Sortilège 31: la mise en garde
Minuit avait sonné. Respectant la tradition, tous les participants de la soirée avaient échangé leurs vœux de bonheur et de réussite. Le changement d'année était survenu après un spectacle féerique dans le dôme de verre créé par Gervais Delacour. La féerie s'était articulée sur trois volets, signés par les trois référents. Wilfried Laflèche avait injecté des balais aussi lumineux que des éclairs, laissant des sillages pareils aux chevelures de comètes. La version d'Elvira avait été sonore, dorée, éclatante tandis que la conclusion de Lonicera était aquatique, poissonneuse et s'achevait par le visage d'Abraham s'évanouissant en un millier de bulles. Les enfants devaient retourner à leurs pavillons à 1h00 du matin, dernier délai. Avant cela, l'artisan avait lancé une longue formule visant à restaurer le réfectoire dans son état initial. Les circonvolutions de sa baguette avaient été tout aussi complexes que la première fois. Cette fois, Hercule ne s'était pas laissé surprendre et avait empoigné sa baguette pour comprendre la formule absconse employée par le fabricant de meubles ensorcelés. Elle ne lui avait pas été d'un grand secours, à part pour lui apprendre qu'il y avait des mots en sumérien.
Eugénie avait promis de renoncer à sa grasse matinée et avait tenu parole. À 6h00, elle attendait Hercule à quelques pas du pavillon Urtica. Le garçon avait apporté la couverture en poil de Demiguise au cas où des insomniaques ou des inconditionnels du Nouvel An auraient décidé de prolonger la fête jusqu'à l'aube. Les enfants s'étaient glissés sous l'étoffe et avaient disparu.
Tout en progressant à pas de loup, Hercule murmura:
—Je ne suis pas sûr que la couverture nous protège de la magie des elfes de maison. Leur pouvoir diffère des nôtres.
—Ça a l'air désert. Ils s'affairent en cuisine pour le petit-déjeuner. Ils ont presque tout rangé après l'extinction des feux.
Ils filèrent jusqu'à la salle du Sondeur sur la pointe des pieds. Une fois dans la place, ils rangèrent l'étoffe et sortirent les modèles réduits d'automobile, en métal, conçus par Sigrid.
—C'est le moment idéal pour vérifier leur fonctionnement. Bien! Allons-y!
Ils positionnèrent les exemplaires des isoloirs de gauche et de droite. Puis, Hercule tourna la clé remontoir. Les deux autres clés tournèrent de façon synchronisée. Ils s'installèrent dans l'isoloir central, bloquèrent le mécanisme et firent avancer le cadran jusqu'au numéro 34. Ils déposèrent l'auto au sol, dans l'alignement du banc. Ils allèrent vérifier que les autres modèles étaient calés sur le 34 et revinrent pour le moment de vérité.
—Par sécurité, retenez votre respiration!
Eugénie obéit et aspira une bolée d'air. Hercule s'accroupit et relâcha la sécurité. La poussée régulière eut lieu. Ils ressentirent une montée brève de la température au passage du 110 et plus intense au 290. C'était supportable.
—Nous y sommes. L'invention de Sigrid est parfaite.
—Elle est douée, ma copine! Alors, comment fonctionne ce degré?
Il n'y avait qu'une pièce simpliste réduite à sa plus simple expression, sinistre: aucune fenêtre, ni porte. Juste des murs blancs et au centre, un fauteuil en cuir, presque neuf.
—Il suffit de vous asseoir.
Eugénie se conforma à la proposition du garçon, mais ne s'enfonça pas en totalité, comme si elle craignait que le processus soit douloureux. Un filament bleu s'échappa de son crâne et vola jusqu'au mur lui faisant face. Il se mit à tourbillonner et à s'étirer sur toute la surface. Elle parut inquiète du résultat, mais retrouva le sourire lorsque la silhouette de Rostock se dessina devant elle. Elle replongea dans la folle équipée de l'année précédente où Hercule et Sigrid avaient été tractés par l'imposant équidé volant pour faire du ski joëring. Un autre filament s'échappa, puis un troisième, un quatrième. Le processus d'extraction était en route. Les vers lumineux se tortillaient et cherchaient à se faire une place sur un coin de mur. L'un des souvenirs tenta de pousser les autres, par la force. Hercule pressa l'épaule de son amie, sentant que cet épisode douloureux la malmenait. L'attaque du Spongue, l'année passée. Il y eut des cris de frayeur dans le souvenir mais aussi cette pensée, audible:
«Je vais mourir.»
—Un moment très éprouvant, confirma Hercule. Il était évident qu'il allait couvrir les autres. N'oubliez pas: vous avez le contrôle. Vous pouvez le passer en arrière-plan. Ce degré obéit à l'esprit. Allez-y… Là, ce souvenir, focalisez-vous dessus. Voyez comment il grandit parce que vous lui commandez. Vous êtes en train de courir dans le couloir menant à l'infirmerie. Vous vous retournez et… mais il s'agit de Max et Pierre!
—Oui… ils ont notre âge, là? 11 ou 12ans. J'avais oublié. Ils s'amusaient beaucoup avec moi, à me courir après, à jouer à cache-cache. Il y a peu d'élèves. Peut-être durant les vacances. Ils agissaient comme des grands frères. C'est tellement… drôle et triste…
—Je comprends ces sentiments contradictoires. Regardez, là, dans le groupe d'élèves plus âgés, derrière.
