Sortilège 26: second séisme

Pour la première fois depuis la rentrée scolaire, aucun incident, accident ou crime ne venait bouleverser le quotidien de l'école. Les cours avaient lieu, les évaluations sanctionnant le premier trimestre se succédaient, personne ne vivait de saute d'humeur. Personne? Seule Eugénie faisait exception à la règle, car son père s'opposait à son départ chez les Van Betavende pour Noël. Selon lui, l'entrée en clandestinité des Van Kriedt justifiait l'interdiction paternelle. Selon elle, il poursuivait dans sa détestation de Noël, il comptait lui pourrir la fête toute son existence et surtout, il jouait sur les mots: Eugénie avait promis de ne plus remettre les pieds dans leur appartement et il respectait ce vœu à la lettre. En contrepartie, elle ne pouvait pas quitter le domaine. Shin était solidaire puisqu'il avait décliné l'invitation de Saya Sato, dans l'incapacité de lui assurer la présence paternelle. Néanmoins, la camarade du Japonais était furieuse de subir l'interdit de son père. Ce vendredi matin, à quelques heures du début des vacances, elle menait la vie dure au professeur. Le médicomage n'étant pas un tortionnaire, il déboîtait l'une des phalanges de son auriculaire gauche –devenu fragile, suite à une chute de brancard chargé sur sa main –et demandait aux élèves de le remettre en place en se servant de leur baguette magique. Tous les membres de la promotion Aloysia connaissaient le sortilège adéquat «Episkey» et le réalisaient sans problème. Le praticien jugeait ensuite la mobilité du doigt, la rapidité de récupération, la douleur résiduelle afin d'établir ses évaluations. Le tour de sa fille était arrivé et Eugénie s'était obstinée à prendre un accent occitan, qu'elle n'avait pas en temps normal, pour prononcer la formule «Aipissequaie», détachant chaque syllabe, plaçant des accents graves au lieu des aigus. Le rouge était monté aux oreilles d'Alfred jusqu'à ce qu'il hurle:

—C'est nul! FONTE!

—Chouette, alors! avait-elle claironné en sautillant pour retourner à son bureau.

Peu après, il avait distribué un questionnaire où il fallait indiquer quelle potion administrer en fonction de cas présentant, à chaque fois, trois symptômes précis. À la première question, sa fille avait répondu «Poussos», sachant que les questions portaient sur des maladies ou des empoisonnements, pas sur des fractures. Puis, elle avait murmuré Scriptura Gemino à 19 reprises, ayant la flemme d'inscrire «Poussos» derrière les 19 questions restantes. Son manège n'était pas passé inaperçu et avait fait le tour de la classe, distrayant les élèves cinq bonnes minutes. Elle était certaine de récolter une nouvelle FONTE, ulcérant son père rêvant de la voir en CHASSE-Médico. Elle préférerait se jeter un sortilège de la mort plutôt que de subir durant deux années supplémentaires, son Médicomage de père.

Eugénie n'envisageait d'ailleurs aucune des CHASSE existantes. Sa magie n'était pas assez puissante et rapide pour le Magus, la voie royale des Aurors. Elle n'avait pas le Don pour suivre la CHASSE-Arithme, ni les talents et la précision indispensables pour la CHASSE-Potion. Quant à la CHASSE-Runesort, indiquée pour devenir briseurs de sorts, elle exigeait une moyenne OR en Runes anciennes, ce dont deux ou trois élèves, toutes promotions de BANQUET, pouvaient se prévaloir. Il ne restait que la CHASSE-Enchant'Art où l'étude des enchantements, des maléfices et des essences magiques conviendrait à ses aptitudes. Cependant, la petite frisée avait d'autres projets: sa priorité consistait à s'éloigner de son père, à tout prix.

Peu d'élèves partiraient en vacances, à l'issue des cours. À vrai dire, presque aucun n'était réfractaire au Quidditch au point de rater la finale de la coupe de France, prévue dans deux jours. Depuis les salles de classe, côté Rivière Enchantée, il était possible de voir le stade de Quidditch dont la capacité triplée, avait entraîné l'élévation des gradins. Monsieur Laflèche avait coordonné des entreprises sorcières, dont Delacour, pour réaliser les travaux à coups de baguettes magiques en un temps record. Quatre grandes roulottes cernées de tables pour la restauration avaient été installées aux quatre coins du stade. Une immense tente avait été dressée pour accueillir les joueurs. Le système d'affichage des points avait été agrandi et modernisé: désormais, l'arbitre disposait d'un petit boîtier en bois comportant quatre boutons poussoirs. Une pression sur le premier, dévolu aux joueurs «locaux», ou sur le deuxième, consacré aux «visiteurs», ajouterait 10 points à l'une des deux équipes. Les deux boutons gravés de Vif d'Or ajouteraient 150 points. L'arbitre était le seul à valider. Son objet était lié par magie au tableau d'affichage.

Après les matchs, ce serait la ruée sur le Tunnel de Transportation. Monsieur Grossel se transformerait en agent de la circulation et réglerait la file d'attente dans l'ordre et la discipline. Il était midi et les cours étaient achevés. Les sorties de l'après-midi étaient annulées, du fait de la présence indispensable des encadrants sur le terrain de Quidditch afin de parfaire la préparation.

Alors que tous les élèves se massaient à l'entrée du restaurant, Hercule délaissa la cohue et se rendit à la Cabane Enchantée pour y vérifier le courrier. Il eut la surprise de découvrir un rouleau. Il sut, au cachet, qu'il venait de Bruges. Ce n'était pas très rassurant. Il le déplia et le lut en silence:

«Mon garçon chéri,

Je prends ma plume pour t'informer que ton père et moi allons bien. Je pense que tu lis les journaux à l'école. Tu n'ignores pas que les Van Kriedt ont disparu. Cela signifie qu'ils comptent protéger leur frère cadet et le faire échapper à la justice. Cela trahit, je pense, leur volonté de se venger une nouvelle fois. Le ministère de la Magie hollandaise ne s'active pas vraiment pour les rechercher et le ministère belge n'a pas assez de moyens pour les retrouver. Le travail de ton père, à la banque moldue, pose un problème de sécurité, car il emprunte une cheminée exposée pour aller et revenir de l'établissement. Le bureau des Aurors n'a pas les moyens de nous protéger, mais pense qu'ils n'oseront pas lancer une attaque devant des Moldus. La situation est délicate et il est plus prudent que toi et tes amis restiez à Beauxbâtons pendant les vacances. Crois-moi que nous le regrettons tous les deux. Nous avons envoyé un hibou à monsieur Fontebrune pour l'avertir.

Afin de compenser cette malheureuse suppression de dernière minute, ton père a eu l'idée de vous envoyer à l'ordre Gerbera, de quoi fêter dignement Noël. Je pense que tu auras une très grosse surprise. Il a absolument tout prévu. Tout sera livré par transport spécial lundi prochain. Comme le père d'Eugénie s'est opposé à sa venue en Belgique, cela va lui mettre un peu de baume au cœur. Il y a même une surprise juste pour elle. C'est un paquet rose.

