Sortilège 24: les Aurors

Dans les jours suivant la signature de l'armistice, rien de notable ne sembla parasiter, influencer le quotidien de l'Académie, hormis les deux Aurors dépêchés par le commandant Guillaume de Franjac, dès le 12 novembre. Hercule avait caressé l'espoir que Max ferait partie de la délégation, mais il n'en avait rien été. Le duo d'enquêteurs était constitué d'un homme et, fait plus rare, d'une femme. Le sexe féminin faisait l'objet d'une sous-représentation manifeste, en dépit des récentes mesures décidées par de Franjac-père. Après la CHASSE-Magus, il fallait intégrer une classe préparatoire interne au Ministère, deux mois durant lesquels les aspirants étaient testés, mis en situation et éprouvés. Au terme des huit semaines, la moitié des candidats était recalée. En septembre, après ce parcours du combattant, on intégrait le bureau en tant qu'apprenti. Avant de gagner des galons de titulaire, il fallait se coltiner trois années de mise à l'épreuve où d'autres, encore, craquaient. Avec un pourcentage défavorable dès la CHASSE, les femmes arrivaient en nombre restreint dans les équipes.

L'homme se nommait Alain Meursault. Âgé d'une quarantaine d'années, sa coupe de cheveux blonds frisés, ses yeux bleus remplis de tendresse et sa petite stature lui donnaient des airs de chérubin. Cependant, sa baguette en noyer, au cœur de poil de Troll, d'après les souvenirs de monsieur Grossel, révélait son caractère explosif, réactif, violent, craint par les mages noirs et autres trafiquants d'artefacts illégaux. La femme, une grande brune aux yeux sombres, au teint mat, dépassait la plupart des enseignants d'une demi-tête, sauf Armand, inégalable. Mathilde Pourpoint n'avait pas 25ans, mais c'était la nouvelle idole d'Umbelina, grâce à un passé des plus remplis. Ancienne batteuse des Pimentines d'Espelette, puis capitaine des Bourdons de Bayonne, elle menait une double carrière de joueuse de Quidditch et d'Auror. C'était une tacticienne hors pair sur un balai, que ce soit pour vaincre en compétition ou pour mener une escouade de fous de la baguette à l'assaut de truands. En toute logique, avec ce duo, les jours du Fauteur de troubles étaient comptés. Dès le mercredi 13 novembre, installé dans une classe affectée à cet usage, le tandem avait commencé à passer les élèves et les enseignants à la moulinette. Sans exception.

Par sécurité, l'ordre Gerbera avait décidé de ne plus se rendre au quartier général. Il fallait que tout soit normal. Le hic, c'est qu'il y avait un nouveau phénomène et non des moindres: Marcello Di Maggio. Il ne tarissait plus d'éloges à propos de Katarina, cherchant à la croiser à la moindre occasion, lui faisant mille et un compliments, à propos de ses tenues, de ses coiffures, de ses succès au club de Cecrabebleu. À telle enseigne que la Russe paraissait gênée par son insistance. Comme si cela ne suffisait pas, Shin redoublait d'attention, de gestes prévenants, de sourires. Cependant, les «messages déguisés du Japonais», pour reprendre l'expression d'Umbelina, ne rebutaient pas sa camarade de Lonicera. Chose curieuse, Eugénie, d'ordinaire loufoque avec tout le monde, cherchait à être sérieuse, à corriger ses fautes de français ou ses lapsus, si truculents, en présence de la faiseuse de haïkus. Hercule avait noté, avec ravissement, le manège ô combien justifié, tant Katarina méritait ces attentions. Dans la bibliothèque, attelés à leurs devoirs, le Belge et la Portugaise s'étaient confrontés, l'un perdant le sens des réalités, l'autre faisant preuve d'une logique à toute épreuve. Et pour une fois, les rôles étaient inversés.

—Hercule, tu m'écoutes?

—Hum? Oui, oui.

—Non, je ne crois pas.

—Si, si.

Les yeux du Belge roulaient dans tous les sens.

—Tu connais Florence Nightindale? C'est une infirmière moldue.

—Je crois avoir entendu parler d'elle. Voyons… N'est-ce pas la dame à la lampe?

—Oui, c'est elle. Elle a révolutionné les soins infirmiers, faisant des tournées nocturnes dans l'hôpital où elle travaillait, avec sa lampe, évitant des décès prématurés, tissant des liens, des relations de confiance avec ses patients. Elle leur était si dévouée que certains tombaient amoureux d'elle.

—Vraiment?

—C'est ce qui t'arrive!

—Comment? Que dites-vous?

—Tu es en admiration devant Katarina. Comme Shin. Comme Marcello. Et dans une certaine mesure, Eugénie est atteinte.

—Mais enfin, voyons, c'est… c'est…

—Oui?

Le garçon écarquilla les yeux, secoua sa tête et ébouriffa ses cheveux aplatis.

—C'est… par Flamel! Vous croyez que…?

—C'est flagrant.

—Même Eugénie? Mais que se passe-t-il? Avez-vous une idée? Nous avons été envoûtés?

Son regard vira à l'inquiétude, comme si les paroles d'Umbelina le sortaient enfin de la torpeur. La Portugaise se mit à chuchoter au creux de l'oreille de son ami, afin que les autres usagers de la bibliothèque, travaillant non loin, n'entendent rien de la conversation.

—Ma théorie, c'est que les soins de Katarina ont un effet secondaire, comme une forme d'envoûtement involontaire, en quelque sorte. Plus le soin atteint le psychisme du sorcier, plus l'effet d'adoration est fort. Eugénie a eu un doigt recousu, réparé. C'est le minimum. Di Maggio a eu droit à une action sur l'esprit et comme tu te trouvais à proximité, cela t'a touché. Quant à Shin, il a eu le droit à la totalité du pouvoir de Katarina: le mental et le physique, à trois reprises en tout. Du coup, c'est le plus atteint.

—Enfin, il me semble que Shin a, comment expliquer…

—Il a le béguin pour elle.

Hercule rougit tant l'expression le touchait. Le rapprochement russo-japonais, initié par le père diplomate, se prolongeait jusque dans les couloirs de Beauxbâtons.

—C'est à croire qu'elle a du sang de Vélane qui coule dans ses veines.

—Et toi, Hercule, tu as le béguin?

—Moi? Eh bien… à part les Bayours, je ne vois pas, esquiva le Belge en souriant.

Soudain, la silhouette des Aurors se dessina à l'entrée de la bibliothèque. Umbelina fut enthousiaste à l'idée de rencontrer l'une de ses idoles. Hercule fut bien plus circonspect.

—J'espère qu'ils ne nous interrogeront pas avec du Veritaserum.

—Ils n'ont pas le droit, rigola Umbeijo, s'attirant les regards courroucés d'élèves studieux, à cheval sur le silence. Hein? Ils ne peuvent pas?

—En principe, non.

Les deux inquisiteurs regardèrent dans leur direction et hochèrent la tête. Le Belge crut sa dernière heure arrivée tandis que la joie initiale de sa camarade tourna au vinaigre. Les Aurors se plantèrent devant les deux enfants. L'homme à la voix aigrelette, en accord avec son faciès presque juvénile mais en décalage avec sa fonction, prit les commandes:

—Umbelina Belmira Isa…

—C'est moi. Épargnez-vous la suite.

—Veuillez nous suivre.

Elle se leva, lança un clin d'œil à son comparse et emboîta le pas des spécialistes de l'enquête. Ils stoppèrent devant le Sondeur et entrèrent dans la salle de classe située en face. Les deux personnages avaient repoussé tous les bureaux contre les murs, hormis une paire, disposée face à face, au milieu de la pièce. L'impression de solitude se mêlait à la sensation d'intimité. De leur côté, il y avait deux verres, un broc d'eau fermé par un couvercle de verre, une tonne de parchemins noircis et un épais paquet de documents vierges. Leurs baguettes étaient posées à côté des verres. Il y avait un instrument en forme de toupie entre les avant-bras de la femme.

—Assieds-toi, proposa cette dernière.

La fillette obéit sans sourciller. Son bureau était vide.

—Ta baguette, réclama l'homme avec sa voix bizarre.

Elle tendit la chose tordue. L'homme l'examina sous toutes les coutures. Il l'interrogea pour connaître les dix derniers sorts lancés. Umbelina s'en moquait: elle lançait d'inoffensifs sortilèges par paquets après chaque utilisation à la limite de la légalité. Deux Stupefix faisait partie de la liste.

—Intéressant, se contenta de dire l'homme, pour faire genre mystérieux.

La jeune fille s'abstint de commenter.

—Laranjeira.

—Oui, Madame.

—C'est toi, le coup à la Laranjeira?

—Oui.

—Tu étais plus loquace avec Léonce, dis donc!

—Le sujet était différent.

La femme se tourna vers son collègue et lui dit:

—Tu sais qui c'est, cette demoiselle, Meursault?

—Une joueuse de Quidditch, je suppose.

—Pas seulement. L'idée de l'escadron volant dont le patron a parlé. C'est elle.

—Ah… Ouais. En fait, je m'en fiche. Bon, qu'est-ce que tu sais des événements survenus dans l'école?

—Ça dépend! Lesquels?

