Sortilège 27: le Gigogne

À l'aube, en sortant du pavillon Urtica, Shin et Hercule furent saisis par le froid intense. Le paysage s'était alourdi d'une trentaine de centimètres de neige. Le moindre bruit, cri d'animal, craquement, était atténué comme si la magie s'était abattue sur la région entière. Le soleil n'était pas levé, mais le ciel était limpide et la journée s'annonçait magnifique. D'ordinaire, d'autres élèves quittaient les trois pavillons pour aller prendre leur petit-déjeuner mais ce matin, le pont de la rivière était désert.

—Quel calme! remarqua Shin. Après la fureur du Quidditch, voici la sérénité propice à la poésie. Toute cette neige, c'est si reposant, si inspirant.

—N'y a-t-il pas de neige, au Japon?

—Si mais c'est surtout au nord, sur l'île d'Hokkaido. Il n'y en a pas à Tokyo où les hivers sont très doux et encore moins à Mahoutokoro, située bien plus au sud. J'aime la neige. C'est comme une page blanche sur laquelle on peut tout écrire.

—Je vous trouve l'âme très poétique. Je comprends votre entente avec Katarina. Vous partagez cette sensibilité masquée, enfouie sous l'éducation que vous avez reçue mais qui brûle de s'exprimer en torrents ravageurs.

—D'où mon attirance pour l'eau, sous toutes ses formes et ma réussite, avec les sortilèges qui la façonnent.

—Exact!

Hercule cogita en silence, puis se tourna vers son camarade:

—Nous devrions réaliser une statue avec de la neige, aujourd'hui.

—Où? Quoi donc? Un bonhomme de neige, non?

—Ici, à côté du perron. Sur le côté droit, afin de ne pas gêner le montage du chapiteau, pour le bal de la fin d'année.

—Entendu. Quelque chose de grand? Sophistiqué?

—Oui.

—Vous avez une idée en tête. Je me trompe?

—Absolument pas. Je pensais réaliser une statue d'Armand Fontebrune, bien visible depuis la salle du restaurant et de son bureau. Histoire de l'interpeler.

—Sans utiliser la magie?

—À moins de réaliser certaines pièces intermédiaires dans le château, nous n'aurons pas recours à la magie. Nos mains suffiront.

Les garçons entrèrent dans le château et bifurquèrent sur le restaurant. Il était presque vide. Rares étaient les élèves demeurés la totalité des vacances dans l'établissement. Surtout parmi les plus jeunes élèves. Deux tables de CHASSE étaient à demi remplies. Dornier, le génie du balai, était rentré au Luxembourg pour fêter Noël et sa réussite. Les filles d'Aloysia et Umbelina n'étaient pas encore arrivées. La Portugaise avait, semble-t-il, participé à une fête à l'étage de Lonicera en compagnie des joueurs de Quidditch et de supporters.

Dès que les garçons furent installés, des tasses de chocolat chaud apparurent, accompagnées de tartines toastées à point.

—Puis-je me joindre à vous?

C'était la professeure Bonnelangue. Quelque peu interloqués, les garçons se ressaisirent, se redressèrent et tirèrent une chaise entre eux deux.

—Bonjour, Professeur. Bien sûr! concédèrent-ils de concert.

—Sans être de la même famille, ni même avoir la même culture, je constate que les bonnes manières vous ont été transmises par Gemino!

—J'avoue, Madame, que Shin et moi, nous nous sommes bien trouvés. Nous partageons beaucoup de similitudes.

—Hormis le vol sur balai et la réussite avec les créatures magiques, précisa le Japonais.

L'enseignante s'assit et hérita d'une tasse de café noir, sans sucre ou lait.

—Toujours cette peur des hauteurs?

—Mon acrophobie n'a pas varié d'un pouce, Professeur. Vous passez Noël au château?

—Comme chaque année. Je n'ai plus de famille, à part quelques cousins au troisième ou quatrième degré, dont j'ignore tout. C'est bien, contre, pour vous, j'imagine que ce n'est pas simple? Shin?

