Sortilège 33: vengeances

Le 26 janvier marquait la fin de la punition d'Hercule au bureau des Aurors. Le garçon avait atteint l'objectif qu'il s'était fixé: pouvoir glisser ses pieds sous le bureau. Hélas, il avait manqué de temps pour écluser les dossiers encombrant l'allée ou formant une tour de près de deux mètres cubes, entassée sur le plateau. Néanmoins, il était fier de lui, et à plus d'un titre. Ses fouilles dans les archives et ses remarques avaient souligné des irrégularités supplémentaires à mettre sur le compte de Minasse. Rien n'arrêtait ce truand: alcool, produits d'apothicaire, bijoux, argent liquide, vaisselle précieuse, antiquités venues d'Extrême-Orient, artefacts gobelins, le corrompu s'était constitué un trésor de guerre dans le modeste deux pièces qu'il louait à des Moldus. Lorsque Bernard Favori avait été contacté et sommé de s'expliquer, il s'était aussitôt défaussé sur son ex-subalterne, avant même que la première question ne lui soit posée. Une attitude suspecte, très révélatrice. Cependant, il faudrait remonter dans les archives pour ratisser les dossiers de l'époque où l'ex-commandant n'était qu'un simple Auror. L'élagage des branches pourries entreprise par Guillaume de Franjac n'en était qu'au début.

Aux alentours de 17h00, Mathilde s'approcha d'Hercule.

—Tout se passe bien?

Il désigna l'ensemble des dossiers complets du jour et ceux en souffrance. Il crut bon de s'excuser:

—Je ne pourrai pas tout traiter. J'en suis navré.

—Tu as déjà abattu un travail considérable, crois-moi! Le commandant souhaiterait te voir. Dans la salle numéro 1.

—Maintenant?

—Oui.

—Entendu.

Il se leva, remonta l'allée et toqua à la porte. Il entendit Guillaume l'invitant à entrer.

—Referme la porte derrière toi, s'il te plaît. Viens. Assieds-toi. Je voulais te parler d'un point qui te touche de près. Il s'agit de la lettre concernant ton oncle. Si je n'ai pas pris le temps de te répondre, c'est parce qu'entre-temps, je suis entré en contact avec mes homologues anglais et belge, messieurs Travers et Cielen.

Il soupira et reprit:

—Tu ne vas pas aimer ce que je vais te dire. Les preuves sont à la fois accablantes et indirectes. La baguette de ton oncle a bien lancé trois sortilèges de la mort.

—C'est tout bonnement impossible. Waldo a souvent des ratés dans sa magie.

—Je comprends et j'avoue qu'un procès expédié en moins d'une heure, ça s'apparente à une parodie. Pour parvenir à lancer trois Avada Kedavra de suite, il faut baigner dans la magie noire depuis des lustres. Tuer consume l'âme du sorcier, l'accomplir trois fois de suite est dévastateur, à moins d'être un assassin professionnel ou d'être sous l'emprise d'une créature infernale comme un démon. Or, d'après Travers, ton oncle, lors de son procès, a nié tous les crimes et avait l'attitude d'une personne saine d'esprit et non sous l'emprise d'une puissance maléfique.

—Ont-ils relevé les empreintes sur la baguette? Ont-ils trouvé du sang étranger sur mon oncle? Ont-ils trouvé des témoins sur place?

—Allons, Hercule, tu te doutes bien qu'il n'y a rien eu de tout cela. Tout est parti d'une dénonciation anonyme, reçue par le Premier Ministre moldu anglais qui a transmis à son homologue sorcier. Une dénonciation intraçable mais des faits vérifiables, car il y avait bien trois cadavres.

—Il faudrait mener une enquête parallèle! Tout reprendre à zéro.

—Tu le pourras lorsque tu atteindras l'âge de 17ans. À ce moment, tu pourras accéder à Azkaban et à la baguette de ton oncle, la seule preuve passée entre toutes les mains des Aurors et des magistrats du Magenmagot. Tu imagines l'état de la preuve. Et encore! Travers s'est montré plutôt coopératif parce qu'il a lui-même jugé le dossier très léger. Seulement, le ministre de la Magie anglaise cherche toutes les occasions d'affronter la France et la Belgique. Il voue une haine viscérale aux «mangeurs de cuissots de Taupitambours», selon son expression favorite. Ta missive l'aurait agacé au plus haut point, d'après Travers.

Guillaume lut la déception dans les yeux de l'enfant. Il ajouta:

—Je suis navré de ne pas pouvoir en faire plus.

—Merci, Monsieur.

—Ton passage parmi nous a été très apprécié. Même Meursault s'est fendu de compliments. Un exploit, quand on sait comment s'est passée votre entrevue à l'Académie. Enfin…

Il commit une pause avant de reprendre:

—Je me demande si pour… disons… vingt Gallions par dimanche, tu accepterais de revenir? Je régulariserais le paiement du mois de janvier. Ce n'est évidemment pas le salaire d'un Auror. Cela me serait interdit. Mais, c'est une sorte d'arrangement toléré.

—Je suis très flatté.

—Hum, hum… C'est très intéressé de ma part. Quand on déniche un talent comme le tien, ce don d'observation, d'assemblage des petits détails, cette capacité d'invention comme ta potion pour détecter du sang ou ta méthode de comparaison d'empreintes digitales dont Mathilde nous a parlée, on ne peut pas rester les bras croisés et gérer sa carrière. Certains Aurors affichent des ambitions politiques et grimpent les échelons avec l'objectif final de devenir ministre de la Magie ou président du Tribunal Administragique. Ce n'est pas mon cas. Je considère que je suis au faîte de ma carrière, que je suis là où je dois être. Je suis ici pour réformer le bureau des Aurors, améliorer la formation, assurer de présenter des affaires où les authentiques criminels n'ont aucune chance de passer entre les mailles du filet de la justice. Des personnes comme toi partagent cet idéal. J'en suis juste conscient.

Tout à coup, la porte s'ouvrit en grand. Deux Aurors bruns, aux yeux noirs, le teint mat, coiffés à l'identique, si semblables qu'on les prendrait pour des frères, firent irruption en tenant un suspect par les bras, sous la menace de leurs baguettes. La salle étant occupée, ils se confondirent en excuses.

—Désolé, Commandant! Je pensais que c'était libre.

—Pas de souci, Prunellier. On libère la place.

—Toi! explosa le prévenu.

Il s'adressait à Hercule. L'homme avait laissé pousser une barbe de patriarche et avait les cheveux longs. Mais c'était lui! Marcel Minasse.

