Sortilège 35: poison d'avril

Dès l'aube, Hercule pénétra dans le bureau directorial, comme chaque dimanche. Il sut aussitôt que la journée ne serait pas ordinaire. Face à Armand, Guillaume de Franjac, accompagné de Prunellier et de Meursault, tentait une fois de plus d'expliquer au sémillant directeur que le bureau des Aurors ne pouvait pas ouvrir une enquête sur la base d'intuitions. Le Belge demeura près de l'entrée pour ne pas les déranger, mais Armand lui fit signe d'approcher. Le garçon obéit et l'écouta se débattre tout en refusant d'abattre sa carte maîtresse: l'oubli certain de la coupe. Il ne pouvait pas dévoiler cet argument sans avouer qu'il s'était rendu dans l'appartement du professeur de runes. Chance ou force de conviction, le commandant finit par concéder:

—J'ai entendu vos inquiétudes, monsieur Fontebrune. Voilà ce que je vous propose: j'envoie des Aurors faire une inspection des lieux et poser des scellés magiques. Ainsi, nous verrons bien s'il y a des signes de lutte, d'enlèvement ou s'il s'agit d'un simple départ. Si monsieur Piedargile revient, il déclenchera la violation des scellés et nous serons prévenus. S'il a été victime d'un rapt et que le ou les criminels éventuels reviennent sur le lieu du crime, ils seront faits comme des rats. Qu'en pensez-vous?

—C'est mieux que rien. Ça me convient. Une faveur: pourriez-vous emmener le jeune Van Betavende avec vous pour examiner l'appartement?

—Étant donné que tout le monde ignore où il se trouve chaque dimanche, cela me semble envisageable et instructif pour lui mais aussi pour nous. Je pense que vous misez sur sa mémoire pour l'interroger après?

—Bien sûr. Abraham est mon ami, nous nous rendons de fréquentes visites.

L'officier supérieur se tourna vers l'élève et le questionna:

—Ta première sortie sur le terrain. Tu as ta baguette sur toi?

Hercule hocha la tête, tout en désignant son avant-bras droit. Au cas où, dans la poche intérieure de son uniforme, il avait la copie en châtaignier.

—Alors, allons-y! À ce soir, monsieur Fontebrune. Passe en premier, Van Betavende!

Le garçon accomplit le voyage à travers le réseau de cheminées français. Une fois sur place, il attendit d'être rejoint par les Aurors avant de se présenter au poste de contrôle. Mathilde l'y attendait. Elle avait accusé réception de son message sur le carré magique, la veille:

«Je pense savoir comment soigner le Sondeur. J'ai besoin de votre aide.»

L'Auror Prunellier, qui avait procédé à l'arrestation de Minasse, accompagné de Pourpoint, était chargé d'inspecter l'appartement du professeur Piedargile et de mettre en place les protections magiques. Le tandem, vêtu à la mode moldue pour passer inaperçu dans les rues de Paris, avait modifié l'uniforme scolaire d'Hercule un peu trop estampillé «bizarre» à leur goût.

Prunellier avait juste la trentaine et, selon l'avis éclairé de Mathilde, possédait un physique très avenant, faisant rêver les sorcières et les femmes, en général. Ses rapports étaient propres, précis, à l'image de ses interventions sur le terrain. Il ne prenait pas de risques inutiles, prônait l'appel aux renforts –tireurs de baguette d'élite, Oubliators –dès qu'un doute subsistait et ne se lançait jamais tête baissée. Aux dires de la jeune femme, il serait chef de groupe dans un délai très raisonnable. Avantage non négligeable: le père de ce Sang-Mêlé était inspecteur de police moldu et comme Hercule, il aimait allier le meilleur des deux mondes.

Parvenu au troisième étage, le trio se prépara, baguette en main. Hercule savait déjà ce qu'il est en était, à l'intérieur, mais il agit comme si ce n'était pas le cas. La serrure de l'appartement résista aux sorts d'ouverture classiques et Prunellier finit par venir à bout du problème à l'aide de crochets de formes et de tailles différentes.

—C'est mon père qui m'a appris cette astuce, commenta-t-il en murmurant.

Un déclic se produisit et la porte avança sans qu'il ne la pousse. Les gonds n'étaient pas bien réglés. Ils convinrent d'explorer toutes les pièces, prêts à faire face à une mauvaise rencontre. L'enfant enfila une paire de gants en soie, au grand étonnement des deux Aurors.

