l'invention de monsieur Cartier pour l'aviateur moldu Santos-Dumont, se généralise: une montre-bracelet. Attachée au poignet, plus facile à consulter sans se contorsionner, sans lâcher les commandes de l'avion. Néanmoins, nous allons faire avec les moyens du bord. Voyons… Shin en possède une en argent. Sigrid et Umbelina ont fait l'acquisition de modèles chronographes pour des raisons différentes: la première pour chronométrer certaines phases de préparation de potions, à cheval sur le nombre de tours de spatule en bois et le temps final. La seconde, pour mesurer ses progrès en course dans le bois. Katarina… Oui, la sienne est magnifique, ovoïde comme un œuf de Fabergé, incrustée de minéraux précieux. Quant à Eugénie, je ne l'ai jamais vu consulter l'heure en ma présence, car elle n'a jamais trouvé le temps long. Je lui poserai la question. Si besoin, elle sera dotée.
À présent, l'idée, c'est d'inclure dans nos montres respectives une bague tournante, crantée. Si l'un de nous manipule la bague et positionne une des runes en face disons, du chiffre 12, alors les cinq autres bagues des montres se déplaceront à l'identique. Ainsi, chacun sera en mesure d'identifier une information. L'action la plus courante consistera à convoquer ses camarades, à l'issue des cours, dans le bois ou au quartier général. Nos prénoms peuvent être remplacés par une rune unique. Cela fonctionne pour… Ah non! Sigrid et Shin ont un prénom qui commence par la lettre S. Alors, disons la lettre V de Vérité pour notre ami japonais.»
Le garçon ne notait plus le cours d'Abraham mais, sans s'en rendre compte, consignait ses réflexions par écrit.
«Nous aurons ᚺ pour le H d'Hercule, ᛊ pour le S de Sigrid. ᛖ sera Eugénie, ᚢ échoira à Umbelina, ᚲ sera Katarina et ᚹ sera la rune pour Vérité, alias Shin. ᛞ symbolisera le D de Danger et nous avertira en cas d'urgence. Voilà… Eugénie parviendra à mémoriser deux runes: la sienne et celle du danger. Inutile de compliquer davantage. Ensuite, après avoir créé une bague, nous la dupliquerons et nous userons de l'astuce que j'avais prévue pour explorer les 35 degrés. Le fantastique Proteiforma! Six bagues enchantées par ce sort. Dès que l'un des membres de Gerbera touchera à sa bague, les cinq autres bougeront et les propriétaires seront avertis. Dans l'idéal, il faut obtenir le cliquetis perçu sur la baguette de madame Dunne. Il y a des roulements à billes à l'intérieur, des roues crantées. Par contre, pour créer ces bagues et les insérer dans nos montres, cela va demander des techniques horlogères ou un savoir-faire artisanal pas nécessairement sorcier. Oui, des Moldus seraient capables de les réaliser. Il faut savoir manipuler le métal… Le métal!»
—Par Flamel! Eurêka! s'exclama le garçon à voix haute.
—À la question posée notre jeune Van Betavende a-t-il la réponse? questionna le professeur Piedargile.
Rouge comme une tomate, Hercule balbutia:
—Euh… non, Professeur. Fausse alerte.
Dune Dunne se retourna et le dévisagea. Puis, elle manipula sa baguette en faisant tourner la molette avec un grand sourire. Elle stoppa sur ᛞ sans se départir de son amusement.
En entrant dans le restaurant, les étudiants de l'Académie furent surpris de découvrir que les tables, dressées, n'étaient pas garnies des succulents mets concoctés par le chef cuisinier sorcier et sa brigade d'elfes talentueux. Les enseignants au complet étaient assis à leurs places habituelles tandis qu'Armand Fontebrune se tenait debout. Cette disposition spéciale était, en général, les prémices à un discours du directeur. Au bout de cinq minutes, lorsque tout le monde fut installé, il prit la parole, saupoudrée d'un Sonorus modéré, informulé. Tout le monde fit silence. Il entama ainsi:
—J'ai une nouvelle très importante à vous communiquer. Comme vous le savez, grâce aux enseignements du professeur Laflèche, le Quidditch comporte, en France, deux compétitions distinctes. Il y a d'abord le championnat où les équipes, classées par niveaux, s'affrontent tout au long de l'année pour accumuler des points, gravir les divisions et se maintenir ensuite au plus haut niveau possible. Il y a aussi la coupe Ambelion, une compétition spéciale, annuelle, où chaque rencontre, entre toutes les équipes de tous les niveaux, est éliminatoire. Certaines années, de petites équipes locales, aux moyens modestes, parviennent à battre des têtes d'affiche et à se hisser dans les phases finales. Cette année, les modestes Étoiles d'Odeillo ont réussi à atteindre la dernière étape durant laquelle les joueurs vont affronter l'ogre de la première nationale, actuellement deuxième du championnat: les Vampires de Perpignan. Le match aura lieu le dimanche 22 décembre. Monsieur Laflèche, ici présent, a réussi un tour de force. Vous pensez qu'il a obtenu des places à un prix préférentiel pour une délégation de Beauxbâtons?
Une vague de hourras envahit la salle, mais Armand temporisa à l'aide de gestes d'apaisement:
—Eh bien non, notre référent d'Aloysia n'a pas fait ça. Il a fait bien mieux! Il a obtenu du Département des Sports Magiques que la finale se déroule… au stade de notre école!
La folie s'empara des élèves et des professeurs. Nombreux furent ceux se levant, applaudissant à tout rompre, entamant des danses de la victoire, scandant le nom de l'audacieux référent.
—S'il vous plaît, un peu de calme! S'il vous plaît! Wilfried…
Le référent appliqua sa baguette sur sa gorge et siffla avec une puissance telle que quelques verres et cruches éclatèrent.
—Merci! Merci! Vous avez l'air d'apprécierla surprise! J'avoue que cela n'a pas été simple à arracher. Cependant, la proximité géographique des deux équipes a grandement contribué à la faisabilité de ce projet. Je n'ai pas seulement gagné cette finale pour l'Académie. J'ai aussi obtenu la possibilité de voir Lonicera affronter Aloysia en match d'ouverture. Le match prévu en février sera avancé pour l'occasion.
