Sortilège 25: premier séisme

Depuis l'aube des temps, les Pyrénées, posées sur la ligne de faille provoquant le glissement de la péninsule ibérique sous la France, étaient sujettes aux tremblements de terre. Cependant, ce n'était rien comparé au séisme ayant ébranlé l'Académie magique. Après l'effroyable nouvelle de la disparition des parents de Casper, conduisant le garçon déboussolé à perdre pied, une tentative de meurtre secouait l'établissement, au nez et à la barbe des Aurors venus enquêter sur la collection d'incidents et d'accidents. Émilie Boulanger était passée à deux doigts de la mort. Si elle s'était trouvée dans l'autre aile du château, dépourvue de buissons sous ses fenêtres, elle se serait brisée les os et aurait perdu la vie. Si la pluie avait remplacé la neige précoce, elle aurait quitté l'Académie les pieds devant.

Au matin du lundi 18 novembre, en piteux état mais consciente, elle souffrait le martyr, le visage déformé par la douleur, sans émettre un seul son. Jacques n'était pas à son chevet, ni en cours. Après avoir eu vent de l'agression, Rosier s'était réjoui de voir un de ces «animaux indignes de l'école» réduit à l'inactivité. Jacques l'avait entendu ironiser et n'avait pas attendu que l'infâme gringalet à brillantine ne tire sa baguette. Il avait foncé sur Thibaldus et lui avait décroché une monumentale gifle. La tarte paysanne avait été si violente qu'au petit matin, la joue de Rosier était devenue violacée. Le geste compréhensible mais néanmoins prohibé du frère lui avait valu des corvées en compagnie de la professeure Waldmeister et des remontrances carabinées de la part d'Armand Fontebrune. Le garçon aux mains caleuses n'avait pas protesté et s'était soumis. Un grand nombre d'élèves s'était massé dans le couloir administratif pour improviser une haie d'honneur, soutenant son initiative punitive. Il avait été surpris de voir le concierge lui adresser un clin d'œil et lui souffler, en toute discrétion:

—Bien joué, Boulanger! Ne t'en fais pas pour les besognes, ce sera allégé, tu peux me croire.

La veille, vers 17h00, Hercule avait été convoqué par Armand en compagnie de Sigrid et Eugénie. Les deux Aurors avaient suspendu leurs interrogatoires et s'étaient consacrés à la nouvelle affaire. Le directeur voulait que le garçon de deuxième année vérifie la classe en compagnie des deux émissaires du Ministère. Hélas! La pièce comportait bien trop d'empreintes, de cheveux ou de pellicules, pour être exploitable. L'agresseur masqué pouvait très bien s'y trouver l'avant-veille, en compagnie des camarades de sa classe, ou au poste d'enseignant. Le nettoyage des salles, effectué la nuit, après les cours, par les elfes de maison, ne pouvait pas «pasteuriser» les pièces, pour reprendre un terme initié par le scientifique moldu.

En revanche, il avait été aisé de prouver que la surprise causée par l'irruption d'une seconde personne, était exclue: les fenêtres étaient petites, hautes. Il y avait plus d'un mètre entre le plancher de la pièce et l'encadrement de la fenêtre. Quant à Émilie, c'était une des plus petites élèves. Une fois qu'Armand les avait abandonnés, Meursault s'était empressé de dégager Hercule, au grand dam de Pourpoint. L'Auror s'était montré désagréable mais dans les limites du raisonnable. Le pouvoir urticant du jeune Belge n'égalait pas celui d'Eugénie.

Le matin du lundi, le tandem d'enquêteurs s'était lancé dans la fouille du bâtiment Lonicera. Il s'était donné un jour et demi pour explorer les moindres recoins, prêt à passer deux fois plus de temps que dans l'habitat d'Aloysia. Le doublement du temps nécessaire s'expliquait par la configuration des lieux. Les chambres des tenants du chèvrefeuille étaient spacieuses, accessibles et ne comportaient qu'un bureau nu, une commode et une modeste armoire. Leur espace commun se résumait à une grande salle de jeux, assez dépouillée. Chez Lonicera, il fallait se contorsionner pour atteindre l'espace de vie individuel où s'entassaient le lit, la commode à extension et le coin toilettes. En revanche, l'espace de travail, démesuré, comportait une foule de rangements susceptibles de dissimuler des produits interdits. De plus, le premier étage de Lonicera était un véritable dédale avec des dizaines de cachettes possibles. Enfin, souci supplémentaire, Meursault était un ex-Urtica tandis que Pourpoint était passée par Aloysia. L'un comme l'autre ignorait presque tout de la forteresse des défenseurs du chèvrefeuille.

Aux alentours de 13h00, le duo d'antagonistes n'avait ratissé que les chambres des jeunes filles. Observant une pause collation préparée par les elfes de maison et servie dans le bureau d'Armand, les enquêteurs profitaient de ce court répit pour échanger avec le directeur. Ce dernier insistait pour que Hercule soit associé à leur réflexion. Contre toute attente, les deux Aurors étaient tombés d'accord pour rejeter la demande d'Armand, rappelant que la chose était très sérieuse et que Hercule, au même titre que tous les élèves, professeurs et personnels, était un suspect potentiel.

Alors que le directeur s'apprêtait à démontrer que l'élève disposait d'une capacité hors norme pour déceler des détails, les assembler, un bruit incongru se produisit à l'extérieur. Des coups de bec d'un oiseau contre l'un des carreaux de la fenêtre du bureau. C'était un jeune duc, au regard vif et à l'impatience notoire.

—Mais qu'est-ce que… Ah! Sûrement un novice! À moins que…

Fontebrune ouvrit la fenêtre et voulut lui prendre le rouleau. Le coursier le gratifia d'un pincement.