—C'est à toi que je dois ça, sale petit morveux! J'en suis sûr! Tu es pire qu'une verrue purulente! Je te tuerai, tu entends, je te tuerai!

—La ferme, Minasse! hurla l'autre Auror.

Il tira une chaise et entrava l'homme d'un geste de la baguette.

—Je te tuerai et je tuerai cet enfoiré de Favori! Je vous anéantirai, tous!

—C'est ça! On verra ce que tu feras lorsque tu seras à Fengsel, répliqua Cerisier. En attendant, tu vas rester ici et nous expliquer d'où proviennent les saisies effectuées dans ton appartement.

—C'est un coup monté! C'est ce sale gamin!

—Mais oui, bien sûr! Un enfant de onze ans s'est échappé de l'Académie de Beauxbâtons, a craqué tes sécurités et est venu déposer le produit de plusieurs cambriolages chez toi.

Monsieur de Franjac invita le garçon à quitter la salle d'interrogatoire. Ils tombèrent nez à nez avec Max.

—Max! Bonjour! Quel plaisir de vous voir! J'espérais tellement vous croiser.

—Alors ça, je n'y crois pas! Je n'y ai même pas cru lorsqu'on m'a rapporté que tu étais une sorte de stagiaire puni.

—J'ai fait du tri dans les dossiers en retard.

—Il nous a bien avancés. Je lui ai proposé de revenir, mais il nous fait languir.

—Les Aurors-Enquêteurs, ça se fait désirer!

—J'accepte, bien sûr!

—Excellente nouvelle! affirma le commandant.

—Comment se fait-il qu'on n'ait pas réussi à se croiser auparavant? Vous donne-t-on tous vos dimanches?

—Ah ça non! En fait, je suis en… infiltration.

—Max a réussi à noyauter un réseau de suprémacistes très versés dans la magie noire. Il y a du beau monde dans ce panier de Malagrifs.

Le Belge sauta sur l'occasion pour avouer:

—Savez-vous que ces gens tenaient réunion dans un endroit secret de l'Académie? Jusqu'à l'affaire Casper Van Kriedt. Mathilde… je veux dire madame Pourpoint a dû vous en parler? Messieurs Grossel et Meursault ont découvert leur cachette. Et il semblerait…

Il se demanda comment il justifierait la possession de ces informations, mais il poursuivit:

—… que la professeure Alinea animait un club sur la «gestion du problème moldu» où des personnes partageant ses convictions, y allaient de leurs solutions radicales.

Max ricana et son père se contenta de sourire.

—Quoi?

—Sidonia Alinea possède un talent très spécifique.

—Lequel?

—Un don pour la Commedia dell'arte.

—Comment? Que… Vous voulez dire que toutes les anormalités qu'elle distille en cours, ne servent qu'à appâter?

Un éclair de compréhension foudroya le petit Belge. L'intégralité des propos de l'Italienne défila en sous-titre, dans chaque situation. Elle n'avait jamais exhorté qui que ce soit à se débarrasser des Moldus. Elle s'était toujours contentée d'inviter les élèves à prendre la parole, à se mettre en avant, à déballer leur haine, leur rancœur. La filature de messieurs Grossel et Perlenjoie, rapportée à Armand Fontebrune, avait abouti à une inaction parce que le directeur connaissait le rôle rempli par l'enseignante. Pire, il orchestrait le tout en silence, laissant s'installer l'animosité entre Hercule et Alinea et ses théories fumeuses. L'Italienne pouvait même rendre compte au bureau des Aurors. Les enfants suprémacistes cachaient souvent des parents faits du même tonneau pourri. Hercule s'en voulut de ne pas avoir compris avant. Comment pouvait-il, alors qu'il s'opposait à elle en classe, rejetant le moindre de ses propos, décrocher des notes Argent en étude des Moldus?

—Tu ne sais pas tout, l'enquêteur! ironisa Max, hilare.

—Mais vous non plus, mon cher, taquina le garçon. Comment va Pierre? Avez-vous des nouvelles?

—C'est le plus heureux des hommes.

—Je vous laisse papoter quelques instants. On se revoit la semaine prochaine, Van Betavende?

—Bien sûr, Commandant. Alors?

—Mon ancien acolyte ne regrette pas la France. Il est chargé de surveiller un territoire grand comme les Pyrénées, il transplane à tout-va, fait du balai avec les Oiseaux-Tonnerre, il a même monté une équipe de Quidditch chez les Rangers. Il vit, selon ses termes.

—Quel plaisir, d'accomplir son rêve!

—N'est-ce pas? Et toi, Hercule, ton rêve, c'était de traiter le tas de… bazar?

Il désignait la tour infernale.

—Non. C'est une punition, mais j'apprécie.

—Hercule, puni. Le gros titre du «Cri de la gargouille»!

—C'est déjà arrivé, par le passé.

—J'ai su pourquoi. Chouette, ce que tu as fait pour le Bayourson. Pierre serait le premier à te féliciter, tu sais à quel point il aime les créatures magiques. D'ailleurs, il paraît que tu as la cote et que tu aurais une capacité pour exploiter…

—Ah! Les baguettes… Je n'en ai créé qu'une. Voulez-vous…?

—Vas-y!

Hercule la sortit de sa poche intérieure d'uniforme et la tendit à Max.

—Bel ouvrage. Incisions à coups de Diffindo?

—Oui.

—Jamais réussi à être propre et efficace avec ce sort. J'aurais fait un Médicomage boucher. Belle baguette. Équilibrée. C'est marrant, j'ai l'impression de l'avoir déjà vue.

—Il s'agit d'une copie de celle d'Armand.

—Ohmais oui! Et il sait?

—Oui.

—Il a dû prendre la grosse tête. Elle fonctionne bien?

—Testez-la.

Max lança un Reducto sur le premier objet qu'il vit. C'était le dossier d'un Auror. Il en fit un timbre postal. Incapable d'inverser le sort, il présenta ses salutations à l'élève et se carapata avant de se faire réprimander par Meursault à qui les documents appartenaient.