La stupéfaction se lut sur les visages. Depuis l'arrivée d'Umbelina, Lonicera constituait un adversaire de choix face à Aloysia et reléguait Urtica au rôle de faire-valoir, sauf si le Japonais bloquait tout ce que les poursuiveurs adverses tenteraient pour marquer des points. Aloysia avait Luisa Fellini qui serait rétablie dans trois semaines. Wilfried ajouta:
—C'est un événement exceptionnel, un magnifique cadeau de Noël. J'espère vous voir nombreux!
Les enseignants se rassirent. Monsieur Laflèche se pencha vers son supérieur et lui murmura à l'oreille. L'homme parut surpris. Il hocha la tête en guise d'approbation.
—Lonicera contre Aloysia, fit Umbeijo, pensive. Il va falloir doubler, tripler l'entraînement.
—Fellini sera de retour, plus forte que jamais, taquina Hercule.
—Ce jour-là, il y aura deux Fellini dans les airs, ajouta la Portugaise.
—Deux? s'étonna Hercule.
—Giulia, la sœur aînée de Luisa, est attrapeuse pour les Étoiles d'Odeillo. C'est grâce à ses captures du Vif d'Or si ce club a atteint la finale.
—C'est une véritable manie d'être attrapeur, dans cette famille!
—Une tradition… Bon sang! Match d'ouverture! Quelle chance! Sans rancune, Shin?
—C'est dommage pour Urtica. Mais je ne tiens pas à voir mon visage en photo dans un journal sorcier sur lequel mon père lira mes prouesses. C'est mieux ainsi.
—Qui supporteras-tu, alors?
Le Japonais sourit de toutes ses dents et confia:
—Je ne veux pas vous froisser, ni vous, ni Eugénie, les acrobates du balai. Je réserve mes couleurs pour le 22 décembre.
La discussion passionnée autour du sport favori des sorciers se poursuivit. Hercule se pencha vers Sigrid et lui demanda, en douce:
—J'aurais besoin de votre aide, de vos talents pour la métamorphose, afin de réaliser un objet en métal.
—De quoi s'agit-il?
—Ceci.
Il lui tendit un petit morceau de parchemin sur lequel il avait dessiné le schéma d'une bague tournante, les parties crénelées, la position, la taille, le nombre de billes de roulement, la visserie. Le tout avec les cotes en microns et les 7 runes.
—C'est extrêmement détaillé, précis. À quoi cela servira-t-il?
—Vous le saurez ce soir, après les cours, au quartier général. Passez l'information à Eugénie.
Hercule se chargea d'avertir Shin qui murmura à Katarina laquelle fit tomber un couvert d'Umbeijo pour la distraire du Quidditch quelques secondes. Jacques, Noël et Émilie n'y virent que du feu, mais cette méthode avait ses limites.
Les cours reprenaient avec le Quidditch en tête. Le seul à ne pas y songer, c'était Wilfried. Il attendait Armand devant son bureau lorsque le directeur parut enfin, accompagné par Agathe Bonnelangue. Le cœur du référent d'Aloysia fit un bond.
—Vous souhaitiez me voir, Wilfried?
—Oui, Monsieur.
—Entrez. Agathe?
—Je viens aussi.
—Pour un autre souci?
—Pas du tout.
Armand sentit que la situation lui échappait. Il détestait cette impression.
—J'ai peur de ne pas comprendre.
—Vous verrez.
—Bien. Installez-vous. Qui commence?
Après avoir pris place, les deux référents se dévisagèrent. Agathe invita son confrère à entamer son exposé.
—Monsieur, j'ai écrit au ministère de la Magie afin d'obtenir la tutelle de Gabriella d'Anunzzia, élève en première année Urtica.
Il exhiba un parchemin officiel.
—Ma demande a été acceptée.
Armand se racla la gorge, gêné par la tournure des événements. Il se fit le plus diplomate possible:
—Vous savez ce que je pense de votre démarche. Sur le fond, je la comprends. Je tiens juste à dire qu'il est impossible que vous preniez en charge toute la misère du monde. Des fillettes comme Gabriella, il y en a toujours eues et il y en aura encore. Des enfants Né-Moldus, incompris, maltraités. C'est scandaleux. Ils ont droit aux mêmes chances que les enfants issus de familles sorcières. L'Académie est là pour y remédier, dans une certaine mesure. Hélas! Malgré toute notre volonté, nos actes, nous avons nos limites. Vous êtes jeune, vous croiserez d'autres enfants perdus, mal aimés, considérés comme des monstres par leurs parents. Vous ne pourrez pas vous substituer aux géniteurs parce que cela deviendra vite ingérable.
—Je sais, Monsieur. Mais Gabriella est… spéciale. Cela va au-delà. Je veux m'impliquer davantage pour elle.
Armand hocha la tête. La petite Italienne avait fait fondre le cœur du référent, le beau garçon, l'éternel célibataire, sans attache.
—Vous savez que le Ministère exige deux tuteurs pour retirer d'autorité un enfant sorcier à une famille, qu'elle soit moldue ou sorcière.
—Il y a ma signature, intervint Agathe.
Armand soupira et leva les yeux au ciel:
—Vous, Agathe! Vous l'encouragez!
—Allons, Armand… Vous vous doutiez bien que je n'hésiterais pas une seule seconde. À présent, tout est en ordre. Gabriella est en possession de ses deux tuteurs.
—Il y a une autre exigence à remplir que Wilfried…
—… va s'empresser de vous réclamer tout de suite, coupa l'intéressé. J'ai déjà effectué les Reducto sur mes biens et mobiliers. Il ne me reste plus qu'à obtenir des clés d'un appartement au château. Je logerai sur place pour être au plus près de Gabriella.
—Vous avez réponse à tout? Hum?
—Oui. J'ai même imaginé comment créer un fond de soutien aux enfants Né-Moldus, victimes d'ostracisme, de maltraitance. Voulez-vous en connaître les détails?
—Non, c'est bon, la coupe est pleine! Passez prévenir Sébastien pour les clefs et expliquez la démarche à Gabriella, qu'elle ne tombe pas des nues.
—C'est fait.
—Quoi? La clé? L'avertissement?
—Tout, répondit madame Bonnelangue.
—Tout, ajouta monsieur Laflèche.
—Tout… Sortez, vous m'agacez! Vite!