—Hé! Apparemment avec toi, c'est l'argent d'abord!

Il glissa les cinq Noises réglementaires dans l'escarcelle et le volatile consentit enfin à être libéré de son pli. Il s'envola à tire-d'ailes, sitôt la délivrance opérée.

Le sceau ministériel, bureau des Aurors. Armand décacheta la lettre roulée et la lut avec avidité. Il haussa les sourcils, dubitatif, réprima un rictus, mêlé de sourire. Puis, il tendit le rouleau vers les Aurors et dit:

—C'est pour vous. Non, pas vous. Pour Monsieur.

Meursault le lut à son tour. Au lieu de se décomposer et de se conformer au document, il exulta:

—La saleté de petite morveuse!

Il tapa du poing sur la table et jeta le document au visage d'Armand. Mathilde s'empara du courrier et le découvrit en silence.

«Monsieur Meursault,

J'ai reçu plusieurs hiboux de plainte me rapportant des propos tenus et des comportements que vous avez eus lors d'interrogatoires et de fouilles. Je vous rappelle qu'en tant qu'Auror, vous avez le devoir moral de montrer l'exemple et l'obligation de respecter les procédures, y compris les articles concernant la politesse. Je ne tolère plus vos sempiternels débordements et autres dérapages. Dans le cadre de cette mission, vous devez composer avec des enfants dont de nombreux ressortissants étrangers. J'ai, ce matin, envoyé une lettre d'excuses au ministère de la Magie italienne. En conséquence, je vous notifie ce jour un blâme pour fautes graves et répétées. Si vous outrepassez de nouveau vos droits, je vous signifierai une mise à pied de quinze (15) jours, avec effet immédiat.

Cordialement.

Guillaume de Franjac, Commandant des Aurors.»

Elle reposa la lettre sur le bureau.

—Ça ne va pas se passer comme ça! C'est pas ce parvenu qui va m'apprendre mon métier! Qu'est-ce qu'il croit? Que le criminel va venir se constituer prisonnier?

—Votre commandant ne remet pas en cause les fouilles et les interrogatoires. C'est la brutalité qu'il ne tolère pas. En arriver à générer une fronde des élèves italiens, un sort défensif d'une élève, c'est parce que vous n'avez pas compris où vous trouvez.

—Je vais lui coller un sort bien cuisant, à cette saloperie de gamine Beauxbâtons.

—Si vous faites usage de votre baguette contre un élève, quels que soient vos griefs, vous devrez en répondre et rendre votre baguette.

Meursault la tira de sa manche et menaça Armand:

—Essaie d'y toucher, sale enflure d'Oubliator! Essaie et je te pulvérise! Vas-y! Fais-moi plaisir et je vais te montrer un Impardon…

—Expelliarmus! Stupefix!

Face à la tournure des événements, Pourpoint avait glissé sa main dans l'intérieur de son uniforme bleu marine et dégainé sa tige de citrus. Elle avait hurlé et mis de la puissance dans ses ordres, Meursault étant un dur à cuire, habitué à recevoir les coups. Elle resta interdite, car si la baguette de son adversaire avait bien été arrachée par le second sort, le Stupefix ne donnait pas du tout le résultat attendu. Son collègue se mit à convulser, comme si son corps était traversé par un puissant courant électrique. Soudain, l'Auror fut projeté au plafond et son visage heurta une poutre de plein fouet. Plaqué contre les boiseries, il parut recevoir des coups invisibles, sous le regard horrifié d'Armand et de Mathilde. Le passage à tabac dura une quinzaine de secondes et cessa soudain. Il retomba au sol, comme un pantin sans vie. Les deux autres se précipitèrent sur lui et le retournèrent. Il souffla comme un taureau en furie et grommela:

—Que… Qu'est-ce que je fais par terre? Je… je n'ai pourtant pas bu d'alcool. Que… Je ne comprends rien.

Il se redressa, s'accrocha à l'accoudoir de son fauteuil et se cala sur l'assise, contre le dossier.

—Ah zut! Je saigne.

Il extirpa un mouchoir d'une poche et épongea son arcade sourcilière.

—Pourquoi me regardez-vous comme ça?

—Mais, répliqua sa collègue, tu ne te souviens de rien?

—De quoi faudrait-il me souvenir? On en était à la fouille de Lonicera qui prend du temps parce que ni toi, ni moi ne connaissons le pavillon.

—Et le reste? La lettre, ta menace, ta baguette?

—Hein? Quelle lettre? Et ma baguette, elle est dans ma manche, comme tous les…

Elle n'y était pas puisqu'elle se trouvait entre les mains de madame Pourpoint.

—Mais… je l'ai faite tomber?

Elle lui tendit, persuadée que l'épisode de folie était passé.

—Le directeur et moi avons été les témoins d'un envoûtement distant.

—Quoi?

Il rigola, ne les prenant pas au sérieux.

—Je m'en souviendrais! Non?

—Non. C'est de la magie noire africaine. Monsieur le Directeur?

Armand avait été élevé au rang de Grand Frère de Uagadou, pour services rendus.

—Je vous suis à 100%, Mathilde. J'en sais assez sur ce sujet-là, après avoir passé une année à Uagadou. C'est leur vaudou. Je vous conseille de vérifier vos effets personnels, de ne rien laisser traîner. Pas même un cheveu. Le criminel a dû déjà collecter ce dont il avait besoin. Il n'a pas traîné. Combien d'interrogatoires avez-vous déjà mené?

—Une petite centaine. Il y a beaucoup d'élèves.