L'opération s'annonçait compliquée, délicate et requérait une concentration absolue. Sur la paillasse du laboratoire de potions, Hercule faisait face aux trois morceaux de bois envoyés par Gervais Delacour et aux trois cœurs possibles. Quelle alliance effectuer? L'arariba avec le crin d'Abraxan? Quel genre de baguette cela donnerait-il? De la puissance? De la facilité avec les sorts aériens, légers comme l'air sur lequel les chevaux ailés glissaient? La moustache de Bayours conviendrait-elle au camphre ou à l'amarante? Quant à la griffe de Nundu, quelle essence de bois s'accorderait avec? Il y avait tant de questions, de possibilités et de mystères! Une inclusion pouvait se révéler dans une essence et se flétrir dans une autre. De plus, si le garçon était certain que Cosme Acajor avait déjà utilisé du crin d'Abraxan, une personne avait-elle eu l'idée de glisser de la griffe de Nundu? La moustache du léopard magique fonctionnait dans le bois de Sipo de la baguette de sa mère. Mais la griffe? Et le Bayours? Hormis Émilie Boulanger qui avait osé une folle combinaison avec un poil, il n'avait pas souvenir de son utilisation. Comment savoir? Comment ne pas gâcher le bois offert par le fabricant de meubles? Le crin était disponible en abondance et la griffe de Nundu lui permettrait de créer plusieurs dizaines de baguettes, s'il le voulait. En revanche, la moustache de Bayours n'engendrerait qu'une ou deux baguettes. Enfin, une question le taraudait: était-il possible d'utiliser la dent de lait du Hortza? Était-ce une inclusion viable puisqu'il s'agissait d'une matière minérale? Plume, écaille, crin ou griffe, cœur de dragon, toutes ces matières classiques étaient animales. On pouvait inclure de la carapace de Crabe de feu mais pas ses pierres précieuses.

Toutes ces questions se bousculaient, mais son esprit dérivait sans cesse sur la séance de ce samedi matin, avec Elvira. La professeure leur avait fait faire de nouveaux travaux pratiques sur Oubliette avec, bien sûr, des sorts défensifs pour empêcher les extractions. Eugénie avait brillé comme jamais. En aparté, ses amis l'avaient questionnée sur sa volonté d'user du sort sur son père. Elle avait rétorqué que supprimer l'existence de sa mère dans l'esprit de son père, serait finalement lui permettre de ne plus souffrir de son absence. Or, ce qu'elle voulait, c'est qu'il paye le prix fort. Le garçon l'avait invitée à déambuler dans le jardin enneigé, après le déjeuner. Il espérait qu'elle se confierait, qu'elle dévoilerait ses plans et qu'il pourrait ainsi tenter de lui faire renoncer. Il mesurait sa rancœur depuis la fin de la séance où l'enseignante, après avoir chaudement félicité Eugénie, s'était vue recevoir une explication explosive sur les efforts entrepris:

—Je fais tout ça pour devenir plus forte que mon père et lui faire payer ce qu'il m'a fait!

—Ce qu'il t'a fait? s'exclama Elvira. Que veux-tu dire? Que ton père a utilisé le sortilège Oubliette sur toi?

—Il a effacé quatre années de ma vie! avait hurlé la jeune fille. Volé!

—Mais enfin, comment peux-tu l'affirmer?

—Je le sais! J'ai vu ce qu'il a fait! On peut savoir, grâce à une technique moldue nommée hypnose régressive. Oui, pour une fois, j'en sais plus sur un sujet médical, sur le cerveau, sur les atteintes au subconscient que mon propre père. Il a oublietté ma vie avec ma mère!

—Tu ne peux pas lancer des accusations aussi folles, Eugénie. Je comprends ta colère mais…

—Il n'a qu'à affirmer le contraire sous Veritaserum! Là, on verra bien s'il se défile ou pas! Je parie qu'il trouvera n'importe quel moyen de se soustraire.

—D'où sors-tu tes lectures moldues?

—De LA bibliothèque. C'est bien simple, mon plus vieux souvenir remonte à mon quatrième anniversaire, un mois après l'assassinat de ma mère. Étonnant, hein? Non seulement, il a toujours refusé de me dire quoi que ce soit sur elle, mais il s'est assuré que je ne puisse jamais me souvenir. C'est un salaud! Je le hais! Quand je découvrirai la vérité sur ma mère, son nom, je renierai Beauxbâtons et je prendrai le nom de ma mère. Au moins, lui, il ne sera pas sali!

Elvira n'avait pas cherché à jouer de son statut d'enseignante, rappelant les règles du comportement. Elle n'avait pas apaisé Eugénie, estimant la démarche vouée à l'échec.

Dans le jardin, la colère n'était pas retombée. Bien au contraire! Telle une chaudière aux sécurités contournées, la pression s'accumulait en elle. Il fallait frapper un grand coup pour évacuer cette haine. Et s'il accomplissait ce qu'il avait murmuré? Créer une baguette pour Eugénie. La toucher au cœur lui ferait oublier ses noirs desseins. La solution se dessina dans son esprit.

Il put penser «baguette», se focaliser sur son travail. Il s'empara de la dent de lait du Hortza et prit le morceau d'arariba.

Dans la salle à manger, Orby disposait les soucoupes, les tasses, le pot à lait chaud, celui au lait froid, la cafetière italienne remplie d'arabica brûlant. Dans un panier recouvert d'un linge, il avait agencé des tranches de brioche, des croissants chauds, du pain complet. Un assortiment de confitures était aligné au cordeau. Il ne manquait que les couverts en argent. Il entendit monsieur Van Betavende quitter sa chambre. Un pop et il se retrouva en cuisine pour prendre le journal sorcier, le courrier et les couverts glissés dans une céramique sur mesure. Il revint juste à temps pour déposer le tout auprès de son maître.

Un craquement eut lieu: madame Van Betavende avait précédé son mari en transplanant.

—Première au petit-déjeuner! fanfaronna-t-elle.

—Toujours vingt ans, ma chérie, commenta Louis.

—Toujours.

—Madame et Monsieur, vous avez reçu un rouleau de maître Hercule. Je l'ai posé avec le Quotidien de la Sorcellerie.

—Parfait.

Louis déroula la missive et la parcourut avec le sourire aux lèvres. Il commenta:

—Notre fils a réédité son exploit de fabrication de baguettes. À deux reprises. Bois d'arariba, dent de lait de Hortza. Je ne connais pas cette créature. Et toi?

—Non. Et l'autre baguette?

—Bois d'amarante et moustache offerte par le Bayours mâle.

—Les deux sont opérationnelles?

—Il les a éprouvées en club de duel. Il est d'avis que l'amarante est plus féminine, plus poétique. Agathe Bonnelangue l'a essayée pour des sorts musicaux et l'a estimée très performante. Notre garçon dit qu'il se focalise sur un professeur ou sur un élève lorsqu'il crée. Il pense que cela influence la création. Il ne lui reste qu'une fabrication pour relever le défi qu'on lui a lancé. Il n'en dit pas plus sur le bois, ni l'inclusion. Je me demande bien pourquoi…

—Mais qui lui a demandé de réaliser ces baguettes? Ursula?