Hercule, je veux que tu sois très prudent. Si Casper Van Kriedt a lancé des sorts noirs et impardonnables, lui et sa famille pourraient organiser une attaque contre l'école. D'autant plus que… nous avons eu des nouvelles de Waldo. La presse n'a pas eu le droit d'écrire quoi que ce soit sur lui, afin de ne pas attiser le feu ravageant les Hollandais. Les nouvelles sont terribles. Nous avons reçu ses effets personnels à la maison, ses bagages, tout ce qu'il possédait lors de son arrestation. Tout sauf sa baguette, conservée comme «preuve de crimes». Cette expédition ne peut signifier que deux choses: soit mon frère a été condamné à mort, soit il a été emprisonné à vie, à Azkaban, le centre carcéral anglais situé en mer du Nord et gardé par des monstres dévoreurs d'âmes et de sentiments. Mon frère, que je crois innocent, n'a eu aucune chance. Je préfère l'imaginer mort que souffrant à vie dans ce lieu ignoble.

Voilà, je laisse un peu de place pour les mots de ton père. Je t'embrasse. Ta maman qui t'aime.

Fils,

Comme ta mère l'a expliqué, la situation est devenue préoccupante. Je suis très prudent et garde la main sur ma baguette. Mon esprit est en alerte, si tu vois ce que je veux dire. Je peux imaginer ta déception mais lundi, elle sera effacée, j'en fais le serment.

Sache que je suis très fier de toi, de tout ce que tu fais mais surtout, de la personne que tu es et que tu deviens.

Ton père qui t'aime.»

Hercule fut bouleversé par les mots. Waldo était enchaîné à Azkaban, vidé de son essence par les spectres glaciaux. Il avait la preuve que ses rêves lui révélaient la vérité. Le lien ténu entre lui et son oncle, était l'unique reste d'humanité de Waldo. Un seul point le troublait: s'il ne s'agissait pas de rêves prémonitoires, pourquoi les cauchemars avaient-ils commencé avant le procès? Claire avait parlé d'avertissement. Qui l'avait averti?

Les mots de ses parents n'avaient jamais été aussi puissants et teintés de fatalité. Il ne pouvait se rendre à Bruges seul. Armand l'en empêcherait, à juste titre. Que se passerait-il si les Hollandais passaient à l'attaque? Mère et Père pourraient transplaner. Orby les aiderait, sans aucun doute possible. Il avait toujours défendu sa famille.

Waldo…

Le garçon refusa de se laisser aller à la mélancolie. Il reprit le chemin du château, sauta le déjeuner et se rendit à la bibliothèque pour écrire au ministre de la Magie anglaise, Archer Evermonde. Une fois installé avec son nécessaire à écriture, il prit le temps de la réflexion. Il fallait mettre les formes mais surtout, frapper avec des arguments. Faisant appel à sa connaissance des tournures anglaises, il se présenta en soulignant ses origines et ses ambitions au cœur de l'école française. Il s'excusa par avance pour les éventuelles fautes, appuyant sur son assiduité et l'excellence des enseignements de Sean McFlurry, compatriote du ministre. Ensuite, il attaqua dans le vif du sujet, exigeant le compte-rendu d'audience du procès, avec la retranscription de tous les échanges écrits et verbaux. Il demanda la liste des preuves et quelle méthode avait été utilisée pour démontrer que les sorts lancés, étaient le fait de son oncle. Il insista sur le fait que Waldo rencontrait souvent des soucis d'exécution de certains sorts offensifs, tout comme lui. Il s'agissait peut-être d'un trait familial. L'Australie étant une jeune nation dépourvue de ministère de la Magie, quelles autorités sorcières avaient pu établir sur place, sa culpabilité de manière indiscutable? Pour enfoncer le clou, il réclama un relevé d'empreintes sur la baguette de son oncle, selon les méthodes efficaces et incontestables de la police moldue. Au cas, improbable, où des manquements auraient été commis, il viendrait, dès sa majorité sorcière atteinte, réclamer une révision du procès au Magenmagot et saurait débusquer, si elles existaient, toutes les compromissions. L'existence des membres du tribunal anglais serait passée au crible, jusqu'à ce qu'il soit convaincu de leur virginité. Puis, il trouva qu'il s'était laissé emporter par la colère et refit la lettre avec plus de pondération. Il se contenta d'indiquer que les bureaux des Aurors français et belges seraient aussi informés de ses démarches. Mais Hercule n'en pensait pas moins: le jugement de son oncle avait été bâclé et, de par la distance, l'inexistence de réseau de cheminées et de Portoloins, l'Australie pouvait avoir été le théâtre d'une toute autre histoire. Cette ultime pensée l'incita à ajouter le post-scriptum suivant:

«Qui a informé le ministère anglais? D'où est partie l'information et par quel moyen sorcier ou moldu?»

Ensuite, il prit le temps d'adresser un courrier à Guillaume de Franjac et à Simon Cielen, Commandant des Aurors belges, neveu du sorcier dirigeant la Coutellerie du Roy. Puis, il se décida à notifier Percival Travers, leur homologue chez les Aurors anglais. Il espérait que l'opposition traditionnelle entre la police des Aurors et les magistrats en charge des jugements et sentences, ne serait pas une légende, à l'instar des frictions dans le monde moldu.

Ensuite, il se rendit à la Cabane Enchantée, déposa assez de Noises pour contenter les hiboux missionnaires et décida d'aller à la cabane invisible du quartier général, profitant du calme. Chemin faisant, il repensa à la missive de ses parents. Puis, les mots de Mathilde Pourpoint lui revinrent à l'esprit:

—Mets-toi à la place du criminel. Comment t'y prendrais-tu pour réaliser ses crimes?

Même s'il s'agissait d'une jeune Auror, avec une expérience limitée, madame Pourpoint avait suivi la CHASSE-Magus et acquis des méthodes ayant fait leurs preuves.

S'il était à la place des Van Kriedt…

«Je commencerais par l'observation. Noter les habitudes de ma ou mes cibles. Je m'attacherais aux régularités, aux imprévus et je classerais les opportunités par niveau de danger. Je m'assurerais d'avoir un plan pour m'échapper, un ou deux lieux avec des vivres et des Gallions. Ayant côtoyé des Moldus, je songerai à un plan de vengeance mettant en œuvre des moyens sorciers et moldus. Si j'étais les Van Kriedt, je répartirais les rôles précis à chacun, afin de minimiser les oublis, les erreurs ou les approximations. Il y aurait un chef et un adjoint. Si les Van Kriedt devaient m'attaquer, ils attendraient que je sorte de l'école. L'Académie n'est pas prenable, même pour des sorciers de leur envergure. Le seul point d'accès, c'est le Tunnel de Transportation. Ce n'est pas un moulin ouvert à tous les vents. Ce sont les mêmes employés qui gèrent la navette entre Bourg-Enchanteur et l'école. Ils connaissent les enseignants. Une troupe d'adultes blonds ne passerait pas inaperçue. Sans compter qu'il y a peut-être des Aurors en robe sorcière civile dans la gare, surveillant les passagers. M'attaquer à l'école serait le pire scénario à mettre en œuvre. Ils vont attendre que je sorte. C'est pour cela, que Père et Mère veulent que je reste ici. Quant à mes parents, Mère va parfois sur le marché de Bruges, mais j'imagine qu'elle restera recluse, confiant à Orby toutes les sorties. Le plus exposé, c'est Père. Même s'il part de notre cheminée, il doit sortir à Bruxelles pour rejoindre la banque moldue. Ce sera compliqué de noter ses allées et venues, sauf dans Bruxelles. Casper sait que mon père travaille dans une banque. En toute logique, l'attaque aura lieu lorsque Mère sera seule à la maison, Père à son travail et Orby parti faire des achats. La maison n'est pas aussi protégée que l'école. Les Van Kriedt vont procéder ainsi: observer, déterminer le meilleur créneau, frapper en divisant les forces. Si des protections supplémentaires sont ajoutées, ils pourraient alors établir un blocus. Ou mettre leurs propres protections par-dessus les existantes, afin d'empêcher Père de rentrer chez lui et Mère de sortir. Ils ne pourront pas tenir le blocus devant les Moldus. Ils ne pourront entrer et Mère aura toujours la possibilité de s'échapper par la cheminée qui reste insensible au sort anti-transplanage. Allons, Van Betavende! Ne crois pas que le manoir soit imprenable. Si les sortilèges de Bombarda rebondissent sur les protections mises en place, comment entrer? Pourquoi entrer? Ils pourraient détruire la maison avec une bombe moldue? Non! Le charme du bouclier l'en empêcherait. Alors? À moins d'envoyer un ou plusieurs dragons faire ce que leurs baguettes ne pourraient accomplir? Certes, mais si une créature magique est assez puissante pour réussir cet exploit, elle sera beaucoup plus difficile à contrôler. De plus, elle sera visible, surtout des Moldus.»