—Votre suspect a pu passer devant vous, partir, récupérer un cheveu ou deux sur vos manteaux, voire découper une doublure de vos robes.

—Mais c'est quoi, cette magie-là?! En quoi ça consiste?

—C'est une forme très puissante, basée sur des représentations des victimes ciblées, fabriquées avec des éléments leur appartenant. Le sorcier utilise des aiguilles pour provoquer des douleurs ou soumet l'effigie à des tortures, des simulacres d'actions, voire prononce des paroles d'envoûtement. Avant de reprendre votre travail, vous devriez faire soigner cette blessure, monsieur Meursault.

L'intéressé sourit enfin.

—Ne vous en faites pas, j'ai la tête dure!

—Et la lettre?

—Ah oui! La lettre. Elle m'était destinée?

—Oui.

L'homme la relut et en prit acte, résigné. Concernant la participation du Belge, la position de Meursault n'avait pas varié, mais il mit les formes pour décliner. Il parut rasséréné, presque un autre homme. Il se leva, salua Armand et dit:

—Pourpoint, on se rejoint au pavillon. Je vais quand même aller réclamer une petite potion antidouleur. J'ai mal partout comme si un géant m'avait pris pour un fauteuil ou comme si j'avais pris des Stupefix à terrasser un dragon!

Après avoir refermé la porte, il disparut dans le couloir.

—Ce qui vient d'arriver, confirme vos soupçons, Mathilde. Nous sommes tous en danger.

—Oui.

—Comment avez-vous eu connaissance de cette magie? Je ne me souviens pas que ça soit au programme d'étude de la CHASSE-Magus.

—Un match de Quidditch à Kampala, en Ouganda. J'étais remplaçante. Léonce Brindille jouait encore. Ce jour-là, il s'est placé, à plusieurs reprises, sur la trajectoire des Cognards. Volontairement. Jusqu'à ce qu'il ne soit plus que de la marmelade volante. L'équipe de l'Ouganda avait donné 500 Gallions à un mage noir, coutumier des envoûtements maléfiques.

—Expérience mémorable. Qui, parmi les élèves…

—… ou le personnel, ajouta la femme.

—Bien sûr. Qui a accès à ça?

—Il faut le découvrir.

—Et pour Van Betavende? Je vous assure que…

—Je n'ai aucun doute sur vos certitudes. Je le ferai, sans Meursault dans les pattes. Rassurez-vous, je ne suis pas folle. Un hypermnésique doté d'une telle intelligence, je ne vais pas m'en priver. Ce sera en secret.

—C'est entendu. Bonne chance! J'ai la nette impression que le criminel cherche à intensifier ses actes abominables.

Madame Pourpoint en était convaincue. La prochaine fois, il y aurait un mort. Armand n'avait pas commenté. Il y avait déjà eu un mort. Seule l'intervention providentielle et inattendue d'Umbelina avait déjoué les projets du Fauteur. Serait-il mis en échec, la prochaine fois?

La mer était déchaînée. Les vagues, hautes de trente mètres, s'écrasaient contre des murailles de deux mètres d'épaisseur, taillées dans du granit indestructible. Il ne faisait pas nuit, mais les éléments furieux et le ciel d'un gris cendre, en donnaient l'impression. La fureur de la météo couvrait les plaintes déchirantes venues des entrailles de la bâtisse élevée, un triangle massif érigé sur un piton rocheux. Les embruns s'infiltraient dans les fines meurtrières opérées dans les masses minérales. L'eau salée ruisselait à l'intérieur et figeait sur les murs, congelée par des êtres fantomatiques, décharnés, avalant la moindre chaleur. Un homme, parmi tant d'autres, était à genoux, enchaîné. Par moments, il s'agitait comme si son âme était passée au pilon ou au tison. Si seulement! Hélas! On lui découpait son essence, on le vidait de tous les sentiments, les plus honorables, comme les plus vils, jusqu'à la lobotomie mentale. Dès que les créatures le délaissaient pour s'en prendre à une autre proie, il recouvrait la force de hurler un seul mot: Hercule. Il levait alors ses traits de vieillard aux nombreux sillons, ses yeux blanchis par les voleurs d'âmes et beuglait. Waldo n'était plus rien, une coquille déshumanisée, mais il s'accrochait à ce seul prénom.

—Waldo!

Le petit Belge s'éveilla en sueur. Il voulut se redresser, mais il en fut incapable. La douleur –plutôt, les douleurs –était trop intense. Il n'eut même pas la force de tourner la tête vers la chaise où ses vêtements étaient posés. Il lui fallut quelques secondes avant de comprendre où il se trouvait et pourquoi. Où, c'était facile! Il devina la silhouette d'un paravent le séparant des autres lits. Il était à l'infirmerie. Pourquoi? Tout avait commencé au petit-déjeuner, la veille, le lundi, une semaine après l'agression d'Émilie.

Hercule, comme chaque matin, se régalait en compagnie de ses amis, hormis la fille Boulanger, toujours mal en point. Il n'avait pas prêté attention aux mouvements autour de lui. Casper avait quitté son miroir, un journal à la main. Le Hollandais était entré dans l'espace d'Hercule. Il avait jeté le Cri de la Gargouille dans les œufs brouillés du Belge. Celui-ci avait à peine eu le temps de déchiffrer le titre: Waldo Mertens, l'assassin des Van Kriedt et de Faulkner, arrêté par les Aurors anglais à Douvres, à sa descente de bateau.

—C'est ton ordure d'oncle qui a tué mes parents!

Casper l'avait saisi à la gorge, l'avait éjecté de sa chaise, traîné sur plusieurs mètres avant de le larder de coups de pieds dans les côtes et dans le visage. Jacques s'était levé, l'adversaire avait brandi sa baguette. Toute la table s'était liguée mais le Hollandais avait hurlé:

—Endoloris!