Ils s'exécutèrent mais Armand, loin d'être énervé, était aux anges et fier de ses référents. Il en eut la larme à l'œil. Il avait vraiment la chance d'avoir les meilleurs à ses côtés. Aucun doute.
Il revint à son bureau après avoir fermé la porte. Il s'empara d'un rouleau de parchemin noirci. Il était signé par Sébastien Grossel et Edmond Perlenjoie. Il relatait leur filature et leur découverte. Il relut le récit deux fois. Puis, il le jeta dans le feu crépitant dans la cheminée.
Eugénie, Sigrid, Umbelina et Shin avaient la mâchoire à deux doigts de se décrocher. Les viennoiseries à engloutir pour le goûter tardif restaient en suspension, entre assiettes et bouches. L'ordre Gerbera, au complet, était anéanti par l'ampleur des théories et des actes des suprémacistes. La menace était sérieuse; ils étaient d'accord pour surveiller les Boulanger à leur insu.
—Je n'en reviens toujours pas! Cette teigne de Rosier et ses adulateurs méritent la cour martienne moldue, le totem de l'exécution, le pot-aux-roses de la torture, la Griottine pour couper sa tête de scélérat, enfin tous les trucs ignobles planqués dans les réserves du Ministère!
Même si Eugénie mélangeait les termes, elle ne manquait pas d'imagination. Elle enfonça le clou:
—On ne peut pas lui préparer un gros piège, avec des piques en bois, pour l'empaler? Ou l'enfermer à double tour dans la cage des Bayours et jeter la clef aux oubliettes?
—Eugénie, on croirait entendre notre colocataire Rosa Fuchs! On ne peut pas régler le problème des suprémacistes en utilisant des méthodes barbares, contesta Umbeijo. On ne peut pas, aussi révoltant que cela puisse paraître. Et pourtant, sache que je suis sûrement en tête de liste, après les Boulanger. Après tout, je suis Né-Moldue, un triste privilège. Peut-être à égalité avec Shin qui les a bien agacés.
—En effet, je pense que Rosier ne m'apprécie guère. Il n'aime pas les nuages roses, ce qui interdit toute future entente.
Sa réflexion, pleine de légèreté, tentant de minimiser les risques qu'il encourait, soutira un sourire aux enfants.
—Hercule voudrait mentionner un autre point, coupa Sigrid.
—Ah oui! Je crois que vous avez tous une montre?
—Pas moi! Pourtant, j'aurais aimé, histoire de garder un œil sur les aiguilles, de comptabiliser les minutes interminables de la plupart des cours! Mais bon, papa Alfred, radin, bla bla bla, etc. Vous connaissez la suite de la chanson.
—Nous résoudrons ce point. Nous allons modifier nos montres pour inclure une bague tournante enchantée. Grâce au sortilège Proteiforma, nous disposerons d'une fonction permettant de fixer un rendez-vous dans la cabane ou nous avertir d'un danger.
Hercule exhiba alors le morceau de parchemin qu'il avait griffonné en cours et expliqua qu'ils allaient travailler à la réalisation de la bague, à son enchantement et à son intégration aux montres existantes. Sigrid fut encouragée à donner le meilleur d'elle-même pour réaliser la partie métallique. Hercule avoua que l'étrange bague de Dune Dunne lui avait inspiré cette solution discrète. Il avait aussi révélé que l'enseignante avait fait preuve d'un comportement louche. À tel point qu'il avait fouiné à la bibliothèque, cherchant des renseignements sur elle. Or, il n'avait trouvé aucune trace d'une Dune Dunne dans un ouvrage parlant des runes, pas plus que dans l'annuaire de l'Académie. Les quelques phrases qu'elle avait prononcées en classe, étaient riches de vocabulaire, sophistiquées et dénuées de tout accent étranger. Hercule était formel: elle n'avait jamais mis les pieds à Beauxbâtons. Eugénie avait noté un détail intrigant.
—Vous avez remarqué qu'elle prend tous ses repas au restaurant du château?
—Bien sûr, avaient répondu ses camarades.
—Et vous ne l'avez pas vu aller vers la Cabane Enchantée pour embarquer dans le système de transportation?
—Non, admirent-ils d'un commun accord.
—J'ai vérifié dans la loge de monsieur Grossel. Les seules clefs d'appartements manquantes sont celles de mon père, d'Agathe, de Claire, d'Armand et de la conciergerie.
Katarina fit quelques suggestions:
—Où dort-elle? Dans une salle de classe? Dans un passageinconnu? Dans les bois? Dans une pièce secrète?
—Ou chez le Sondeur, suggéra Hercule.
—C'est impossible! Comment pourrait-elle savoir? s'insurgea Eugénie. Sans toi, Hercule, on n'aurait jamais deviné ses autres fonctions.
—C'est une excellente question. Un mystère de plus, ajouta le Belge.
Ils virent une lueur s'allumer dans ses yeux.
—Une filature, Hercule? suggéra l'héritière de Beauxbâtons. Après tout, les logements du château ne sont pas gratuits, non? Armand n'apprécierait pas qu'un enseignant resquille au moment de passer à la caisse!
—Filature! Aussitôt le repas terminé, nous nous dispersons non loin du restaurant et l'un de nous verra bien quelle direction elle prend.
Une fois les modalités d'espionnage de Dune entérinées, Eugénie revint sur le club de Sidonia. La nouvelle lui restait en travers de la gorge. Elle ne pouvait pas se faire à l'idée de ne pas saboter les plans de Rosier. Les membres de Gerbera achevèrent de la convaincre qu'il était inutile, voire dangereux de prévenir Armand qui, à l'heure qu'il était, avait été mis au courant par Sébastien. Comment le Gerbera justifierait-il la possession de ces informations? Une dénonciation anonyme serait tout aussi risquée puisque désormais, le directeur faisait appel aux lumières de l'ordre pour résoudre les mystères et aux méthodes d'Hercule pour démontrer les faits. Ils seraient tous contraints de mentir et seraient bannis de l'ordre. S'attaquer, de front, à Rosier n'était pas la meilleure des idées. Le suprémaciste se poserait en victime; il jouait très bien la comédie quand c'était nécessaire. Quant à cuisiner Rostang de Hautefeuille, c'était exclu. La beauté glacée et calculatrice était une tombe: tout y entrait mais rien n'en sortait. Eugénie s'était tournée vers Shin et l'avait supplié de faire appel à ses talents divinatoires pour savoir où et quand l'attaque aurait lieu. Le garçon s'était concentré, avait jeté quelques pétales et n'avait vu qu'un seul mot, fataliste: infirmerie. La mort dans l'âme, les enfants avaient quitté le quartier général, se dispersant à intervalles irréguliers afin de ne pas se faire repérer.