—Mon père est à Versailles, en pleine élaboration du traité de paix. Notre gouvernante ne le voit qu'après minuit et dès 6h00, il quitte le domicile. Alors, je préfère, de loin, rester ici sous la neige avec mes amis.

—Et vous, Hercule?

—C'est la première fois que je fête Noël sans mes parents.

Il marqua une pause pour déglutir. L'émotion l'étreignait. Il tenta de se contenir:

—Avec un contexte des plus angoissants, même si je sais qu'ils ont reçu le renfort de madame de Bazincourt.

—Nous avons tous été choqués par la tournure des événements. Avec la recommandation de prudence, voire d'interdiction sur la voyance, nous sommes passés à côté de l'ornière sans retour dans laquelle Casper s'était embourbé. Pour un enseignant, c'est toujours un drame de découvrir l'usage maléfique de la magie. Shin, je sais que nous partageons ces talents spéciaux. N'aviez-vous pas essayé de voir l'avenir?

—J'ai essayé une fois, Madame. Si Katarina n'avait pas prononcé deux merveilleux haïkus, j'aurais fait un séjour de plus à l'infirmerie.

Le garçon faisait allusion à la prophétie bleue, sans la mentionner.

—Quel fabuleux don que celui de notre championne des mots! Le soin par la parole… Un pouvoir spécial, à maîtriser et à ne pas pervertir.

—Nous y veillons, Professeur.

—Vous l'avez accueillie dans votre confrérie, n'est-ce pas, Hercule?

—Bien sûr, Madame. Elle en est digne.

Le Japonais approuva de la tête, les yeux brillants. Les trois demoiselles rejoignirent enfin la table. Elles furent ébahies par l'attitude d'Agathe. Surtout Eugénie, qui se remémora son échange avec l'Auror Mathilde Pourpoint, à propos de sa propre mère, Lyna. D'ordinaire, mademoiselle Beauxbâtons était un moulin à paroles dès le réveil, parvenant à assommer ses camarades au petit-déjeuner. Là, c'était comme si l'attitude de l'adulte avait déréglé sa langue et son cerveau. Néanmoins, la perspective de l'activité neigeuse proposée par les garçons finit par lever tous ses blocages. Au bout de deux minutes, elle quémanda le droit de refaire du ski joëring derrière les Abraxans, en version slalom, différentes statues de neige faisant office d'obstacles à éviter. Ce à quoi Agathe répondit par une taquinerie au goût de mise en garde:

—Le doux parfum des Bayours vous manque-t-il tant?

L'humour et l'argument de poids firent mouche. La détente fut à l'honneur durant ce premier repas. Puis, les enfants durent retourner dans leurs pavillons pour adapter leurs tenues à la manipulation de la neige. Eugénie récupéra deux pelles de déneigement dans la Cabane Enchantée, afin de récolter la matière première. Les enfants commencèrent à assembler les paquets, à consolider le piédestal, quitte à lancer quelques Aquaglaciem dans le hall du château pour obtenir des blocs résistants. Les garçons se chargèrent de soulever les pièces les plus lourdes et encombrantes. Eugénie insista pour que Sigrid s'occupe de la tête qui serait posée au sommet au tout dernier moment. Umbelina et Shin s'attachèrent à plisser, à l'aide de différents morceaux de bois, ce qui serait le costume immaculé d'Armand. Sigrid s'appliqua sur la glace comme elle le faisait avec le métal. Elle pensait en être incapable mais lorsqu'elle dévoila sa réalisation, ses amis restèrent sans voix. Eugénie sourit de toutes ses dents parce qu'elle avait eu un avant-goût stupéfiant du talent de sa colocataire.

—Sigrid, vous êtes… incroyable! concéda le jeune Belge. Vous… Ça, alors! Il faut que les températures demeurent négatives, afin que tout le monde puisse voir votre… chef-d'œuvre!

—Tu as vu ça, hein? Elle est forte, ma copine! Note bien: il y a la moustache d'Armand, au poil près! fit Eugénie, en tirant sa langue sur le côté. On dirait qu'il va nous lancer un sort!