Hercule avait poussé un hurlement bestial. Sébastien, posté à l'entrée, s'était rué vers les miroirs. Agathe, seule à la table des enseignants, s'était retournée et avait vu Hercule à terre.

—Incendio!

La flamme, coulant de la baguette du garçon, hors de contrôle, avait léché le dos du Belge. Avant d'être maîtrisé par le Fulgari d'Agathe, il avait tenté un ultime sort, inconnu des élèves médusés.

—Cerebri Venenum.

La victime s'était attrapée la tête à deux mains, avait gigoté comme un reptile avant de succomber de douleur et de perdre connaissance. Sébastien avait désarmé le Hollandais, l'avait empoigné par le col d'uniforme tandis qu'Agathe, sous le coup de l'émotion, secouait Hercule, en vain. L'ordre Gerbera et les autres convives étaient sans voix, stupéfaits. Eugénie était au bord des larmes, une main sur l'épaule de Sigrid qui tremblait de tous ses membres. Alerté par des élèves, Armand était arrivé. Rose Cacheton avait suivi et s'était empressée d'emmener Hercule en le faisant léviter. Armand avait compris que Casper avait eu un coup de sang en découvrant l'article du journal, en 4e page. Il s'était mordu les lèvres de ne pas avoir su détecter et corriger la dérive de Van Kriedt. Les faits étaient très graves. Il n'avait pas le choix. Il devait prévenir le ministre de la Magie française et déférer Van Kriedt devant le Tribunal Administragique. Les ministres belges et hollandais seraient informés de l'agression, avec toute la diplomatie nécessaire, ces deux nations n'étant pas en très bons termes, du moins dans le monde sorcier. Casper avait fait usage d'un sort impardonnable et utilisé un sort noir visant à corrompre, empoisonner l'esprit du Belge, par pure vengeance.

Sébastien avait conduit Casper dans le bureau d'Armand. Le directeur avait tenu à connaître l'étendue des dégâts dans l'esprit du sorcier batave.

—Je suis horrifié par le meurtre de tes parents, Casper. Véritablement navré pour le drame qui te touche. J'ignore si l'oncle de Van Betavende est coupable ou non. Ce sera au Magenmagot anglais d'en juger puisque le crime a eu lieu en Australie, un territoire toujours sous la coulpe de la couronne anglaise. Mais, j'insiste sur ce point, Van Betavende n'est aucun cas coupable ou responsable de quoi que ce soit.

—On se vengera! On les tuera tous! Jusqu'au dernier!

Les yeux bleus injectés de sang ne pouvaient signifier que deux choses: soit il voulait passer à l'acte, soit il était sous l'emprise d'une potion ou d'un puissant sortilège. Armand avisa la baguette d'érable au cœur de Jackalope. Il la prit par les deux bouts et déclama, en la brisant:

—Non. C'est terminé.

—Noooon!

—Je vais envoyer un hibou à ta fratrie.

—Ils viendront tous vous tuer! Ils vous combattront tant qu'il restera un membre de cette famille en vie!

—Je prends bonne note de tes propos.

Le garçon se débattit, mais ses bras entravés l'empêchèrent de commettre un nouvel acte de barbarie. Conscient de sa situation, il chercha une issue. À ce moment-là, on frappa à la porte. Sébastien se détourna une seconde. Les deux Aurors, invités à entrer, furent les témoins d'un Casper se tortillant, échappant à la férule de Sébastien, fonçant dans la cheminée d'Armand –la seule connectée au réseau –, plongeant la tête dans le seau en fer blanc rempli de poudre de Cheminette, prenant une bonne dose à pleines dents, la recrachant sur ses pieds et déclamant, en néerlandais, le nom d'une destination tandis que son corps était enveloppé de flammes vertes. Le temps qu'Armand, grâce à sa baguette traductrice, reproduise à l'oreille la phrase en flamand, il était trop tard. Casper, à des centaines de kilomètres de là, n'était plus sous l'influence du Fulgari et s'était défait de ses liens. Il leur avait faussé compagnie.

Quelques minutes plus tard, des hiboux avaient été envoyés et les Aurors s'étaient rendus à Paris, par la même cheminée, en urgence, pour prévenir le bureau des Aurors. Mais le mal était fait. Casper était dans la nature, auprès de sa sœur et ses huit frères. À l'heure qu'il était, ils étaient sûrement entrés dans la clandestinité pour mener leur raid contre leurs ennemis belges. La colère avait été nourrie de haine.

Hercule souffrait. Chaque geste était un supplice. Le pire, c'était le souvenir cuisant de l'Endoloris. Comme une brûlure électrique qui dévorait son corps de l'intérieur. Quant à son crâne, il était à l'agonie. Il était fou de douleur, incapable d'aligner deux pensées cohérentes. Il aurait voulu ne jamais se réveiller.

Le cauchemar l'en avait empêché. Waldo souffrait, encore plus que lui. La joie de l'oncle était broyée, séchée, carbonisée, consumée avant d'être niée. Il fallait écrire au ministre de la Magie anglaise, demander à le rencontrer, démonter les preuves, clamer et appuyer l'innocence de Waldo. Où se trouvait-il? Était-il vraiment dans ce lieu où l'humanité avait été annihilée? Il devait aussi écrire à ses parents.

«Allez, Van Betavende! Oublie la souffrance et pense, réfléchis! Le rêve. Non, il y avait un autre rêve!»