—S'il y a eu crime, avec des traces comme des empreintes, je ne compromets pas les lieux, chuchota le garçon.

—Malin! Tâchons de ne rien toucher, Pourpoint.

—D'accord.

Ils entamèrent l'exploration par la cuisine, immaculée. Aucune vaisselle propre ou salie sortie, des provisions dans le cellier attenant, aucune denrée périssable en vue.

—Rien n'indique un départ précipité, nota Prunellier. Au contraire: tout est propre et rangé, pour ne rien avoir à faire au retour.

Ils s'engagèrent dans le couloir menant au salon. Ils ouvrirent la porte lorsque Hercule remarqua un détail. Il fouilla dans son sac, prit un sachet, une pince à épiler et préleva une chose minuscule accrochée sur une aspérité dans l'épaisseur de la porte.

—De quoi s'agit-il, Van Betavende?

—Une fibre, Monsieur.

Il prit sa loupe et la détailla:

—On dirait un coton épais, noir ou gris foncé.

—Qu'est-ce que tu veux en faire?

—Vérifier si le professeur a des vêtements dans cette matière. Je l'ai toujours vu porter des robes sorcières en velours.

Il rangea la fibre et leva les yeux sur le salon. Il dut se mordre la langue pour ne pas hurler une différence notable entre la vision extraite des pensées d'Armand et la nouvelle configuration. La coupe n'était pas à côté du flacon d'Armagnac. Hormis ce détail, rien n'avait bougé. La bibliothèque avait dû recevoir un sort anti-poussière car, en dépit des cinq jours passés depuis l'absence d'Abraham, il n'y avait pas un grain déposé sur le bois sombre verni. Le garçon s'attarda sur les titres d'ouvrage, la qualité des reliures en cuir, l'éclectisme des lectures de l'érudit et son attrait visible, d'après les titres, pour les écrits d'Edgar Allan Poe. Une passion que le garçon partageait.

Un point le chiffonna. Pourquoi le professeur, si ordonné, maniaque, au point de classer ses ouvrages dans l'ordre alphabétique des auteurs, puis des titres, n'avait-il pas poussé tous les exemplaires jusqu'au fond de la bibliothèque? Le plus jeune tira les deux portes vitrées et commença à repousser les ouvrages.

—Que fais-tu, Hercule?

—Je trouve incongru que l'alignement ne soit pas parf…

Tout à coup, il ne put enfoncer certains livres. Une demi-douzaine. Il s'empressa de les retirer et découvrit un petit carnet. Il l'ouvrit, mais il ne fit que doubler sa taille. Il réitéra l'opération à quatre reprises, jusqu'à ce que cela devienne un large et épais grimoire. Il en prit connaissance: c'était un journal intime. Il le feuilleta. Il remontait à l'année 1775 et s'étalait sur 144ans! Chaque jour, Abraham avait écrit quelques lignes, même si les événements avaient pu paraître anodins. Il se rendit à la dernière page écrite. Elle datait du 9 mars. Prunellier s'approcha et dit:

—Un journal. Intéressant. Il a travaillé le 10 mars, mais n'a rien inscrit à son retour. Il est parti en voyage dès le soir. Bizarre… En général, on part le matin, après une bonne nuit de sommeil, non?

—J'avoue que c'est inhabituel, concéda Mathilde.

Hercule feuilleta rapidement à rebours et s'arrêta aux vacances de Noël 1917. Abraham y avait consigné ses activités au Portugal en compagnie d'Elvira de Bazincourt. Il avait même été très prolixe à propos du 31 décembre, lequel comprenait le sauvetage d'Umbelina au ministère de la Magie portugaise. Il ne tarissait pas d'éloges sur la princesse qu'il qualifiait de la plus puissante sorcière à qui il ait enseigné. Il fit défiler les deux années de sa scolarité à vive allure, photographiant dans sa mémoire les pages pour une consultation ultérieure.

—Un souci, Van Betavende?

—Oui, Monsieur. Tout est consigné. Chaque journée, même la plus anodine. Vous voyez, cette période? Il était au Portugal. Il avait le grimoire pliable avec lui. Je suis certain qu'il se livrait à ce rituel chaque soir. Il n'est pas impossible que la référente Urtica ou le directeur Fontebrune aient aperçu ce recueil au cours de leurs nombreuses entrevues. Lundi dernier, après sa journée passée à Beauxbâtons, il est arrivé ici et n'a rien consigné, ni emporté le grimoire. C'est rempli de détails, de réflexions sur ses travaux de recherche. Une mine d'or.