—Comment est-ce que je peux… Je veux m'arrêter là. Je veux me souvenir de cette vision, qu'elle occupe tout le mur.
Le filament s'étira et se figea.
—Vous la reconnaissez, cette jeune femme?
—Bon sang! Mathilde Pourpoint, il y a six ou sept ans! Elle devait être en dernière année de CHASSE-Magus. C'est fou! Je l'avais oubliée.
—Non. Juste rangée dans un coin de votre mémoire. Voyez cet autre souvenir.
—Celui-ci?
Elle désignait un moment où elle se trouvait dans sa chambre, dans l'appartement familial au-dessus de l'infirmerie. Elle était en train de regarder un livre aux animations simplistes, comportant un peu de texte en gros caractères d'imprimerie.
—Je connais ce livre, dit le Belge.
—Je ne m'en souviens pas.
—Ce sont les contes de l'ogre Passepoil, le dévoreur d'enfants qui éternue toujours au moment où il veut les croquer. C'est à cause d'un poil dans le nez qui le chatouille, permettant aux enfants promis à un funeste festin, de lui échapper. Votre livre a l'air neuf. J'ai également eu cet exemplaire signé Eddy Lencyclope. En… 1911. Pour mes quatre ans. Il venait de sortir. Le premier d'une série. Mes parents m'ont offert les trois exemplaires de la collection les trois années suivantes. Je suis persuadé que vous aviez le même âge que moi sur ce souvenir.
—Je n'arrive pas à trouver des instants plus anciens.
—Essayez d'étirer ce filament, en bas, à gauche. J'ai remarqué que les plus anciens ont tendance à tomber près du sol. Ne me demandez pas pourquoi, je n'ai aucune explication à vous fournir.
Eugénie se concentra pour le superposer aux autres et l'étirer, mais il résista.
—Il est ancien. C'est plus difficile, ça demande plus d'efforts.
Elle se focalisa, balayant tout le reste de l'esprit et ne gardant plus que ce souvenir qu'elle tritura dans tous les sens, jusqu'à ce qu'il forme un rectangle bleuté. Elle patienta et rien ne se passa. Ni son, ni image, ni sensation. Juste un vide sidéral et sidérant.
—Je ne comprends rien. Cela ne fonctionne plus? On a droit à un nombre limité de souvenirs?
—Non. Voulez-vous bien me laisser le siège?
—Oui, vas-y!
Elle se leva et ils échangèrent à leurs places. Elle s'assit sur l'accoudoir et l'observa. Le garçon fit jaillir une masse énorme de filaments d'un seul coup, qu'il tria a une vitesse phénoménale. Il maîtrisait l'outil qu'était son cerveau. Il piocha dans les souvenirs les plus anciens et Eugénie le découvrit dans le petit salon de ses parents, ou plutôt la vision qui en émanait. Il y avait des décorations de Noël, des cadeaux au pied du sapin mais tout semblait démesuré.
—La perspective est due au fait que je suis à plat ventre. Le 25 décembre 1907, mon premier Noël. J'ai onze mois et je ne marche pas encore.
—Waouh! Tu as accès à ce souvenir!
—Normalement, vous aussi.
—J'ai dû oublier.
—On n'oublie pas un souvenir; seulement le chemin pour y accéder.
—Ah…
Il fouilla dans la masse de filaments situés dans les hauteurs. Il en choisit un, pas vraiment au hasard.
—Voilà!
—Eh! C'est l'entraînement d'Aloysia! Tu nous espionnes pour informer Urtica! Mais… c'est pas le jour où…
—Si. La collision volontaire entre Di Maggio et Fellini.
Ils revirent l'ascension de l'Italien, envoûté, prêt à embrocher sa compatriote. Le choc, violent. La chute. L'intervention de Mondague et celle, trop tardive, du gardien. La course d'Hercule vers le château. Les suppliques dans l'infirmerie. Le retour sur le terrain de Quidditch. L'affolement général, l'attroupement des élèves, les professeurs créant un cordon de sécurité autour des deux soignants et des blessés. Les efforts désespérés d'Alfred pour sauver le transalpin.
—Je me souviens. Je me trouvais avec Sigrid et Umbelina, en face d'Elvira et d'Edmond. Di Maggio était… Eh! Qu'est-ce qui se passe?
Le souvenir s'effaça et il n'y eut plus que du bleu sur le mur blanc. Un grésillement, comme un acouphène, remplaça le brouhaha des élèves terrifiés par la tragédie.
—Voilà! Ça, c'est le résultat d'un Oubliette opéré par Armand.
—Quoi?
—Vous allez voir. Le souvenir va revenir. Regardez bien. Là!
Alfred réapparut, soulevant Marcello installé sur un brancard et l'emmenant jusqu'à l'infirmerie en compagnie de Fellini. Comment le brancard était-il apparu? À quel moment le docteur avait-il cessé les gestes de secours? Pourquoi étaient-ils vains et cinq minutes plus tard, couronnés de succès?
—Ce bleu permanent sur un souvenir, c'est le résultat d'un Oubliette?
—Tout à fait. J'ai pu identifier cet Oubliette collectif destiné à nous faire oublier le Fulguracrucio d'Umbelina. Je suis presque sûr d'en identifier un second l'année dernière, lorsque Umbelina et moi avons quitté l'hôpital.
Eugénie sourit.
—Je prends ça pour un oui. Reprenez ma place.