—Un sort? Mais bien sûr! Il lui faut une baguette.

—Prends un morceau de bois, Hercule.

—Non, non! Il lui faut une vraie baguette!

—Ben où tu vas la trouver? Je doute que le directeur te prête la sienne! Et je n'ai pas vu de boutique Cosme Acajor dans les parages!

—Hercule va en fabriquer une, coupa Umbelina. Je vous rappelle qu'il est doué avec le sortilège Lignaforma. N'est-ce pas, Hercule? Hercule? Eh, ça va?

Le garçon ne bronchait plus, le regard rivé sur le ciel. Il y avait une forme en approche. Un oiseau. Plus il se rapprochait, plus il paraissait large, au point où le garçon se demanda l'espace d'une seconde si ce n'était pas un petit dragon. Le volatile rasa la montagne, vira au-dessus du bois et plana durant de longues secondes, avant de se poser à quelques mètres du groupe d'élèves.

—Qu'est-ce que c'est? demanda Shin. Ce n'est pas une grue, c'est plus gros. On dirait une cigogne mais son envergure dépasse les six mètres et…

Soudain, l'oiseau replia ses ailes d'une façon magique. Rien, pas un renflement sur les côtés, ne laissait imaginer que l'oiseau était aussi large. Il déposa un gros sac de velours vert sur la neige. Hercule s'approcha en douceur.

—Fais attention! On ne connaît pas cette espèce! prévint Sigrid.

—Moi, si. C'est un Gigogne. Il ne vit qu'en Belgique, à la pointe nord-est de la Flandre. Il a l'apparence d'une cigogne, ce qui fait qu'il n'attire pas l'attention des Moldus. Mais il possède trois paires d'ailes indépendantes. La plus petite aux plumes graissées, presque comme des écailles, lui permet de nager et de pêcher sa nourriture. La seconde paire lui permet de prendre son envol et de ressembler à une banale cigogne. Quant à la troisième que nous venons de voir, elle l'autorise à planer pendant des kilomètres, en effectuant quelques battements. Il peut atteindre la vitesse de 110km/heure.

—Il a l'air gentil, déclara Eugénie.

—En apparence, oui. Néanmoins, le Gigogne cache dans son bec un crochet avec un venin paralysant. Deux ou trois doses suffisent à tuer un homme.

—Oh…

—C'est la livraison promise par Père.

Le garçon écarta un pan de tissu. Des reflets miroitèrent.

—Il y a des cadeaux. Des sucreries et… Oh! Des conserves, des boissons, une énorme boîte de macarons, du chocolat.

—Fantastique! On va se régaler! Hercule! Je crois que l'oiseau veut le prix de sa très longue course.

Le Belge observa le volatile: il était dépourvu d'escarcelle. Ou donc pouvait-il glisser les Noises? La bête se rapprocha et pencha son cou démesuré en avant. Le garçon, décontenancé, se souvint de l'attitude inattendue des Bayours, de la coquecigrue ou des Abraxans. Il tendit la main et effleura les plumes. Il n'en avait jamais caressées de plus douces. Une merveille.

—Il m'épate. Mais il m'épate, il m'épate! s'extasia le trublion d'Aloysia. Aucune créature ne te résiste. Tu es certain de vouloir devenir Auror-Enquêteur? Magizoologiste, c'est pas mal, non plus! Imagine que tu puisses dompter un dragon et que tu le dresses à cramer le derrière de cet imbécile de Rosier!

Hercule ne l'entendait pas, il profitait de l'instant magique. Le Gigogne ronronnait comme un Fléreur. Il ne restait peut-être qu'une ou deux colonies, en Belgique. Pas plus d'une cinquantaine d'individus. Celui-ci n'était pas un mâle. Sur dix oisillons, il n'y en avait qu'un, voire aucun. La disparition de l'habitat du Gigogne, détruit par la multiplication des habitations moldues, expliquait la raréfaction de l'oiseau pêcheur. L'animal finit par se soustraire à la caresse, plongea sa tête sous son jabot, piqua avec son bec et extirpa une petite plume blanche qu'il déposa au pied du Brugeois. Puis, il fit volte-face, déploya ses ailes de taille intermédiaire et prit son élan pour décoller.