—Tu as raison. Et… il y a autre chose. Vous… ne sentez pas?

Le Belge huma l'air à pleins poumons et flaira un parfum inadéquat dans le salon. Une odeur d'encens brûlé flottant alors qu'aucun brûle-encens, avec un bâton ou un cône incandescent, même en cendres, n'était visible. C'était… très diffus.

—De l'encens, dit le garçon. Une note de sauge et… de santal.

—Aucun objet pour le faire brûler. Gardons cela en mémoire.

—Et pour le journal, Monsieur?

—On le garde. Peut-être y découvrira-t-on ses intentions de voyage ou à contrario, des soupçons, des menaces. Tes remarques sont… judicieuses. Allons voir la chambre.

Le garçon replia le journal intime et le glissa dans un sachet individuel, sans voir que Prunellier adressait un signe à Pourpoint, l'air de dire que le gamin assurait.

La chambre était identique au souvenir. Le dressing était inchangé: il manquait le même nombre de vêtements. Il y avait un casier d'environ 90 centimètres de largeur sur 60 de profondeur et un peu plus de 30 pour l'épaisseur. Il était vide.

—Ici, il y avait une valise. Il manque plusieurs robes sorcières, un costume moldu. Il en reste deux: gris et bleu foncé.

Hercule retirera un gant, effleura les robes restantes ainsi que les complets taillés chez des Moldus.

—Velours pour les robes, pure laine pour les costumes. Chemises blanches en lin.

—Pas de coton noir, n'est-ce pas, Van Betavende?

—Non, Monsieur.

—Une paire de chaussures et des bottes, peut-être, ici. C'est plus haut. La valise possède un sortilège extension.

—Il y a un peu de poussière, du résidu à l'emplacement…

Le Belge en préleva un peu et la huma.

—Une valise en carton. Connaissez-vous la capacité d'extension maximale d'un tel modèle?

—Rien de sensationnel. Je dirais 5 ou 6 fois le volume initial. On est loin des miracles des productions de Tonton, hein, Mathilde? taquina l'homme.

—C'est certain.

—C'est le miroir en question?

Il désignait l'objet collé au mur.

—Oui. Il faut prononcer «Arcano Runes»

Le tain se troubla. Prunellier s'avança en premier, sur ses gardes. En entrant, il poussa un sifflement admiratif et abaissa sa baguette.

—Ah oui! Il doit y avoir de nombreuses pièces dans ce musée! Il a tout emporté.

Il s'approcha d'un pupitre soutenant une vitrine.

—Il y avait un grimoire, là-dedans. J'en fais le pari.

Il observa la vitre, sans la moindre trace. L'endroit respirait l'organisation rigoureuse, la mise en valeur et la possibilité d'étudier en toute sérénité.

Prunellier s'approcha de la bibliothèque vitrée. Posée sur un bahut aux portes ajourées et dotées de tiroirs, elle était vide. Il tira sans toucher avec ses doigts et découvrit les plumes, des rouleaux vierges, de l'encre, une loupe, des gants de soie. Il prit la paire et s'étonna:

—Les gants sont en place mais le livre, les pièces de musée ont disparu. Il les a sortis, mis dans la valise et a reposé les gants? Pourquoi ne pas les avoir conservés pour s'en servir durant son voyage? Pourquoi autant de précautions ici, dans une pièce conçue pour préserver et partir avec les objets sans le nécessaire pour les respecter?

—Cela me choque aussi, Monsieur. La demi-mesure n'est pas une caractéristique du professeur Piedargile.

—Mathilde?

—Je crois… Je sens comme une présence diffuse, invisible, insaisissable dans l'appartement. Surtout dans cette pièce.

—Mais tu ne vois rien?

—Tu sais bien que cela ne fonctionne pas pour le passé, chez moi. Je n'ai jamais réussi à ne capter mieux que des sensations. Désolée.

—Si je puis me permettre…

—Oui, Hercule?

—Si l'on considère ces trois vitrines, les deux pupitres, ce meuble, le bahut, les bibliothèques, nous obtenons un volume d'environ 3 mètres cubes. Ce qui excède très largement la capacité d'accueil de la valise du professeur.

—Peut-être avait-il une malle à la cave? répliqua Prunellier.

—C'est possible, mais il aura dû user de sortilèges pour déplacer le tout. Devant des Moldus?