—Je l'ignore. Il reste évasif sur ses activités. Il fait preuve de prudence.

—Monsieur, intervint Orby, je tiens à préciser que c'est Edgar qui s'est chargé de ce parchemin. Je crois que c'est une garantie de confidentialité.

—Oui, tu as raison, Orby. Cet oiseau est fiable et le sorcier qui tentera de lui arracher un rouleau, s'en mordra les doigts.

—Quand compte-t-il achever son dernier défi?

—Il ne l'a pas mentionné. Tel que je le connais, il a déjà bouclé ce projet à l'heure où nous lisons ce courrier. Il nous écrit qu'il est très inquiet pour Eugénie. C'est sa source principale de préoccupation. J'aime beaucoup cette gamine. Elle mérite un peu d'air et un changement d'horizon. Toute une vie à Beauxbâtons, c'est si réducteur. Enfin… Dans deux ans, elle pourra toujours se rendre à Bourg-Enchanteur pour se changer les idées.

—Est-ce que Hercule parle du bureau des Aurors?

—Pas un seul mot. Il a raison. Encore un peu de café, Orby.

—Oui, Maître.

—Bon sang! Il est déjà 7h50! Tant pis pour le café! Je file.

—Tu ne rentres pas trop tard, ce soir. Orby va sur le marché, aujourd'hui. Il nous prépare son merveilleux rôti de veau Orloff.

—Je ne raterais ça pour rien au monde.

—Merci, Monsieur.

Louis essuya la commissure de ses lèvres, posa sa serviette et se leva. Il embrassa Gertha, lui souhaita une bonne journée et s'engouffra dans la cheminée du salon. Il déclama l'adresse du Ministère, l'endroit le plus proche de la caisse d'épargne générale, 6 rue du fossé-aux-loups, à seulement deux rues du passage du Nord. Il se présenta au contrôle des baguettes. Le préposé du jour était un inconnu mais c'était une habitude, les effectifs du ministère belge n'étant pas extensibles à souhait, tout comme le budget. Louis reprit son chemin et emprunta le couloir le conduisant à la Coutellerie du Roy. Il salua les employés et ne s'attarda pas.

Après le passage couvert, il tourna à gauche pour effectuer une cinquantaine de mètres. Il bifurqua une fois de plus à gauche, sur la rue du fossé-aux-loup. Un peu plus tard, il passa le tourniquet d'entrée sous les yeux d'un passant aux aguets. Thorsten Van Kriedt, âgé de 22ans, déplia un plan tracé à la main. La banque était schématisée par un rectangle frappé d'un Gallion sommaire. La ville de Bruges était aussi dessinée, schématisée, un peu plus haut, avec davantage de détails. Le manoir des Van Betavende était au centre du dispositif. Thorsten sortit une plume et traça une croix sur la banque. Hormis transmettre l'information aux autres membres de la fratrie, le jeune homme avait une autre mission: ralentir Louis s'il sortait de la banque.

Dans le ministère, au bureau de Roger Van Roeland, le faussaire en charge du réseau des cheminées visualisa la croix sur le plan. C'était le signal. Il dévissa le bouchon de sa gourde, avala un trait de liquide, grimaça et se leva. Il se rendit dans le local technique où les connexions de cheminée avaient lieu. La plupart des ministères disposaient d'un local organisé en trois parties. L'espace était occupé par trois pupitres semblables à ceux utilisés par le système de transportation. Ils fonctionnaient aussi avec des clés. Un premier poste, en général assez restreint, permettait de gérer une poignée de cheminées reliées au réseau international. Tout dépendait du poids politique du ministère au niveau planétaire. La Belgique était reliée à deux cheminées publiques étrangères: une au Ministère français et l'autre au Ministère hollandais. Pour se rendre dans d'autres pays ou d'autres lieux des pays reliés, il fallait utiliser des Portoloins ou effectuer des sauts de cheminée à cheminée. La seconde partie concernait les cheminées publiques. Par définition, elles étaient accessibles depuis n'importe quelle cheminée privée ou publique. La création d'une cheminée impliquait l'inscription sur un registre par une plume ensorcelée. Un code, suivi d'une adresse postale, suffisait. Si le code débutait par 0, c'était vers l'international. Par 1, c'était une cheminée publique. De 2 à 8, les plus nombreuses, il s'agissait des installations privées avec une adresse fixe. Les 9 n'étaient pas nombreuses et géraient les cheminées mobiles. Privée ou mobile, une cheminée comptait quatre modes de fonctionnement: départ autorisé vers toutes les cheminées publiques, départ restreint à une cheminée dont le numéro était gravé sur la clé, arrivée restreinte à une cheminée publique, arrivée restreinte à une cheminée privée. Par conséquent, les clés comportaient, au maximum, quatre numéros, et étaient logées dans un emplacement spécifique.

«Roger» compulsa le registre. La cheminée des Van Betavende était enregistrée au numéro 238. Il retira la clé. Puis, il avisa un autre nom: de Bazincourt. Il ôta la clé numéro 921. Il brisa les deux sésames en plusieurs morceaux.

Il prit le temps de retourner à «son» bureau, comme si rien ne s'était passé. Il s'empara d'une plume et traça deux croix à l'emplacement marqué d'un M majuscule, juste au-dessus de la banque de Louis. À cent kilomètres de là, Jutte Van Kriedt, l'aînée de 32ans, postée à quelques dizaines de mètres, nota le changement.

—On y va? s'impatienta Thijs.

—Pas encore. Leur elfe de maison peut se rendre dans la ferme des Desvoert, dans le magasin Croquetout des Bogaert ou sur le marché caché de Namur. Il faut attendre un signal de Casper, Lukas ou Paulus.

—Tu es sûre que ça va aller vite?

—Tu n'imagines même pas.

Un quart d'heure s'écoula avant qu'une nouvelle croix apparaisse sur le plan. L'elfe s'était rendu à Namur. C'était la configuration idéale. Il y passait toujours une bonne heure.

Jutte sauta du rebord de la fenêtre sur lequel elle était juchée et s'approcha de la porte d'entrée du manoir. Thijs et Wouter s'occupèrent de bloquer l'artère passante. Jantje sortit sa baguette et fracassa le trottoir d'un coup de Bombarda. La femme jeta une graine au sol, sur la terre, fit jaillir de l'eau pour noyer la semence et marmonna du latin. Elle recula et plaça une nouvelle croix sur le plan en face du manoir. Dans la minute qui suivit, la fratrie Van Kriedt emprunta des cheminées et transplana des différents lieux d'attente pour se rendre au point de ralliement. Seuls Thorsten et Rogier demeurèrent à Bruxelles pour surveiller Louis Van Betavende.