Il quitta le fauteuil et elle se laissa choir. Ses filaments revinrent.
—Maintenant, concentrez-vous sur les filaments tout en bas. Essayez de les étirer et de les poser sur le mur de gauche, comme une série bien rangée, à la taille de vignettes vous permettant d'avoir un aperçu de leur contenu. Oui, comme ça, vous êtes de plus en plus à l'aise avec ce degré magique.
—Mais… Hercule, tout ce que je viens d'étirer, est… bleu! Il n'y a rien avant le 22 janvier 1911. Tout a été oublietté!
Le Belge frémit. Eugénie allait de plus en plus vite à piocher dans son passé et à afficher le contenu. Il était uniforme, à part quelques nuances de bleu et des fréquences sonores subissant des distorsions.
—Purée de patate! Mon père m'a nettoyé la cervelle! Il a effacé toute mon enfance avec ma mère! Je vais le tuer!
—Eugénie, je vous en prie…
Elle bondit hors du fauteuil comme un diable à ressort de sa boîte. Elle hurla:
—Il m'a volé! Il a volé ma vie!
Hercule s'empara de ses poignets raidis et l'attira à lui. Elle tambourina sur sa poitrine et fondit en larmes, alternant entre rage et désespoir, révolte et abattement, sanglots et insultes. Elle finit par ne plus que pleurer sur l'épaule du garçon, silencieux, se contentant d'accueillir sa peine.
Depuis plusieurs jours, l'héritière de Beauxbâtons enrageait. Il avait fallu toute la force de conviction de ses camarades pour la faire renoncer à un scandale dans le restaurant, au moment où son père serait à table, entouré de ses confrères et consœurs. Depuis son effroyable découverte, elle ne rêvait que de vengeance, en appliquant la touche paternelle d'humiliation. En cours, elle avait toutes les peines à se concentrer et lors du premier club de duel de la nouvelle année, le mardi 7 janvier, elle était si déchaînée qu'elle avait envoyé deux élèves –d'Arcy et Rostang de Hautefeuille –à l'infirmerie, tant ses Stupefix avaient transpiré la hargne. Si Elvira avait été satisfaite des progrès de la jeune fille, elle avait lu l'inquiétude dans les yeux de ses camarades de l'ordre Gerbera. L'élève travestie en Japonaise, épanouie, ravie, du 31 décembre, n'existait plus. Elvira s'était heurtée à un mur bleu en tentant de la sonder pour en savoir plus. Elle n'avait pas insisté. Tôt ou tard, l'enfant perturbé exploserait comme une grenade moldue dégoupillée.
À l'issue des deux heures d'entraînement au combat, le professeur profita de la réunion des trois ordres pour faire une annonce.
—Avant de nous quitter, j'ai une nouvelle à vous communiquer. Rosier, merci de transmettre à Hautefeuille et d'Arcy qui sont absents. Voilà, chaque année, il y a au moins une sortie prévue pour chaque niveau. Le choix a été arrêté. En avril, les élèves de deuxième année, encadrés par la professeure Waldmeister, iront visiter la ferme des Boulanger située à Orgeix, en Ariège. Étant donné la proximité de cette ferme, vous vous y rendrez avec le carrosse de l'école. La date précise vous sera bientôt communiquée. Je tiens à vous avertir: si des remarques que je jugerai déplacées, sont faites avant, pendant ou après cette visite, je ferai en sorte que l'auteur soit renvoyé de l'Académie de manière définitive et je m'arrangerai pour que sa famille en supporte aussi les conséquences.
La proclamation fit l'effet d'une douche froide chez les suprémacistes, déstabilisés avant d'avoir pu blâmer quoi que ce soit. Elle libéra les élèves mais retint Eugénie. La petite frisée joua les innocentes:
—Oui, Professeur?
—Que se passe-t-il?
—Je ne comprends pas.
—Tu as démoli deux camarades, en mettant une violence et une rage dans tes sorts que je n'avais jamais vues.
—Je travaille mes sortilèges d'attaque, Madame.
Elvira soupira, puis secoua la tête.
—Libre à toi de te taire.
—Je n'ai fait que ce qui était demandé. En plus, des suprémacistes, je ne vois rien de choquant de leur rappeler les règles de comportement dans l'enceinte du château.
L'enseignante ne pouvait pas la sermonner pour avoir mis du cœur à l'ouvrage.
—Tout se passe bien avec tes amis?
—Parfaitement.
Elle n'insista pas. Elle ne tirerait rien de l'élève trop polie pour que cela ne soit pas louche. Elle la libéra sans cesser de se demander quel phénomène l'avait changée.
Dehors, en se dirigeant vers le pavillon Aloysia, Eugénie avait ressenti une vibration dans la montre offerte par l'ordre. Elle avait consulté le cadran. Il s'agissait de la rune d'Hercule. Elle avait alors poursuivi son chemin en direction du bois.
Quelques jours auparavant, la veille de la reprise des cours, un seul élève ne faisait pas la grasse matinée. Enfin, deux si on comptait Rosier, systématiquement sanctionné, suite à ses débordements verbaux. Hercule, en uniforme d'Urtica, se tenait droit comme un i dans le bureau d'Armand. Ce dernier ne lui accordait pas un regard, plongé dans la lecture de ses courriers, bien plus intéressants qu'un élève puni. Pourtant, le jeune Belge était persuadé de détenir le rouleau, expédié et livré par hibou, le plus captivant du jour. La missive était signée par Gervais Delacour.