—Tu marques un point. Cependant, il aura pu transplaner. Mais une telle quantité pose problème quand on transplane.

—La professeure de Bazincourt et le directeur Fontebrune pourront indiquer s'ils ont déjà vu un tel bagage lors de leurs périples avec le professeur Piedargile. Si ce n'est pas le cas, cela signifie qu'on aura apporté des contenants multiples et de petites tailles pour transplaner à de nombreuses reprises.

—C'est certain. Tout ceci me paraît louche. Et toi, Mathilde?

—J'ai le même sentiment.

—Bien. On visite le reste de l'habitation et on pose les scellés magiques. Ça va être l'heure de la leçon de maléfice.

La découverte se poursuivit durant une bonne demi-heure, mais elle ne leur apprit rien en retour. L'appartement fut placé sous repousse-Moldu et sous alarme reportant directement au bureau des Aurors. La méthode, inventée par Émile Lassornette, consistait en une sorte de serment inviolable entre un tableau enchanté, accroché au mur derrière le commandant et un lieu placé sous inviolabilité. Si qui que ce soit brisait le scellé, l'adresse notée sur le tableau rougeoyait et mugissait.

Peu après la collation prise dans la brasserie du Ministère, madame Pourpoint s'était isolée avec le garçon, afin d'en savoir plus sur la maladie du Sondeur et la méthode envisagée pour la soigner. Hercule ignorait le nom du mal dont il souffrait, mais il pensait que la salive d'une créature magique avait des propriétés guérisseuses si puissantes, qu'elle constituait l'unique chance de salut. L'Auror avait écouté toute l'histoire, la théorie et le plan d'action du garçon. Lorsqu'il en avait terminé avec son exposé, elle l'avait quelque peu refroidi.

—T'aider à aller chez le fermier, le convaincre de nous prêter la créature, je peux. Entrer dans l'école, c'est impossible.

—Pourquoi? La cheminée du directeur sera désactivée?

—Oui.

—Le Tunnel de Transportation?

—Il sera actif. Cependant, je ne pourrai pas accéder.

—Pourquoi?

—Que sais-tu du 1er avril, à Beauxbâtons?

—Que les adultes quittent l'Académie qui est livrée aux élèves, libres de faire à peu près tout ce qu'ils veulent, c'est-à-dire n'importe quoi.

—Oui mais sais-tu à quand cela remonte, cette tradition?

—Je l'ignore.

—C'est une farce de Ballessaim, le fondateur. C'était un homme très sérieux, désireux de prodiguer un enseignement de qualité, complet, aux sorciers les plus prometteurs. Cependant, il était né un 1er avril et n'en gardait pas moins un certain sens de l'humour. Il a donc lancé un sortilège empêchant tout adulte d'entrer sur le domaine pendant 24heures. Sous-entendu: toute personne ayant 17ans avant le 1er avril. C'est pourquoi, chaque année, quelques élèves de CHASSE sont tenus d'évacuer l'école.

—Que se passerait-il, s'ils n'obéissaient pas?

—Le château les expulserait en les faisant transplaner de force.

—Vers quelle destination?

—C'est la farce du 1er avril: toutes, y compris à l'autre bout de la planète.

—Vraiment?

—Oui. Tu vas devoir trouver un moyen de sortir tout seul.

—Ce n'est pas un souci.

—J'oubliais que tu connais le degré 350 et le plan du château. Quelle sortie choisis-tu?

—Le coffre de l'Observatoire qui mène à l'embouchure de la rivière souterraine.

—Je vois. J'y serai. Je t'emmènerai à la ferme Sallaberry en transplanant, car je crois que tu as du mal avec les balais.

Le garçon lui demanda ce qu'elle comptait faire si le fermier refusait de coopérer. Elle répondit qu'elle ferait parler le statut d'Auror: en général, un écusson en or, estampillé ministère de la Magie, était vu comme un objet magique d'une très grande puissance.

Quand il décrivit la créature qu'ils devraient transporter et introduire dans l'Académie, elle fut moins fière d'avoir promis son concours.

À son retour, seul, dans le bureau directorial, Hercule était très attendu par Armand. Ce dernier se précipita sur lui dès qu'il parut dans la bouffée enflammée.

—Alors? Dites-moi, Van Betavende! De Franjac n'est pas avec vous? Aucun Auror?

—Non, Monsieur. Le commandant m'a confié le soin de faire le rapport. Après que j'ai insisté fortement. Ce qui va me permettre de vous avouer tout de suite, l'information principale: la coupe en bois du professeur a disparu.