Hercule s'empara du cadeau et le glissa dans la poche intérieure de son uniforme. Le volatile déploya ses ailes supérieures et replia les précédentes, adoptant un rythme de croisière très rapide. Les enfants commentèrent la scène avec enthousiasme. Puis, ils parachevèrent la statue en la dotant enfin de sa tête. Le résultat était prodigieux. Satisfaits de leur travail, ils prirent la direction du bois, chargés du sac. Ils convinrent de lire ensemble la lettre d'accompagnement, de vider le contenu de la grosse besace et de ne déballer leurs cadeaux qu'au matin du 25 décembre. Tous restèrent au quartier général tandis qu'Hercule s'aventura dans le bois à la recherche d'une petite branche à façonner au château. Il tomba sur un châtaignier dont quelques feuilles desséchées et recroquevillées n'étaient pas tombées. Il y avait même une vieille bogue rabougrie, encore attachée mais vide. Grâce à ces indices, il sut qu'il avait à faire à l'essence de bois recherchée. Il perçut du mouvement dans une anfractuosité de l'arbre, située à plus de deux mètres. Une forme végétale dévoila sa figure.

—Oh! Un Botruc! Rentre vite dans ton abri. La température est glaciale. Si tu le permets, je vais prendre ce morceau de branche.

Il le brisa d'un coup sec. Le Botruc émit un gazouillis mâtiné de pépiement.

—Je ne prends rien de plus. C'est pour parfaire notre statue d'Armand. Rendors-toi vite, l'hiver est loin d'être achevé.

Il prit la direction du château. Chemin faisant, il fouilla dans sa mémoire à la recherche d'une scène où il aurait vu le directeur se servir de sa baguette. Il dut assembler, dans son mental, plusieurs séquences pour parvenir à l'objet complet. Le directeur effleurait sa compagne de châtaignier en de rares occasions.

Une fois la représentation imagée accomplie, avec les runes, les sillons, les ornements, il se demanda comment il pourrait obtenir une couleur argentée. Un éclair de génie le traversa:

—La poudre d'alumine! Elle devrait griser le bois.

Arrivé au château, il descendit au laboratoire de potions. Il retira l'épaisse cape qui le couvrait et se mit au travail. Il s'empara d'un couteau aiguisé, retira l'écorce, coupa les extrémités de façon à ne conserver que 25centimètres, soit la taille réelle et minuscule de la possession d'Armand. Puis, tenant sa propre baguette comme s'il écrivait avec une plume, il produisit un Lignaforma pour obtenir l'ébauche de la forme. Ensuite, il utilisa un maléfice de glu perpétuelle pour faire adhérer l'alumine au bois. Enfin, visualisant sa «cible», il usa avec modération du Diffindo pour creuser, sculpter, inscrire des runes, des symboles anciens sur toute la surface de la baguette. Après une heure d'efforts acharnés, il obtint une copie de bonne facture.

Il s'apprêtait à nettoyer, à ranger et à repartir au quartier général lorsqu'il fut pris d'une irrésistible lubie de perfection.

—Après tout, Van Betavende, une authentique baguette n'est rien sans une inclusion magique.

Il creusa le manche de sa création sur environ quatre centimètres de profondeur, prenant garde à ne pas gâcher sa réalisation en la fendant par mégarde. Puis, il sortit la plume du Gigogne et la torsada pour la loger à l'intérieur de l'orifice. Il restait deux ou trois millimètres de vide. Il fabriqua un amalgame à l'aide de sciure de châtaignier qu'il passa au pilon. La pâte servit à boucher l'orifice. Il l'ajouta l'alumine pour masquer la saignée. Le temps de séchage fut utilisé pour rechercher une matière assez grasse, afin de protéger la baguette. Il jeta son dévolu sur une huile de lin qu'il badigeonna sur la création. Ainsi, elle serait protégée pour plusieurs jours passés dans le froid. Satisfait du résultat, il regretta juste de ne pas pouvoir envoyer une photographie animée à Garrick Ollivander. Il rangea l'huile, nettoya la paillasse, remisa le pot d'alumine et s'empara de la baguette de châtaignier. Il s'exclama:

—Van Betavende! Tu as oublié le pilon et le mortier! Ne jamais laisser le laboratoire dans l'état où nous n'aimerions pas le trouver, comme le dit si bien madame Fordecafé!