—Ton pote volant, là, par exemple. Si tu es si douée que ça avec un balai, tu dois savoir ce qui a pu lui arriver, non? Un balai, ça peut se trafiquer? Pour gagner un match.

—Les balais sont vérifiés trois minutes avant le coup d'envoi.

—Pas à l'entraînement.

—C'est vrai. Mais trafiquer un balai, ce n'est pas une tâche accessible à tous les élèves. Monter des élèves les uns contre les autres, c'est encore moins à la portée du premier venu. Provoquer la colère de référents, ça tient du prodige. Non?

—Tu as peut-être un nom à nous proposer? questionna Meursault, d'un air débonnaire.

—Pas le moindre du monde.

—Tu as une petite idée de ce que tu feras, plus tard? demanda Pourpoint, un petit sourire en coin.

—Comme vous. Quidditch et Auror. Vous êtes un modèle.

—Merci.

—Tu crois que tu as l'étoffe d'un Auror? ironisa l'homme. Franchement!

Umbelina s'avança vers lui et déclara, la mâchoire serrée:

—J'ai assez de rage pour commander les Oubliators. Assez de puissance pour effacer la mémoire d'un ministre de la Magie félon. Assez de colère pour épargner du travail au Tribunal Administragique. Et assez d'ambition pour refuser de rester à ma place.

—Ah…

Pourpoint écarquilla les yeux. La gamine ne se laissait pas démonter.

—On verra ça.

Umbelina se rapprocha à quelques centimètres de son visage.

—C'est tout vu.

—Quel est ton sortilège le plus puissant?

Une fraction de seconde, la princesse fut tentée de répondre Fulguracrucio, comme si elle l'avait accompli. Elle se ravisa et avoua juste:

—J'en ai plusieurs. Mon Ventus pourrait découdre votre robe sorcière d'occasion ou lisser vos bouclettes. Mon Oubliette nettoie bien.

—Hum…

—Vous êtes prêts à me tester?

—Gonflée, ricana Pourpoint. J'aime bien. Le Scrutoscope est muet, sa baguette est au-dessus de tous soupçons, à part son origine. Elle vient du nouveau, là, Grego quelque chose?

—Oui, Madame. Gregorovitch.

—On fouillera ta chambre. Quand ça nous plaira et autant de fois que l'on voudra, coupa Meursault.

—Ça me va.

—Allez, file. Si on a besoin, on te reconvoquera. Compris?

—Compris.

Umbelina récupéra sa baguette, salua poliment les Aurors et quitta la pièce sans tarder. Elle fut suivie par les deux personnages. Ils en avaient après Hercule. Le Belge se leva et anticipa leur ordre.

—Je vous suis.

Il perçut la force d'Umbeijo, son énergie vivifiante. À peine entrés dans la salle de classe, les Aurors s'emparèrent de leurs baguettes et le mirent en joue. Hercule éjecta la sienne et para deux tentatives de Stupefixion.

Les émissaires de Guillaume de Franjac levèrent leurs baguettes en signe d'arrêt des hostilités. Le jeune garçon, sur le qui-vive, obéit à l'invitation à s'asseoir en face d'eux. Ils déposèrent les armes sur leur bureau. L'élève ne put s'empêcher de les observer et d'analyser leurs propriétaires, en une fraction de seconde. L'homme, en apparence avenant, était une brute: noyer noir, poil de Troll. La femme était différente: bois jaune clair, poli, glacé. Du Citrus. L'intérieur était compliqué à maîtriser. Plume de Phénix, à coup sûr. La baguette d'une personne talentueuse, aux multiples facettes. Le Citrus: le bois des spécialistes de la Divination? Chez les Aurors?

Plongée dans l'annuaire de Beauxbâtons. Pourpoint. CHASSE-Magus, excellente en Divination, jusqu'à la 4e année. Notes effondrées en 5e année. Pourquoi? Nouvelle plongée dans l'annuaire. Recherche d'un homonyme. Jacques Pourpoint. La même famille? Un frèreaîné? Mort à 34ans, en 1908. Plutôt un oncle. Un meurtre? Un désir de vengeance inassouvi? Vocation d'Auror tardive. L'autre, Meursault, le genre à faire ingurgiter du Veritaserum à tour de bras. Impression d'un être détestable mais redoutable.

—Van Betavende. C'est ça?

—Oui, Monsieur.

—Celui qui veut devenir Auror-Enquêteur mais ne le deviendra jamais à cause de l'épreuve de vol sur balai, éliminatoire.

Hercule demeura stoïque.

—Rien à dire?

—Répondre à une supposition portant sur mon futur, ne présente aucun intérêt. Je ne dispose pas du don de divination et pas des éléments permettant de compromettre ou de consolider mes prétentions.

—Mais c'est qu'il cause bien, ce petit!

—Et vous, Madame, qu'en pensez-vous? Vous partagez l'avis de votre collègue? Vous avez vu des choses à propos de mon avenir?

La question fit mouche. Les possesseurs de baguettes contenant une plume de Phénix avaient parfois du mal à masquer leurs émotions. Elle se contenta de pousser un soupir par le nez et sourit avec légèreté.

—Avez-vous de bonnes questions? Qui puissent faire avancer l'enquête. Qui mènent à l'arrestation du Fauteur de troubles, l'agresseur qui a failli tuer plusieurs personnes? Qui a réussi à courber la volonté du Sondeur? À contraindre le château à agresser une enseignante aux capacités d'anticipation avérées?

—J'imagine que tu y as réfléchi, Hercule, intervint enfin Pourpoint.

—Oui. Le Fauteur est intelligent, capable, organisé, méthodique.

—Je ne vois pas d'organisation ou de méthode dans tout ce cirque!

—Vous, vous ne la voyez pas. Moi, si. Le criminel augmente la difficulté, l'intensité de ses actions. Il se diversifie pour n'entrer dans aucun schéma criminel et c'est là, son intelligence. Comme créer un écrit assez crédible pour tromper deux camarades proches, sensibles mais assez faux pour disculper un faussaire évident. Il est si fort qu'il échappera à votre Scrutoscope. Vous savez pourquoi?

—Je sens que tu vas nous apprendre notre métier!

—Dis-nous, Hercule, demanda simplement Mathilde.

—Je crois qu'il est lui-même manipulé, sous influence.

—Sous Imperium?

—Je l'ignore. En tous les cas, cela ne vient pas d'une potion. Sinon, il faudrait qu'il la prenne de façon volontaire et sans être conscient de se soumettre à ses propriétés.

—Comme quoi? poursuivit la femme.

—Je ne sais pas. Un traitement médical…

Le garçon suspendit la fin de sa phrase. Ses yeux se révulsèrent.

—Une idée?

—Un accident récent. Une piste à explorer.

—La petite Clairedelune?

—Oui.

—Reste à savoir si elle était impliquée dans tous les incidents.

—Pas dans l'agression de Shin Ishii.

—À cause du témoignage de ton camarade? Agresseur masculin correspondant en tous points à Rosier.

—Oui.

—N'y a-t-il pas moyen de prendre l'apparence de cet oiseau?

—Le Polynectar. Compliqué à produire. Pas ce que Ambroisine garde dans la réserve publique.

—C'est vrai. Mais n'y a-t-il aucune personne capable d'en réaliser?

—Si, bien sûr, Madame. La CHASSE-Magus, la CHASSE-Potions, et je parierais sur la CHASSE-Médico. Soit une soixantaine d'individus.

—Auquel on peut ajouter quelques noms?

Meursault ne pipait plus un mot, sidéré par la tournure de la conversation. Il avait la désagréable sensation de faire de la figuration.

—La quasi-totalité des enseignants, le chef cuisinier, monsieur Grossel en tant qu'ex-Auror.

—Pourquoi seulement la quasi-totalité des professeurs? Qui retires-tu de la liste?

—Madame Obscur. Elle est excellente en sorts de nettoyage, en divination, mais je crois qu'elle est un peu juste sur le reste.

—Tu es vraiment sûr?

Nouvelle plongée dans l'annuaire de Beauxbâtons. Page de Claire. Ses résultats scolaires sont honorables. Note Bronze, Étain, parfois Argent. Accessit en potions. Bronze en potions et accessit?

—Je vois le doute s'instiller dans ta certitude.

Nouvelle vérification. Le père de Mathilde Pourpoint est René Pourpoint. Sa mère se nomme Solange Delacour. Delacour? La sœur cadette de Gervais. L'Auror est donc la nièce de Gervais. Solange a connu Claire. Elle a fait des confidences à sa fille. Claire Obscur a sabordé ses talents. Ou les a masqués. Pourquoi?

—C'est impressionnant. La rapidité et surtout ta capacité d'accès à ta mémoire. Il te suffit juste de savoir où fouiller.

—Bon, c'est fini vos idioties? Tu étais où, quand les agressions ont eu lieu? Où est-ce que tu as dégoté ton machin à ressort pour ta baguette? C'est quoi ton sortilège le plus puissant? Où as-tu appris à réaliser des Protego aussi rapides? Tu as déjà pensé à tuer un élève? Il y a des professeurs que tu détestes?

Lorsque, à bout de souffle, Meursault en eut fini avec son avalanche de questions, Hercule prit tout son temps pour formuler une réponse à laquelle l'homme ne s'attendait pas mais la femme, à son sourire anticipatif, si.