Les Van Kriedt de Bruges lancèrent ensemble des sorts anti-transplanage, un véritable dôme de protection par-dessus celui mis en place par les Brugeois. Ainsi, dès que la femme devinerait l'attaque, elle tenterait une sortie par transplanage. Face à son échec, elle se replierait vers la cheminée.

En moins de vingt secondes, la liane Monstera Constructis fut assez haute pour atteindre la serrure de la porte du manoir. Elle s'infiltra dans l'orifice et se glissa à l'intérieur de la demeure. Traînant dans la salle à manger, avec une seconde tasse de café à la main, Gertha ne se doutait de rien. Soudain, le diamètre du végétal infernal fut trop important pour loger dans le métal de la porte. Il continua à grossir et provoqua des grincements de la tringlerie. Le ramdam n'échappa pas à la propriétaire. Elle quitta la salle à manger et se rendit dans l'entrée. La liane avait déjà parcouru deux mètres dans le vestibule. Elle se redressa et projeta une spore en forme de pointe. Gertha l'évita de peu. Elle tira sa baguette et lança un Reducto, un Incendio puis un Repulso. Cela ne fit qu'agacer la plante diabolique. Elle tenta un Lumus Solem, au cas où cette chose serait aussi sensible à la lumière que le filet du diable. Une vaine tentative. Elle courut vers la cheminée du salon tandis que la serrure volait en éclats et se dispersait dans le hall. Elle prit de la poudre de cheminette et déclama:

—Ministère de la Magie belge.

Elle jeta la poignée et une flamme verte l'enveloppa. Hélas, il n'y eut aucun voyage. Elle comprit que l'attaque avait été préparée avec soin et avait inclus une désactivation de leur cheminée. Elle tenta un transplanage qui échoua et l'envoya valdinguer dans le grenier du manoir. Un craquement eut lieu. La porte venait de céder. Elle entendit des ordres en hollandais:

—Trouvez-la et tuez-la!

C'était une voix de femme. Elvira lui avait parlé de toute la fratrie Van Kriedt qu'elle avait eue en cours, sans que les frères –sauf Casper –et la sœur s'en souviennent. C'était Jutte. Cette folle furieuse avait commencé une formation d'Auror avant d'être renvoyée pour cruauté par le commandant hollandais. Ce n'était pas une tendre. La Belge ferma son esprit pour se rendre plus difficile à détecter. Elvira lui avait donné un carré magique ainsi qu'à Louis. Il devait leur permettre de communiquer. Hélas! Elle n'avait pas de plume sur elle. Acculée, percevant la progression de l'ennemi dans l'escalier, elle fut en proie à la panique. Elle eut une dernière pensée pour Hercule. Cela sauva la situation.

«Un Diffindo!»

À l'aide de sa baguette, elle entailla son index. Le sang se mit à couler. Elle traça des lettres sur le carré.

Louis, dans son bureau, travaillait sur le bilan financier de grandes fortunes belges et calculait leurs dividendes. Un changement s'opéra dans son champ visuel. Son carré d'alarme se para d'une énorme tache rouge. Le message n'était pas lisible, mais la couleur était inhabituelle.

—Du sang! s'exclama-t-il.

Il transplana depuis son bureau, se moquant pas mal de disparaître sans être passé par le couloir, à la vue du personnel. Il réapparut près d'une cheminée publique située dans un vieil entrepôt abandonné à Anderlecht, à quelques kilomètres de la banque. Il se précipita dans la cheminée et réclama à se rendre chez lui. Il échoua. Il se rappela que leur cheminée n'était plus connectée qu'à une cheminée publique du Ministère, par sécurité. Il était impossible d'arriver par la cheminée mobile, vouée à ne servir que d'issue de secours. Il se souvint qu'une vieille cheminée publique, sous terre, près des canaux de Bruges, avait été désaffectée à cause des bombardements et des odeurs d'égouts désagréables. Il pria pour qu'elle soit encore en fonction. Le transfert réussit. Il sortit en trombe de la cheminée et s'engagea dans les égouts encombrés de gravats. Une pluie de sortilèges s'abattit sur lui. Son chemin avait été anticipé. Il recula, ouvrit son esprit et perçut deux adversaires. Ils pensaient en néerlandais. Il fouilla. C'étaient Thorsten et Rogier Van Kriedt. Il était attendu. Ils devaient le ralentir pendant que le gros de la troupe devait tuer la sœur de Waldo. Ils voulaient leur vengeance. Que Waldo soit incarcéré, torturé par des Détraqueurs, ne suffisait pas. Ils voulaient faire couler le sang. Ils avaient utilisé une plante liane pour forcer le manoir et ouvrir une brèche. Ils avaient mis en place des protections. Louis ne pourrait pas transplaner chez lui. Il devait entrer par la brèche.

L'homme transplana devant le 2, Groening strat. Un jeune gamin blond hurla:

—Attention! C'est le père!

Casper leva sa baguette mais Louis le stupéfixa d'un geste rapide. Il se rua dans la brèche. Un sortilège l'atteignit. Un brasier s'alluma dans sa poitrine. Sa chemise se gorgea de sang. Il mit un genou à terre. Il trouva la force de transplaner à la cave.

—Gertha! En bas! Vite!

Il était trop éloigné d'elle ou alors, le pire était déjà arrivé. Il se concentra et perçut les pensées de sa femme. Elle était en vie. Elle se battait. Les Van Kriedt l'avaient acculée au grenier. Il pointa sa baguette sur sa tempe, tira une pensée et la lança en direction de son épouse. Dans la seconde suivant la réception, elle le rejoignit à la cave.

—Où est-elle? Elle est dans le hall?

—Non!

—Alors, elle est à la cave.

—Il y est aussi. Ils sont faits comme des rats.

Gertha poussa un cri d'horreur en découvrant Louis, allongé au sol. Son hémorragie était importante. Elle tenta un Vulnera Sanentur, sans succès. Elle le tira jusqu'à la cheminée mobile. Elle déclama l'adresse du ministère de la Magie, mais la poignée de poudre jetée fut sans effet. Pourtant, la veille, elle était fonctionnelle.

—Par Flamel!

—Ils sont là-dessous! Qu'est-ce qu'on fait? aboya l'un des frères.