Il y avait eu un autre songe avant celui, répétitif, mettant en scène son oncle. Une fusion fugace. Le manoir, leur manoir, à Bruges. En feu, des stigmates de sorts destructeurs sur toute la façade. Son esprit passait le seuil. L'intérieur était la proie des flammes, il y avait des débris de meubles, de bibelots, des portraits déchirés, des fauteuils éventrés. Il progressait. À l'entrée du salon, il y avait du sang. Une mare de sang. Il ne voyait pas ses parents, ni Orby. Le feu démoniaque avalait tout ce qui pouvait être consumé. L'anéantissement, la fin de tout. La fin des siens.

Il ne put lutter davantage et perdit connaissance. À quelques mètres de lui, une autre respiration. Émilie, endormie, sur la voie de la guérison, passait sa dernière nuit dans l'infirmerie.

En ouvrant les yeux, Hercule s'attendait à découvrir le visage de Rose Cacheton ou ceux, plus enfantins, de ses amis. Il avait même songé à Agathe qui l'avait si souvent veillé. Il ne s'attendait pas à tomber sur une jeune femme brune, grande, avec des yeux noirs à priori inquiétants mais en fait, bienveillants. Mathilde Pourpoint était assise, un sac en cuir collé contre son ventre, les bras repliés dessus.

—Bonjour, Hercule.

—Madame… Où… L'infirmerie.

—Tu reconnais. Bien. Je me suis laissée dire que l'année dernière, s'il avait existé un accessit des nuitées passées ici, tu l'aurais décroché.

—Sans doute.

Il tenta de se redresser mais échoua. La douleur ravageuse, intérieure, si présente.

—N'essaie pas. Van Kriedt t'a méchamment rossé. Il a signé la fin de sa scolarité.

—Il va être renvoyé?

—Non.

Hercule écarquilla les yeux.

—Non?

—Il s'est enfui par la cheminée d'Armand.

—Quoi?

—Il a juré que toi et ta famille, vous seriez éliminés.

L'aplomb avec lequel elle avait livré ses informations, ne désarçonna le Belge qu'à moitié. Depuis la rentrée, il y avait des cellules nerveuses grillées dans la tête du Hollandais.

—Ce n'est pas tout. Tu imagines que nous nous sommes vite empressés d'aller fouiller chez Urtica, dans votre chambre. Nous avons trouvé une tenue noire dans ses affaires, avec une cagoule, dans un double fond de son tiroir à extension.

Hercule écoutait, sidéré.

—Nous avons bien fait attention à mettre le tout dans un sachet de papier. Il y avait, dans la cagoule, quelques cheveux blonds courts. Et, sur la tenue, nous avons relevé deux cheveux longs roux. Nous en avons prélevés sur Émilie et nous les avons comparés à l'hôpital Bonpied.

—L'Hyper-loupe.

—Oui. Si le bureau des Aurors en possédait une, avec une forte capacité de grossissement, on gagnerait du temps. Les cheveux correspondent. Nous sommes certains que Van Kriedt est l'agresseur d'Émilie. Elle a repris les cours ce matin, d'ailleurs. Par contre, nous n'avons rien trouvé d'autre dans les affaires du Hollandais. Rien en rapport avec la magie noire, même si le bonhomme l'a étudiée. Ce «Cerebri Venenum» qu'il t'a lancé, a été contré à temps, par une potion à laquelle je n'aurais jamais pensé. C'est ta copine Eugénie qui a soufflé la solution.

—Eugénie? Oh… Je crois deviner. La potion Chlorocolmate contre le Clochipique.

—Exact! Son effet secondaire a ramolli ta cervelle et empêché le venin maléfique d'agir.

—Astucieux!

Hercule fit la moue au bout de quelques secondes et demanda:

—Avez-vous fouillé tout le château?

—Presque tout.

—Vous avez fait vite.

—Tu es resté inconscient pendant cinq jours.

—Oh…

—Je me suis chargée de la grotte Urtica, sur les conseils de Shin Ishii. Rien trouvé. Le coffre A.D, pareil.

—Vous connaissez?

—Tonton Gervais. Chut…

—Rien du côté opposé à la sortie?

—Non. Les rayons sont bien garnis. Obscur n'a pas ralenti depuis que je la connais.

—J'oublie qu'elle a été votre enseignante.

—Comme presque tous, ici. Il n'y a que six ans, que j'ai quitté Beauxbâtons.

Le garçon chuchota:

—Et le Sondeur? Je sais que vous savez.

—Alpha, Bêta. Tu avais capté la référence.

—J'imagine assez mal Casper comprendre comment les isoloirs fonctionnent, mais on sait jamais.

—Je vais m'en charger. Sans Meursault qui devra être occupé autrement.

Hercule fouilla dans sa mémoire et eut une idée:

—Il y a un autre lieu à vérifier. Monsieur Grossel connaît son existence, mais je ne suis pas supposé savoir. C'est entre les racines d'un sapin aux branches tombantes, dans le bois. Une fois, j'ai suivi les membres du club d'Alinea. Rosier et sa bande. Sous le sapin, il y a une grotte avec un plan d'eau. C'est ici qu'ils ont installé un autel, avec des cierges, des Feux Éternels et je les soupçonne de faire appel à des esprits malfaisants. Van Kriedt y prenait part. Le seul objet apporté sur place, c'est l'autel. Il cache peut-être quelque chose.

—C'est parfait! Je vais faire en sorte que Meursault et Grossel aillent y faire un tour. S'ils dégotent des preuves, je vais en entendre parler jusqu'à ma retraite!

La formule fit glousser le garçon. Souffrance. La douleur intérieure, tapie dans l'ombre de ses petites cellules grises, ressurgit. Mathilde reconnut cette expression. Elle l'avait éprouvée et ses collègues, dans une écrasante majorité, y avaient eu aussi droit.