Soixante minutes plus tard, le dîner achevé, Eugénie traînait au premier étage, près de l'escalier principal, discutant avec Sigrid. Umbelina était en poste dans le couloir de la bibliothèque et du Sondeur, adossée près de la porte de l'infirmerie. Katarina et Shin patientaient dans le couloir administratif menant aux différents appartements et au bureau d'Armand. Hercule se tenait sur le perron du château en compagnie de Jacques. Sa discussion à bâtons rompus et sa position lui permettaient d'avoir un œil sur l'extérieur mais aussi sur la conciergerie, au cas où son locataire donnerait une clé en douce à l'enseignante. Dune se leva de la table des enseignants, salua ses consœurs, le personnel soignant ainsi que le directeur. Elle prit la direction de la sortie, traversa le hall et stoppa soudain. Elle bascula la tête en avant, de côté. Elle ferma les yeux et se mit à respirer avec lenteur. Puis, l'amorce d'un sourire se dessina sur ses lèvres. Un pop discret signala son transplanage. Hercule, Eugénie et Sigrid, témoins directs de la scène, n'en crurent pas leurs yeux. Elle les avait repérés.
Quelques minutes plus tard, les enfants, regroupés non loin du pont de la Rivière Enchantée, étaient de nouveau réunis. Un rapide tour du château leur avait appris que Dune s'était volatilisée. La seule certitude, c'est qu'aucune clé ne manquait dans la loge de Sébastien. Et même si elle avait directement transplané dans un appartement de la tour Est, aucune des meurtrières visibles depuis l'extérieur n'était allumée. Les protections de l'Académie étaient si puissantes qu'aucun transplanage de ou vers l'extérieur n'était possible. Il n'y avait eu qu'une exception: le jour chaotique de la rentrée où l'anti-transplanage avait été désactivé. Alors? Comment avait-elle réussi ce tour de force? Et surtout, comment avait-elle pu détecter la filature établie avec toutes les précautions d'usage, en moins de trois secondes?
—Je l'ai vue stopper d'un coup, pétrifiée, comme si…
—Elle avait entendu, vu?
—Oui, Shin. Ce matin, en cours, elle a eu une attitude similaire. Comme si elle savait que je m'intéressais à sa baguette bizarre.
—Vous savez, au Japon, je n'ai jamais vu de baguette avec un bout en métal. Ni chez mes professeurs, ni en vente dans la boutique de madame Fujita dans le quartier magique.
—Vous savez que j'ai une mémoire d'oiseau, mais je suis quasiment sûre de n'avoir pas vu un tel modèle chez Cosme Acajor, quand le vendeur a déballé tout son stock devant moi, ajouta Eugénie.
—Pareil pour moi, intervint Umbelina. Les productions de monsieur Gregorovitch sont très noueuses, torturées, absolument pas rectilignes comme tu l'as décrite.
—Je passe mon tour. Héritage familial, dit Sigrid.
—Quant à moi, je n'ai rien vu de tel chez Ollivander, à Londres, confirma Hercule. Et tout comme pour Eugénie, le maître a sorti tout son stock avant de trouver la seule baguette qui me convenait.
Les regards se tournèrent vers Katarina, la seule à ne pas avoir expliqué comment elle s'était procurée sa compagne de bois. Elle prit quelques secondes avant de réagir et de s'exprimer:
—Oh pardon! Euh… Je vous ai dit que ma baguette de sycomore possède une plume de Lupara?
—Quoi? firent les autres enfants.
—J'avoue avoir noté la composition de votre compagne magique, l'année dernière, grâce à la collecte effectuée par Elvira mais sans comprendre, ni trouver à quel animal correspondait ce cœur. Nous vous écoutons.
—Le Lupara est une créature qui ressemble à un loup sans queue pour la forme générale. Sa tête est couverte de plumes multicolores et son corps, est protégé par des écailles de platine, tranchantes comme des lames de rasoir qu'il peut éjecter, comme les piquants d'un porc-épic. Ses pattes sont palmées et dotées de griffes acérées. Il vit exclusivement dans les profondeurs du Baïkal, le plus grand lac de Russie. Lorsqu'il émerge, il ne sort que sa tête magnifique et ressemble, de loin, à un oiseau flottant sur les eaux calmes. Il chante et peut même imiter la voix humaine. Mâles ou femelles ont un chant féminin, semblable à celui des sirènes. Mais ne vous y fiez pas! C'est une créature très dangereuse, chassant ses proies sans pitié, surtout des pêcheurs qu'elle entraîne sous l'eau jusqu'à la noyade. Le Lupara est amphibien et ovipare. Ses nids sont au fond du lac: à 700 mètres de profondeur, ils sont protégés. Si ses écailles et ses griffes sont mortelles, ses plumes sont d'une douceur extraordinaire. Il ne figure dans aucun livre parce que le ministère de la Magie russe interdit toute mention du Lupara. Sa chasse et son élevage sont formellement interdits. Monsieur Alexei Igor Vladimir Borodine est la seule personne au monde qui possède un permis de capture pour prélèvement de plumes et d'écailles de platine. Une seule personne, une seule autorisation pour cette seule famille de sorciers qui fabrique et revend des baguettes magiques.
—Qui revend? nota Hercule.
—Monsieur Borodine est particulier. Il voyage beaucoup, dans tous les pays, à la recherche de baguettes, neuves ou d'occasion, pour ses futurs acheteurs. Il a des visions sur ce qui conviendra à ses futurs clients qu'il ne connaît pas encore. Quand je suis entrée dans sa boutique, à Moscou, ma baguette m'attendait déjà sur le comptoir.
—Fascinant! Un maître des baguettes, doublé d'un visionnaire.