Dès le 1er janvier, Hercule lui avait adressé une courte demande ainsi libellée:
«Beauxbâtons, le 1er janvier 1919
Cher monsieur Delacour,
Je prends le temps de vous écrire, car le soir du 31, vous étiez très occupé avec la magnifique mise en scène du restaurant. J'ai été très touché que vous me trouviez du talent et que vous soyez prêt, un jour, à me compter parmi vos employés.
Je vous ai demandé s'il me faudrait suivre le même apprentissage que vous, à savoir: la CHASSE-Enchant'art, complétée par une formation soit générale, soit très spécifique.
À ce jour, deux avenirs se dessinent devant mes yeux d'enfant: l'un est en lien avec la résolution de mystères, l'autre avec la création magique. Il me faut trouver des moyens de comparer les voies, d'en mesurer la difficulté.
Par avance, je vous remercie pour vos éclairages.
Bien amicalement.
Hercule Van Betavende.»
Le garçon avait lu et relu son courrier pour s'assurer qu'il soit assez clair pour Gervais et sibyllin, s'il était intercepté. La réponse avait été limpide et la suspicion confirmée:
«Py, le 4 janvier 1919
Cher Hercule Van Betavende,
Je reçois, ce jour, votre passionnant message. Vous exposer, dans ce courrier, l'histoire d'un pan de ma vie, serait impossible. Vous recevrez ma biographie sous peu.
À bientôt.
Bien cordialement.
Gervais Delacour.»
Le courrier avait mis quatre jours à parvenir à l'entreprise Delacour alors qu'à vol d'oiseau, il n'y avait qu'une heure. La conclusion était évidente: son rouleau avait été intercepté. Soit les Vans Kriedt rôdaient dans les parages, soit quelqu'un l'avait subtilisé après son dépôt dans les casiers de l'école. Détourné, renvoyé aux Hollandais pour être décortiqué, puis expédié. En revanche, la réponse n'avait pas été captée. Hercule pencha pour un détournement intérieur. Qui pourrait aider les ennemis de sa famille, au sein de l'établissement? Les noms ne manquaient pas au rang desquels on retrouvait l'incontournable Thibaldus. Hercule devait s'assurer du départ et si possible, ne confier les lettres les plus secrètes qu'à Edgar qui se faisait trop rare.
La cheminée d'Armand s'enflamma d'un coup et Mathilde Pourpoint fit son apparition. Elle salua le directeur qui ne lui accorda qu'une attention modérée.
—Bonjour, Hercule. Tu sais comment fonctionnent les cheminées?
—Oui, Madame.
—Parfait. Entre le premier. Tu prononces juste «ministère de la Magie française».
Il suivit les consignes et débarqua dans l'une des cheminées publiques au cœur du ministère. Il n'eut pas le temps d'admirer la décoration: Mathilde venait de se matérialiser deux cheminées plus loin. Il y avait foule et les lieux étaient si vastes qu'il était aisé de s'y perdre.
—Viens par là!
Ils arrivèrent au point de contrôle. Le sorcier, à demi gobelin par la tête et troll pour le reste du corps, dominait Mathilde de deux têtes. Ses mains étaient si larges et épaisses qu'elles avaient sûrement été créées pour broyer de la roche, voire du sorcier récalcitrant. Mais le pire, c'était son unique œil à droite et l'absence d'orbite à gauche.
—Baguette!
L'Auror lui tendit l'objet réclamé. Le vigile approcha un Scrutoscope, observa la réaction, huma le bois et parut satisfait.
—Suivant!
—Ce garçon est avec moi, coupa madame Pourpoint.
—Baguette! beugla le cerbère.
Hercule tendit le bras et éjecta la création de Garrick Ollivander. Le gardien sursauta, ne s'attendant pas à ce genre de surprise de la part d'un enfant. Il avait déjà la main sur son arme, prêt à lancer un sortilège. Une fois remis de sa frayeur, il posa ses pattes graisseuses sur le cèdre du Belge qui crut sa dernière heure arrivée, tout comme celle de sa baguette. Celle de l'homme faisait près de quarante centimètres, pour quatre ou cinq de diamètre et n'était pas ouvragée. Elle avait tous les attributs d'un gourdin. Il suivit la procédure d'inspection et rendit l'objet à son propriétaire. Hercule ne put s'empêcher de l'essuyer avec un mouchoir avant de la remiser dans son étui. Mathilde ricana:
—Alors ça, il ne s'y attendait pas, le Bécut!
—Un Bécut?
—C'est une sorte de cyclope géant qu'on rencontre en Gascogne et dans les Pyrénées.
—Ça existe?
—Oui.
—Mais s'ils sont géants, les Moldus les remarquent, non?
—Le Bécut est anthropophage. Il ne laisse jamais de témoin. Tout au plus, quelques os. Nous, on l'appelle comme ça mais en fait, c'est un ancien Auror trop… usé par le combat.
—Oh! S'extasia Hercule.
—Il n'a pas son pareil pour détecter les buveurs de Polynectar, les hybrides et les resquilleurs.
Elle stoppa son avancée, regarda Hercule droit dans les yeux et esquissa ce sourire trahissant un appel à la voyance.
—Quoi que… il se ramollit.
—Ah bon?
—Ne fais pas l'innocent! Tu as l'autre baguette sur toi. N'est-ce pas?
—On ne peut rien vous cacher.