—On n'oublie jamais. Ça reste gravé. Pas besoin d'hypermnésie.

Il hocha la tête, cligna des yeux, las. Elle chuchota:

—On t'a mis en garde, pour le Sondeur?

—Votre oncle l'a fait.

—Je parie qu'il t'a dit de te méfier des degrés 110 et 290.

—Oui.

—Il a eu raison. Ces deux-là sont mortels. Ça ne signifie pas que les autres ne comportent pas des dangers létaux.

—Ah…

—Je dis ça au cas où ça t'effleurerait l'esprit de les explorer, un jour. Mais il y en a un qui devrait te rendre fou de joie, si je me fie à ta réputation. Le degré 50.

—Vous les connaissez tous?

—Non. J'ai omis certains d'entre eux, suivant les conseils toujours éclairés de Gervais.

—Alors, j'en ferai autant.

—Je te laisse. Repose-toi. C'est ton seul devoir.

—Merci, Madame.

Elle se leva, se dirigea vers le bureau de Rose, se retourna et lui envoya un salut amical. Il l'entendit dire distinctement:

—Il est réveillé.

—J'y vais tout de suite.

—Il est comme tous ceux qui ont subi le Crucio.

Elle ne répondit pas et entra dans la pièce avec le meilleur sourire qu'elle puisse afficher.

Grâce à un bouche-à-oreille savamment orchestré par madame Pourpoint, Meursault avait appris que des élèves se réunissaient dans le bois du domaine, sous un arbre spécial. L'intérêt de cette information, c'est que le fugitif adhérait à ce groupe de suprémacistes. Cela valait le coup d'aller y jeter un œil. Sébastien Grossel était d'autant plus enthousiaste que cela lui permettrait d'exposer le club d'Alinea au grand jour et peut-être de coincer ses sorciers partisans de thèses extrémistes. L'idée d'embarquer Meursault, un ex-collègue qu'il appréciait sans excès –et Meursault le respectait –, incarnait la possibilité d'ajouter un fait d'armes à leur actif. De plus, s'ils trouvaient de quoi incriminer le Hollandais, cela rattraperait en partie le tollé suscité par l'évasion rocambolesque.

Sébastien avait retrouvé le chemin et l'arbre, en dépit de la purée de pois qui avait régné la nuit de sa filature. Il avait allumé sa baguette avec le maximum d'intensité et s'était glissé entre les racines, suivi de Meursault.

Il était aux alentours de 10h00 lorsque l'Auror et le concierge découvrirent l'autel, le pentacle et les bougies.

—Bon sang! Tu dis que Fontebrune n'a toujours pas pris de mesures contre ces cinglés et leur professeure?

—Rien. Perlenjoie et moi sommes verts de rage. Je pige pas.

—Ben c'est simple. Soit le directeur est l'un des leurs, soit il a une bonne raison de ne rien faire ou de temporiser.

—C'est clair. L'autel?

—Je ne vois que ça. Alors?

Ils en firent le tour, l'examinèrent sous toutes les coutures, passèrent leurs mains dessus, dessous, sur la tranche de l'épais plateau. Ils tentèrent des sorts d'ouverture de coffre, de révélation de secret, d'affichage d'encre invisible. Puis, ils revérifièrent le plateau jusqu'à ce qu'une idée traverse l'esprit de Meursault.

—Je suis pas très calé en bois. C'est quoi, d'après toi?

—Je ne sais pas. Du chêne ou du charme.

—C'est pas du pin?

—Ah non! C'est beaucoup trop dense pour du pin.

—Alors, pourquoi il y a un nœud, là?

—Fais-moi voir ça.

Dans la longueur d'un côté de la tranche, il y avait effectivement un nœud. Ils appuyèrent dessus mais rien ne se passa.

—Accio nœud.

La tentative de l'Auror n'eut pas plus d'effet. Sébastien se plaça de l'autre côté du plateau. Il y avait un petit trou, à peine de quoi enfoncer le bout d'une aiguille à tricoter. Il s'empara d'un support de cierge et retira la grosse bougie piquée dessus.

—J'essaie un truc.

Il poussa la pointe de métal dans le minuscule trou, aussi loin que possible.

—Le nœud est sorti de son logement! s'écria Meursault.

Sébastien le rejoignit alors qu'Alain extirpait le morceau de bois. C'était une baguette de chêne, dissimulée à l'intérieur du plateau.

—Tu as vu ça?!

—À qui appartient-elle?

—Pas à un élève. Enfin, je veux dire que aucun élève ne m'a signalé une baguette perdue. Je suis toujours le premier informé quand cela arrive.

—Que peuvent-ils faire avec cette baguette?

—S'entraîner à lancer des sorts interdits! conclurent-ils en chœur.

—Il n'y a qu'un moyen de le savoir. Prior Incanta.

«Aqua ArcaArcanum»

—C'est quoi ce sortilège?

—Aucune idée. Attends… Pousse-toi!

Meursault tourna sa baguette en direction du lac souterrain, vers le liquide, afin de ne pas risquer un rebond.

—Aqua ArcaArcanum.1

L'eau s'agita puis se calma, jusqu'à ce qu'un coffre remonte et flotte à la surface.

—Bien joué, Meursault! Ça me rappelle le bon vieux temps!

—Je sens que c'est la bonne pioche! Accio coffre.

L'objet, large d'une cinquantaine de centimètres et profond d'une quarantaine, vogua jusqu'à la rive. L'Auror le fit léviter jusqu'à leurs pieds et le déposa. Alors que Grossel s'apprêtait à l'empoigner pour l'ouvrir, son adjoint du jour le stoppa:

—Doucement, l'ami! Imagine qu'un enchantement ait été prévu! Recule!