—Il est heureux que ma baguette ait été prête à mon arrivée, car le visage de monsieur Borodine est l'un des plus effroyables que j'ai vus. Il est si horrible que je regardais ailleurs tandis que ma mère réglait l'achat. Dans sa boutique, chaque baguette a un support épousant sa forme. J'ai pu voir qu'il y avait toutes sortes de provenances. J'en ai vues comme celle décrite par Hercule: droite, claire, simple, la molette en métal. Il y en avait trois ou quatre comme ça. Il était indiqué qu'elles avaient été fabriquées au Moyen-Orient. Pas d'indication supplémentaire, dans mes souvenirs. Je m'en souviens parfaitement, car chaque baguette valait 200 Gallions.
—200?! C'est exorbitant! s'offusqua le Belge.
—Je trouve aussi. D'autant qu'elle n'avait pas l'air neuve. Bien au contraire!
—Celle de madame Dunne paraît aussi âgée. Alors, elle pourrait venir directement d'Orient ou de Moscou.
—Je tenterai de l'observer dès que je serai en cours de runes, promit Katarina.
—Entendu. Bien! Elle a déjoué nos plans, mais nous n'avons pas dit notre dernier mot.
Les enfants décidèrent de se rendre dans leurs pavillons. Shin demeura silencieux, songeur, avant d'avouer à Hercule:
—Sycomore et Lupara. Le cœur d'une créature douée de parole, commenta-t-il.
—Extraordinaire, mon ami, la science des baguettes, n'est-ce pas?
—Passionnante, Hercule.
Dans le château, une porte grinça. Dune entra dans la salle de cours habituelle des runes. Elle se dirigea vers le fond de la pièce et ouvrit un placard vide où une malle couverte de clous tapissiers traînait. Elle sortit sa baguette, murmura une formule dans une langue gutturale et le couvercle s'ouvrit, laissant filtrer une lumière aveuglante.
Le professeur Racine avait quitté le restaurant, muni de sa valise en cuir, sous les regards étonnés des élèves. Abandonnant ses traditionnelles robes sorcières, des tenues de travail comme de simples blouses par-dessus des vestes élimées, il avait revêtu une redingote, une chemise à boutons de manchette, une lavallière et un haut-de-forme. Ses souliers vernis noirs étaient rutilants. Il était à la dernière mode moldue, la plus chic. Empoignant son unique bagage, il s'était rendu à la gare de Bourg-Enchanteur pour y emprunter un ovule le conduisant à Bordeaux. Il avait émergé dans l'arrière-cour d'une vieille scierie et s'était rendu, à pied, à la gare Saint-Jean. Là, il était monté à bord d'un train à vapeur moldu, en première classe, se mêlant au quidam sans la moindre difficulté.
Le convoi l'avait conduit jusqu'à Poitiers où une correspondance pour Limoges l'attendait. Il était descendu à la gare de Lussac-les-Châteaux, à mi-parcours. Contre espèces moldues sonnantes et trébuchantes, un conducteur de camionnette utilitaire, habitué à livrer des sacs de charbon aux clients de son affaire, avait accepté de le conduire jusqu'au château de Fougeret, peu avant le village de Queaux, au cœur de la campagne poitevine. Il s'était présenté à l'entrée principale de la forteresse, muni d'un carton d'invitation spéciale.
Un homme en livrée blanche et rouge avait ouvert la porte. Il avait détaillé Jean des pieds à la tête. Celui-ci avait tendu le carton tapé à la machine à écrire. Le domestique l'avait parcouru à plusieurs reprises et n'avait prononcé que quelques mots:
—Bienvenue au domaine de Fougeret.
—Merci. Ma tenue conviendra-t-elle?
La langue du cinquantenaire s'était déliée.
—Oui. Elle vous assurera de passer inaperçu parmi la foule d'invités aux… réjouissances qui débuteront à 16h00, demain. Vous aurez presque une journée pour faire votre «travail».
—Parfait.
—Cependant, les «choses» se manifestent surtout lorsqu'il y a du monde.
—Je vois.
—Monsieur Bobain ne pourra pas vous recevoir. Vos repas seront déposés dans votre chambre, dans le toit de la tour solitaire, hors du château.
—Ici?
Il se tourna et désigna une sorte de pigeonnier aménagé pour l'habitation.
—Tout à fait. L'objectif est que vous puissiez accomplir votre mission grâce au… dérangement que la fête générera.
—Bien sûr.
—Je vous conduis à votre chambre. Ensuite, si vous le souhaitez, je vous ferai faire un tour complet des différentes pièces, du sous-sol au grenier.
—Il est important que je puisse accéder au moindre recoin. Aucune cachette pour les… choses.
—Entendu. Venez.
Le domestique aux tempes grisonnantes le conduisit vers la tour excentrée. Jean eut pour lui un mélange de compassion et de méfiance. Les lieux ne lui faisaient pas la meilleure impression. Ils respiraient la souffrance, la sorcellerie, la plus noire qui ait existé. Il glissa sa main à l'intérieur de sa redingote et s'assurera que sa baguette était en place. Il espérait ne pas avoir à s'en servir devant les invités, n'étant pas un grand spécialiste du sortilège Oubliette. Mais après tout, il n'allait pratiquer qu'une sorte d'exorcisme, selon les termes de monsieur Bobain.
La soirée battait son plein. La salle principale était noire d'hommes en costumes et de femmes en robes hors de prix. Le gratin de la noblesse, exemptée de front de l'Est et de boucherie humaine, se concentrait dans les murs du château de Fougeret. La révolution française n'avait pas accompli de miracle, selon l'expression favorite de Rosa Fuchs.
Jean déambulait parmi les invités richissimes, une assiette de toasts dans une main, une flûte de champagne dans l'autre. Les buffets se garnissaient de petits fours, de boissons enivrantes et de mets aussi coûteux que savoureux. Comme par magie! En fait, une chaîne continuelle de domestiques alimentait les tables prises d'assaut par quelques pique-assiettes désargentés.
Depuis que les nobles avaient investi le château, monsieur Racine se sentait très mal à l'aise. Par moments, il captait des bribes de conversation. Ces Moldus prônaient des théories aussi nauséabondes que celles des suprémacistes sorciers. Le propriétaire, monsieur Bobain, était en conversation avec un certain Charles Maupas dont il était un fervent admirateur. Cette personne dirigeait un journal aux opinions extrêmes, isolationnistes, nationalistes, aux antipodes avec les traditions d'accueil cultivées à Beauxbâtons. Monsieur Racine faisait contre fortune bon cœur et poursuivait ses pérégrinations, l'air nonchalant, à la recherche d'une manifestation spéciale. Tout à coup, il surprit l'air interrogateur d'un serveur.