—Dois-je répondre dans l'ordre, quitte à répéter certains éléments pour des questions, me semble-t-il, partiellement redondantes ou puis-je élaborer une synthèse? Dans quel ordre? Par gravité, par chronologie?

—Mais tu sais que tu commences sérieusement à me courir sur le haricot…

—Dans l'ordre qui te semble le plus logique, coupa Pourpoint.

—Mon «machin», fixé à mon avant-bras droit, a été fabriqué par Orby, notre elfe de maison, selon un schéma que j'ai réalisé. Il m'a permis de gagner un temps précieux pour ne pas me faire stupéfixer. Protego constitue l'une de mes plus belles réussites. Cependant, depuis l'année dernière et c'est toujours le cas, ma baguette venant d'Ollivander, à Londres, déteste exécuter des sorts d'attaque qui sont plutôt l'apanage des baguettes guerrières, comme celles en noyer noir avec des inclusions en poil de Troll.

Meursault manqua de s'étouffer avec son verre d'eau et fut parcouru par un rictus d'agacement flagrant. Il était sur le point d'exploser.

—Ma baguette n'est pas exigeante en matière de maîtrise, comme le donnerait une alliance étonnante de Citrus et de plume de Phénix. La mienne est juste versatile: elle répugne à lancer des attaques brutales, stériles, gratuites, mais elle apprécie de réaliser des choses utiles à la résolution de mystères, à servir le Bien, à sauver une vie. Ainsi, Diffindo, le sortilège de découpe, s'est avéré mortel pour un Spongue ayant tenté de tuer une amie.

Hercule s'autorisa une légère pause pour reprendre sa respiration.

—Quant à tuer des élèves, même s'il y en a un que je déteste par-dessus tout pour les vomissures suprémacistes qu'il déverse chaque jour, cela ne viendrait pas à l'idée d'un futur Auror-Enquêteur.

L'homme fut encore tenté d'ironiser, mais Hercule poursuivit sans cesser de regarder la femme, jouant sur sa capacité de voyance. En créant une relation visuelle, il la confortait dans le rôle de cheffe, sûr d'agacer son collègue.

—En ce qui concerne les professeurs, j'ai beaucoup de respect pour eux. Cependant, je peux vous dire que je m'oppose souvent à madame Alinea qui profère une quantité faramineuse d'inepties sur les Moldus. L'année dernière, je n'appréciais pas la pédagogie du professeur Flamingo Mysterio. Et, sauf votre respect, Madame, je n'aime toujours pas la divination, même si, j'en conviens, elle peut s'avérer exacte et utile. Je me méfiais grandement de madame Obscur, elle en avait autant pour moi mais désormais, nos relations sont fondées sur la confiance mutuelle. Quant à l'ultime question, où me trouvais-je lors des agressions, vous n'avez pas été assez précis. Considérez-vous que les errements du Sondeur sont hors du champ de votre enquête? Si oui, c'est une erreur monumentale.

—Ah bon? Et pourquoi ça?

—Parce que le Feudeymon qui a failli ravager madame Bonnelangue, est à relier avec les trois fautes du Sondeur le jour de la rentrée et sa constante lenteur dans le processus de répartition. Tout a commencé avec le Sondeur. Il s'en prend à la divination parce que cet art est le seul qui pose un problème au Fauteur de troubles ou, à celui qui le manipule.

—Je ne vois pas l'intérêt d'interroger le Sondeur. Il ne sert qu'à répartir les élèves le jour de la rentrée!

Hercule ricana.

—Qu'est-ce qui te fait rire?

—Vos certitudes. Dites-moi, Monsieur, à quoi vous intéressiez-vous lorsque vous étudiez à Beauxbâtons? À part le Quidditch et le club de duel?

—Non mais dis donc!

—Dis-nous, Hercule. Donne-nous un exemple de l'utilité du Sondeur.

—Un cas simple. Il n'y a pas très longtemps, je suis allé dans un isoloir pour discuter un peu avec lui lorsque j'ai constaté que j'avais une écharde dans un doigt. Il m'a fait comprendre que j'en savais assez pour la retirer et suturer proprement. Il est de très bon conseil.

—As-tu consulté le Sondeur en d'autres occasions ou découvert qu'il n'était pas aussi… «bêta» qu'on voudrait le croire?

Le garçon ne put s'empêcher de réagir par une intense bouffée de chaleur en entendant le terme «Bêta» qu'il opposa à Alpha, le Sondeur épris de vérité de la grotte du degré 10.

—J'ai plusieurs fois eu l'occasion de discuter avec lui, surtout à propos de mon affectation chez Urtica, pas forcément en rapport avec ma personnalité. Je le trouve intelligent, ayant de la répartie, faisant même preuve d'humour.

—T'a-t-il confié des secrets?

—Pour connaître tous les secrets du Sondeur, il faudrait que je puisse mener l'interrogatoire de son concepteur, ou à défaut questionner le fabricant de son lieu d'expression: les isoloirs. Car après tout, le Sondeur est-il l'âme du château ou est-il partie intégrante des isoloirs?

Elle partagea un sourire complice.

—Alors, si ce n'est pas toi qui as agressé les élèves, qui l'a fait? Tu as l'air assez futé pour y être parvenu! Tu es sûrement un rat de bibliothèque, tu as dû lire des bouquins de magie noire! Avoue!

—Je n'ai lu aucun livre de ce genre. Je ne sais même pas s'il y en a dans la bibliothèque, même si je joue régulièrement tout près de la colonne M.

Pourpoint éclata de rire. Devant l'incompréhension de Meursault, elle s'expliqua:

—Quoi? Il joue au jeu du Fléreur et du Doxy. Il est très fort, a découvert des tas de secrets au château et toi, tu agis comme s'il s'agissait d'un morveux à écraser. Meursault, un jour, il sera à notre place. Tu comprends? Il solutionnera des affaires quand les dossiers s'accumuleront par dizaines sur ton bureau. Et tu sais quoi? Ce garçon se paiera le luxe d'être indépendant, payé par des sorciers, des victimes ou par le ministère de la Magie, en direct, sans hiérarchie. Des tarifs astronomiques. Tu as quoi, Hercule, 11ans et demi?

—Oui, Madame.

—Il en sait, à son âge, plus que tu n'en sauras jamais sur ce château. S'il te plaît, ne t'en fais pas un ennemi. Pas un défenseur de la justice et de la vérité comme lui!

Elle avait appuyé les termes «défenseur», «justice» et «vérité», soulignant l'aspect contre-productif de l'attitude de son collègue. Elle reprit:

—Hercule, je te propose un exercice auquel nous nous soumettons, parfois, au bureau des Aurors. Mets-toi dans la peau du criminel quelques instants et essaie d'imaginer ce qu'il faudrait que tu fasses pour parvenir à réaliser ce qu'il a réussi jusqu'à présent. Le Sondeur?

—Un sortilège inconnu, sorti du plus vieux et du plus rare grimoire possible, un livre oublié, pour l'ensorceler. Mais…

—Oui?

—Il faudrait connaître la nature du Sondeur pour le pervertir. Parce que la magie des hommes, n'est pas celle des elfes de maison ou ne peut pas grand-chose contre l'immunité des géants. Pour savoir de quoi est fait ce Sondeur, il faut l'information et ce n'est pas certain qu'elle existe dans un écrit. Il faudrait interroger Ambelion Ballessaim, le fondateur. Un homme dont le fantôme ne peut se trouver ici car Armand Fontebrune et les fantômes…

—C'est incompatible. Donc, magie noire, ancienne. Ensuite? L'agression d'Ishii?

—Un cheveu d'un coupable idéal, du Polynectar, des vêtements modifiés.

—Bien. L'accident de balai?

—Avez-vous pu analyser les débris que j'ai confiés au Directeur?

—Oui. Pas de sortilège résiduel. Du moins dans la gamme connue. Le médicomage a exclu une potion.

—Les autres joueurs avaient partagé la seule boisson.

—Alors? Et pour les accès de colère?

—C'est une magie que je ne connais pas.

—As-tu déjà entendu parler de l'école Uagadou?

Le nom résonna dans son esprit. L'histoire de la magie mentionnait cette école prestigieuse dont les élèves se passaient de baguettes, purement et simplement. Elle était incartable mais selon une rumeur, elle se situait en Ouganda ou au Kenya, peut-être aux abords du territoire Masaï. À Kampala, la capitale de l'Ouganda, il y avait un équivalent de la Place Cachée, un quartier magique. Gertha, sa mère, accompagnée de Waldo, y avait acheté une baguette en sipo, un bois rouge brun, dont le cœur était de la moustache de Nundu, le léopard géant, capable d'arracher les ailes d'un dragon d'un coup de patte.

—J'ai lu quelques articles à son sujet.

—Il existe d'autres formes de magie, à part la blanche et la noire. Certaines utilisent des supports comme des figurines à l'effigie et aux attributs des personnes visées par un envoûtement.

—À distance?

—Tout à fait. Les plus grands sorciers peuvent s'affranchir de centaines de kilomètres pour ensorceler un ennemi.