—Vos baguettes! Maxima Bombarda! répliqua la femme. Écroulez-moi tout ça! Enterrez-les vivants!

Les coups jaillirent des huit baguettes et le sol se fracassa. En proie à la panique, elle crut voir sa vie s'achever lorsque Louis leva sa main avec peine, désignant le mur de soutènement de la maison, en direction de la rue. Il murmura, crachant du sang:

—Égouts.

Gertha lança plusieurs Bombarda jusqu'à ce que des pierres se détachent. Elle agrippa son mari et transplana avant que le plafond de la cave ne vole en éclats.

Recroquevillé sur sa paillasse éventrée, Orby eut un réveil difficile. Il n'avait presque pas fermé l'œil de la nuit, balayant des décombres, soulevant des meubles jusqu'à en avoir des ampoules aux mains. La veille, en rentrant des courses du marché, avec les victuailles pour deux jours, il s'était fracassé le crâne sur une poutre tombée au milieu de la cuisine. À peine remis du choc, il avait découvert une situation de guerre dans le manoir de ses maîtres aimés et vénérés. L'habitation, ravagée, était déserte. Les Van Betavende avaient disparu. Depuis, hormis ranger, arranger avec sa simple magie elfique, il ne savait que faire. Ses maîtres disparus, sa vie n'avait plus de sens. Il s'étira, épousseta son matelas sur lequel la poussière de plâtre s'était déposée et se leva. Ses articulations le faisaient souffrir. Il se dirigea vers la cuisine. La pièce menaçait de s'effondrer. Il avait bricolé un soutènement provisoire avec des poutrelles de bois récupérées dans la cave. Sa magie était trop faible pour soulever le monceau de débris. Cependant, il était certain que ses maîtres n'avaient pas été ensevelis. Il y avait de l'espoir. La salle à manger et le salon n'existaient plus, écroulés dans le sous-sol. Il transplana jusqu'à la porte d'entrée, en mille morceaux. Il y avait une flaque de sang séché. Il détourna le regard et se concentra sur l'entrée. Il lui fallait obturer cet orifice béant. Il claqua des doigts et déplaça des morceaux de bois cassés, des pierres, des tentures, érigeant ainsi une sorte de barricade empêchant les Moldus de venir fureter dans la demeure.

Un craquement se produisit derrière lui. Il fit volte-face, prêt à se défendre lorsqu'il reconnut la femme venue deux mois auparavant.

—Professeur de Bazincourt!

—Bonjour, Orby.

—Madame…

L'elfe s'inclina. Puis, il reprit:

—J'ignore ce qui s'est passé. Je ne sais pas où se trouvent mes maîtres. Je suis revenu du marché, hier et… voilà ce que j'ai trouvé. Je m'en veux! Je n'aurais pas dû quitter Madame.

—Gertha est en vie. En sécurité.

—Oh! Merci merci! Et Monsieur, où se trouve-t-il? À la banque?

—Non. Il est arrivé ici pour combattre.

—Il est avec Madame?

—Oui… Orby, il faut partir. Rester ici te fait courir un grave danger. Les Van Kriedt n'en ont pas terminé avec leur vengeance. Prends mon bras.

—Oui, Madame.

Il s'exécuta et Elvira transplana. Le manoir fut livré à lui-même, ouvert au vent qui s'engouffra soudain, jouant une mélodie inquiétante.

La référente Urtica était arrivée dans la Cabane Enchantée vers 7h30, le samedi 22 février. Elle avait transplané jusqu'aux cuisines avec l'elfe afin d'éviter d'être vue par des élèves et surtout par Hercule. Elle était allée voir Georges, le sorcier cuisinier de l'école et lui avait expliqué la situation. Monsieur Feuillantine avait interrogé Orby et avait compris que la nouvelle recrue serait une aide précieuse lorsqu'elle serait opérationnelle. Il lui avait aussitôt donné un tablier et ordonné de se mettre au travail sous la supervision provisoire d'Orpi, le temps de s'acclimater à l'Académie. Orby s'était soumis de bonne grâce, caressant l'espoir d'apercevoir son jeune maître. Puis, Elvira était repartie à la Cabane Enchantée, orchestrant son arrivée à pied depuis le Tunnel de Transportation. Dans ses mains, elle serrait un rouleau signé de Gertha, arrivé à l'aube à son domicile parisien. En tant que référente de l'ordre d'Hercule, c'était à elle de délivrer la nouvelle au garçon. Elle avait rarement eu le douloureux privilège de faire cette révélation et cela avait été un crève-cœur. Là, ce serait au-delà. Hercule était le fils de son amie, la meilleure qu'elle n'ait jamais eue. À ses yeux, il était spécial.

Elle traversa le jardin, passa le perron et lorgna du côté du restaurant. Il était à table, entouré de ses amis, le sourire aux lèvres. Les personnels résidents au château déjeunaient également. Agathe tourna la tête dans sa direction. Elle venait de percevoir l'imminence d'un drame. Elle se leva et se dirigea vers sa consœur. Elvira l'attira vers le grand escalier.

—Il se passe… une horreur. Je l'ai sentie. De quoi s'agit-il? Ça concerne Hercule. C'est ça, n'est-ce pas?

L'hybride jaunit des yeux, puis rosit, alternant rage et tristesse.

—Par Flamel! C'est arrivé.

—Oui, Agathe. Je dois lui annoncer. Et…

—Vous manquez de force.

—Oui.

Agathe agrippa son avant-bras, pour la rassurer et lui insuffler du courage.

—Rien ne nous prépare à cela. Voulez-vous que je sois présente?

—J'accepte votre offre. Nous avons habituellement un cours particulier, le samedi matin.

—En Salle Blanche.

—Oui.

—Ils sont si particuliers. Tous.

—Oui. Les voici.

Le groupe avait terminé son repas. Les quatre Gerbera d'origine s'apprêtaient à se séparer des autres enfants de la tablée lorsque Agathe les stoppa.

—S'il vous plaît… Pourriez-vous nous suivre dans le bureau d'Armand? Vous quatre ainsi que mademoiselle Rostopchine et monsieur Ishii.

Elvira n'avait pas prévu de mettre Armand dans la confidence, du moins pas tout de suite. Néanmoins, l'attaque des Van Kriedt aurait des implications sur Hercule, sécuritaires, surtout. Lorsque les huit personnes s'entassèrent dans le bureau directorial, Armand comprit la raison de cette irruption. Par pure politesse, il demanda:

—Oui?

—Nous avons reçu un courrier, entama la référente d'Urtica. J'ai reçu ce rouleau.