—J'aurais juré avoir posé une coupe de caviar.
—Tu es sûr?
—Là, je te dis!
Jean s'approcha, contourna la table couverte d'une nappe blanche et s'accroupit. Il souleva un coin d'étoffe, à la surprise des deux serveurs. Le sorcier découvrit un petit bonhomme blanchâtre au visage joufflu, au ventre proéminent, avec un ignoble faciès doté de deux paires d'yeux exorbités. Il avait la tête recouverte de caviar et s'appliquait à la récurer avec une langue longue de trente centimètres.
Pris en flagrant délit de gloutonnerie, il jeta la louche à travers les pieds de la table. Jean l'esquiva. Le spectre, furibond, traversa la nappe puis l'assistance, couvrant les malheureux d'ectoplasme ignoble et provoquant une panique chez les convives. Il enfila le hall et fondit sur l'étage. Le professeur se rua sur la foule affolée et grimpa les marches de l'escalier, quatre à quatre. Le glouton s'escamota dans une chambre dont le sorcier ouvrit la porte d'un coup. La chose poussa un cri effroyable pour terrifier l'humain, supposant que cela aurait un impact puisque cela marchait toujours sur eux. En guise de réponse, Jean plongea la main dans la poche gauche de sa redingote et extirpa une espèce de vermisseau tordu, gigotant. Jean ferma les yeux et pointa le spectre. Le ver n'en était pas un; c'était un morceau de chevelure de gorgone. L'œil médusa le spectre. Jean enfouit son outil dans sa poche et rouvrit les yeux. Il constata le résultat: sa cible était figée. Le sorcier s'empara de sa baguette et lança:
—Oppressi Spectrum.
Le sortilège aplatit le spectre, comme s'il avait été repassé à la patte-mouille. Il agita son auxiliaire magique en formant un point d'interrogation au-dessus de sa proie et psalmodia:
—Indica Universum.
Le spectre repassé vira au rouge.
—Mais qu'avez-vous fait au petit bonhomme?
Jean se retourna aussitôt, prêt à lancer un Stupefix. Un sortilège qui serait sans effet.
—Qui êtes-vous?
—Quoi? Vous ignorez… qui je suis?!
L'homme, âgé d'environ 70ans, arborait une magnifique chevelure argentée et une moustache de la même teinte immaculée. Il était à cheval et en tenue d'apparat. Son poitrail était couvert de médailles militaires. Détail troublant, sa tête semblait avoir été déposée sur sa nuque sans respecter un alignement naturel. Il était aussi fantomatique que sa monture.
—Je suis le duc de Clermont-Tonnerre.
—Enchanté. Je suis le professeur Racine. De Clermont-Tonnerre, dites-vous?
—Bien sûr!
—J'accueille une de vos descendantes en classe.
—Fait-elle honneur au nom des Clermont-Tonnerre?
Jean refusa de blesser le fantôme et concéda une vérité:
—C'est l'une des plus travailleuses.
—Ah! fit-il d'un air satisfait. Fort bien!
Jean posa son sac en Moke et en sortit son meuble à partitions.
—Mais à quoi jouez-vous?
—Je vous débarrasse du spectre.
—Grassouillet est un compagnon remuant, trublion, sans manières, mais il ne mérite pas de… Tudieu! Vous l'avez ratatiné!
—Il s'en remettra, ne vous en faites pas. Je le range juste dans sa geôle.
Il fit coulisser le premier tiroir et fit léviter le spectre gluant jusqu'à sa demeure étroite.
—Que diable…
—J'ai une mission pour lui.
—Ah! S'il s'agit d'une mission, c'est différent. Est-ce dangereux?
—Il foncera vers l'inconnu.
—Se couvrira-t-il de gloire?
—Son nom passera à la postérité. A-t-il d'autres camarades du même genre? Il faut maximiser les chances de réussite de la quête.
—Il y a la Brindille et l'Économe. Le premier se trouve à la glacière, au sous-sol. Le second doit traîner près du garde-manger, en maraude pour subtiliser quelques rations. À moins qu'il n'ait déjà larciné! Dans ce cas, descendez à la cave, passez la grille qui mène aux flacons les plus coûteux. Il y a une étagère vide, en apparence. Elle masque une cavité dans le mur. C'est là où l'Économe dissimule ses trophées.
—Je vous remercie.
—Transmettez mes amitiés à ma descendance.
—Je n'y manquerai pas, monsieur le Duc.
—Vous êtes… inhabituel. Mais bigrement intéressant, messire Racine. Soyez prudent.
—Promis.
Jean rangea le meuble à partitions dans le sac à extension. Il tenta sa chance au sous-sol.
Le professeur était satisfait à plus d'un titre. Il revenait à Beauxbâtons nanti de deux spectres issus d'univers différents. Il avait capturé le troisième larron, la Brindille, juste pour remplir sa mission. Il n'aurait aucune utilité.
Bien que monsieur Bobain se soit montré fort désagréable et insatisfait de la tournure des évènements lors de la soirée huppée, Jean l'avait privé des trois spectres fichant la pagaille dès qu'ils avaient un large public à harceler et à traumatiser. Il avait presque eu des regrets de laisser le fantôme du Duc, revu au petit matin du dimanche, en compagnie de Rosalie Filleul, une jeune peintre contemporaine de la célèbre artiste Vigée-Lebrun, guillotinée à seulement 24ans. Jean était d'autant plus heureux qu'il allait pouvoir revenir à temps à Beauxbâtons pour profiter de la soirée festive d'Halloween.
Il était près de 15heures lorsqu'il mit en marche une vieille scie à ruban, à Bordeaux, ouvrant une porte lumineuse dans laquelle il s'engouffra. Ce n'était plus qu'une question de jours avant qu'il puisse mettre en œuvre son projet. Il fallait juste ouvrir la porte runique, en panne. Il se rendrait dans le degré 10 lorsque les élèves et les enseignants seraient occupés à fêter Halloween.