—Mais un débutant pourrait y parvenir en restant au plus près de ses cibles? Il pourrait voler tout ce dont il aurait besoin pour ses figurines: cheveux, bijoux, vêtements.

—Après le compte-rendu de votre directeur, j'ai pensé au vaudou africain. C'est une magie pernicieuse, invisible, presque insoupçonnable. C'est pour cette raison que nous allons fouiller le domaine de fond en comble, car il faut une collection de supports pour attaquer les cibles. Tu comprends? Nous devons mettre la main sur tout ce qui possède un sortilège d'extension, de dissimulation.

—Une tâche titanesque.

—Sauf si…

—Sauf si vous réduisez le champ de recherche avant. Si vous trouvez les points éloignés du nuage.

—Le club de sciences. Intéressant. C'est pour cela que nous comptons sur ton aide.

—Quoi? brailla Meursault. T'es cinglée?

L'élève assista alors à une passe d'armes, une chamaillerie digne «d'un vieux couple» comme disait Waldo lorsqu'il parlait de lui et de sa baguette parfois récalcitrante. Au bout d'une minute de pugilat, le garçon n'y tint plus et les interrompit:

—Je peux y aller? Je ne voudrais pas louper le bœuf Mironton et les derniers cèpes de Bordeaux.

—Tiens-toi à notre disposition, mon gaillard! J'en ai pas fini avec toi.

—Comme il vous plaira. Je peux?

Il désigna sa baguette.

—Reprends-la.

Il s'en empara sans délai, se rendant compte que, obnubilés par leur dispute, les Aurors n'avaient pas pris le temps de la faire parler. Il était plus de 20h00, les émissaires du Ministère étaient épuisés, à bout de nerfs. Il était inévitable de commettre une erreur. S'ils avaient perpétré un impair avec lui, ils avaient pu se fourvoyer à plusieurs reprises. Des lacunes que le Fauteur de troubles mettrait à profit.

En quittant la salle de classe, Hercule tomba sur l'ordre Gerbera au complet, accompagné de Jacques, sa sœur et Noël. Ils tiraient des tronches de six pieds. Jacques s'avança et lui dit:

—J'ai surpris une conversation entre Rostang de Hautefeuille et d'Arcy. Je sais pourquoi Casper a déraillé.

Le Belge n'eut pas le temps de se remettre de son interrogatoire bien plus long que celui d'Umbelina. Il reçut la déclaration du Cracmol en pleine face: les parents de Casper étaient morts en août. Leur fils, au désespoir, coulait dans toutes les matières, hormis en M.E.S.

—Décédés? À cause d'une maladie? Un bombardement des Allemands?

—Pas du tout. Ils étaient en voyage en Australie, tu sais, pour leur activité d'explorateurs.

—En Australie?

Hercule frissonna. Sigrid tenta de s'interposer entre l'aîné des Boulanger et son camarade d'Urtica. Comme si elle était sûre que le Belge allait faire le rapprochement. Jacques déballa tout ce qu'il savait.

—Ses parents ont été…

—Jacques! vociféra Sigrid.

—… assassinés. Il y a même eu une troisième victime.

—Qui? Qui, Jacques?

Hercule trembla. Il refusait d'entendre le nom de Waldo.

—Le vendeur d'objets magiques avec qui ils avaient rendez-vous. Tu sais, le professeur McFlurry reçoit la Gazette du Sorcier tous les jours. C'est un journal anglais. Quand j'ai entendu ce qui était arrivé et surtout, où le drame avait eu lieu, je suis allé consulter les exemplaires d'août. L'Australie a été affranchie il y a peu d'années, mais elle dépend encore du roi George V pour beaucoup de choses alors je me suis dit que la Gazette en parlerait peut-être. C'était le cas.

—Qui d'autre est mort?

—Juste les parents de Casper et ce vendeur, euh… comment s'appelait-il, déjà? Faulkner. William Faulkner.

—Quoi?!

Le nom n'était pas celui d'un inconnu. Il s'agissait du fournisseur d'acacia auriculiformis approvisionnant l'entreprise Delacour. Ce n'était pas une coïncidence.

—Est-ce que le journal disait si leur meurtrier avait été identifié et arrêté?

—Jacques! Non! hurla Sigrid.

—Quoi? s'étonna le Cracmol, en ouvrant de grands yeux.

—Tais-toi! Tu en as assez dit!

—Le nom du suspect, Jacques. S'il vous plaît!

—Non, Hercule, refusa Sigrid. Non.

—Ben quoi? Je ne comprends pas.

—Moi, si. Ça suffit! Plus un seul mot!

Hercule vacilla et ne dut son salut qu'à Eugénie. La petite frisée rigolote, aux cheveux auburn et aux yeux espiègles, n'avait jamais eu un visage aussi grave. Shin soutint son camarade, pressentant qu'Hercule était touché de plein fouet par cette affaire. Le petit Belge se recroquevilla et plongea dans le désarroi, incapable de percevoir les mots, les gestes, l'affolement de ses camarades, Jacques se tenant la tête à deux mains, conscient de sa bêtise. C'était impossible. Waldo Mertens. L'oncle Waldo était tout sauf un assassin. Un escroc, un receleur, un bonimenteur, un arnaqueur de premier ordre, mais il n'aurait jamais fait de mal à un Billywig.

—Viens, murmura la reine des trublions, muée en épaule de secours. Viens avec moi.

Elle le guida jusqu'à la salle du Sondeur, demanda aux autres de les laisser et d'aller dîner sans eux. Jacques ne cessa de s'admonester pour ses bévues. Il venait de démolir son camarade, son colocataire, le gars le plus gentil et le plus doué avec les créatures fantastiques ou non.

Eugénie referma la porte et lança un Collaporta. Elle revint vers le garçon, s'assit à sa droite et vit les larmes couler sur ses joues. Elle posa sa main gauche sur l'épaule gauche du garçon, l'enserrant un peu. Elle murmura:

—Ce n'est pas lui. C'est impossible. Les filles et moi, nous sommes d'accord. Quels que soient les témoignages ou les preuves, c'est une machination. Je n'ai rencontré ton oncle qu'à la remise des prix. Je m'en souviendrai toute ma vie. Quand j'ai eu mon prix de camaraderie, il était celui qui avait le plus de tendresse dans le regard, le plus d'amusement. Alors que je ne lisais que du mépris dans les yeux de mon père.

Le garçon leva ses yeux rougis sur elle, incapable de stopper les sanglots. Elle était mélancolique, inattendue.

—Ton oncle, je l'aurais écouté pendant des heures. J'aurais donné n'importe quoi pour le suivre dans ses aventures au bout du monde, à déjouer des pièges et à découvrir des trésors. C'est le père que j'aurais choisi, si j'avais pu. À part ton père, hein, qui est gentil, humain, derrière un masque de sévérité. Mon père, à moi, il est sec. L'heure passée avec Waldo, à dévorer ses récits, n'était pas compatible avec un triple assassinat.

—Comment faire pour…

—Il est en fuite. On ne peut rien faire. Même s'il se réfugiait à l'école, on ne pourrait pas le cacher des lustres. À part dans le degré 20, mais il sortirait ivre mort. On ne pourra pas se rendre en Australie pour enquêter.

—Cela ne va pas s'arrêter, Eugénie, articula-t-il entre deux sanglots. Il m'est apparu en rêve. Il me suppliait de l'aider.

Elle pencha la tête et la tourna pour capter son regard.

—En rêve? Prémonitoire…?

—La professeure Obscur pense que non, car mon rêve se répète. Elle croit que c'est un appel à l'aide, à travers une connexion affective entre lui et moi. De la Legilimancie.

—Il est où, dans ton rêve? Tu vois un lieu?

—C'est sombre, glacé, effroyable, comme si la joie avait été éradiquée.

—Comme une prison?

—Pire. Il n'y a que de la demi-vie, que la force de hurler, sans fin, rien d'autre. Mais… à présent, en plus du Fauteur de Troubles, je vais devoir craindre les foudres de Casper.

—Tu crois qu'il voudrait te faire payer? Hercule! Ce ne serait pas juste!

—Je crois qu'à force de fréquenter Rosier et sa bande, Casper a oublié la couleur de la justice.

—Mince! On va devoir te protéger, comme l'année dernière? Je te préviens, je refuse les dimanches matin. J'ai grasse matinée!

La pointe d'humour lui soutira un sourire attendri. Il rétorqua:

—Je n'ai plus qu'à déménager dans la cage des Bayours.

—Sans prendre de douche.

—Voilà.

—Ça, c'est un plan Eugéniesque!

Elle rit de bon cœur sans cesser d'effectuer des ronds avec ses doigts sur l'épaule d'Hercule. Lorsqu'il recouvra un visage moins agité, elle proposa:

—Tu veux aller manger un peu ou tu préfères dîner ici?

—Ici? Comment?

Elle entrouvrit son sac à bandoulière dont elle ne se séparait jamais. Elle en sortit une demi-livre de pain, du saucisson sec, un quart de jambon fumé, un bocal de cornichons entamé, des œufs durs, un camembert, une tourte à la pomme cannelle et une bouteille de jus de pomme. Puis, elle dénicha deux petits flacons que le garçon reconnut aussitôt:

—Des Bièraubeurres?

—J'ai déniché la nouvelle planque de McFlurry.