—Quoi?!

Le jeune élève prit le temps de détailler toutes les différences entre la vision extraite de l'esprit du directeur et les découvertes officielles des Aurors. Il n'oublia pas la serrure de la porte d'entrée, avec toutes les protections, la fibre inhabituelle, l'odeur ténue de l'encens. Armand lui révéla que son ami détestait cette substance, une des raisons pour lesquelles il refusait de mettre les pieds dans l'observatoire, partagé avec Claire Obscur, friande de ces crémations lentes. Il n'oublia pas de demander à Armand de quel bagage Abraham disposait. Le référent Lonicera voyageait léger et rationnel, ce qui enfonça le clou de l'inadéquation entre le volume transporté et la capacité du contenant. Il mentionna le grimoire resté caché dans le salon. Armand répliqua que son vieil ami l'emportait toujours. Hercule confirma la pose des scellés et dut concéder, la mort dans l'âme:

—En dépit de tous ces points louches, partagés par les Aurors Prunellier et Pourpoint, monsieur de Franjac ne souhaite pas en faire plus pour l'instant.

—Il est aveugle! Le journal de voyage, ça aurait dû suffire! La coupe partie, cela signifie qu'Abraham a dû se trouver mal en point et que ses ravisseurs sont revenus chercher le gobelet. Ils n'étaient pas loin de Paris. J'enrage!

—Cette coupe, Monsieur…

—Oui?

—A-t-elle des pouvoirs magiques?

La question parut le déstabiliser l'espace d'une seconde avant qu'il n'esquive parune réponse sibylline:

—En quelque sorte…

Armand en resta sur ce mystère et remercia son élève à plusieurs reprises. Le directeur était conforté dans son opinion. Si le commandant n'était pas décidé à agir davantage, il n'allait pas rester les bras croisés.

La journée où les élèves prenaient le pouvoir, commençait dans quelques heures, à minuit. Les adultes avaient rassemblé quelques effets personnels et s'apprêtaient à quitter le domaine peu après 22h00, une fois assurés que les élèves seraient bloqués dans leurs pavillons respectifs. Comme d'habitude, seuls les CHASSE de moins de 17ans, logés dans le château au-dessus de la Salle Blanche, seraient libres de circuler à leur guise. Armand rédigeait quelques lettres à l'attention de parents d'enfants en délicatesse avec la discipline ou en perdition scolaire, à force de ne récolter que des notes catastrophiques. Une fois cette tâche fastidieuse terminée, il irait prendre son repas et vers 22h30, il se rendrait à l'auberge Ossaudully, au pays basque, pour y passer deux nuits reposantes et se régaler de leurs spécialités fromagères pimentées.

Il leva sa plume et soupira. Abraham n'avait toujours pas donné signe de vie. Le piège mis en place par les Aurors ne s'était pas déclenché. Il devait prendre l'affaire Piedargile en main, en personne. Mais par où commencer? Il n'avait rien d'un Auror, d'un enquêteur ou d'un policier moldu. Lorsqu'il était Oubliator, il n'y avait pas à chercher d'indices. Le directeur de service l'envoyait sur un lieu avec un périmètre à traiter et bien souvent, des fadaises toutes prêtes à inculquer en lieu et place des souvenirs nettoyés.

Soudain, un bruit incongru le fit sursauter. Il tourna la tête et découvrit un oiseau doté d'un bec pointu et de longues pattes, posé sur le rebord de sa fenêtre, un rouleau attaché à la patte. Il ouvrit la fenêtre, glissa des Noises dans l'escarcelle jusqu'à ce que le volatile estime le prix à payer correct et qu'il libère la missive. La créature s'envola aussitôt. Armand décacheta le pli et identifia le nom ainsi que la signature en bas de la page. Il la dévora:

«Cher Armand,

Excuses mes présenter vous viens je. Afrique du Sud en parti suis je. Découvertes ses runes. Non dire de impossible c'était. Parfaite et au point est Dune. Maintenant commence retraite ma. Tout du plus reviendrai ne je. L'école avec finie est vie ma.

Bonjour mon accepter veuillez.»

La réaction du directeur fut sans ambiguïté:

—Mais qu'est-ce que c'est que, ce charabia?