—Oh ça, tu peux le dire! s'amusa-t-elle.
Ils parvinrent enfin au Département où le bureau des Aurors avait ses quartiers. Il comportait quatre pièces fermées par des portes pleines, épaisses, avec trois serrures chacune. Il s'agissait des salles d'interrogatoire et des annexes. À côté de cela, il y avait un immense espace commun rempli de mobilier et de travailleurs. Au fond trônait, sur une estrade, le poste du Commandant. Du pied de son promontoire partaient six colonnes de bureaux tournés vers Guillaume de Franjac, avec, en première position, les chefs de groupe. Chaque poste de travail était éclairé par un Feu Éternel, suspendu au-dessus du sorcier et par une lampe de bureau à lucioles. Quelques meubles étaient inoccupés: des Aurors, en mission, sur le terrain ou des défections récentes. Plus on s'éloignait de l'estrade, plus on occupait une place au bas de la hiérarchie. En queue de colonne, un bureau sans affectation servait de déversoir à dossiers non classés. Hercule estima la volumétrie à deux mètres cubes, entre ce qui était empilé sur le plateau, le siège, sous le plateau et tout autour, empiétant sur l'allée. Elle le conduisit jusqu'à Guillaume. Il avait le sourire.
—Van Betavende! Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que je vais devoir m'entraîner à prononcer votre nom. Souvent.
—Bonjour, Monsieur. Vous n'aurez à le faire que les dimanches de janvier, j'espère.
—Les punitions sont faites pour passer l'envie de recommencer. Néanmoins, Pourpoint, je vous fiche mon billet qu'il le referait à l'identique, n'est-ce pas?
—Je partage votre avis, Monsieur.
Hercule se passionna soudain pour ses souliers, rougissant comme un Malagrif passé au court-bouillon.
—Je vous laisse lui expliquer pour le merd… tas de bazar.
—Très bien. Viens, Hercule. Bon, on va faire sans manières, on peut se tutoyer.
—Je regrette, Madame. Je ne tutoie pas.
—Comment ça? Et tes parents?
—Ni mes parents, ni mes amis, ni les elfes de maison.
—Ah… Bon, comme tu veux. Alors, pour le travail, il va te falloir ouvrir tous les dossiers. Sans exception. L'objectif est de les archiver quand ils sont complets. C'est dans la salle de droite. Celle d'à côté, ce sont les saisies, les pièces à conviction. Les deux autres servent pour interroger les prévenus. Pour chaque document officiel, tu dois contrôler les dates, les signatures, la liste des pièces à conviction. Tu dois croiser la liste avec les pièces des scellés, juste à côté des archives. S'il manque des signatures, des pièces, tu devras voir avec l'Auror qui aura traité le cas. S'il est absent, tu viens me voir et on avise.
—Puis-je organiser mes tâches?
—C'est-à-dire?
—Commencer par parcourir tous les dossiers, mettre ceux de côté qui sont incomplets avec un numéro et les éléments à vérifier, vous soumettre ceux qui sont complets pour double vérification?
—Tu vois ce qui te semble le plus efficace.
—Entendu.
Le garçon posa son sac sur le dossier de la chaise et se débarrassa de sa cape, encombrante. Il sortit son nécessaire à écriture et quelques parchemins vierges. Mathilde déposa un rouleau par-dessus.
—Ça vient de tu-sais-qui. Il me l'a envoyé, convaincu que mon courrier ne serait pas surveillé.
—Le mien a été détourné dans l'enceinte de Beauxbâtons.
—C'est fâcheux. Désormais, privilégie le carré magique. Dans ce cas, je transmettrai à Gervais.
—D'accord.
—Je te laisse lire et travailler. Aujourd'hui, je reste au bureau, sauf s'il y a une urgence.
Elle s'installa un peu plus loin. Il considéra le monceau de dossiers et soupira. Il commença par dévorer le courrier du fabricant de meubles magiques.
«Cher Hercule Van Betavende,
J'ai eu connaissance des soucis du Sondeur. Je ne connais pas de remède, hélas! J'ignore même, vu la nature de ce personnage, si c'est une potion, un onguent ou un sortilège qu'il faut pour le tirer d'affaires. Je pense que la solution se trouve dans LA bibliothèque. Cependant, même si monsieur Gutenberg a tout lu, cela ne fait pas de lui un sorcier, encore moins un médicomage. Pas simple, cette affaire.
Concernant la proposition d'enseignement de Triplesec, le Gobelin, j'avoue que j'ai vécu trois années d'enfer, car il n'hésitait jamais à faire usage de sévices corporels lorsque je commettais des erreurs. Il se vengeait de la condition de Gobelin vis-à-vis de la communauté sorcière, si vous voyez ce que je veux dire. Je sais que vous aspirez à devenir Auror-Enquêteur et que votre réputation naissante se répand comme une traînée de poudre. Mais vous avez découvert ce nouveau talent –latent (jolie anagramme, n'est-ce pas?). Cette capacité n'est pas si répandue. Rares sont les sorciers capables de créer des artefacts magiques et exceptionnels sont ceux aptes à engendrer des baguettes. Je vais vous faire une proposition et vous laisser le temps d'y réfléchir. D'abord, je vous mets au défi de réaliser trois baguettes dans des essences de bois que je vais vous faire parvenir. Charge à vous de trouver des inclusions de créatures magiques.