—Petite maline.

—Eh oui! Dommage qu'il n'existe pas un accessit de débrouillardise. On va se régaler.

Ils improvisèrent un dîner à l'abri des regards, des questions qu'il faudrait affronter. Hercule relata l'interrogatoire subi avec les deux Aurors si différents. Il lui avoua que madame Pourpoint avait des dons pour la Divination, ce qui compliquerait la tâche du Fauteur de troubles. Elle lui avait fait bonne impression et, comme c'était une nièce de Gervais Delacour, elle avait, il en était presque sûr à 100%, connaissance des vraies capacités du Sondeur. L'autre Auror, Meursault, était selon le garçon, le prototype du parfait tireur de baguette, à cheval sur le règlement. Les deux collègues ne s'entendaient pas tellement et avaient omis d'interroger sa compagne de cèdre. Eugénie lui avait confié ne pas avoir encore été confrontée à eux. Elle caressait le fol espoir qu'ils la laisseraient pioncer de tout son saoul le lendemain, jour de l'intouchable dimanche.

À la fin du repas, Hercule avait été tenté de lui parler de la prophétie confiée par madame Obscur. Eugénie avait résisté à la tentation de lui expliquer toutes les capacités de son couteau. Mais elle s'était aussi abstenue. La dague n'était pas une lame de vérité mais une aide au choix entre des alternatives. Néanmoins, la jeune fille avait tenu à lui offrir la primeur d'une nouvelle extraordinaire.

—Tu sais, ce matin, après la leçon particulière d'Elvira…

—Oui?

—Je suis restée un peu à la Salle Blanche.

—Ah? J'ai abandonné et ai préféré le restaurant. Je crois que nous n'arriverons jamais à réaliser un sort sans baguette.

—Ouais. Parle pour toi, p'tit gars!

Eugénie tendit sa main droite en avant, pointa le plafond de la salle avec son index et prononça distinctement:

—Periculum.

Une boule rouge jaillit de sa phalange et éclata en une myriade de scories écarlates.

—Nom d'une cornue! Eugénie! Ça alors!

Le son de sa phrase mourut dans sa gorge et il demeura bouche bée. Il déglutit et s'essuya la commissure des lèvres.

—Purée de boudin! Coup double! Je viens de te faire baver!

—Oh que oui!

—T'es jaloux, hein? Moi qui rate toujours, je suis la première à rivaliser avec Shin. Et tu as vu où se trouve ma baguette?

Elle était rangée à l'intérieur de l'uniforme, dans la poche gauche.

—Oui.

—Pas dans mes cheveux, pas proche de ma cervelle d'oiseau. Non, juste à côté de mon cœur.

—C'est fan-tas-ti-que! Bravo! Vraiment!

—Maintenant que j'ai ressenti comment m'y prendre, je vais tenter d'autres sorts.

—Je suis ravi pour vous. Et fier. Elvira ne va pas en croire ses yeux lavande.

—J'espère bien! Et si jamais Rosier joue au malin, je ne te dis pas comment il va tomber de haut, monsieur la brillantine! Si, un jour, j'arrive à réaliser des sorts informulés, ce sera la cerise sur le gâteau. Au fait!

—Oui?

—Tu crois que les Aurors vont me lancer des sorts, comme pour toi?

—Je l'ignore. J'imagine que c'était un test.

—Ils ont le droit?

—Ils ont tous les droits.

—J'ai une idée pour les coincer. Oh oui! Prodigieux!

—J'ai peur.

—Tu vas adorer. Ils vont fouiller?

—Oui. Ils cherchent des objets magiques.

—Ils n'ont pas intérêt à toucher à mon couteau! Ni à mon calendrier.

—Un calendrier?

—Attends…

Eugénie sortit son dodécaèdre et lui fit une démonstration de son utilité. Il le trouva ingénieux, comme toutes les productions A.D. Il loua les excellentes résolutions de son amie et ses achats judicieux. Il estima que c'était lui rendre justice, de la placer en tête dans la course à la magie sans baguette. Le garçon consulta sa montre et vit qu'il était près de 21h30. Il remercia Eugénie pour ces instants improvisés et salvateurs. Ils décidèrent de quitter la pièce et de se rendre leurs pavillons. Chemin faisant, Hercule se demanda s'il n'avait pas eu tort d'en dévoiler autant aux Aurors. Il se repassa l'interrogatoire en boucle.

—Toi, tu as un truc en tête. Je connais cette expression. On dirait que tu es sur le point de découvrir que Picaillou, le Ministre, va tremper dans un scandale.

—Désolé, je revoyais mon passage avec les enquêteurs. J'espère avoir dit ce qu'il fallait. Pas trop.

—C'est carrément ce qui va m'arriver! Eugénie la gaffeuse!

—Pas ce soir, en tous cas, Eugénie. Pas ce soir. Je vous souhaite une bonne nuit. Merci pour tout.

—Bah, c'est rien. T'en aurais fait autant! Bonne nuit!

Elle cavala jusqu'à l'entrée du pavillon rouge tandis qu'Hercule progressait avec lenteur. Tout à coup, il stoppa et s'écria:

—Mais je n'ai rien dit!

Au matin du dimanche 17 novembre, Eugénie avait la conviction d'avoir le Don, si souvent décrit par Claire Obscur et décrié par les élèves ou les professeurs. Il était 7h00 et il faisait encore nuit. Deux adultes venaient d'entrer dans la pièce. L'homme se mit à brailler:

—Debout là-dedans! Fouille de la chambre!

—Non mais oh, ça va pas de bousiller ma grasse matinée?! Espèce de sauvage! Olibrius! Mage noir! Crâne de Troll! Crotte de Spongue! Résidu de CHASSE-Médico!

—Déjà, tu te calmes! Tu te lèves, tu sautes dans ton uniforme et tu te tiens à carreaux! On fouille! On retourne ta chambre!

La femme ne pipait pas un mot et laissait son collègue passer ses nerfs sur l'élève. Il avait passé une courte nuit dans l'appartement mis à disposition par le concierge. Il ne semblait pas avoir digéré sa mainmise de la veille, lors de l'interrogatoire de Van Betavende. Non seulement elle était persuadée que le jeune Belge n'était pas à l'origine des agressions et des troubles, qu'il était plutôt une cible potentielle étant donné ses capacités d'analyse, mais elle sentait, au fond d'elle, que sa vision fugace d'un homme raffiné, à la moustache recourbée, était le futur enquêteur Van Betavende, totalement en marge du système judiciaire sorcier, sûr de son génie.

Soudain, Mathilde tomba en arrêt devant deux objets. L'un d'eux venait de la fabrique Delacour, gérée par son oncle. Elle avait déjà vu cet objet entre les mains d'élèves en quête d'organisation, mais aussi au Ministère, parfois dans des tailles supérieures pour les chefs de département. Par contre, elle n'avait jamais vu un couteau comme celui qu'elle tenait et dont la lame luisait au fond du sac. Elle le prit par le manche et la luminosité rouge s'effaça.

—Qu'est-ce que c'est?

—Un couteau.

—Quel usage en fais-tu?

—Son tranchant est pratique pour fendre certaines coques ou carapaces en cours de potions. Et pour couper des branches, des plantes.

—Sa lame s'illumine.

—Il contient de la poussière de diamant Hope. C'est un diamant bleu qui génère une phosphorescence rouge.

—D'où vient-il?

—La coutellerie du Roy, à Bruxelles. Je l'ai acheté à mon retour, cet été, quand mon andouille de père m'a contrainte à mettre fin à mes vacances, chez mes amis. Vous pouvez le noter dans votre rapport et souligner le mot andouille. Écrivez-le avec une majuscule.

—Il n'a pas une fonction magique?

—Si, mais je la garde pour moi.

—Alors ça, ma petite, ce sera à nous d'en juger! rétorqua Meursault, renversant le contenu d'un tiroir de commode, vexé de n'avoir rien dégoté dans l'armoire.

—Eh ben il faudra me faire avaler du Veritaserum pour que je crache le morceau!

—C'est pas un problème! J'en ai une gourde entière!

—Tant mieux! explosa Eugénie.

Cinq minutes plus tard, l'intégralité de la chambre avait été scrutée, les murs sondés, le Scrutoscope sollicité. L'homme désagréable avait neutralisé les Feux Éternels, démonté les torches pour les examiner, retourné les tapisseries, à la recherche de la moindre anfractuosité susceptible d'accueillir des objets suspects. Ce maniaque avait éventré le traversin de la locataire pour vérifier si une plume maléfique n'y était pas dissimulée, au milieu des plumes de canard. À l'issue de la fouille, l'homme avait intimé à la femme de passer à la chambre suivante. Eugénie avait protesté, car elle en aurait pour une bonne heure pour tout ranger.

—C'est prévu! avait claironné Meursault.

Deux elfes de maison étaient apparus pour tout remettre en ordre. Eugénie avait été si scandalisée qu'elle avait refusé que les elfes réparent les saletés des Aurors. Elle avait hurlé, alors que le type commençait la fouille du côté de Sigrid:

—Ça ne va pas se passer comme ça! Votre commandant va entendre parler de moi! Je vais lui envoyer ma note!