L'écriture était incontestable: c'était celle du maître des runes, bien que les arrondis ne soient pas parfaits, comme si l'homme tremblait. La signature tellement amusante –Abraham traçait la lettre P et logeait «iedargile» à l'intérieur du rond du P, répartissant les lettres sur toute la circonférence. Ensuite, il ornait le pied du P de deux feuilles de chèvrefeuille. Il avait passé plus de temps à signer qu'à rédiger. La lettre était authentique, mais le style avait été caricaturé.

Armand bondit hors de son bureau et fila droit vers la loge du concierge. L'occupant consignait de nouvelles idées de punitions, indispensables après la journée du 1er avril où certains individus forceraient le trait avec délice.

—Monsieur Grossel. Sébastien. Trouvez-moi Van Betavende.

—Facile. Il est juste derrière vous, Monsieur.

Armand se retourna. Le Belge patientait devant la porte du restaurant avec ses amis. L'adulte fondit sur eux, tel un rapace sur sa proie. Il ne les salua pas et se contenta de tendre le rouleau à Hercule:

—Lisez ça.

Le garçon déchiffra la signature; son visage s'éclaira. Son sourire s'effrita et ses sourcils se resserrèrent à plusieurs reprises. Il dut relire certaines phrases pour parvenir à les comprendre.

—Quand est-ce arrivé?

—À l'instant.

—C'est édifiant. J'ai déjà lu des commentaires du professeur et je confirme que c'est son écriture. Par contre, ses phrases n'ont plus de cohérence. D'ordinaire, il inverse les groupes nominaux, pas la position de tous les mots. C'est une parodie de son style.

—Nous sommes bien d'accord.

—C'est comme si c'était un faux sans en être un. Comme s'il avait fait exprès de tout inverser.

—Ou comme si on l'avait contraint à écrire ainsi parce que l'on avait mal saisi sa manière de s'exprimer. Cette façon de dire les choses ne lui ressemble pas. Prendre sa retraite sans en parler, ne pas donner une adresse, un contact. Cela sonne faux. Ça sent le sortilège Impero.

Le garçon examina le parchemin, l'encre. Il huma le tout. Dans la peau tannée, il y avait un infime relent, indéfinissable. Le rouleau avait passé trop de jours à l'extérieur pour que cela soit identifiable. En revanche, le tracé des lettres, bien que tremblant, ne connaissait aucune variation dans l'épaisseur. Le garçon supposa que plume et encre utilisées, étaient des produits haut de gamme. Le Belge demanda, par réflexe:

—Combien avez-vous donné à l'oiseau?

—Tant que je n'ai pas donné 10 Mornilles, il m'a picoré les doigts avec son long bec.

—Un long bec?

—C'était un genre de héron ou de grue. Un échassier.

—Ce n'est pas un oiseau habituel de la poste sorcière française.

—En effet, c'est un migrateur. Ils viennent d'Afrique, au printemps.

Shin, intrigué, s'imposa dans le dialogue:

—Pardonnez mon intrusion, Monsieur. Mais cette grue, pourriez-vous la décrire?

—Naturellement. Vraiment grande. Une queue noire, un corps blanc, un cou gris foncé avec une tête grise et le crâne blanc. Et une petite tache rouge juste au sommet du crâne.

—Du rouge?

—Oui, Ishii. Du rouge.

Jacques Boulanger s'approcha et compléta:

—Shin, ce n'est pas une grue du Japon?

—La description correspond à celle d'un Tancho. Son autre nom. La tache rouge est caractéristique.

—Où trouve-t-on cette espèce? Je veux dire, hormis au Japon? demanda le directeur.

—Elle se répartit entre la Mongolie, la Chine, le Japon, du sud-est de la Russie au nord de la Corée. La poste sorcière japonaise en emploie quelques-unes lorsqu'un pli spécial doit être adressé à l'école Mahoutokoro. Le courrier normal vient avec le ravitaillement, à dos de Pétrels-Tempête géants.

—Qu'est-ce que cet oiseau fichait là? Un particulier en possède est-il un?

—Monsieur, dans quel état l'oiseau vous a-t-il paru?

Armand réfléchit en fermant les yeux. Il visualisa l'envol lourd. Quelque chose s'échappa de sa vision.

—Suivez-moi, Van Betavende!

L'adulte et l'enfant foncèrent vers le perron et dévalèrent les quelques marches. Ils longèrent les abords du château, faisant crisser la neige sous leurs pas. Le directeur repéra une tache noire sur le blanc uniforme de la poudreuse.

—Là!

Il ramassa une plume et la tendit au garçon.