Elle le montra sans le déplier.

—Il s'agit d'une lettre de ta mère, Hercule.

Le garçon se raidit. Eugénie attrapa sa main droite et le Japonais posa la sienne sur l'épaule de son ami.

—Hier, dans la matinée, les Van Kriedt ont attaqué le manoir alors que ta mère était seule. Elle n'a pas pu utiliser la cheminée, même celle à mon nom. Ton père a été prévenu et est revenu combattre. Il a reçu un sortilège noir. Ils ont pu créer un passage de la cave aux égouts. Ta mère a pu alors transplaner dans un lieu sûr. Ton père a énormément perdu de sang et…

Elle sentit une boule d'angoisse l'étreindre au fur et à mesure que la narration détruisait l'élève. Un sentiment d'horreur la traversa, aussi dévastateur que celui qu'elle avait éprouvé face à sa mère, pour sauver son père.

—… il… Louis est… mort des suites de ses blessures quelques heures après le transplanage. Je…

Hercule tomba à genoux, prostré. Les enfants s'accroupirent et l'entourèrent. Ses larmes fusèrent sans retenue.

—Ta mère est… en sécurité et demande à ce qu'aucun courrier ne lui soit adressé, même par Edgar. Elle dit que… ton père voulait être enterré avec sa famille, à Bruges. Étant donné les circonstances, cette cérémonie ne sera pas possible. Elle a procédé à une crémation et ses cendres ont été mises dans une urne.

Sa voix tremblait.

—Je… Elle a demandé à te remettre la lettre et ceci…

Elle déroula le parchemin et dévoila son contenu. Une baguette. Hercule la reconnut. C'était celle de son père.

—Je suis sans voix, Van Betavende, dit Armand.

—Nous serons là pour vous, Hercule, ajouta Agathe. Nous vous protégerons contre ces assassins.

Le garçon eut un regard mi-compatissant, mi-interrogateur. Agathe supposait que ces fichus Hollandais n'allaient pas se contenter d'un mort, d'autant plus qu'ils n'étaient pas assurés d'avoir tué.

—Je… Ton père, ta mère… sont mes amis, Hercule. J'ai… je jure de faire de toi un sorcier que ces tueurs n'oseront pas affronter.

Elle lui remit la baguette de châtaignier, acquise trente-six années auparavant chez Gerbold Octavius Ollivander, parce que sa magie avait elle aussi du mal à s'exprimer et que Cosme Acajor n'avait pas pu le satisfaire.

—Je suis allée à Bruges.

—Orby? balbutia Hercule.

—Oui. Il est au château, en cuisine. Déboussolé, bien sûr, mais sain et sauf.

—Merci, Madame.

—Je te laisse la lettre et la baguette. Tu ne dois pas lui écrire. Je suis désolée. Désormais, ta sécurité sera notre priorité. Mais il est hors de question de vivre dans la peur, terré comme une bête. Ces assassins seraient trop heureux d'instiller la terreur. Et… je vais envoyer un hibou à monsieur de Franjac pour demain.

—Pourquoi, Professeur?

—Peut-être que tu ne seras pas…

—J'aurai besoin de travailler. Pas seulement pour les Gallions qui me seront désormais indispensables.

—D'accord. Néanmoins, il doit être averti de la situation.

—Bien sûr, comprit le garçon en essuyant ses larmes.

—Je ne ferai pas davantage, pour ce matin. Si tu as besoin de quoi que ce soit, viens nous voir.

—Oui, Madame.

—Je… je te laisse avec… tes amis.

Elvira tourna les talons et sortit en trombe du bureau. Pour masquer sa douleur. Le garçon tenta de réprimer ses sanglots, chercha des réponses dans les yeux de ses camarades. Puis, à son tour, il quitta le bureau directorial et s'engagea dans le couloir, sans but précis. Le cours était annulé; le message d'Elvira était clair. Les enfants le suivaient comme s'ils s'attendaient à ce qu'il s'effondre, ravagé par le chagrin. Il se dit qu'il pourrait se réfugier à la bibliothèque, chercher un ouvrage sur des créatures de pierre –il avait lu un article à ce sujet sur Poudlard, protégé par des statues minérales –. Arrivé au pied de l'escalier, il se retourna et déclara:

—Vous devez faire ce que vous avez à faire. Ne changez pas. Rien n'est différent si ce n'est que aujourd'hui, je suis un véritable Gerbera. Orphelin, comme vous cinq. Je… je veux rester seul un moment. Je serai en Salle Blanche. Je dois tester mes baguettes.

—Comme tu veux, Hercule, dit Sigrid. Je vais à la bibliothèque.

—Je serai au Quartier Général, dit Shin.

—Moi aussi, ajouta Umbelina.

—Pareil, fit Katarina.

—Je vais dans le laboratoire de potions, termina Eugénie, attirant les regards interrogateurs, la jeune fille n'étant pas coutumière du travail outre mesure. Ne vous faites pas des idées, j'y vais pour distiller. Si vous observez la nature autour du terrain de Quidditch et dans le bois, vous remarquerez que les crocus sont sortis. Toutes les fleurs ont été dépouillées de leurs pistils. J'en ai récoltés environ vingt mille, par une méthode peu délicate et non sorcière. Je vais distiller cent grammes de safran avec de l'alcool piqué aux cuisines et obtenir une huile essentielle dosée à 3%. À 80 Gallions le litre, je devrais en retirer 250 Gallions pour ma petite production. Je vais le vendre à un apothicaire situé Place Cachée. J'ai trouvé son nom dans l'annuaire de l'école.

—250 Gallions! Bravo, Eugénie, s'enthousiasma Umbelina.

—Je vais faire différentes huiles essentielles correspondant aux différentes floraisons, jusqu'en novembre.

—C'est brillant, Eugénie. Vous réussirez, dit Hercule avec conviction et tendresse.

—Plus que jamais, le Gerbera aura besoin d'argent, ajouta-t-elle.

—Je... vous laisse, balbutia le Belge. Il me reste... une baguette à tester pour remporter mon défi. Je l'ai achevée hier, mais ne l'ai pas encore mise à l'épreuve, acheva-t-il en serrant les dents.

Le garçon fila dans l'escalier et grimpa au second étage. Il enfila le corridor menant à la salle d'entraînement. Elle était vide alors qu'il pensait que madame de Bazincourt s'y trouverait peut-être. Il posa ses affaires sur le sol et s'assit en tailleur. Il plongea la tête entre ses mains, mais lutta pour ne pas fondre en larmes, une fois de plus.