Alors qu'il avait grimpé à la cabane et pris ses aises, réfugié près du Feu Éternel, il se demanda si une plante, comme un Filet du Diable, aurait la capacité à franchir des protections magiques? Même si c'était un être vivant, il ne l'était pas au sens humain du terme. Si une telle plante existait, était-elle contrôlable, avait-elle la capacité de croissance fulguranteindispensable à l'attaque? À supposer qu'un tel végétal puisse pénétrer dans le manoir et ouvrir une brèche, Mère pourrait toujours s'échapper par la cheminée dès l'alerte lancée. Quel que soit le plan d'attaque des Hollandais, il se heurterait à de nombreux écueils.

Le garçon sentit la lassitude le gagner. Alors qu'il n'était qu'au début de l'après-midi, il s'autorisa une sieste, assis, les bras croisés sur la table.

Après le déjeuner, les enfants s'étaient regroupés autour de leur camarade endormi. Eugénie s'ingéniait à lui chatouiller le nez à l'aide d'une plume. Face à son absence de réaction, elle s'était approchée de son oreille et avait murmuré:

—Hercule, les professeurs ont calculé ta moyenne générale. Tu as Fonte. Tu es le dernier de toute la promotion.

Le garçon s'éveilla en sursaut, découvrit les visages hilares autour de lui et s'excusa de s'être assoupi. L'Aloysienne, prise en flagrant délit avec sa plume, récolta un sourire d'amusement. Lorsqu'il fut pleinement conscient, la jeune demoiselle vida les victuailles, chipées au restaurant, sur la table.

—Au cas où tu aies un petit creux…

—Merci, Eugénie. Désolé, je suis parti rédiger des courriers urgents à propos de mon oncle. J'espère avoir été convaincant. J'ai également reçu des nouvelles de mes parents. Nous ne pourrons pas aller chez eux, acheva-t-il en regardant Sigrid et Umbelina. En revanche, Père va nous faire une livraison lundi pour que nous puissions fêter Noël.

—Vraiment?

—Oui, Eugénie. Ils ont pensé qu'ainsi, vous ne seriez pas lésée.

Eugénie frémit.

—Ils savent que vous serez des nôtres, Shin.

—Ce sera mon premier Noël.

—Je vais regretter de ne pas être restée avec vous, se lamenta Katarina.

—Mais vous serez de retour pour l'événement. Le bal du 31 décembre. Avez-vous une idée sur l'identité de votre cavalier?

—C'est possible, minauda-t-elle en glissant un regard furtif en direction du Japonais.

—J'ai aussi une nouvelle à vous communiquer, coupa Umbelina. Jo Alonzo m'a demandé d'être sa cavalière. Et, ce n'est pas tout. Vous connaissez Günther Dornier?

—C'est un CHASSE-Potion, me semble-t-il. En 8e année. Un Luxembourgeois, de mémoire.

—Oui. Il aurait aimé faire la CHASSE-Enchant'art, s'il y avait eu un professeur. Il est doué pour créer des artefacts. C'est son passe-temps. Il est aussi de Lonicera. Il nous a aidés pour un projet très enthousiasmant. Attendez-vous à tomber de haut, dimanche.

—De la stratégie dans l'air? questionna Hercule, amusé.

—Et des moyens. Fellini ou pas, on va gagner!

—Quelle assurance! Cela cache sûrement une botte secrète.

—Au fait, dit Eugénie, Noël va mieux?

—Il a retrouvé des couleurs grâce à un onguent à base de sept fleurs regroupant les sept coloris de l'arc-en-ciel. Je crois que cela s'appelle du Caméliris, dit Sigrid. Un produit au programme de CHASSE-Potion, très compliqué à réaliser, uniquement avec de la rosée récoltée à la pleine lune. J'ai regardé la recette, à la bibliothèque: cinq parchemins à suivre, sans omettre une étape. Un cauchemar.

—Mon père lui a servi un sermon, comme d'habitude. Sauf que s'il ne nous avait pas nous, les élèves, il serait sans travail ou dans un cabinet à soigner des Dragoncelles ou des Éclabouilles.

—Armand en a remis une couche, d'onguent, si je puis dire!

—Magnifique jeu de mots, très à propos, Sigrid.

—Merci, Hercule. Noël a écopé d'une punition, mais j'ignore de quelle nature. Tout ce que je sais, c'est qu'il a dû rendre son Polynectar à Ambroisine qui a dit qu'elle n'aurait pas fait mieux.

—Il est très doué, c'est incontestable, admit Hercule. Puisque nous en sommes aux aveux, j'en ai un à vous faire.

Il songea soudain à parler de la lettre de ses parents, des conditions dans lesquelles Waldo se trouvait, se fiant à son rêve. La seconde pensée qui lui vint, fut Noël. L'ordre Gerbera serait très compréhensif, voire protecteur, avec le garçonnet, faisant front contre les jugements à l'emporte-pièce des autres élèves. Sa dernière pensée fût pour la fiole rouge et la prédiction confiée par Claire Obscur, puisque le nom du fauteur de troubles était désormais connu. Mais il se ravisa également.

—J'ai l'intention de voir à quoi ressemblent les 35 degrés du Sondeur.

La déclaration généra de l'inquiétude parmi les membres fondateurs de Gerbera. Sigrid fut la première à réagir.

—Tu sais à quel point ce lieu ne me réussit pas. Je te rappelle que l'année dernière, tu t'es retrouvé avec des brûlures au 3e degré. Seul le passage rapide des degrés est possible. Comment comptes-tu t'y prendre pour les observer?

—Grâce aux pompiers, répondit Hercule.

—Pardon?

Les autres enfants étaient aussi étonnés que Sigrid.

—Les pompiers moldus sont chargés, entre autres, d'éteindre des feux. Ils disposent de tenues faites avec de l'amiante qui leur permettent d'approcher des foyers et de supporter leurs températures. Il y a quelques jours, j'ai chargé Orpi de me trouver une tenue ainsi que du tissu d'amiante que je placerai devant l'isoloir. Je ne bougerai pas de ma cachette pendant toute l'observation. J'espère qu'à l'intérieur, il régnera une température plus supportable sur les degrés qui posent problème.

—Mais comment vas-tu manœuvrer les bancs? Seul, c'est impossible. Pas sans te trouver dans la salle.

—Rien n'est impossible, avec la magie, Sigrid.

Le Belge leur relata comment il avait combiné les sortilèges Gemino et Proteiforma. Son astuce lui permettrait de manœuvrer sans aide et surtout sans devoir sortir de son abri relatif.

—Mais si, dans un des degrés, tu rencontres, je ne sais pas, des dragons? Tu crois que ta tenue moldue résistera à leurs flammes?