Si vous réussissez ce défi, je m'engage à vous recevoir cet été, à Py, nourri, logé et rétribué pour vous apprendre durant les vacances. Je suis bien moins brutal que Triplesec, je vous l'assure. Je vous enseignerai la manière d'ensorceler les meubles et toutes sortes d'objets. En échange, vous créerez une petite collection de baguettes. Bien sûr, je sais que vos parents vous manquent. J'espère de tout cœur que cette sombre histoire de vengeance sera vite close et que vous pourrez rentrer au pays. Ma porte est ouverte et je ne vous embrocherai pas si vous refusez ma proposition.
Concernant la salle du Sondeur, méfiez-vous des degrés. Le degré 50 paraît très attirant, comme celui des Muses mais c'est trompeur. En fait, il faut entrer dans un degré avec un objectif précis pour en exploiter les caractéristiques et s'en tenir à cela. Bon, le 290, lui, je n'ai vraiment rien trouvé à en tirer. Le 40, à moins de vouloir devenir bijoutier, il ne m'a jamais inspiré. Ce n'est que mon avis.
À très bientôt.
Amicalement.
Gervais Delacour, fabricant de meubles magiques.»
Le garçon roula le parchemin et le rangea dans son sac. Il fit le vide en lui pour ne pas se laisser distraire par la fantastique proposition de monsieur Delacour. Il décida de commencer par la consultation des dossiers qui avaient été glissés sous le bureau, afin de pouvoir y glisser ses pieds à la fin du mois. Il tira une rallonge intégrée au plateau, déposa une bonne vingtaine de dossiers, prit sa plume et traça un tableau sur le parchemin vierge. Il ouvrit le premier dossier et nota le numéro d'enregistrement officiel. Il parcourut le compte-rendu, nota que la date du procès-verbal manquait à côté de la signature de l'Auror et qu'une coquille avait été introduite dans l'identité du plaignant prénommé Jaen au lieu de Jean. Il précisa que les nombreuses fautes et mots oubliés rendaient le document peu pratique à lire, voire pouvaient créer des confusions. Il était indiqué que la photographie animée de l'artefact dérobé à la victime, une clé terminée par le visage d'Anubis, était annexée. Or, le cliché brillait par son absence. Comme il n'y avait aucune mention d'un numéro de casier dans la salle des scellés, elle ne pouvait pas s'y trouver. Il posa le dossier sur sa gauche. Le dossier suivant n'était pas monté par le même Auror. Hercule identifia le nom du rédacteur: Meursault. Son interrogateur à l'Académie. De toute évidence, l'irascible bonhomme était méthodique et soigneux dans la constitution des dossiers envoyés devant le Tribunal Administragique. L'affaire portait sur une production de potion de sommeil frelatée, une mauvaise copie de Ipnosia, en vente chez tous les bons apothicaires. Perpetipnos, la jumelle bancale, plongeait le consommateur dans le sommeil… éternel lorsqu'elle était consommée avec d'autres médications contenant de l'asphodèle ou de la valériane. Avec quatre morts et deux comas profonds à l'hôpital Bonpied, les trois sorciers écoulant leur production sous la cape étaient coupables d'assassinat. Tout était consigné, précis, rédigé dans un français très correct. Une liste des pièces était jointe: il devrait trouver quatre fioles de potion, trois baguettes saisies aux protagonistes, un chaudron en étain contenant quelques résidus de la fabrication. Il y avait aussi un reçu de la somme saisie sur place, près de sept mille Gallions, versés sur un compte séquestre du ministère de la Magie ainsi que trois photographies des individus. Hercule considéra qu'il n'y aurait qu'à vérifier la correspondance des pièces et le dossier serait complet. Il passa au suivant et poursuivit, notant tout, classant par numéro d'enregistrement au fur et à mesure. Au final, il ne fit qu'une courte pause pour déjeuner et présenta près de 90 dossiers complets à insérer aux archives et une douzaine à compléter. À la fin de la journée, lorsqu'il fut sur le point de regagner l'Académie, il s'approcha de Mathilde avec la pile traitée et se racla la gorge, gêné par une affaire de vol de Gallions.
—Oui? Tu as traité tout ça?!
—Oui, Madame. J'ai vu avec les personnels pour les vérifications, les compléments, les signatures. J'ai vérifié les pièces. Tout est noté sur ce parchemin. Il ne reste que douze dossiers en souffrance où j'ai indiqué ce qui manque. Euh…
—Oui?
—J'ai… euh… un souci avec le 1917-11-023.
—Quel est le problème?
—Le procès-verbal mentionne que 5000 Gallions, provenant du cambriolage chez un particulier habitant près de la Place Cachée, ont été retrouvés lors d'une perquisition menée par l'Auror Marcel Minasse. Le reçu du dépôt à la banque Pasdelazare indique 5000 Gallions.
—C'est concordant.
—Pas avec la photographie.
Il retira le cliché animé pris le jour de la descente des Aurors et le posa devant les yeux de sa supérieure.
—Vous voyez, la table adossée au mur, sur laquelle tout le butin a été déposé? Les Gallions forment des piles de cinquante pièces. Il est assez facile de les compter. Il y a dix colonnes.
—Je suis d'accord avec toi. On a 500 pièces.
—Et là, il y a une baguette posée sur la table, perpendiculaire au mur.
—Tout à fait.
—Il s'agit de celle de l'Auror Minasse. L'année dernière, il est venu nous interroger, moi et Umbelina, à propos de l'évasion de la professeure Obscur de l'hôpital Bonpied. Il nous avait administré du Veritaserum.