Les elfes de maison avaient réalisé des prodiges en matière de décoration, sous les ordres d'Amandine Fordecafé et d'Ursula Waldmeister. La persistance des intempéries glaciales avait poussé les organisatrices à répartir les buffets de victuailles colorées sur trois zones: le restaurant, le hall du château et le perron, prolongé par un long barnum par lequel les élèves et les professeurs faisaient leurs entrées, venant des pavillons pour les plus jeunes et du Tunnel de Transportation pour les adultes. Un brouhaha de conversations croisées couvrait l'étouffement naturel des quarante centimètres de poudreuse déposée sur le domaine. Les coloris de la décoration étaient rehaussés par ceux des déguisements rivalisant de folie, d'originalité et de teintes.
Proches d'une longue table à bonbons noirs et orange, de longs rubans de réglisse acidulée, à portée de mains de l'étalage, les membres de Gerbera formaient un groupe compact, presque impénétrable, à la position stratégique pour admirer l'inventivité, la créativité et le talent pour la métamorphose des camarades passant devant leurs yeux. Shin paraissait ne pas avoir saisi le concept d'Halloween, consistant à se donner une apparence à faire peur. Il avait réussi à se transformer en origami géant à l'aide de papier plié. Point de dragon ou de Kappa, voire de créature infernale: il était un cygne blanc. Katarina et Umbelina avaient alors réaménagé le tableau final en tirant, en enroulant les bandes de papier pour le faire ressembler à une momie bien plus effrayante. Néanmoins, la Russe ne cessait d'affirmer qu'elle était prête à passer cinq millénaires, enfermée dans une pyramide si les momies étaient aussi sympathiques, tant elle était rassurée au lieu d'être effrayée. Hercule était déguisé en forcené, avec une camisole de force et un treillis métallique apposé sur sa tête afin de l'empêcher de mordre. Cependant, pour des questions pratiques, il avait rembourré les manches de sa chemise nouée dans le dos avec de la paille, pour simuler ses bras et avait conservé la mobilité de ses membres cachés entre son ventre et le tissu. Une entorse lui permettant de se restaurer tant bien que mal.
Umbelina avait songé à une tenue de vampire mais, au dernier moment, elle avait changé d'avis. La discussion de l'ordre Gerbera et la découverte d'une créature inconnue, mentionnée par Katarina, avait titillé son esprit. Elle avait réclamé un dessin à la Russe et un descriptif précis du Lupara. Puis, avec l'aide de Jo Alonzo et de quelques joueurs de Quidditch, elle avait donné naissance à une tenue stupéfiante de réalisme, selon les dires de la Franco-Russe. Jo avait conçu 90% du costume, posant les écailles par magie une à une, assemblant les plumes de canard modifiées, les colorant avec soin. Sa création avait stupéfait ses camarades de Lonicera. Personne ne lui connaissait des talents artistiques. Bien que toutes les carrières soient ouvertes au jeune adolescent, tant ses résultats scolaires étaient excellents, sa compatriote lui avait avoué que cette compétence rare, son coup de ciseaux, de crayon et la magie qu'il imprimait, faisaient de lui un candidat idéal à la CHASSE-Enchant'art dans deux ans, si l'Académie rouvrait cette spécialité. La vue du résultat et les mots de son amie avaient produit un véritable déclic dans son esprit, presque une révélation.
Jo avait aussi aidé à réaliser l'idée de Katarina. Elle déambulait dans une tenue de chauve-souris à l'envers! Un bois léger avait été fixé au-dessus de sa tête et de ses épaules. Il servait de perchoir au costume. Son visage était dissimulé dans les pieds de la créature, avec trois trous pour voir, respirer et se nourrir. Les ailes repliées du mammifère volant se trouvaient le long du corps de la Russe et la tête de l'animal masquait en fait les pieds de la jeune fille. L'impression de voir une chauve-souris pendue à une branche, se promenant dans les allées de Beauxbâtons, était saisissante.
Si ces deux créations signées Alonzo suscitaient de l'enthousiasme, il n'en était pas de même avec l'invention d'Eugénie. L'héritière du domaine avait fabriqué une tenue de méduse gluante, les tentacules de la créature urticante traînant derrière la jeune demoiselle. L'idée était originale, mais la technique pêchait. Eugénie avait dévalisé des stocks de sucre gélifiant dans les cuisines et piqué quelques colorants naturels –jus de betterave, safran ou curcuma –pour confectionner la masse gélatineuse. Le souci, c'est qu'à chaque déplacement, elle perdait des bouts de costume. Quant à ses quelques passages dans la poudreuse des jardins, ils avaient teinté la neige d'un rouge foncé laissant croire que des cadavres avaient été traînés. Ce qui, au final, s'accordait à merveille avec le thème horrifique d'Halloween.
Si les créations portées par les mannequins de Jo Alonzo étaient magnifiques, la réalisation de Sigrid forçait le respect. À chaque fois qu'on l'interrogeait, elle répondait qu'elle avait emprunté sa tenue au professeur McFlurry. L'ordre Gerbera savait que c'était faux. L'armure de Sigrid, réplique de celle d'un chevalier sorcier du Moyen Âge, représentée en gravure dans l'Histoire de la Magie, était née de ses mains et de sa baguette. Pendant quinze jours, à chaque instant de liberté, elle s'était isolée dans des classes libres et avait utilisé son sortilège désormais fétiche «Ferraforma» pour créer les innombrables pièces et fixations de son armure. Qui plus est, l'héritière des Flamel avait concocté une potion changeant, pour quelques heures, la couleur de sa peau diaphane en une ébène des plus profondes. Ainsi, tout élève ou professeur soulevant son heaume, était trompé par le coloris et croyait l'armure… vide! L'effet était des plus saisissants.
Comme une provocation, Rosier et sa bande avaient adopté des déguisements démoniaques et sanguinolents. Ce soir, ils avaient jeté leur dévolu sur la pauvre Valentine Clairdelune qu'ils effrayaient sans cesse. Cela tournait au harcèlement, à telle enseigne que le médicomage et son infirmière s'en étaient mêlés et avaient menacé le suprémaciste et ses suppôts d'une énième punition.
L'altercation avait captivé les regards quelques instants, jusqu'à ce que Noël Millefeuille passe avec un couteau planté en pleine poitrine sur une tenue moldue de boucher. Il avait réussi à produire une plaie des plus réalistes, grâce à une potion imitant le sang à merveille. À propos de couteau, c'était la tenue choisie par Jacques, tandis que sa sœur Émilie avait revêtu l'apparence d'une fourchette. Le frère et la sœur se promenaient avec un gros morceau de viande –une belle imitation –bien sanguinolent, planté au-dessus de leurs têtes.