—Non. Mais pourquoi y en aurait-il?

—Il y a bien des fées.

—Vous marquez un point, Umbelina.

—Je rêverais d'en voir, s'enthousiasma Katarina.

—Ne peut-on envisager d'explorer ces degrés, ensemble? demanda Shin.

—Nous avons eu beaucoup de chance, jusqu'à présent, admit Hercule. Même si nous sommes passés très près de la catastrophe, à deux reprises. Ma méthode devrait sécuriser la vision des degrés. Il ne s'agit pas d'explorer. Du moins, pas les degrés dont nous ne sommes pas absolument certains qu'ils sont inoffensifs.

—Les degrés sont trompeurs, contesta Sigrid. Regarde ce qui se trouve derrière la porte runique du degré 10. Ne parlons pas du degré 20 dont la gravité, l'atmosphère et l'écoulement du temps, le rendent dangereux. Tu jettes juste un œil et tu passes au suivant?

—Rien de plus. Je m'entraîne au sortilège du Têtenbulle pour protéger mon visage et mes organes.

—Pourquoi? Tu crains que certains degrés soient irrespirables?

—Ce sera le cas. L'air brûlant du 110 et du 290 détruirait mes poumons donc, par précaution, je serai protégé.

—Ça me tente de t'accompagner, proposa Eugénie. Il y a du danger!

—Je ne pourrai pas disposer de protection supplémentaire et je ne tiens pas à vous voir noircie par ma faute.

—Dommage! Ça aurait donné du travail à mon père!

—Tu auras le temps de tout mémoriser. Tu pourras nous raconter comme si nous étions avec toi.

—Ma mémoire, Sigrid. Vous pourrez tous compter dessus. Je vous le promets.

Les membres de Gerbera palabrèrent durant des heures, avec insouciance. Aux alentours de 17h00, ils prirent un goûter pantagruélique, concocté par Eugénie. Puis, assis autour de la table, ils décidèrent de se débarrasser d'une bonne quantité de devoirs donnés pour les vacances, échangeant parfois des remarques, profitant des plaisanteries d'Eugénie. L'ambiance était à la détente, avec les matchs de Quidditch à venir. Il ne restait qu'un obstacle à franchir avant d'être vraiment en vacances: le club de duel officieux du samedi matin.

La femme à demi vampire paraissait insatisfaite, renfermée, économisant la quantité de mots délivrés. L'ultime séance de l'année promettait d'être houleuse ou épique. En réalité, la brune aux yeux lavande était rongée par l'inquiétude et le remords. Elle se faisait du souci pour Gertha, son amie et regrettait avec amertume ne pas avoir su déceler la folie vengeresse ayant corrompu l'esprit de son élève hollandais. Le travail fourni par ses élèves aurait dû lui rendre le sourire et chasser ses pensées négatives. Au cours de ces semaines, Sigrid n'avait pas cessé d'améliorer les sortilèges, créant, courbant et renforçant le métal. Son élève lui avait montré son chef-d'œuvre, en catimini, sans que Hercule n'en sache rien. Le garçon, lui, avait renforcé sa capacité à générer des pieux, des palissades, des objets usuels en bois. Mieux, il façonnait les bois existants, sa magie se pliant à sa visualisation des détails. Elvira était consciente de ses atouts: si, par le plus grand des hasards, son élève n'atteignait pas la CHASSE-Magus, il ferait des merveilles en Enchant'art, à condition que la filière, fermée depuis la mort de Lyna Beauxbâtons, soit rouverte. Mieux: son aisance avec les créatures fantastiques pourrait, un jour, le prédisposer à devenir créateur de baguettes magiques. Dans une nation où Cosme Acajor incarnait, parfois, un pis-aller pour certains élèves «compliqués», Hercule deviendrait une solution alternative pleine d'élégance et de raffinement. Eugénie réussissait enfin les imposés en M.E.S mais, à sa décharge, le cœur en plume de Phénix de son auxiliaire en cornouiller, n'était pas l'inclusion la plus facile à dompter. Bien au contraire! Quant à Umbelina, il fallait presque juguler sa puissance, tant ses coups faisaient des ravages.

Cependant, les conseils, la guidance de Shin n'avaient pas encore porté ses fruits. Du moins le croyait-elle lorsqu'elle lâcha, en guise de provocation:

—C'est mou, tout ça! Trop gentil! Je vais vous mettre face à une vraie situation!

Elle se tourna vers Hercule et lui lança une série de sorts informulés –des Stupefix –, une véritable avalanche si dévastatrice qu'il ne put articuler les Protego nécessaires. Il se contenta de la gestuelle pour parer les coups, mentalement. Elvira accéléra et le Belge suivit le rythme imprimé par l'enseignante. Elle fit un moulinet et donna un coup de poignet en l'air pour le désarmer, sans mot dire, mais il déjoua la nouvelle tentative.

—Voilà! s'exclama-t-elle en mettant fin à son harcèlement.

—Quoi donc, Professeur?

—Tu n'as pas prononcé un seul mot, Hercule, nota Sigrid. Tes Protego étaient tous informulés. Sans exception.

—Comment? C'est imposs…

—Bien sûr que si! Ne pas formuler fait gagner du temps au combat. Si tu avais prononcé trois syllabes à chaque fois, tu aurais été privé de ta baguette ou stupéfixé. C'est dans le danger que ta magie réagit. Eugénie!

—Oui?

—Expelliarmus!

La baguette de mademoiselle Beauxbâtons s'envola jusqu'à son adversaire. L'infortunée fut sur le point de céder à la panique lorsqu'elle tendit sa main en avant et expulsa une boule rouge explosive en hurlant:

—Periculum!

L'adversaire la reçut en pleine poitrine et recula de deux mètres. Surprise, elle ne serra pas assez le poing sur la baguette captée par la force et ne résista pas à une folle tentative de la jeune fille:

—Accio baguette d'Eugénie.

Le morceau de cornouiller vola dans les airs et se glissa dans sa poche intérieure. La main tendue s'arrondit et elle formula:

—Igniforma.

Une boule de feu prit forme au-dessus de sa main. Elvira connaissait ce sort et elle le croyait absent de la palette de la jeune fille. Elle maîtrisait la parade:

—Aguamenti.

L'eau n'atteignit pas la sphère. Eugénie avait anticipé le sort et fait barrage avec son corps. Elle fit face au professeur et envoya à la boule incandescente à l'aide d'un Repulso. L'enseignante n'eut aucun mal à s'en protéger, mais elle avait atteint son but: Eugénie avait acquis le contrôle de sorts sans toucher à sa baguette.

—Magnifique! applaudirent les enfants.

Elvira se joignit aux applaudissements. Eugénie se sentit légère comme si des ailes avaient poussé dans son dos.

—L'épisode avec les Aurors t'a montré la voie, Eugénie.

—Ah! Vous êtes au courant?

—Mon ancienne élève me l'a narré.

—Votre ancienne? Ah oui! Mais elle ne le sait pas, n'est-ce pas?

—Normalement, non. Cependant, ses talents pour la divination pourraient la mettre sur la piste. Enfin, tant que Armand est là, mon secret est préservé.

—Le sortilège Oubliette.

—Oui, Hercule.

—Se peut-il qu'il soit défaillant?

—Pas avec Armand. Ce n'est jamais arrivé.

—Vraiment, Professeur? Qu'en est-il avec les authentiques Legilimens ou les Occlumens?

Elle s'amusa de la réflexion.