Il pointa le récipient de marbre et le pilon de granit. Il prononça distinctement:

—Recurvite.

Les cibles furent débarrassées de leurs résidus et retrouvèrent leur lustre.

—Bien! À présent…

La fin de la phrase n'arriva jamais. Il était figé, incrédule. Sa main droite se mit à trembler. Ce n'était pas par peur. Ou peut-être que si, après tout. Comment, ce qui n'était qu'une plaisanterie, pouvait-il s'avérer réel? Comment une baguette, au bois prélevé sur un arbre habité par un Botruc, creusée, sculptée par sa main, complétée par une plume d'une créature magique, pouvait-elle…fonctionner? Non, c'était un hasard! En réalité, sa baguette de cèdre, rangée dans son logement sur l'avant-bras droit, avait agi sans la tenir. Il avait atteint le but fixé par Elvira: lancer des sorts sans tenir sa baguette. C'était tout! Oui, c'était logique.

Afin de lever le doute persistant, il éjecta sa baguette, la déposa de l'autre côté du laboratoire de potions et s'empara de sa production.

—Wingardium Leviosa!

Le mortier visé s'éleva au-dessus du plan de travail.

—C'est… de la sorcellerie!

—C'est un peu le but de cette Académie, répondit une voix d'homme derrière lui.

Le mortier, privé de contrôle, fit une chute sur la paillasse. Le contenant et le meuble subirent des dégâts. Hercule se retourna et découvrit Armand dans un costume aux coloris dominés par le vert et le rouge.

—Monsieur. Je…

—Eh bien?

—Je… j'étais en train de créer une fausse baguette pour l'ajouter à la sculpture de neige et de glace qui se trouve près de l'entrée.

—S'agit-il de votre œuvre?

—C'est un travail collectif. J'ai juste eu l'idée.

—Très réussi.

—C'est collégial. Sigrid a réalisé votre visage.

Le directeur ne put s'empêcher de remarquer une constante chez ce garçon:

—Vous soulignez toujours les mérites de chacun. Sigrid a du talent, en tous domaines, ne croyez-vous pas?

—Totalement, Monsieur.

—Vous vouliez rajouter une touche finale?

Armand s'approcha, avisa la baguette et la compara avec sa possession.

—Très ressemblant. Le même décor. Presque la même couleur. Et le bois?

—Du châtaignier.

—Je vois qu'on pousse la ressemblance très loin. Naturellement, pas de dard de Billywig à l'intérieur? Trop exotique, n'est-ce pas?

L'insecte bleu, avec la paire d'ailes attachée à la tête, ne vivait qu'en Australie. En France, les rares possesseurs d'exemplaires vivants appartenaient à la famille des magizoologistes. Quant à la poudre d'ailes ou les dards séchés, on ne les trouvait que chez deux ou trois apothicaires bien achalandés.

—En effet, Monsieur. Pour parachever mon exercice, j'ai tout de même osé inclure la plume d'un Gigogne venu nous livrer de quoi fêter Noël. Un envoi de mes parents.

—Livré par un Gigogne? Ne s'agit-il pas d'une espèce endémique à la Belgique?

—Tout à fait, Monsieur.

—Tout à l'heure, au moment où je suis rentré, vous parliez de sorcellerie. Pourquoi? Étiez-vous en train d'exécuter un sort avec votre création?

Hercule concéda, un brin gêné:

—Oui. D'ailleurs…

Il se retourna et tenta:

—Petrapatera Reparo.