Meursault n'en avait cure. De toutes les façons, il détestait cette mission parce qu'il détestait Beauxbâtons et les gamins en règle générale. À part trois ou quatre enseignements, si cela n'avait tenu qu'à lui, le budget de l'Académie aurait été divisé par dix et l'accès n'aurait été autorisé qu'aux familles de sang pur ayant les moyens d'y envoyer leur progéniture. Mathilde Pourpoint ne partageait pas ces théories et s'amusait presque d'entendre Eugénie énumérer toutes les insultes sorcières dont elle avait connaissance.

La chambre de Sigrid était un modèle d'organisation et d'ordre, presque à la limite de l'ascétisme. Elle ne possédait aucun objet personnel, presque pas de vêtements civils. Ses devoirs et livres étaient classés. Il n'y avait rien, comme si la vie de l'enfant était suspendue, conditionnée par une menace. L'Auror avait une drôle d'impression, comme si une personnalité lisse se trouvait en face d'elle. Il n'y avait, au final, que deux touches visibles dans la pièce: une tête en métal gris et un diplôme encadré. Mathilde examina le document: il indiquait qu'un accessit récompensait la meilleure élève de l'Académie avec un nouveau record de moyenne scolaire.

«Une grande capacité de travail. Du talent. Des connaissances. Une contradiction dans la personnalité, comme un artifice. Elle a le profil.»

Elle prit la création de métal et la soupesa. Puis, elle détailla tous les traits. Sigrid, recluse sur le bord du lit, l'observait. Elle bouillait, se contrôlait pour ne pas se précipiter sur sa baguette et contraindre l'Auror à reposer son œuvre.

Dès que madame Pourpoint s'empara du buste, elle ressentit une chaleur intense alors que le métal aurait dû être froid, voire glacé. Elle admira la finesse de la sculpture et reconnut le visage. C'était celui de Van Betavende. La jeune fille avait-elle réalisé cette sculpture dans une forge ou s'était-elle servie de sa baguette? La question valait la peine d'être posée. Elle se tourna vers l'enfant:

—Est-ce ton travail?

—Oui.

—C'est très réaliste. Bravo! As-tu utilisé un sort?

—Oui.

—Encore plus impressionnant. Belle maîtrise. C'est juste magnifique.

—Merci.

Mathilde reposa le buste à sa place et le tourna afin que les yeux de la sculpture puissent regarder en direction du pied de lit et veiller sur la dormeuse.

—Comme ça?

—Oui, Madame.

—J'ai rien! ronchonna Meursault. Rien du tout! C'est louche! Je n'ai jamais vu une chambre qui tient presque dans une valise sans extension! C'est pas normal!

Il repartit à l'assaut du plancher, faisant sauter les clous à coups d'Accio. Sigrid secoua la tête d'un air résigné, navrée que l'homme perde son temps. Elle n'avait rien à cacher. Néanmoins, elle admettait qu'il exerçait son métier consciencieusement, car il ne lui serait jamais venu à l'idée de démonter les poignées des commodes, creuses, pour y chercher des formules magiques tirées de livres interdits. Si Meursault avait été équipé de l'incroyable invention moldue, utilisée pendant la guerre, appelée «lance-flamme», il en aurait fait usage pour anéantir toute trace de magie dans le château et ses annexes.

Avant de passer à la chambre de Rostand de Hautefeuille, la femme revint vers Sigrid, occupée à remettre en place ses vêtements, les pliant avec soin.

—Une question.

—Oui, Madame?

—Est-il au courant?

Elle désignait le buste de l'index.

—Non, Madame.

—D'accord.

Mathilde grimaça. Les amours secrètes étaient sans conséquence, tant qu'elles ne tournaient pas à l'obsession. Elle se contenta de terminer par:

—Tu es convoquée à 15h00, en face du Sondeur.

—Bien, Madame.

Sigrid laissa choir le rangement et se rendit dans la salle de douche. Elle prit de l'eau pour s'asperger le visage et but deux grandes rasades. L'Autre avait failli surgir.

Aux alentours de midi, l'exploration du pavillon rouge touchait à sa fin, chaufferie et étage compris. La fouille n'avait pas abouti aux découvertes escomptées. La collecte d'artefacts magiques était médiocre; les objets saisis avaient été placés sous scellés dans un coffre inviolable apporté par les Aurors. Meursault était de plus en plus maussade, pour ne pas dire explosif. L'incident diplomatique avait été frôlé lorsqu'il avait bousculé Fellini refusant qu'il fouille dans ses sous-vêtements féminins. Meursault s'était retrouvé face à un front italien, soudé, menaçant, prêt à braver l'interdit sur l'usage de la magie avant 17ans. Manque de chance pour lui, Aloysia était l'ordre comptant le plus de transalpins et Fellini, l'attrapeuse, était élevée au rang de déité. Il avait fallu tout le savoir-faire, la diplomatie et la renommée au Quidditch de Mathilde Pourpoint pour apaiser les tensions.

Assis à la table des professeurs, les deux Aurors se restauraient en silence. Meursault, parce qu'il était furibond et Pourpoint parce qu'elle observait les tables d'élèves. Elle traquait les éléments silencieux, passifs, épiant leurs voisins. Les solitaires, les éléments éloignés du nuage de points traversé par la ligne directrice de l'Académie. Elle venait de repérer la table de Van Betavende, ce petit belge à l'esprit vif. Sigrid Vlaamel s'y trouvait aussi ainsi que le prodige du Quidditch interrogé la veille et Eugénie Beauxbâtons, l'héritière impertinente. Il y avait aussi ce Japonais, venu d'une autre école. Quant aux autres, elle ne les connaissait pas encore. Le Nippon avait été victime d'une agression. Il était assis à la droite du Belge. À sa gauche, il y avait la fille Beauxbâtons. Le Belge et sa voisine avaient été victimes d'un accès de rage en cours, de colère, aussi suspect que celui d'Elvira de Bazincourt et d'Armand Fontebrune. Trois victimes autour de la table. Madame Bonnelangue s'étant installée près d'elle, l'Auror la sollicita:

—Excusez-moi, Agathe…

—Oui?

—Pourriez-vous me dire qui sont les jeunes gens à la table de Van Betavende? Je connais le Japonais, la Portugaise, Sigrid et Eugénie.

—La très jolie jeune fille blonde se nomme Katarina Rostopchine. C'est la plus lettrée de mes élèves, une championne de Cecrabebleu, tous niveaux confondus. Ma favorite, je n'ai pas peur de l'avouer. Le grand garçon roux et l'autre demoiselle sont Jacques et Émilie Boulanger.

Une phrase lumineuse apparut au-dessus de la tête de la fillette.

—Eh! Qu'est-ce que…

—La petite est muette et s'exprime par écrit. Remarquable, non? Quant au dernier garçon, le petit brun, c'est Noël…

Elle chuchota la suite:

—Millefeuille.

—Millefeuille? Comme…

—Oui. Un bien lourd héritage pour un gentil garçon. Il est un peu solitaire, il ne se lie pas facilement. Cependant, il a d'excellentes notes, il est de bonne volonté et très agréable.

—Vous souvenez-vous des élèves que le Sondeur n'a pas réussi à affecter?

—C'est facile! Les trois «oubliés» sont assis à cette table: Noël, Émilie et Shin.

—Je vous remercie.

La concentration d'accidents et d'incidents était trop forte pour être normale. Restait la table des Italiens, touchée, tout comme celle des enseignants. Meursault finit de se gaver de pudding et se leva, déclamant, comme pour asseoir son autorité:

—On reprend!

Mathilde prit le temps de terminer son repas tandis que son collègue se ruait sur le miroir où Eugénie déjeunait. Il la somma de le suivre, ce qui eut pour conséquence de faire exploser la victime affamée.

—Je vous souhaite une bonne journée, lança l'Auror avant de quitter les autres convives.

Une minute plus tard, elle pénétrait dans la salle de classe où Meursault était déjà installé en face d'une Eugénie affalée sur sa chaise. Elle pressentit que l'interrogatoire n'allait pas être une partie de plaisir. L'homme impatient entama de manière classique:

—Beauxbâtons. Eugénie.

L'intéressée ne répondit pas un mot.

—Je te cause. Tu réponds par oui ou par non.

Elle sortit un macaron d'une poche de son uniforme et l'enfourna en entier dans sa bouche. Si elle répondait, ce serait de manière inintelligible.

—Ch'finis bon repeu.

—Tu recommences à te foutre de moi?

—Ouais, répondit l'effrontée.

Meursault ramassa une minuscule valise, la posa sur la table, l'ouvrit et en ressortit une gourde couverte d'un cuir vert-de-gris. Il reposa la valisette sous le bureau et agita la flasque. Il la posa sur le bureau d'Eugénie, comme une provocation.

—Meursault, ça ne va pas? s'indigna mademoiselle Pourpoint.

—Veritaserum.

—On ne peut pas! Pas sur des enfants!

La jeune fille se jeta en avant, saisit la gourde, la dévissa et la but d'un trait. Lorsque Mathilde lui arracha des mains, le contenant était vide.

—Bon sang! Tu es folle!

—Il paraît! La vache, elle n'a pas le même goût que d'habitude! Elle est frelatée ou quoi?

—Comme si tu savais quel goût ça a! ironisa l'homme.