—Je sais à quoi tu fais allusion. Tes parents. C'est différent. Un véritable Occlumens peut être oublietté. Un Legilimens va poser un vrai problème. Supposons qu'Armand efface de la mémoire de ton père, le fait que je suis d'une nature particulière. Ensuite, j'efface l'action dans la mémoire d'Armand, par sécurité. Rien n'empêchera ton père de retrouver l'information, un jour, dans la mémoire de notre directeur ou dans la mienne. Les purs Legilimens traversent les protections, sauf celles des purs Occlumens. Avec Armand, à l'époque, nous avons décidé que tes parents sauraient la vérité.

—N'existe-t-il pas d'autres cas de figure? Une autre exception?

—Pourquoi? demanda-t-elle, un brin intriguée.

Le Belge pressentait qu'Elvira allait tester Sigrid, puis Umbelina. En toute logique, l'héritière des Flamel possédant la capacité à réaliser tout ce qui avait été demandé dans l'année passée. Ce trimestre, la seule exigence porterait sur la dernière lacune: la puissance. Sigrid refusait de se laisser aller, par peur que l'Autre, nourri à l'Obscurus, ne se montre et ne se déchaîne.

Enfin, viendrait le tour d'Umbelina. La princesse était sur le point de ne plus murmurer ses sorts et de se passer de sa baguette. Ce n'était qu'une question de semaines. Umbelina y parviendrait. Non, là où le professeur l'attendait au tournant, c'était sur le sortilège suprême, là où l'élève pouvait dépasser le maître. Or, Hercule, sans comprendre pourquoi, ni comment, voyait parfois un éclair blanc bleuté devant ses yeux, comme une persistance rétinienne. Il sentait qu'il avait été oublietté. Il en était persuadé depuis que dans sa mémoire infaillible, il avait découvert un trou de cinq minutes.

—Hercule?

—Madame, le 15 octobre, vers 18h00, lorsque Marcello Di Maggio a percuté Luisa Fellini…

Elvira frissonna.

—… Marcello n'a pas pu être sauvé par Delatour. Il s'est écrasé au sol. Lorsque le médicomage et l'infirmière sont arrivés pour le secourir, ils se sont acharnés sur son cœur. Puis, cinq minutes plus tard, il était sauvé. Durant ces 300 secondes manquantes, il s'est passé un événement qui a changé la destinée de l'Italien. Un fait si gênant, si bouleversant, impliquant de graves conséquences, de réactions en chaîne, que le seul Oubliator de l'école, monsieur Fontebrune, a estimé devoir l'effacer. Mes petites cellules grises ont cherché à élaborer des hypothèses pour combler cet intervalle de temps manquant. C'était plus fort que moi. Je devais collecter tous les indices possibles pour que l'élucubration s'emboîte et remplace le temps perdu. L'une des plus farfelues était que quelqu'un avait remonté le temps et empêché la chute de Marcello. Mais notre poursuiveur n'aurait pas été brisé en morceaux, si le remonteur de temps avait agi. En connaissance de cause, pourquoi ne serait-il pas allé plus loin pour empêcher la collision, quinze minutes plus tôt? Pourquoi ne pas remonter le temps à chaque agression et les empêcher? Cette hypothèse ne tenait pas debout. La seconde hypothèse colle à la perfection. Marcello était en arrêt cardiaque. Le cœur est un muscle parcouru par des stimuli électriques. Seul un choc de même nature pouvait peut-être le faire repartir. Or, vous le savez, les sorciers et l'électricité moldue ne font pas bon ménage. Notre magie aurait annulé ou perturbé toute source électrique, toute machine moldue. Depuis quelque temps, une lumière blanche bleutée m'apparaît. L'oubliette a peut-être réussi à effacer ma mémoire, mais pas cette lumière incrustée dans mes rétines. Ce jour-là, Umbelina n'a écouté que son cœur, son courage et a foncé produire un Fulguracrucio qui a sauvé notre si sympathique Italien. N'est-ce pas, Professeur? J'ai raison?

La femme acquiesça:

—C'est… J'ai beau te connaître depuis plus d'une année, tu ne cesses de m'étonner. Tout s'est passé comme tu l'as décrit. Umbelina a forcé mon barrage et mon interdit. Elle a produit le sort parfait, la puissance utile. Armand a compris ce qui venait de se passer, les implications pour vous, pour moi, pour l'école. Il a oublietté toute l'assistance, sauf l'hybride résistante que je suis.

—J'ai… réussi?

—Oui, Umbelina. Tu lui as sauvé la vie. Je n'avais jamais lu une telle détermination dans le regard d'un élève. Jamais. Je crois que vous donnez le meilleur de vous-même lorsque l'urgence l'exige. Je pourrais vous faire répéter des mois, des années. Cela ne changerait pas. Un sorcier ne produit le meilleur que dans l'adversité. La CHASSE-Magus prépare au métier d'Auror, mais on ne le devient vraiment que le jour où il faut se battre pour sa vie et celle de ses amis.

—Et du coup, le cours est fini? demanda Eugénie, espiègle et pragmatique. Vous ne demandez pas une chose extraordinaire à Sigrid?

—Sigrid m'a montré une réalisation exceptionnelle.

—Oh… ça!

—Oui.

Umbelina et Hercule se dévisagèrent, incrédules.

—Pour répondre à ta question: oui, le cours prend fin. Passez de bonnes vacances.

—Vous partez, Professeur?

—Oui, Hercule.

—Une visite de grottes avec le professeur Piedargile?

—Non. Une visite à des amis. À Bruges.

—À Bru…

Le garçon comprit que l'enseignante allait assurer la sécurité de ses parents. Les enfants décidèrent de rester un peu afin de s'entraîner ou de s'épater mutuellement dans la Salle Blanche. Mademoiselle de Bazincourt à peine partie, Eugénie s'étala de tout son long sur le sol, fit semblant de convulser et de mourir. Puis, ouvrant un œil, elle s'exclama:

—Ben c'est le moment où tu me sauves, en m'envoyant un éclair dans la poire!

Hercule éclata de rire, puis se ravisa lorsque Umbelina se concentra. La Portugaise lui adressa un clin d'œil discret et aboya:

—Bloclang.

La langue d'Eugénie fut collée au palais, l'empêchant de parler. Comme elle ne maîtrisait pas encore les sorts informulés, elle fut condamnée à faire des moulinets dans le vide avec sa baguette, faisant rire ses camarades jusqu'à ce qu'ils en aient mal au ventre.

À quelques minutes du coup d'envoi du match d'ouverture, le stade de l'Académie était complet. Tôt le dimanche matin, des sorciers étaient venus de toute la France par divers moyens. La cheminée d'Armand ne désemplissait pas, s'embrasant toutes les secondes. L'ovule du Tunnel de Transportation faisait des aller-retours incessants entre la Cabane Enchantée et Bourg-Enchanteur. D'autres sorciers avaient choisi d'achever leur périple par balai ou en transplanant jusqu'à la grille nord du domaine, désactivée par le directeur pour l'occasion. L'afflux d'environ 6000 personnes entraînait un épineux problème de sécurité. Le bureau parisien des Aurors avait mobilisé les trois quarts de ses effectifs pour l'événement. Tout le gratin du Ministère disposait d'une loge centrale neuve, proche du sol, offrant un excellent point de vue sur le terrain. Les Aurors filtraient les arrivants par cheminée dans le hall du château, véritable goulot d'étranglement. Au nord, une escouade contrôlait les identités des supporters arrivés par la voie des airs. Dans la Cabane Enchantée, des guichets similaires avaient été installés. Enfin, la majorité des forces sorcières se massait dans les gradins, surveillant l'activité à travers des Multiplettes. Les contrôles inopinés étaient légions et dans l'ensemble, les spectateurs s'y soumettaient de bonne grâce. Le début du match d'ouverture Aloysia–Lonicera était fixé à 11h00 et celui de la finale de la coupe de France à 14h00. Afin de ne pas perturber la finale, il avait été décidé de stopper la première rencontre à 13h00 et de prendre en compte le résultat à ce moment-là.