—Il l'a perdue en s'envolant.

—Un vol lourd pour repartir.

—Il était à bout de forces. Il n'est pas parti des environs. Même pas de Paris. Ces oiseaux font preuve d'une endurance exceptionnelle.

—Le Japon, Van Betavende? Pourquoi? Cela aurait un rapport avec Ishii?

—J'avoue être troublé, Monsieur. Ça n'a pas de sens. Le professeur est un érudit des runes. Sa zone de recherche devrait se circonscrire à l'Europe, voire le Groenland. Ce n'est pas parce que les runes furent l'alphabet des langues proto-germaniques que les pays où l'on parle des langues issues de cette époque comme l'allemand ou l'anglais, sont des lieux où on peut trouver des runes. L'Afrique du Sud pratique l'afrikaner, issu du hollandais, lui-même construit du proto-germanique mais la conquête de l'Afrique du Sud par cette langue, ne date pas du deuxième siècle. C'est illogique. Tout comme le Japon.

—Je suis d'accord avec vous, Van Betavende. Ça n'a pas de sens.

—Il faut se baser sur les faits, uniquement. Notre référent Lonicera n'est plus là. Ce courrier au français maltraité est de sa main. Nous tenons une plume d'un oiseau du sud-est de l'Asie. La collection du professeur, liée aux runes, n'est plus dans son domicile. Sa coupe a disparu entre votre visite et la mienne. Tout le reste n'est que supposition.

—Mais l'odeur d'encens? Je sais que votre odorat est très sensible. Vous n'avez pas pu commettre une erreur. C'est aussi un fait. Vous avez détecté de l'encens que Abraham déteste.

—L'encens participe au culte des morts au Japon, comme me l'a expliqué Shin. On en revient au Japon, avec une antinomie entre cet empire et les runes.

—Oui, concéda le directeur, pensif. Allons dîner… Eh! Attendez!

L'homme repéra deux autres taches noires et trouva une plume blanche en y regardant de plus près.

—Épuisé par un voyage de dix mille kilomètres, Monsieur.

—Oui. Gardez-les, Van Betavende.

—Je ne saurais quoi en faire, Monsieur. De plus, il s'agit d'une preuve.

—Oui, oui, bien sûr. Allons-y.

Ils rentrèrent aussi lentement qu'ils s'étaient précipités dehors. Armand parut perdu dans ses pensées, hésitant sur la suite à donner aux événements. Soudain, il avança au pas de charge, comme si la situation était devenue claire et la décision prise.

Eugénie n'avait jamais vu plus belle réalisation. La fabrique Delacour s'était surpassée. La valisette de 30x20x8centimètres était recouverte d'un cuir verdâtre, poinçonné, tenu au bois par de la ferronnerie en laiton du plus bel effet. La jeune fille la soupesa: elle était légère, en dépit de l'orme et de la loupe d'orme utilisés pour la fabriquer. Elle consulta la lettre d'accompagnement. Les artisans avaient respecté ses desiderata. Elle clama:

—Mono o Iraklis.

Les fermoirs furent libérés des mâchoires les enserrant. Elle bascula le couvercle en arrière. Deux tiges en laiton, articulées, situées de part et d'autre, l'empêchaient de se retourner complètement. Un clic indiqua qu'il resterait en position ouverte, quelles que soient les manipulations. Elle s'extasia devant l'envers du couvercle, avec ses arabesques de bois vernis et devant la couleur du velours noir tendu au fond. Elle plongea le bras en entier et effleura l'extrémité. L'extension était parfaite. Elle avisa les documents insérés dans son outil de stockage: des rouleaux collectant des informations à la bibliothèque, un article du «Cri de la gargouille». Elle y ajouta ses trouvailles du jour. Elle le referma le couvercle et murmura:

—Antio sas.1

La valisette se verrouilla. Elle se couvrit avec la couverture de dissimulation empruntée à Hercule et jeta un œil à la fenêtre. En contrebas, la cérémonie se déroulait dans les temps. Elle reconnut l'élève montant sur le podium pour y récupérer son diplôme. Il était en première année. Elle avait été appelée à recevoir le carton certifiant sa seconde année d'enseignement. Elle s'en moquait. Désormais, elle ne répondrait plus au nom de Beauxbâtons. Elle quitta sa chambre et se dirigea vers la porte de l'appartement. Celle-ci s'ouvrit à toute volée!

—Eugénie! Je sais que tu es là!