—Mon père m'en a fait avaler des litres. Il ne me croit jamais, quand je mens. Bon! Maintenant que j'ai dans le gosier une dose à tout révéler pendant une semaine, vous allez me poser LA question, la seule ayant un intérêt. Allez, on gagne du temps, que vous arrêtiez de me pourrir le dimanche!

—C'est toi, la criminelle qui agresse et manipule dans l'école?

—Ben non! C'est dommage, hein? Toute cette potion gaspillée pour une question dont vous connaissiez déjà la réponse. Voilà! Fin de l'interrogatoire. Victoire: Eugénie.

Meursault bondit de sa chaise et se mit à tourner en rond dans la salle, désireux d'infliger un sort cuisant à cette sale gamine mal élevée, cette morveuse à qui il devait rabattre le caquet à tout prix. La femme ouvrit une bouteille d'encre, trempa une plume et commença à tracer des mots sur un parchemin vierge. Elle releva la tête.

—Ta baguette, s'il te plaît, réclama la femme.

Eugénie lui tendit de bonne grâce.

—Ça ne sert à rien. Après que l'autre andouille a fichu ma chambre sens dessus-dessous, je suis allée jouer à la balle et à la baguette dans la Salle Blanche pendant 1h30. Je vous explique le jeu: lance la balle, Accio balle, lance la balle, Accio balle. À raison de cinq lancers toutes les minutes, ça fait 2 2 égalent 6 que je multiplie par le coefficient de bêtise de l'Auror… plus de 400 sortilèges.

L'homme se rua vers le bureau et frappa le bois du poing.

—Je vais t'écraser, sale petit moucheron! Je vais te pulvériser!

—Calme-toi, Meursault.

—C'est ça, calme-toi, rajouta Eugénie en le tutoyant pour l'agacer.

Il la foudroya du regard.

—La composition de ta baguette, s'il te plaît, poursuivit la femme, imperturbable.

—Bois de cornouiller, plume de Phénix. Le même cœur que la vôtre.

—C'est Hercule qui t'en a parlé?

—Oui, hier soir. On a discuté. On a appris une terrible nouvelle. Les parents d'un élève ont été assassinés et l'oncle d'Hercule est accusé du meurtre. À tort. Son oncle est tout sauf un assassin.

Le quarantenaire à tête de faux chérubin sauta sur l'occasion:

—Ma petite, tu serais surprise si tu discutais avec des sorciers insoupçonnables qu'on a fait emprisonner!

—Tu l'apprécies, Hercule?

—Si je l'apprécie? Vous rigolez ou quoi? Il m'a sauvé la vie face aux Spongues. Hercule, c'est un garçon extraordinaire. Il est…

Elle secoua la tête, incapable de trouver les mots.

—Parfois, il est sérieux à en faire peur. Ça, c'est casse-pieds mais hier soir, il était blessé et j'étais à ses côtés. Je n'aurais pas laissé ma place. Pour rien au monde.

Elle se mit à pleurer doucement, le Veritaserum malmenant ses émotions, et poursuivit:

—Personne ne nous séparera. Rien, ni personne.

L'Auror hoqueta, chercha à inspirer de l'air, comme si son cœur avait ralenti ou avait fait une embardée. Un étourdissement s'ensuivit. Elle se reprit, professionnelle:

—Tu es amie avec Sigrid?

—Ouais! Elle, c'est ma grande copine. Ma confidente, même.

—Que penses-tu du buste d'Hercule en métal, dans la chambre de Sigrid?

—Il est superbe! Sigrid est toujours la première à réussir les nouveaux sortilèges. Elle a utilisé Ferraforma. Elle maîtrise. Ma copine, c'est la meilleure.

L'air de rien, Mathilde avait capté l'attention de la jeune fille et conduisait l'interrogatoire où bon lui semblait. Elle espérait juste que son collègue ne briserait pas le charme en intervenant à mauvais escient ou à contretemps.

—Est-ce que des élèves ou des professeurs pourraient te vouloir du mal?

—Ah oui, alors! Le premier sur la liste, c'est mon père. En deuxième, mon père et en troisième…

—Ton père?

—Rosier.

—Le fameux Rosier.

—Une belle pourriture. Vous savez que ces fichus suprémacistes complotent pour éliminer les Boulanger?

L'Auror parut tomber des nueset cessa de griffonner avec sa plume:

—Les Boulanger? Ceux à ta table, au restaurant?

—Oui. Rosier et sa bande font partie du club d'Alinea. Alors elle, c'est la championne des championnes de nullité. Même moi qui n'ai jamais vécu auprès des Moldus, qui suis la dernière dans toutes les matières, je sais qu'elle ne raconte que des idioties. C'est la plus nulle. Après mon père.

—Est-ce que tu crois que Sigrid pourrait vouloir du mal à Hercule?

—C'est impossible. C'est même le contraire. La personne qui s'en prendrait à Hercule, se prendrait un sort. Sigrid est amoureuse. Mais pas lui, hein! Il l'aime comme une sœur. D'ailleurs, Hercule n'aime que comme des sœurs. C'est bizarre, hein? Sûrement parce qu'il est fils unique. Alors, il voit des frères et des sœurs partout. Hercule a des tonnes d'amour dans le cœur. C'est pour ça qu'il n'arrive pas à produire des sorts d'attaque. Enfin, je crois que c'est pour cette raison. Il a plein de gentillesse en lui parce que ses parents lui en donnent énormément.

Mathilde ne cessait de prendre des notes. Les relations entre élèves, les jalousies étaient souvent au cœur des drames.

—Et toi?

—Moi? J'ai de la folie, à la place. L'amour, mon père, il croit que ça se paye en Gallions alors, comme il est radin, paf! Que dalle!

—Et ta mère?

—Elle est morte.

—Je sais. Je veux dire: elle t'aimait?

—Je ne m'en souviens pas. Je n'ai aucun souvenir d'elle, en fait. Elle était professeure, ici. Elle enseignait la métamorphose.

—Lyna…

—Vous l'avez connue?

—Oui.

Mathilde posa sa plume. Sa poitrine se serra. Elle ressentit une nouvelle fois le dérèglement de ses pulsations et de sa respiration. Elle se servit un grand verre d'eau et l'avala d'un trait.

—Personne en parle, de ma mère. Jamais. Je ne sais pas pourquoi. Vous savez, vous?

—Bon, ça commence à bien faire, là! Vous allez parler sortilège de tricot, potion de teinture de robe de sorcière, c'est ça?

—Mais on ne t'a pas sonné, toi! réagit Eugénie, le pointant d'un doigt menaçant.

—Dis donc sale petite morv… commença Meursault en se ruant sur elle, levant le plat de la main, prête à la gifler.

—Periculum!

Le doigt de la jeune fille éjecta une boule de feu d'artifice en direction de l'Auror. La sphère le percuta et le fit reculer de plusieurs mètres. Il s'en tira avec une robe de sorcière roussie.

—Eugénie, calme-toi! Calme-toi.

—Mais tu ne vas pas la…

—Ça suffit! Si tu ne peux pas te maîtriser face à un enfant, sors de cette pièce!

—Le chef de groupe va en entendre parler!

—Eh ben vas-y, envoie-lui un rouleau, ça lui en fera deux avec le mien, envoyé après votre fouille. Tu l'as bien cherché! Je sais pas ce que je serai, plus tard, mais sûrement pas Auror! Ça me dégoûte!

Meursault n'entendait plus rien. Il fonçait déjà vers le perron, après avoir claqué la porte.

—Comment vous faites pour travailler avec lui?

—Je n'ai pas le choix. Il a déjà épuisé de nombreux équipiers.

—M'étonne pas!

—Eugénie, pour revenir sur ta mère, je veux juste te dire que c'était une merveilleuse enseignante mais, comme Meursault, elle avait un fichu caractère explosif. Je vois de qui tu tiens. Elle se rebellait et souvent contre Armand Fontebrune. Elle venait manger aux tables d'élèves, se fichant du jugement. Elle était adorée des étudiants et respectée, voire crainte de ses collègues. Elle faisait toujours le contraire de ce que Armand lui demandait. C'était une vraie rebelle dans l'âme, devenue professeure parce que c'était la meilleure. Elle ne serait jamais devenue référente, à cause de ses positions radicales. Le Ministère aurait tout fait pour annuler sa nomination.

Elle marqua une pause, fouillant dans ses souvenirs.

—Sa mort a été l'un des plus gros chocs de ma vie. J'étais en dernière année de CHASSE. Je revenais de vacances pour le bal de fin d'année. Il a été annulé. Tout le monde était brisé. Tu sais, j'ai… j'ai l'impression de la revoir en toi, ça fait très bizarre. Le même caractère fou mais pas le même visage. Sauf les cheveux.

—Ça m'énerve de ne pas pouvoir me souvenir d'elle. Mon père n'a gardé aucune photo d'elle, comme s'il avait honte. L'année dernière, Hercule m'a dit qu'il ne l'avait pas trouvée dans l'annuaire de Beauxbâtons. Vous savez où elle avait étudié?

—Aucune idée. Peut-être en famille. Tous les sorciers n'ont pas la chance d'étudier ici. Dis, Eugénie…

La femme se leva et vint s'accroupir à côté de l'élève, pour être à sa hauteur.