Les membres du 4e ordre, comme l'ensemble des élèves, n'avaient pas eu à payer leurs places assises, acquittées par les spectateurs. Ils étaient placés au-dessus de la loge ministérielle, transparente, à seulement quelques mètres du gratin du gouvernement sorcier. Ce dernier disposait de son accès exclusif, de son propre service de restauration et de commodités personnelles. Il était vital d'être vu mais sans se commettre avec le commun des sorciers. Le directeur ainsi que les quatre référents –Agathe et Abraham pour Lonicera –avaient été conviés à siéger près du chef du Département des Sports Magiques. Le commandant des Aurors aurait dû se trouver avec eux, mais Guillaume de Franjac avait choisi de rester auprès de ses troupes, tant l'ampleur de la tâche sécuritaire était dantesque. Hercule avait cherché Max, le fils du patron des Aurors mais ne l'avait pas aperçu dans la foule. Par contre, il n'avait pas pu manquer la longue silhouette de Mathilde Pourpoint, flanquée de quatre collègues plus âgés.

Le Gerbera était presque au complet: seule Umbelina manquait à l'appel puisqu'elle évoluerait avec son équipe. En revanche, Eugénie n'avait pas été sélectionnée. Le retour de Di Maggio à son poste lui fermait toute titularisation. De partout s'élevaient de délicieuses odeurs de pommes d'amour, de viennoiseries, de saucisses grillées, de Bièraubeurres, d'hydromel. Des banderoles animées soulignaient les préférences des supporters tandis que des klaxons moldus enchantés braillaient leurs coin-coins pour ajouter du bruit au brouhaha ambiant.

Soudain, un homme enfourcha un balai et s'éleva dans les airs, quittant la loge des personnalités. Vêtu de sa tenue écarlate, le professeur Laflèche se plaça au centre du stade et amplifia sa voix:

—Bienvenue à toutes et à tous! Cette année, l'école accueille un événement exceptionnel qui me remplit de joie: la finale de la coupe de France de Quidditch!

Une salve de hourras et d'applaudissements ponctua son annonce. Il poursuivit:

—En ouverture de cette fin de compétition nationale, deux équipes d'élèves vont s'affronter. Exceptionnellement, je n'arbitrerai pas ce prometteur face-à-face entre nos meilleurs étudiants. Aujourd'hui, pour appliquer les règles des deux rencontres, je vous demande d'accueillir Antoine Justice, arbitre international depuis plus de quinze années et ancien attrapeur de l'équipe de France.

—Waouh! frémit Eugénie. Les élèves vont avoir une sacrée pression.

—Merci pour lui.

L'homme, dans la cinquantaine, sans un seul cheveu sur le crâne, était d'une grande stature, musclé et toisait ses interlocuteurs d'un regard bleu ciel très perçant. Il imposait le respect.

—Maintenant, veuillez accueillir l'équipe d'Aloysia! Avec Germain Delatour, gardien des cercles, Henri Mondague, capitaine et batteur, Yves Troplain, batteur, Félix Declerq, Karl Moser et Marcello Di Maggio à la poursuite, sans oublier… Luisa Fellini, l'attrapeuse!

Un torrent d'applaudissements mêlés de cris enthousiastes déferla à l'énoncé du patronyme de l'Italienne. Les Fellini, venus d'Odeillo au complet, avaient rameuté toutes leurs connaissances pour supporter l'ordre à la verveine.

—L'équipe classique, commenta Eugénie. Marcello et Luisa ont récupéré toutes leurs facultés. Lonicera va en baver.

Sigrid eut un mouvement de sourcils trahissant ses doutes. Elle détenait quelques informations exclusives.

—À présent, encouragez les bleus de Lonicera! Avec Bruno Cervantès, le gardien, Charles Schweitzer, batteur, Louis Delplanque, batteur…

Les enfants se dévisagèrent, interloqués. Shin déduisit en toute logique:

—Il a cédé sa place d'attrapeur à Umbelina.

—Mais qui est capitaine? s'étonna Hercule.

—… René Daguerre, poursuiveuse, Ombeline Dupré de la Futaie, poursuiveuse, Umbelina de Laranjeira, poursuiveuse… et capitaine!

—Bon sang! C'est une révolution! s'écria Hercule. Elle est capitaine! Delplanque a passé la main.

—… et pour s'emparer du Vif d'or, Lonicera titularise Rosa Fuchs!

—Incroyable! s'exclamèrent les jeunes spectateurs.

—Une double révolution avec Rosa, s'amusa Shin.

—Fuchs a du cœur au ventre, de la rage! affirma Eugénie. C'est un bon choix.

Les équipes se déployèrent sur le terrain, gagnant leurs positions habituelles. En apparence. C'est alors que le Japonais, l'expert du groupe, remarqua des nuances.

—Hercule, regardez le balai de Cervantès. L'arrière est différent, plus évasé. Et des poignées ont été ajoutées à l'avant.

—Bien vu.

—Le balai de Fuchs n'a pas la même allure. Sa ligne est très fine. Tout le contraire de celui du gardien.

—Vous avez raison. Je me demande ce que cela cache.

—Ce n'est pas tout. La position des batteurs de Lonicera est très en retrait. D'habitude, ils se portent à l'avant pour frapper les Cognards et viser le gardien ou les batteurs adverses. Ils paraissent vouloir jouer en mode défensif. C'est un mauvais calcul, car Lonicera doit engranger des points avec le jeu au Souafle.

Le coup de sifflet fut donné par monsieur Justice, tout de noir vêtu. Le Souafle fut intercepté par Daguerre. Les poursuiveurs et les batteurs d'Aloysia se précipitèrent sur Umbelina et Ombeline pour les neutraliser. René en profita pour lancer la balle du dernier quart du terrain, avec une force, une vitesse et un effet de vrille qui trompèrent Delatour. Mondague vociféra, comme de coutume lorsque l'adversaire marquait.

—Vous avez vu cette précision et cette puissance?! s'enthousiasma Eugénie. C'est hallu…

Umbelina venait d'arracher la balle à Di Maggio, surpris par la puissance rageuse de la Portugaise. Elle virevolta à bonne distance des Cognards expédiés par Mondague, remonta en chandelle, entraînant ses adversaires dans son sillage. Une feinte, car elle avait exécuté une passe dans le dos à Dupré, laquelle se retrouva à quelques mètres de Delatour, seule. Une formalité pour Ombeline qui expédia la balle sur le gardien, si fort qu'il recula et pivota. L'extrémité avant de son balai heurta un des cercles et se brisa. Il perdit une dizaine de centimètres du manche. Dès lors, la stabilité de son Astro 20 fut sujette à caution.

Lors de la remise en jeu suivante, Aloysia capta enfin la balle et les poursuiveurs se firent ouvrir le chemin du but par les batteurs déchaînés. Lorsqu'ils furent à distance de tir, les Cognards envoyés par les batteurs de Lonicera semèrent la zizanie, entraînant un tir approximatif. Cervantès, positionné en face du cercle supérieur, grimpa en face du but inférieur en moins d'une seconde, renvoyant le Souafle à Umbelina.