Ils firent quelques pas en arrière. L'Auror lança un Cistem Aperio par sécurité, bien que l'objet ne paraisse pas piégé. Le couvercle bascula en arrière. Rien ne se produisit. Ils s'approchèrent et jetèrent un œil. Il n'y avait que deux vieux grimoires. Ils les manipulèrent avec des sortilèges, faisant preuve de prudence et de professionnalisme. Des grimoires envoûtés ou empoisonnés, c'était monnaie courante. L'émissaire officiel souleva les pages.

—On dirait des formules. Ce n'est pas du français, ni de l'anglais. Caractères latins. Très ancien. Et l'autre?

—En français. Regarde le titre! Ça fait froid dans le dos!

—«Le grimoire des poisons volatiles», par Émile Luft.

—Et regarde ce qu'il y a au fond du coffre!

Ils trouvèrent des poupées de chiffon. L'une avec une fine moustache et des cheveux blancs. Une autre, à demi consumée par le feu, représentait un garçon brun sur une reproduction grossière de balai volant. La dernière figurait une femme brune, avec deux boutons d'or en guise d'yeux et une robe rouge.

—Qui est-ce?

—Dune Dunne, la nouvelle enseignante de runes, appelée à remplacer monsieur Piedargile.

—C'était la future victime!

—Il reste un papier sous les cendres.

Une fois recueilli et déplié à la pointe de la baguette, ils purent y déchiffrer «Cerebri Venenum» annoté de «vergiftigt de hersenen»

—C'est pas la formule que Van Kriedt a utilisée contre le Belge?

—Si. Je te parie que le commentaire, c'est du néerlandais. Tu tiens ton criminel. C'est tordu. Tu as vu? Il y a des aiguilles en or.

—Pour piquer les effigies et les envoûter. C'était ce sale gamin!

—Il était si gentil, avant. Une vraie crème. Mais depuis la rentrée, il avait viré à l'extrême.

Les deux hommes remirent tout en place et refermèrent le coffre. Ils prirent un simple mouchoir pour préserver la baguette trouvée dans l'autel et quittèrent l'antre des suprémacistes. L'affaire était bouclée. Il ne restait plus qu'à mettre la main sur le criminel, en fuite. C'était une mission périlleuse, même si la guerre mondiale avait pris fin. Tout était dans les mains de la branche secrète des Oubliators: la Compagnie Internationale d'Arrachement, spécialisée dans l'enlèvement de sorciers criminels réfugiés à l'étranger. Il fallait juste un ordre de mission du Ministre Picaillou.

Samedi 7 décembre, Hercule quittait l'infirmerie après un avis favorable du médicomage, assorti de recommandations de la part de l'infirmière. C'était juste à temps pour saluer les Aurors dont les enquêtes à Beauxbâtons étaient closes. Ils avaient rassemblé toutes les preuves utiles pour le procès des Van Kriedt, s'il s'avérait que la fratrie avait ordonné au cadet de commettre les agressions en son nom. Ce n'était qu'une question de temps. Le vieux grimoire, rédigé dans une langue inconnue, avait été démystifié par Armand. Il dressait toutes les étapes pour créer et envoûter des effigies, manipuler des esprits, appliquer les tortures les plus ignobles. C'était rédigé en Bantu, l'un des dialectes pratiqués dans le sud-est de l'Ouganda et l'ouest du Kenya, non loin du territoire des Masaïs. Au cœur de ce territoire se nichait l'école de Uagadou.

Armand s'était contenté de dire que l'ouvrage avait de quoi faire dresser les cheveux sur la tête. Di Maggio, manipulé et promis à une lobotomie émotionnelle éternelle, n'avait dû son salut qu'au pouvoir de Katarina, le pendant bénéfique du vaudou, jouant avec des armes similaires.

Hercule, bandé de la nuque à la taille –les conséquences de l'Incendio –, avait été convié dans le bureau d'Armand. Madame Pourpoint ne cessait de lui jeter des regards insistants. Le garçon écoutait, d'une oreille discrète, le discours lénifiant d'Armand, ponctué de remerciements, de félicitations pour la coopération et enterrant les inimitiés jusqu'à la prochaine affaire. Tout allait bien! Ils s'accordaient sur les termes des courriers rendant compte au ministre de la Magie.

Après une ultime poignée de mains, Meursault chargea ses bagages et les pièces à conviction dans la cheminée. Il prit une poignée de poudre, déclama «Bureau des Aurors» et la jeta à ses pieds. Il disparut dans une bouffée de soufre vert. Mathilde déposa son unique valise dans l'âtre, puis s'avança vers le Belge.

—Hercule, je te remercie pour ton aide. J'espère que nous nous reverrons dans d'autres circonstances. Et sinon, je te dis: rendez-vous dans sept ans.

—J'y compte bien, Madame.

Elle tendit ses mains pour enserrer les siennes et le saluer. Le garçon sentit qu'elle glissait un morceau de matière entre ses phalanges. À la texture, il sut qu'il s'agissait d'un bout de parchemin. Les mains s'éloignèrent, elle s'engouffra dans la cheminée, donna ses ordres, jeta la poudre et disparut.

—Tout finit bien, lâcha Armand. Par chance, tout le monde est en vie.

—Oui, Monsieur. L'affaire est… close, ajouta le garçon d'un ton rêveur. Puis-je…?

—Allez-y. Reposez-vous.

—Je veux écrire à mes parents.

—Sachez qu'ils ont été mis en garde par le ministère de la Magie belge.

—Je crois qu'ils ont besoin d'être rassurés.