«Père a été assassiné. Je ne dois pas chercher à me venger. Je ne dois pas chercher à me venger! Je suis au-dessus ces sauvages. Au-dessus! Ce qui m'importe, c'est que Mère soit en sécurité et que la justice finisse par triompher. J'espère juste que ces tueurs iront à Fengsel. Les geôles néerlandaises sont bien trop douces.»

La colère monta d'un cran, mais il la jugula. Il ne put retenir ses larmes et les laissa couler en silence. La vision troublée par le liquide salé, il éjecta sa baguette de cèdre et la déposa au sol, en compagnie de la réplique dédiée à Armand, de la torsadée comme une pâte italienne en arariba au cœur d'Hortza, de l'amarante avec la moustache de Bayours, droite, au manche biseauté et à la tige parcourue d'une myriade de creux. Enfin, il ajouta la dernière qui n'avait que 24heures d'existence: l'alliance du camphre et de la griffe de Nundu, en forme de couteau, avec une poignée idéale pour la meilleure tenue en main, difficile à faire sauter de la paume avec un Expelliarmus. Il trouvait la dernière forme très réussie, inspirée du poignard d'Eugénie, entrevu lorsque la jeune fille s'en était servi pour trouver son chemin du bois au pavillon, un soir où le brouillard était épais. Il prit une profonde inspiration, en reniflant. Il balaya ses larmes du revers de sa manche, sans cesser de pleurer. Il se força à s'exprimer à voix haute.

—Si tu fonctionnes, alors j'aurai réussi le défi. Oui. Maintenant, utilisons des sorts identiques. Allons-y! Incendio!

Comme d'habitude, sa baguette de cèdre rechigna à produire un sortilège d'attaque et éructa une flamme propre à démarrer un feu de camp, à condition de disposer de bois très sec. Il fit un comparatif avec sa première création. Le châtaignier fut plus enthousiasme. L'arariba donna une flamme bleutée et Hercule la trouva élégante, bien dirigée, précise. Il n'ignorait pas que dans la gamme des couleurs, le bleu trahissait la plus forte température tandis que le rouge n'était pas si brûlant. L'amarante produisit une flamme généreuse mais vacillante, comme si elle exécutait une danse. Une vraie poétesse! Quand il acheva le test d'Incendio avec le poignard de camphre, le temps de réaction de la baguette fut plus court et l'exécution du sort entraîna un recul. Il fallait de la poigne pour la dompter et rester campé sur ses jambes. La flamme était large, brutale, brûlante, dévastatrice. Elle ressemblait à un Feudeymon indigo. Il se sentit submergé par son pouvoir.

Il passa ensuite au Diffindo sur un morceau de lauze. Il éclaircit sa vision et se concentra. L'arariba fut d'une précision diabolique et produisit l'incision la plus régulière, quasiment sans poussière minérale, ni aspérité résiduelle. Cette baguette ferait le bonheur d'un Médicomage ou d'un Légicomage. Il estima, après ces deux premières séries, que l'arariba était élégant, efficace et que le camphre allié au Nundu était exubérant, ravageur. Il passa au sortilège Aguamenti. Il récolta une surprise de taille: le camphre donnait une eau ferrugineuse et riche en soufre. Il goûta le résultat: c'était immonde et indigne de la table de Beauxbâtons mais tout à fait indiqué pour une cure thermale.

Comme il s'y attendait, sa baguette ne produisit que de maigres étincelles avec Bombarda tandis que le camphre généra un choc plus puissant que celui des autres baguettes. Le poignard ferait le bonheur du plus agressif Auror, des troupes d'assaut. Il aurait aimé tester l'Oubliette ou le Protego mais sans partenaire, c'était impossible. Concentré sur ses essais, le garçon eut une idée.

—Le Diffindo a généré des débris, pratiquement rien avec la baguette d'arariba. Je me demande si je ne pourrai pas combiner…

Il reprit la lauze épaisse sur laquelle il avait fait ses tests, s'empara de sa baguette d'arariba, la plus précise et tenta un audacieux et nouveau:

—Aquadiffindo.

Un minuscule jet d'eau, d'une finesse absolue, creusa un sillon parfait dans la roche. Hercule fouilla dans son sac, prit sa loupe et examina le résultat. L'eau projetée avec une forte pression avait entaillé la roche.

—Fantastique! C'est parfaitement lisse et c'est…

Il toucha la pierre.

—… froid. Pas d'échauffement. Pas de risque de brûlure ou d'inflammation. Pour laminer du minéral, c'est parfait. Ah… Père, si vous aviez pu voir ça. Si seulement…

La pensée dirigée vers le défunt le fit exploser de rage. Il s'empara du poignard en camphre, visa le mur, imagina les Van Kriedt et hurla:

—Aquadiffindo!

Le sortilège le projeta contre le mur opposé, tête en premier. Il chut au sol, groggy. Il se releva, s'adossa pour ne plus être surpris et en rajouta:

—Aquadiffindo!

Un choc sourd ébranla le bouclier de protection. Le jet ne cessa pas son ouvrage, tant que la colère l'alimentait. Il tomba à genoux, à bout de forces. Il lui fallut de longues secondes avant de se reprendre, de se relever et de décider d'en rester là. Il remit sa baguette de cèdre en place et rangea le reste dans son sac. Puis, il se figea. Il venait de ramasser toutes les baguettes. Il n'en avait aucune en main.

—Ce n'est pas possible!

Il revit la scène. Il s'était relevé. Le poignard lui avait échappé des mains. Il avait levé le bras. Le jet avait surgi de son doigt. La constatation, presque effroyable, lui ôta sa peine pour quelques instants.

—J'ai… réussi! J'ai… allons, allons! C'est un hasard.

Il décida qu'il était temps de confectionner un paquet, accompagné d'un mot, pour Gervais Delacour. La bibliothèque était très fréquentée, le samedi matin. La nouvelle aurait déjà fait le tour de l'Académie. Il n'avait pas besoin de compassion et encore moins des remarques triomphantes de Rosier et sa bande de cloportes. Il jeta son dévolu sur le laboratoire de potions. Il quitta la salle d'entraînement en claquant la porte. Un peu de plâtre tomba par terre. Le garçon fila au sous-sol où il retrouva Eugénie en train de chauffer son alambic artisanal. Son nez était rouge-orangé, bien vif, en accord avec les yeux rougis du garçon.

Avant qu'il ne pose une question, elle lui coupa l'herbe sous le pied:

—J'ai éternué au mauvais moment.

Hercule esquissa un sourire.