—Nom d'un Jackalope! Comment un balai peut-il se déplacer aussi vite sans se déséquilibrer? lança Hercule, à la cantonade.

—Je crois qu'il s'agit d'une des surprises mentionnées par Umbelina. Ce Friselune n'en est plus un. Ses déplacements sont rapides, stables. Il a été modifié pour diminuer la vitesse pure au profit du temps de réaction. L'idéal pour un gardien de but. Je parie que le balai de Rosa a subi une modification inverse.

—Une plus grande vitesse mais au détriment de la stabilité et de l'accélération?

—Vous connaissez le tempérament de Rosa, Hercule. Elle va tenter de gêner Fellini. Et… oh!

Vingt points supplémentaires avaient été ajoutés au tableau des scores dont dix obtenus par un swing de Delplanque. Son Cognard avait dévié la course du Souafle pour pénétrer dans le cercle central. Delatour était à la peine, incapable de manœuvrer son balai en moins de cinq secondes. Mondague, face à l'adversité, choisit de battre en retraite et de jouer la montre. Ses poursuiveurs restèrent avec les batteurs, en couverture du gardien, visant l'interception du Souafle et la contre-attaque. Il misait tout sur le blocus et la capture du Vif d'or, par Fellini. Face à l'armada mise en place devant les cercles des rouges, les poursuiveuses du chèvrefeuille eurent plus de mal pour percer la défense. Néanmoins, elles passèrent vingt points de plus. Lonicera menait 60 à 0. À ce rythme-là, Aloysia n'allait pas tenir. Moser, inspiré, réalisa une belle interception et s'échappa en solitaire. Il se retrouvera pris en sandwich par Schweitzer et Delplanque, très rugueux. La balle lui échappa. Schweitzer la frappa et l'envoya à Daguerre qui l'abandonna à la Portugaise. Umbelina la glissa en douceur dans l'anneau du bas.

Plus haut, dans les airs, Fellini cherchait le Vif d'or des yeux, tout comme Fuchs. Le Souafle venait une fois de plus d'échapper à Aloysia et de profiter à l'adversaire. Ombeline expédia la balle dans la tête de Troplain. Déséquilibré, il fut à deux doigts de chuter. Le pauvre se fit houspiller par Mondague qui lui demanda s'il comptait cogner un jour, jusqu'à ce que le Souafle sonne aussi le capitaine qui en vit 36 Feux Éternels.

Lorsque le Vif se montra enfin, le score atteignait déjà 90 à 0. Luisa se lança à sa poursuite. Fuchs démarra avec un temps de retard. Elle batailla contre d'inquiétantes secousses. Dès que sa pointe de vitesse fut atteinte, elle bouscula Fellini, balancée dans les airs. Si la trajectoire du Vif n'avait pas été erratique, Fuchs aurait pu le capturer. Elle venait de le dépasser.

—Le balai de Fuchs file à 110, peut-être 120km/h! affirma Shin. Il n'est pas du tout maniable, il est très dur à contrôler mais en vitesse pure, il est imbattable.

—C'est l'œuvre de GüntherDornier! Voilà à quoi il a passé son temps en CHASSE!

—Brillant, Hercule. Umbelina a préparé cette rencontre en véritable stratège! Oh! Fellini est tout près du Vif!

—Mais regardez!

Telle une fusée de feu d'artifice, après une longue et incertaine courbe, Rosa revenait sur Luisa. Fellini fut contrainte de plonger pour éviter la collision. Rosa tenta de capturer la sphère dorée, mais elle fut incapable de freiner et d'orienter son balai en suivant le rythme de la balle ailée.

En contrebas, Delatour venait de perdre dix centimètres de manche supplémentaire et avait été contraint à l'abandon, avec, en prime, un atterrissage en catastrophe. Les batteurs rouges s'occupaient des trois cercles de leur mieux tandis que leurs poursuiveurs tentaient de gêner leurs homologues de Lonicera, déchaînées, pressées d'enfoncer le clou. Cervantès, le portier des bleus, admirait l'assaut de loin lorsque Umbelina ordonna à Delplanque et Schweitzer de s'avancer pour mettre la pression et frapper le Souafle. Cervantès dut enfin réaliser une interception après que les rouges se soient glissés entre les coups et les passes.

Le score était de 130 à 0 lorsque les rouges sauvèrent l'honneur, grâce à la malencontreuse avancée de Cervantès, ayant oublié la lenteur de son balai. Plus haut, la bataille faisait rage. Fuchs ne changeait rien à la stratégie payante, gênant Fellini lorsqu'elle s'approchait du Vif d'or. Soudain, ce dernier disparut dans les nuages et Luisa fut réduite à l'inactivité. Elle redescendit dans l'espoir d'aider ses camarades, en jouant les insectes piqueurs entre les poursuiveuses. Les batteurs bleus ne lui laissèrent pas l'occasion de montrer la palette de ses talents et elle dut reprendre de l'altitude. Le tableau venait de passer la barre des 150 à 10. Pour gagner, Aloysia devait capturer le Vif. Maintenant!

La sphère ailée se cachait toujours. Un lancer en force, suivi d'une déviation par Cognard –l'œuvre de Delplanque –, digne d'un jeu de billard, signa le seizième but de Lonicera. Comme un pied de nez, le Vif d'or réapparut à quelques mètres de Fuchs. Rosa voulut se précipiter dessus, mais sa monture faillit basculer au démarrage. Fellini fut plus rapide. Rosa se rétablit et lança son Pegasus 1. Elle regagna du terrain sur son adversaire. La balle dorée fila de nouveau vers le plafond nuageux, en ligne droite, avec un angle de montée modéré. Rosa dépassa Luisa, ouvrit la main et rata le Vif. Luisa le captura, réussissant à adapter sa vitesse. L'arbitre siffla la fin du match. Luisa redescendit vers le stade, triomphante. Le tableau d'affichage la fit déchanter:180 à 160 pour Lonicera. C'en était fini.

—Victoire de Lonicera! officialisa monsieur Justice.

Les vainqueurs effectuèrent un tour d'honneur du stade, Umbelina et Louis volant côte à côte, se tenant l'épaule. La passation de pouvoir avait été éclatante. L'équipe fit une halte devant la loge ministérielle. Agathe et Abraham réprimèrent des larmes d'émotion tandis que Léonce Brindille, invité, levait le pouce en l'air à l'attention de la Portugaise, constatant à quel point le stage d'été avait été profitable. Les équipes rentrèrent ensuite dans leurs vestiaires. Les joueurs de Lonicera se congratulèrent et firent une ovation à Dornier lorsque l'immense brun aux yeux bleus montra son visage à l'entrée.

—Vive Dornier! exulta Delplanque. Bien joué, petit génie!

—Merci, merci! Fuchs, je suis désolé, si j'avais eu plus de temps, ton balai n'aurait pas été aussi dangereux.

—La prochaine fois, le Vif d'or sera pour moi.

—Je te le garantis.

—Moi, c'était une pure merveille! Exactement ce qu'il faut au gardien!

—À condition de rester dans ta zone, Cervantès, railla Delplanque.

—Le pauvre! Il s'est ennuyé pendant tout le match, plaisanta la capitaine. C'est normal qu'il ait voulu passer un Souafle en force.

—J'ai cédé à la tentation…

—On a gagné! On a battu Aloysia! Pas mal, Capitaine, lâcha Delplanque. Tu as tout mon respect. Tu es une joueuse exceptionnelle, une stratège redoutable! Grâce à toi, nous passons du statut d'équipe nulle au rôle d'équipe à battre! Un véritable séisme à Beauxbâtons! Les filles, les gars, portez-moi ce capitaine à bout de bras!