Le mortier abîmé fut restauré à l'état initial. Quand Hercule ajouta:

—Mensa Reparo.

Les carreaux de la paillasse virent leurs lézardes s'envoler.

Armand fut traversé par toute une série de fuites émotionnelles. Il écarquilla les yeux, redressa la commissure de ses lèvres, frémit de la moustache et émit un soupir mêlé d'un léger sifflement.

—Puisque j'ai été l'objet d'une expérience et d'un hommage, pourrais-je…

—Oh bien sûr!

Hercule tendit la baguette au directeur. Dès qu'il l'eut en main, il se mit à sourire, au comble du bonheur:

—C'est assez troublant, la sensation de redécouvrir un premier amour. C'est un peu comme si l'histoire recommençait. Voyons…

Il visa un chaudron en étain, agita la baguette, sans un mot. Le métal se déforma, devint translucide et prit la forme d'un trophée de quartz violet, avec un pied hexagonal et deux anses larges pour le tenir.

—Élégante, obéissante, précise et puissante. La métamorphose est saisissante.

—Peut-être un héritage du Gigogne, capable de modifier son allure?

—Une hypothèse intéressante. En tous les cas, Van Betavende, il s'agit d'un bel outil, conclut Armand en lui rendant sa création. Un peu trop beau pour décorer une statue de glace, non?

Il lui adressa un clin d'œil, suggérant de placer un simple morceau de bois ouvragé au lieu d'une véritable baguette capable de magie.

Il abandonna le garçon qui demeura de longues minutes seul, dans la pièce sombre, à contempler sa production. Hercule finit par se convaincre que tout ceci n'était que le fruit du hasard, un enchaînement complexe de minuscules faits ayant abouti à un événement extraordinaire. La chance du débutant, tout comme Émilie et sa baguette à double cœur.

Louis avait pensé à tout, même au sapin de Noël artificiel, évitant de pratiquer une coupe en forêt. L'artifice consistait en un empilage de branches récupérées, percées et traversées en leur centre par une tige de fer rigide. Il y avait des personnages en bois, de minuscules chalets décorés à suspendre, des pommes de pin, des guirlandes tressées, de la mousse, des étoiles découpées, des bougies, des reproductions d'animaux, des créations en verre coloré, des kaléidoscopes animés et même un modeste carrousel, enchanté pour tourner sans fin. La corne d'abondance ne s'arrêtait pas là: il y avait assez de friandises pour tenir jusqu'à Pâques, des pâtes de fruits aux coloris trompeurs, aux goûts surprenants, à l'image des fameuses dragées surprises de l'anglais Bertie Crochue dont Sean McFlurry leur parlait souvent. Les pâtes sucrées, créées par le confiseur Régis Laréglisse, mêlaient la menthe aux choux de Bruxelles, la cannelle aux épinards et la fraise aux radis piquants. La préférée d'Hercule c'était la «3P»: pastèque –poivre – piment. Son goût démarrait en douceur, s'enflammait puis ravageait le palais. Gertha avait ajouté une grosse boîte de mélange chocolaté: du pur cacao, de la mélasse, une dizaine d'épices douces et des brisures de réglisse. Il suffirait d'ajouter du lait pour obtenir de voluptueux et mousseux chocolats chauds. Eugénie avait assuré gérer la logistique pour récupérer du lait, de quoi le chauffer, les couverts, les tasses, etc. Bien sûr, les enfants ne rateraient pas le repas au château, leur absence étant trop facile à remarquer. Néanmoins, ils profiteraient des vacances pour se retrouver dans la cabane, travaillant un peu, riant beaucoup et élucubrant énormément. Le soir du mardi 24, après le réveillon succulent pris au restaurant, ils choisirent de prolonger la soirée et la nuit de Noël dans le bois, en hauteur, à l'abri des regards et des oreilles indiscrets.

Hercule fit un détour par le courrier et remarqua qu'un colis presque carré avait été déposé à l'emplacement sous ses initiales.

«Un envoi de dernière minute, signé Père et Mère?»