—Bien sûr, Van Betavende. Bien sûr. Allez…

Armand allait pouvoir dormir sur ses deux oreilles. Hercule ne s'était pas fait prier. Il était pressé de retrouver ses amis lorsqu'il se souvint que le club de duel officieux avait lieu. À peine arrivé au niveau du restaurant, il ne put résister à la tentation de découvrir le cadeau de l'Auror. Il ouvrit la main et déroula le parchemin. Il faisait dix centimètres de côté. Il était vierge, recto-verso. Il prit la direction du laboratoire de potions, bien plus tranquille un samedi matin que la bibliothèque, investie par les étudiants désireux d'avancer leurs devoirs. Il déposa son sac sur une paillasse, l'ouvrit et prit un nécessaire à écriture. Il choisit la plus fine de ses plumes, idéale pour tracer de petites lettres sur le support aux dimensions limitées. C'est alors qu'il sentit une présence humaine. Il tourna la tête, se leva, jeta un œil dans la réserve et revint à sa place. Une fillette fit son apparition dans l'encadrement de la porte. C'était une petite brune fluette, aux longs cheveux et aux grands yeux sombres. Bien qu'il lui trouvât un air familier, il fut incapable de mettre un nom sur son visage. Elle était habillée avec un uniforme d'Aloysia, un peu trop long pour elle.

Hercule s'excusa:

—Mille pardons! Je ne voulais pas vous déranger.

Elle répondit avec un timbre assez grave pour son âge:

—Non, tout va bien, Hercule.

—Nous connaissons-nous?

—Oui, Hercule.

Cette voix était familière, en dépit d'artifices pour l'éclaircir.

—C'est moi. Noël.

—Nom d'un Gnome! Vous avez pris le… Vous savez quoi.

—Oui. Aujourd'hui, ma sœur aurait dû avoir 12ans.

—La ressemblance est frappante. Votre sœur était ravissante.

—J'ai une photo d'elle. Attends.

—Je veux bien… Noël!

—Quoi?

—Tournez-vous complètement! Tournez-moi le dos.

Le garçonnet obéit et disparut.

—Bon sang!

—Quoi?

—Vous êtes invisible!

—Comment? Ça n'est pas possible! C'est… une blague?

—Je vous assure! Faites-moi face! Voilà, vous êtes visible.

—Comment ça se fait? J'ai raté ma potion!

—Asseyez-vous.

Il désignait un tabouret mobile. Il actionna la rotation à la main. Dès que Noël était de dos, il disparaissait.

—C'est stupéfiant.

—C'est la catastrophe! Comment je vais faire si ça ne s'arrête pas quand la potion aura fini de faire effet?

Hercule réfléchit. Il n'avait pas encore étudié cette potion en cours –ce n'était pas prévu cette année –mais il avait grappillé quelques informations dans les manuels. Un avertissement était inscrit à propos du composant final. Des effets désastreux survenaient si l'élément n'était pas humain.

—Noël, y a-t-il un animal chez vous?

—Non. Enfin, il y a Samuel, mais on ne le considère pas comme un animal.

—Qui est Samuel?

—Notre Demiguise. Mes parents ont toujours eu peur que notre nom nous attire des ennuis. Samuel est là pour nous prévenir, grâce à ses pouvoirs d'anticipation.

—Un Demiguise… capable de se rendre invisible.

—Oh mince! Mais tu crois que…?

—Je ne vois pas d'autres explications. Seule madame Fordecafé pourrait donner une autre raison. Je voudrais tenter une petite expérience.

Hercule retirera sa cape et la posa sur les épaules de Noël. Il vérifia derrière lui et constata que la transparence perdurait.

—Aïe…

—Cela ne marche pas? Dis-moi.

—Non, hélas. J'espérais qu'une cape, issue d'un ordre différent, aurait une action contraire. Vous devez aller à l'infirmerie et tout expliquer. Je n'ai pas la moindre solution à vous proposer, hormis de raser les murs du couloir menant jusqu'au médicomage. Je suis désolé.

—Le docteur Beauxbâtons va me hurler dessus.

—C'est probable. Il est très irascible, ces derniers temps. Je pense que le directeur ne sera pas tendre. Vous devrez dire la Vérité. La cacher vous desservirait. Vous devrez donner le Polynectar à madame Fordecafé. Je… je vous laisse passer ces derniers instants avec votre sœur.

Le Belge reprit sa cape sans tarder et se retira dans le laboratoire. Noël avait presque réussi.

Lorsque l'apprenti enquêteur examina le carré de Mathilde, il fut perplexe. Il prit sa plume, la trempa dans l'encre et traça:

«Je crois savoir à quoi sert ce minuscule parchemin. Il se substitue au télégraphe moldu.»

Les lignes tracées disparurent. Quelques secondes plus tard, la peau se gorgea d'encre bleue et transcrivit:

«Exactement. Les Aurors utilisent ces carrés enchantés par Proteiforma pour échanger de manière concise et immédiate. L'écrit demeure tant qu'une réponse n'est pas apportée. Pratique!»

«Très pratique!»

«Hercule, assure-toi de me répondre n'importe quoi après cette révélation. Le Sondeur est malade. Degré 220.»

«À vous aussi. Affaire résolue. J'espère.»

«Des doutes?»

«Des doutes.»

L'Auror en resta là. Madame Pourpoint avait vérifié certains degrés dont le 220. Celui-ci avait un rapport avec le Sondeur. Jusque-là, Hercule était persuadé que tous les degrés avaient à voir avec lui. N'était-ce pas le cas?

Noël ressortit de la réserve avec son visage habituel. Il se tourna. Il était transparent comme l'eau claire.

1Sors la boîte de l'eau.