La princesse se retrouva soulevée, portée en triomphe.

Dans les tribunes, les spectateurs allaient et venaient les bras chargés de victuailles et de boissons. Lonicera avait mis une heure pour venir à bout de son adversaire. Ils avaient le temps de déjeuner, de discuter du match passé et de celui à venir. Eugénie refaisait la partie et estimait que la victoire de Lonicera s'était jouée à peu de choses. Hercule pensait qu'au contraire, le plan élaboré et adapté des vainqueurs avait été mûrement réfléchi. Chaque détail avait été étudié, les parades adverses envisagées et les contre-attaques fomentées. De l'avis d'Hercule et de Shin, Urtica avait du mouron à se faire lorsqu'elle affronterait Lonicera. Le Belge pensait qu'en toute logique, le capitaine devrait mettre le rempart japonais en face des cercles et jouer en défense, de manière rugueuse, misant tout sur les contre-attaques. L'attrapeur d'Urtica devrait être de nouveau changé, formé et aurait du mal à rivaliser avec Fuchs, si elle enfourchait une production plus classique, stable, maniable et qu'elle faisait preuve de la même combativité.

—À moins que Dornier ne peaufine sa réalisation! Son Cerbère 1 pour Cervantès a fait des merveilles. Je vous parie qu'il présentera une seconde version de son Pegasus et que Fuchs fera des étincelles.

—Vous pensez que notre équipe sera battue?

—Shin, quelles que soient les configurations que mes cellules grises ont imaginées, Urtica perd. Quant à Dornier, il sera récompensé pour son audacieux travail. Regardez…

Le Belge désignait un homme de la loge ministérielle, quittant son siège pour se rendre en coulisses. Il s'agissait de Léonce Brindille, curieux, intrigué par le spectacle auquel il avait eu droit. Sigrid revint près de la bande de Gerbera, les bras chargés de brochettes de Taupitambour à la sauce aux cacahuètes des Landes, toujours en flammes, deux minutes après avoir été flambées.

Peu de temps après, ils furent rejoints par Umbelina, des étoiles plein les yeux. L'accueil fut enthousiaste et les félicitations jaillirent de tous les ordres, y compris les perdants. Jo Alonzo s'assit à leurs côtés. Il se pencha vers sa compatriote, murmura à son oreille et déclencha l'hystérie de la princesse.

—C'est pas vrai! C'est pas vrai! Je n'y crois pas!

—Que se passe-t-il? demanda Katarina, avec pondération.

Jo s'amusa de la réaction de sa cadette, à la limite de la lévitation au-dessus de son siège, comme si un essaim de Billywigs l'avait empalée.

—Mon père a été contacté par les Pimentines d'Espelette, expliqua le garçon. Janine Etchegaraï, la présidente du club, souhaite organiser deux stages en altitude pour son équipe, remplaçants compris. L'un aurait lieu à Pâques, l'autre cet été. Madame Etchegaraï veut redresser la barre du club qui est menacé de relégation. Elle souhaiterait qu'Umbelina vienne les rejoindre en secret afin d'intégrer ses méthodes.

—Vous vous rendez compte?

—Quel succès! Vous serez bientôt indispensable, ma chère!

La princesse gratifia Alonzo d'une bise sur la joue et le pria de remercier son père pour avoir joué l'intermédiaire, le rapporteur ou le placeur de talent. La marque d'affection n'échappa à personne. Plus le temps passait, plus la jeune fille avait le béguin pour Jo, un garçon brillant, sérieux, appliqué tout en étant pétillant et pétri de gentillesse. Shin fut le plus amusé et reporta son regard sur Katarina, plissant les yeux plus qu'à l'accoutumée.

Peu avant 14h00, le stade se remplit de nouveau. L'arbitre revint sur le terrain, Wilfried introduisit l'équipe des Vampires de Perpignan toujours assoiffés de victoire puis celle des Étoiles d'Odeillo. Le géant contre le lutin. Le nom de Giulia Fellini, l'aînée de la famille de sept sœurs, déchaîna un raz-de-marée audible jusque dans la vallée voisine. Le coup d'envoi fut donné et le Souafle lancé tandis que Vif et Cognards étaient libérés. Tout parut allait bien plus vite qu'avec l'affrontement entre les élèves. Pourtant, les balais étaient identiques: des Friselune modèle 1901. La production de balais n'en était qu'à ses balbutiements et demeurait artisanale, confidentielle. Le développement de modèles voués au sport n'était même pas au niveau de la gestation. En réalité, ce qu'avait fait Günther Dornier, le Luxembourgeois, était une véritable innovation.

Cependant, la rapidité des passes, la frappe des Cognards par des joueurs adultes, voire professionnels pour les Vampires, étaient sans commune mesure. Mais il y avait un abyme entre les amateurs du village d'Odeillo et les professionnels aguerris du championnat national. En cinq minutes, à peine, le tableau des scores afficha 50 à 0. Odeillo se faisait étrier. Misant sur un effet de masse, les batteurs se joignirent aux poursuiveurs pour jouer des coudes et parvenir à tromper le gardien des Vampires. Hélas! Pour dix points arrachés en prenant des coups, Odeillo en encaissa soixante supplémentaires en dix minutes. À ce rythme-là, le match ne durerait pas trente minutes. Le massacre se poursuivit, les Vampires jouant comme à l'entraînement, sans forcer. Le score sans appel de 140 à 10 faillit être aggravé, mais le gardien d'Odeillo, Gustave Panot, exécuta un arrêt miraculeux. Giulia Fellini discerna le Vif d'or sur le fond gris clair du plafond nuageux et se rua sur lui. L'attrapeur des Vampires la talonna et lorsqu'il fut juste dans son sillage, l'attrapeuse cabra son balai, puis le pencha aussitôt, fouettant le visage de son adversaire avec le boisseau de branchage de sa monture. Elle profita de la surprise et de l'aveuglement pour accélérer, anticiper une descente du Vif, glisser sous son balai et capturer la balle ailée.

D'un coup de rein, elle se remit en position et fonça vers le tableau des scores. 160 à 150 pour Odeillo. Elle exulta face à ce nouveau séisme. L'arbitre siffla la fin de la rencontre au dénouement insensé. Une minute plus tard, les Étoiles accomplirent un tour d'honneur et Giulia fit grimper sa sœur derrière elle pour que les héroïnes du jour reçoivent les honneurs dus à leurs prouesses.

Au milieu de cette liesse générale, Hercule aperçut Elvira transplanant depuis la loge ministérielle. Elle partait pour la Belgique. La foule demeura longtemps dans le stade et mit près d'une heure à se disperser, après la remise du trophée au vainqueur. Quelques heures plus tard, les elfes de maison avaient fait disparaître toutes les traces de la fête. Les élèves étaient partis rejoindre leurs familles pour fêter Noël et l'Académie avait retrouvé un calme inquiétant. Dans le château ne rodaient plus que Agathe, Claire, Armand et Sébastien. Même Wilfried s'était envolé, une fois sa mission d'organisation achevée. Il avait été invité à passer Noël avec Gabriella dans la famille Fellini. Après avoir accompagné Katarina à la Cabane Enchantée, l'ordre Gerbera s'était réfugié dans le quartier général, bien plus chaleureux que l'immense bâtisse de pierre vide. Le Quidditch était au cœur des conversations. Hercule, lui, paraissait absent. Elvira s'était précipitée à Bruges, à l'issue des obligations scolaires. En urgence?