—Vilaine affaire. Et donc?
—Monsieur Minasse a tellement brandi sa baguette sous mon nez que ma mémoire ne peut se tromper. Elle mesure trente centimètres. La photographie nous montre seulement deux dimensions: la hauteur de 50 pièces et la largeur, 10 piles. S'il y a 5000 pièces, nous devrions donc avoir 10 piles de profondeur. Or, on voit que la baguette, posée à côté, fait la moitié de la profondeur.
—Oui.
—Si la moitié est égale à 30, la totalité en fait 60. Un Gallion faisant cinq centimètres de diamètre, cela nous donne 12 piles. Il y a donc, sur cette photo, 6000 Gallions et non 5000 comme déclaré et remis en banque.
Mathilde n'en crut pas ses yeux. Le cliché avait été pris de façon à rendre le comptage impossible. Mais un élément mesurable, intégré au plan photographique, permettait d'extrapoler la numération exacte. Elle dévisagea le garçon et murmura:
—Mince!
Puis elle réfléchit et demanda:
—Est-ce qu'il manque autre chose?
—Non, le reste du dossier est exemplaire.
—Il a été visé par un supérieur?
—Oui. Monsieur Marcel Minasse était chef de groupe. C'est donc Bernard Favori, l'ex-commandant qui a contre-signé.
Mathilde se frotta les mains et lâcha:
—Le commandant cherchait de quoi coincer Minasse et Favori. Tu viens de lui donner du grain à moudre. Mille Gallions, ce n'est pas une fortune mais…
—… d'autres affaires comportent peut-être des détournements pour amplifier l'action.
Mathilde, les éléments en main, entraîna Hercule avec elle et présenta le cas à monsieur de Franjac. Le père de Max félicita le garçon pour cette trouvaille et lui promit une prime s'il parvenait à débusquer d'autres affaires tordues dans les archives ou dans l'encours à traiter.
Le temps de retourner à l'Académie fut arrivée et Mathilde le raccompagna comme promis. Le soir, après avoir narré l'affaire à ses amis, au restaurant, et avoir regagné sa chambre, il fit face au cruel dilemme: devenir fabricant de baguettes ou Auror-Enquêteur? Le choix le tarauda une partie de la nuit.
Eugénie entra dans le quartier général où tout le monde l'attendait. Hercule tira une chaise près de lui et l'invita galamment à prendre place. L'héritière de Beauxbâtons était toujours sous le coup de l'émotion accentuée par la violence déchaînée en club de duel. Elle n'avait qu'une envie: manger et se coucher. Elle demanda:
—Tu voulais nous voir?
—Oui. C'est à propos du 1er avril. Comme vous le savez, c'est le jour où aucun adulte n'est présent et où nous pouvons faire tout ce que nous voulons. Je compte mettre à profit cette journée pour explorer un degré particulier du Sondeur. Samedi, je suis allé le voir. La zone contaminée n'a pas évolué. Nous n'avons pas constaté d'autres symptômes dans l'Académie, mais nous n'avons pas les yeux partout. Je vais aller dans le jardin du degré 140. Il y a des plantes, des fleurs rares qui pourraient entrer dans la composition d'une potion. Je veux profiter de ce jour pour avancer sur une solution pour le Sondeur.
—Et pour la prophétie bleue? On n'avance pas du tout.
—C'est juste, Umbelina. Je crois qu'en découvrant, en apprenant, en nous enrichissant d'autres expériences, des idées neuves, des pistes peuvent surgir.
—Il faudrait constituer des binômes pour explorer. Ce serait plus sécurisant et plus stimulant.
—Je partage votre avis, Shin.
—Je pense être la personne qui devrait t'accompagner, Hercule.
—J'en suis convaincu, Sigrid. De nous tous, vous êtes la plus douée en potions. Votre analyse sur place serait un avantage.
—Je viendrai avec toi et je prendrai quelques manuels de botanique. Et toi, Eugénie, il y a un degré qui te tente?
—J'ai déjà quelque chose prévu pour le 1er avril.
—Ah bon? fit Katarina. C'est du ski joëring comme l'année dernière?
—Qu'est-ce que tu vas faire? demanda la princesse.
—C'est personnel.
—Mais tu peux bien nous dire? insista la Portugaise.
—Laissez-la tranquille, coupa Hercule. Eugénie a une mission. Elle seule peut la mener à bien.
—Ah bon?
Le garçon fit en sorte de clore le débat en orientant la conversation sur le Sondeur. Il expliqua qu'Ambroisine Fordecafé lui avait fourni la recette de la potion de révélation et de fixation pour développer les clichés réalisés, ainsi que les étapes à respecter. Il pensait pouvoir compléter l'album photo d'ici une quinzaine de jours, le temps de préparer les réactifs et les fixateurs magiques. Il leur rappela avec gentillesse que le 1er avril, chacun était libre de faire ce qu'il voulait. Il n'y avait aucune obligation. La Portugaise réagit avec vigueur:
—Tu n'imagines tout de même pas que tu vas être le seul à explorer un degré! s'insurgea Umbelina. J'en serai! Et tu sais quoi? Je vais aller là où tu n'as pas osé! Le truc avec plein d'encens brûlant.
—Le degré 310.
—Voilà! C'est facile! Je prends un balai et on passe au-dessus.
—Je vous accompagne, décida Shin.