—Oui?

—Je ne sais pas si nous arriverons à coincer le criminel, car nous n'en sommes qu'au début. Mais bon, tu as pu constater que mon équipier n'est pas très… commode, ni délicat.

—C'est un c… un c… un imbécile.

—Euh… Bref, c'est pas avec lui que je vais réussir.

—Non. Tiens, c'est bizarre, il est vraiment pas terrible, votre Veritaserum!

—Pourquoi?

—Je voulais dire «c'est un gros c…», une insulte bien plus impolie mais ce n'est pas sorti de ma bouche.

—Ah! Il a dû remplir avec sa mixture Veritaserum-Puranobilis. 1 Je t'expliquerai. Je me demandais si ton copain Hercule ne pourrait pas m'éclairer.

—Hercule? Je suis sûre que oui. Il sert la vérité, il respire la vérité. Et il a même dû l'inventer. En plus, il connaît des secrets du château. Mais vous aussi,hein?

—Pourquoi dis-tu cela?

—Il m'a dit qu'ils font partie de votre famille. Les Delacour.

—Et donc?

—Vous savez forcément des secrets.

—Comme quoi?

—Les sorties secrètes.

Mathilde ricana et la regarda droit dans les yeux:

—Je te dirais bien la vérité, mais tu as bu tout le Veritaserum.

—Ah zut!

—Mais oui, mon oncle m'a parlé de certains secrets. Le Sondeur. Les isoloirs. Des choses dont je ne parle pas aux autres Aurors.

—Pourquoi?

—Parce qu'il y a des pouvoirs qui nous dépassent. Des puissances qu'il ne faut pas exposer au grand jour. Ton copain, Hercule, il a réussi à en découvrir et je le soupçonne de vouloir en savoir plus. Ça peut être dangereux.

Eugénie acquiesça en baissant la tête.

—Merci.

—Pour ma franchise? C'est facile, non?

—Non, merci d'avoir poussé Meursault à bout pour qu'il aille faire un tour. Ça soulage.

—C'était… un plaisir.

Les yeux verts et noisette d'Eugénie brillèrent de malice.

—J'en ai terminé avec toi. Touches-en un mot à Hercule.

Mathilde était consciente de l'ampleur de la tâche pour réussir à coincer le criminel ou faire tomber sa marionnette. Elle devait s'appuyer sur le meilleur atout à l'intérieur de l'Académie. Sans mettre la vie du garçon en danger. Elle se leva, ouvrit la porte, découvrit son collègue en train de faire les cent pas dans le hall, tourna la tête et aperçut Eugénie s'engouffrant dans la bibliothèque, base probable du jeune Belge. Elle se retourna et tomba nez à nez avec Sigrid, venue pour son interrogatoire. L'Auror se sentit à deux doigts de défaillir.

L'ordre Gerbera redoutait que l'Autre ne se montre lors de l'entretien avec l'Aloysia. Dissimulés au fond de la bibliothèque, les enfants tentaient d'accomplir les différents devoirs distribués par les professeurs. Le plus tordu des exercices avait été produit par Agathe, en français. Il fallait produire trois rouleaux, recto-verso, sur les distorsions dans la magie au cours des siècles, en s'appuyant sur des exemples concrets et en citant ses sources. À croire qu'elle sous-entendait que la présence des deux Aurors perturbait les élèves, plus dispersés que jamais en cours, ratant pour la plupart leurs épreuves, perturbés par le climat anxiogène. Le sujet, complexe, comportait une question de rattrapage, dixit Agathe: «quels remèdes peut-on utiliser pour restaurer la stabilité de la magie?»

Les enfants se demandaient si elle n'avait pas déjà adopté l'idée de Katarina de créer une CHASSE-Mot'magic.

Sigrid était revenue au bout de dix minutes de question diverses et variées de la part de l'Auror féminin. L'homme n'avait toujours pas refait d'apparition dans la salle de classe et vu son comportement avec celles et ceux qui s'y étaient frottés, Sigrid n'était pas mécontente de son absence.

—Bah, au moins, il ne pouvait pas lui administrer du Veritaserum!

Les autres étaient déjà au courant de la lubie d'Eugénie. D'ailleurs, ils comptaient bien l'exploiter. La narration de Sigrid fut plus conforme au déroulé d'un interrogatoire classique. L'élève-modèle avait suscité la curiosité de la jeune Auror qui, au matin, avait procédé à la fouille de la totalité du pavillon Aloysia. Madame Pourpoint avait été frappée par l'absence de personnalisation de la chambre de l'élève, à contrario des autres espaces de vie remplis de photos de famille, de jouets ou jeux ensorcelés, d'objets issus du Quidditch comme des Cognards inactivés et dédicacés par de célèbres joueurs, par des répliques au 1/10 de balais produits en séries limitées ou même de phonographes, comme chez Rostang de Hautefeuille. Sigrid avait répondu qu'elle vivait pour les études et pour ses amis dont Hercule auquel elle vouait de nobles sentiments. Lorsqu'elle avait laissé l'Auror manipuler sa baguette, elle avait éprouvé de la jalousie. Sigrid ne possédait pas grand-chose mais c'était tout à ses yeux. L'héritière des Flamel avait tu le passage sur le buste d'Hercule, incapable d'un tel aveu sans rougir au sang. Shin et Katarina s'étaient demandés à quel moment ils seraient questionnés. Eugénie leur avait alors prodigué un merveilleux conseil: s'exprimer dans leur langue natale lorsque l'homme s'adresserait à eux, ce qui le mettrait dans une colère noire, le pousserait à claquer la porte et à les laisser en tête à tête avec l'autre Auror, bien plus sympathique et au final, plus efficace. Sans aller jusque-là, les deux derniers avaient gardé en mémoire l'idée de s'adresser à la femme plutôt que l'homme. Eugénie avait envoyé un hibou officiel au commandant des Aurors et avait suggéré à Fellini d'en faire autant. Eugénie se demandait, à juste titre, comment Meursault s'y prenait avec des prévenus majeurs. De Franjac n'avait certainement pas achevé l'élagage des branches pourries.

Même si le passage sur le grill avait été bref, Sigrid était éprouvée. Ses cernes habituels étaient encore plus creusés, noirs. Soudain, vers 16h00, elle rangea ses affaires sous le regard interloqué de ses camarades. Elle se leva et leur annonça:

—Je me sens vidée. J'ai dû abuser de mes forces. Je vais aller me reposer, peut-être dormir un peu.

—Je t'accompagne! lança sa colocataire, sautant sur l'occasion de ranger ses plumes et ses parchemins à peine noircis.

—On se retrouve au dîner.

Les Aloysiennes quittèrent la bibliothèque et se dirigèrent vers le hall. Parvenues à la loge du concierge, elles tournèrent à droite et empruntèrent le perron. Elles se retrouvèrent à l'air libre, marchant dans la neige. Elles entendirent un bruit derrière elles, comme du verre frappé. Elles firent volte-face et aperçurent Émilie dans une salle de classe, au troisième étage, sous l'Observatoire, leur faisant de grands signes. La fillette ouvrit la fenêtre en grand, se pencha un peu en avant, agita son sac d'école d'une main et inscrivit avec sa baguette:

«Attendez-moi! Je crois que je sais qui a agressé…»

La suite ne fut pas écrite. Émilie bascula par-dessus le rebord, poussée par une silhouette vêtue de noir. Elle se fracassa treize mètres en contrebas, en dépit des buis couverts de neige.

—Par Flamel! Sigrid, vite!

L'une se précipita sur la cadette des Boulanger tandis que l'autre fonçait à l'infirmerie. La fillette était couverte de contusions, la tête en sang. Par réflexe, elle avait placé ses bras pour couvrir son visage. Le gauche était en morceaux et l'épaule droite était sortie de son logement. Elle était inconsciente et ne bougeait plus, incarcérée dans le buisson taillé en boule.

—Émilie, réponds-moi! Euh… fais-moi un signe! Ouvre les yeux. Ouvre les yeux!

Le docteur Beauxbâtons, alerté par sa fille, arriva très vite. Il constata que la fillette était immobile et ne répondait pas aux stimuli.

—D'où est-elle tombée?

—Du troisième étage.

—Mais comment est-ce arrivé?

—On a vu quelqu'un. Juste une silhouette. Elle a été poussée.

—Bon sang!

Il tira sa baguette et lança une série de Diffindo précis pour sectionner les branches dans lesquelles elle était empêtrée. Puis, il fit apparaître une planche étroite et longue d'un mètre à laquelle il fixa, grâce à des liens bien serrés, la tête, la nuque et le dos de la victime. Ensuite, une fois qu'elle fut rigidifiée, il la fit léviter tandis que Rose, arrivée entre-temps, écartait les derniers végétaux. Les Aurors, prévenus de l'accident, accoururent recueillir les témoignages de Sigrid et d'Eugénie. Meursault fila vite à l'étage indiqué, mais il n'y trouva personne. D'autres témoins, situés près du pont à ce moment-là, se manifestèrent. Leurs exposés confirmèrent les premières constatations: Émilie avait été projetée.

1Cette variante empêche les insultes, rendant les interrogatoires plus agréables à conduire.