Il s'empara du paquet qui n'était pas très lourd. C'était adressé à son nom, son numéro de chambre, son ordre officiel, mais il ne connaissait pas du tout cette écriture arrondie, pareille à celles que monsieur Deconninck, le directeur de l'école moldue de Bruges, appréciait par-dessus tout. Il défit le cordage enserrant la boîte et retira le papier protecteur. Il déchiffra le nom inscrit en lettres noires: Magiclic. Il était accompagné d'un parchemin. Il découvrit ces mots:

«Hercule,

Je te souhaite de bonnes fêtes, en dépit des menaces qui pèsent sur ton existence. Néanmoins, je sais que rien n'arrêtera tes investigations. Comme tu le sais, de nos jours, que ce soit dans le monde moldu ou dans le monde sorcier, il faut apporter des preuves. Toujours plus, je peux te l'assurer! Voici un outil parfait pour immortaliser, en images animées, tes découvertes. Fais-en bon usage. À l'intérieur, il y a déjà une pellicule animée de trente-six poses. Ça tombe bien, je pense…

Pour le développement, je suis sûr qu'Ambroisine Fordecafé te conseillera une solution de liquide de développement avec le tournemain adéquat. Pour acheter des pellicules –quinze Mornilles la 36 poses –, il te suffit d'envoyer un hibou à Paris avec l'argent, chez le Sorcier Moderne. Cette boutique est la bonne adresse de tout Auror qui se respecte.

Amicalement. M. P.

PS: mes félicitations pour vos créations. Le directeur doit avoir la tête et les chevilles qui ont enflé. Max te transmet ses salutations.»

Le garçon ouvrit la boîte en bois et découvrit l'appareil photo magique envoyé par Mathilde Pourpoint. Qu'avait-il donc pu bien faire pour mériter un tel présent? Comment savait-elle qu'il tenterait d'explorer les 36 degrés? Et comment avait-elle su pour la statue d'Armand? Voire pour la baguette puisqu'elle avait écrit «créationS» au pluriel? Ses talents divinatoires étaient sidérants.

Le garçon déplia le soufflet écartant l'objectif de la chambre noire. Il y avait un bouton pour prendre le cliché, une molette pour faire avancer le film magique et même une option incroyable: un retardateur. Cette fonctionnalité permettant au photographe de se prendre en photo, de s'ajouter à un panorama, n'était pas la création d'un pionnier moldu de la photographie mais issue du cerveau d'un passionné au métier tout autre, bien que très imagé: Émile Zola, l'un des plus populaires auteurs moldus du siècle passé.1

Le Belge ne put attendre davantage. Il fila à la salle du Sondeur, arma l'appareil en avançant la pellicule jusqu'à ce qu'elle se bloque, posa le Magiclic sur le banc de l'isoloir central, écarta le rideau et prit un cliché de la pièce, constituant la vue du degré zéro.

Lorsque le Sondeur demanda:

—Mais que fais-tu donc, Hercule?

—Je prends une photographie.

—Qu'est-ce donc?

—Une image animée de la pièce.

—Oh! Y a-t-il tant d'animation que cela vaille une… photo…

—… graphie. Non, effectivement, il n'y aura aucune animation visible sur ce cliché.

—Que comptes-tu en faire?

—Je l'ignore. Peut-être un livre sur Beauxbâtons.

—Ah… dommage que je ne puisse… le… voir. Pardonne-moi. La froidure glace le château et glacer le château, c'est me geler.

—Je comprends, répondit Hercule, bien que tout ne fut pas clair. Je vous laisse vous reposer.

—Je te remercie.

Le garçon ressortit, se retourna vers les isoloirs et ne put s'empêcher de noter:

«Bizarre! Le Fauteur de troubles a été arrêté, mais le Sondeur paraît toujours affecté de lenteurs. Les événements n'étaient peut-être pas liés.»

Puis, chassant cette élucubration, il courut à travers Beauxbâtons pour montrer au Gerbera, l'outil fantastique dont Mathilde lui avait fait présent.

1Émile Zola est bien l'inventeur du retardateur.