Les enseignants étaient tous présents, sans être forcément déguisés, laissant cette joie aux plus jeunes. Seul le professeur Racine brillait par son absence. Pourtant, Hercule l'avait aperçu près de la Cabane Enchantée alors qu'il postait une lettre pour ses parents. Vêtu, peu ou prou, comme le jour de son départ, avec cette valisette de cuir couleur rouille à la main, monsieur Racine ne s'était même pas rendu compte de sa présence, l'esprit trop occupé. Il avait foncé droit vers le château et n'avait pas réapparu depuis. Hercule imaginait que le professeur mettait une touche finale à un déguisement et qu'il allait se montrer dans quelques minutes. Il était à mille lieues de la réalité. Soudain, il sentit une vibration à l'intérieur de son costume. Il se contorsionna pour extraire sa montre à gousset. La bague tournante venait de se positionner sur ᚹ. La rune de Vérité, alias Shin. Il sollicitait une réunion au quartier général dans les meilleurs délais.
Monsieur Racine s'était introduit dans la salle du Sondeur, avait manœuvré les bancs à l'aide d'Incarcerem –la méthode utilisée par Hercule lorsqu'il s'aventurait seul dans les isoloirs –et s'était rendu à la porte runique, au bout du tunnel. Il avait, bien sûr, tenté la combinaison habituelle pour ouvrir le pont –selon sa théorie – sur les futurs possibles. La porte n'avait pas frémi, bougé d'un millimètre. Quelque chose était cassé ou changé. Son ami Gervais lui avait écrit, quelques semaines auparavant que leur petit secret n'en était plus un pour le Belge et sa bande de copines. Le directeur de l'entreprise Delacour avait compris quel fabuleux cerveau se dissimulait sous les traits anodins du garçon. Ce prodige découvrait des secrets de Beauxbâtons à un rythme bien plus rapide que leur trio, 35ans plus tôt. Jean devait absolument ouvrir cette fichue porte, envoyer l'un des spectres rouges explorer cet univers d'alternatives, en prélever une, la rapporter pour l'étudier, l'observer et si affinités, l'exploiter. Il faudrait ensuite comprendre comment changer la magie des runes pour en interdire l'accès aux néophytes. À jamais.
Souci: comme la combinaison de runes ne fonctionnait plus, il était loin de pouvoir changer quoi que ce soit au mécanisme magique. De rage, il lança un Maxima Bombarda sur la paroi. Non seulement la roche fut indemne, mais le sort rebondit et atteignit le meuble à partitions. Le mécanisme de fermeture du premier tiroir fut endommagé et la geôle glissa en avant. Le Grassouillet fut libéré. Il reprit sa forme replète et s'envola dans le tunnel.
—Non! Reviens ici! ordonna Jean, détalant, baguette en main, à sa poursuite.
Le spectre fut incapable de traverser les parois rocheuses alors, il obliqua sa course et fondit sur la grotte, là où reposait la source bleutée du sondeur Alpha. Jean se lança sur ses trousses. Dès qu'il le rejoignit, il fouilla dans sa poche intérieure, à la recherche du morceau de chevelure de Gorgone. Il ferma les yeux, pointa le spectre avec le tentacule et l'entendit pousser un rire démentiel. Lorsque le spectre eut fini de se moquer de lui, Jean approcha le tentacule de son oreille. Sans ouvrir ses paupières, il fit silence et entendit un ronflement. Le morceau flasque dormait à poings fermés. Il le secoua, sans effet. Il vitupéra:
—On m'a refilé de la camelote! Vas-tu te réveiller, bon sang?!
Il eut beau l'agiter comme un hochet, le pincer, le bout de créature magique récupérait de ses actions passées au château de Fougeret. Combien de temps faudrait-il pour le recharger?
Il tenta de stupéfixer le spectre. Ni ce sort basique, ni le Petrificus Totalus, pas plus que l'Immobulus ne purent stopper les mouvements de la fantomatique création. Face à son échec, Jean jugea inutile de poursuivre ces vaines tentatives et décida de se rabattre sur les liens maintenant les bancs des isoloirs. Il valait mieux quitter le degré 10. Après tout, le spectre ne pourrait pas s'en échapper. Et si, par le plus grand des hasards, Hercule et ses camarades bravaient la mise en garde ministérielle, ils tomberaient nez à nez avec Grassouillet, ce qui était sans conséquence, à moins que les gamins viennent les bras chargés de victuailles. Jean ramassa les liens tenant la partie mobile des bancs et tira à toute vitesse pour revenir au degré zéro. Hélas! À peine avait-il esquissé un geste que le spectre s'était glissé dans un des isoloirs! Résultat: la salle originelle avait remplacé la grotte et le spectre n'était plus contenu par aucun mur ou porte magique.
Détectant le brouhaha de la fête qui battait son plein, il fit le rapprochement dans sa cervelle basique gélatineuse: invités = nourriture! Il traversa la porte et prit la direction du hall où il fit voler les tables chargées de sucreries en l'air. Il s'empiffra vite fait puis, il s'en prit à la salle de restaurant sous les yeux horrifiés d'Armand Fontebrune.
La bataille, pour ne pas dire le massacre, avait duré vingt interminables minutes. Le directeur avait vécu le pire cauchemar de son existence. Grassouillet avait tout ravagé, semant la zizanie, voire la terreur chez les plus jeunes. Non content d'avoir boulotté des tonnes de sucreries, la chose s'était ensuite attaquée à Eugénie, trop appétissante avec ses kilos de gélatine sucrée. Sean McFlurry en avait profité pour lancer un redoutable sortilège informulé qui avait explosé le spectre en un million de particules rosées et sucrées, que la bise glaciale avait éparpillées. Une intervention tardive qui n'avait pas empêché Eugénie de finir étalée dans la neige, grelottante, avec une vieille chemise de nuit sur le dos, sacrifiée pour l'occasion.
Le coupable s'était dénoncé. Armand avait juré que l'affaire n'en resterait pas là, la science et ses expériences ne justifiant pas l'introduction d'une chose innommable –il ne prononçait jamais le mot spectre, par superstition –dans les murs de Beauxbâtons. Les elfes de maison avaient fait de leur mieux pour remettre de l'ordre, mais la fête avait bel et bien été gâchée.