—Pourquoi? questionna Umbelina. Je suis assez grande pour y aller seule.
Il retira ses mains de la table et dévoila des pétales de fleurs.
—Parce que les fleurs disent que je dois venir.
—Ah…
—Je viens aussi, ajouta Katarina. Des brûlures d'encens, je dois pouvoir agir si c'est nécessaire.
—Alors, c'est décidé. Nous avons nos objectifs. Ce sont les meilleurs degrés, avec LA bibliothèque, pour trouver une solution pour notre Sondeur.
Les enfants ne se contentèrent pas de cet ordre du jour: ils voulaient en savoir plus sur la lettre qu'Hercule avait reçu de la part de Gervais Delacour. Il leur expliqua que le fabricant lui avait lancé un défi. Ils eurent droit au déballage du colis reçu quelques minutes avant de venir au quartier général.
—Vas-y! Ouvre-le! Oui! Ce sont des… bouts de bois?
Eugénie, déçue, fit la moue.
—À transformer en baguettes opérationnelles, compléta le garçon.
—J'avais compris qu'il t'avait envoyé des baguettes de sa composition et que tu devais les analyser, les comprendre, les faire fonctionner, quoi!
—Pas du tout. Je dois reproduire le miracle du châtaignier. A trois reprises. Si je réussis, je pourrai apprendre avec un grand artisan.
—Je n'ai jamais vu ces essences, avoua Sigrid, en les manipulant.
—Il y a un petit mot explicatif: «Pour vos travaux pratiques. Le bois pourpre-violet est de l'amarante, venant du Mexique. Le morceau strié de jaune orangé allant jusqu'au brun vient de l'arariba, un arbre du Brésil. Le dernier, gris avec des nuances de vert, est issu du célèbre camphre qui pousse en Asie du Sud-Est. Attention: la manipulation de ses essences peut entraîner des maux de tête, des nausées, des irritations, voire des difficultés respiratoires avec le camphre. Voilà quelques avertissements auxquels vous devrez prêter attention sinon, vous battrez le record des nuitées à l'infirmerie. Bon travail. GD.»
—Uniquement des essences exotiques. Ce n'est pas le père de Garrick Ollivander qui pourra t'aider. Il n'utilise pas ce genre de bois. Qui l'utilise?
—Le fabricant qui fournit des baguettes aux élèves de Castelobruxo, répondit Hercule. L'école de magie cachée au cœur de l'Amazonie.
—Le camphre m'a l'air d'être un vrai poison à travailler! jugea Eugénie. Ça vient d'Asie. Il est utilisé, au Japon, Shin?
—Non. Le fabricant dont j'ai connaissance, madame Fujita, utilise quatre essences. Pin rouge, cerisier, érable et ginkgo biloba.
—Il va falloir trouver des cœurs à insérer?
—Oui, Katarina. Je dispose déjà d'une moustache de Bayours. Mais je vais devoir trouver d'autres éléments. Or, dans la ménagerie, il n'y a pas de Phénix, de Licorne ou de Dragon en vue.
—Si tu veux une baguette maléfique, je peux piquer un cheveu de mon père.
Hercule releva la blague et redressa la tête sur le côté, les lèvres troussées, très amusé par la réflexion. Il répliqua pour abonder dans son sens:
—Nous sommes à Beauxbâtons, pas à Durmstrang.
—Ah oui! J'ai oublié. Et du crin d'Abraxan, ça fonctionnerait?
—Je le pense. Mais…
—C'est trop simple, n'est-ce pas?
Sigrid, la sage, l'avait déjà jaugé.
—Oui, avoua le Belge. Je refuse de céder à la facilité. Monsieur Delacour attend une production d'exception. Je… je ne peux pas échouer.
—Ça n'arrivera pas. Tu vas créer des baguettes plus puissantes que tout ce que ces clowns de Cosme Acajor sont capables de pondre! On se battra pour les acheter!
L'assurance d'Eugénie avait de quoi réchauffer le cœur. Le garçon y vit la monnaie de son Gallion, sorti pour protéger son enquête personnelle. Elle tenait à ce jardin secret et c'était louable. C'était d'autant plus justifié que son père, pour une raison inconnue, avait fait barrage dès son plus jeune âge. Ce mystère n'appartenait qu'à elle et il ne l'aiderait que si elle réclamait son soutien. Cependant, lui aussi, il était en ébullition. Il ferait bien avaler du Veritaserum au médicomage, s'il en avait sous la main. À moins qu'il ne réalise le tour de force accompli avec Rosier, l'année dernière? L'amener devant la porte du quartier général, inconscient. Non. Ce ne serait pas simple à organiser, Eugénie serait désignée comme coupable puisque la seule à pouvoir accéder à l'appartement. Sans compter que le docteur prenait des somnifères, depuis des années. Toute nuit anormale lui mettrait la puce à l'oreille et il serait capable de se faire porter pâle, de se soustraire à l'interrogatoire. Il fallait faire confiance à Eugénie. Elle vaincrait.
—Vaincre… murmura-t-il. Vaincre… je sais! Oui, je sais.
—Quoi? s'inquiéta Sigrid.
—Non, rien. Vous ne saurez pas. Vous désapprouveriez dans la seconde.
—Tu m'inquiètes!
—Tu nous inquiètes tous! insista Umbelina.
Il les dévisagea, un à un. Il leur dirait au revoir samedi prochain. Ensuite, il irait à la chasse à l'inclusion magique.