Alfred fonça comme un taureau en furie tandis qu'elle se glissait, invisible, à l'extérieur. Son père fouilla le logement en hurlant. Elle descendit l'escalier menant au passage secret de l'infirmerie. Elle était déserte. Elle enfila le couloir, passa la loge du concierge et mit le cap sur la zone administrative. Arrivée près de la porte de la direction, elle fut prise d'un pressentiment. Elle déroula le parchemin et le posa à terre. On pouvait y lire, en grosses lettres, l'objet: demande de changement de nom de famille et renonciation à tout droit d'héritage. Elle poussa le document dans l'interstice entre la porte et le dallage. Elle recula. La porte s'ouvrit. Elle était attendue. Par chance, elle était invisible.

Le matin du 1er avril, vers 8h00, Hercule emprunta le passage secret du coffre de l'observatoire. Il était équipé assez léger: ses deux baguettes, des vêtements très chauds –le printemps timide s'effaçait face à un hiver coriace, neigeux –et quelques friandises pour le Hortza. Ursula lui avait confié que la créature faisait parfois quelques écarts de régime alimentaire et qu'elle appréciait les escargots vivants, car ils craquaient sous la dent. Il lui avait fallu chercher dans le bois, sous les feuillages enfouis sous la neige, des gastéropodes en hibernation prolongée. Le garçon se hâta de rejoindre l'extrémité du tunnel débouchant sur la partie souterraine de la Rivière Enchantée. Il sauta sur les rochers, un à un, et atteignit la rive opposée. Il la longea sur une cinquantaine de mètres avant d'être à l'air libre. Il grimpa une petite butte et découvrit la vallée ainsi que les montagnes, tout autour. Cette vision le remplit de bonheur. La liberté…

Il aperçut une silhouette vêtue de rouge. Elle transplana juste à côté de lui.

—Bonjour, Hercule.

—Bonjour, Mathilde. Vous n'avez eu aucun mal à trouver?

—Non, c'est simple. Tout va bien?

—À vrai dire, hier soir, monsieur Fontebrune a reçu un parchemin du professeur Piedargile.

—C'est une excellente nouvelle!

—Non. À la lecture de la lettre, je peux vous assurer que tout sonne faux. Ce n'est pas son phrasé, juste une très mauvaise imitation. Soit il a écrit sous la contrainte, soit…

—… on s'est servi de ses écrits, de sa correspondance ou d'éléments se trouvant dans le musée pour réaliser le document. Une affaire très fâcheuse. Nous avons fait analyser la fibre par un grand couturier sorcier. Du coton épais, noir. Très résistant. Haute qualité. Selon lui, ce serait…

—… japonais.

—Comment…? s'étonna-t-elle.

—Je vous expliquerai.

—Priorité à la mission du jour. Prends mon bras.

Le garçon attrapa l'avant-bras de la jeune femme et ils disparurent en s'enroulant sur eux-mêmes.

Monsieur Sallaberry était à l'étable en train de changer la paille des vaches qui, si elles avaient pu s'exprimer dans un langage intelligible, auraient juste avoué:

—Notre agriculteur donne des coups de baguette magique, la paille souillée s'envole, les urines et autres salissures plus conséquentes vont dans un bac tandis que la paille devenue propre est déposée sur un tapis mu par une roue enchantée. Toujours à la baguette, l'étable est nettoyée par un Recurvite et le tapis vient déposer la paille recyclée sous nos énormes fessiers.

Par chance, les bovidés ne parlaient pas. Par contre, le fermier était très bavard.

—Vous êtes de grands malades!

Mathilde faisait preuve de courtoisie et de diplomatie.

—Nous avons besoin de soigner une personne qui a une sorte de maladie de peau… euh… non contagieuse mais potentiellement fatale. Or, le garçon ici présent, a été léché par l'un de vos Hortzak. Les sillons, creusés par la langue de la bête, n'ont pas tardé à se résorber. En quelques minutes contre des heures et des heures avec de l'essence de Dictame.

—Bon, madame l'Auror, admettons que le Hortza soit la solution à votre problème. Comment comptez-vous l'emmener?

—J'ai pensé que vous auriez peut-être une cage de transport.

L'homme éclata de rire tant il fut amusé par l'amateurisme et l'ignorance de ses visiteurs. Sa large moustache s'anima, frétilla:

—Une cage en quelle matière? Il faudrait de l'osmium, le métal le plus dense sur Terre. Au prix où coûte le kilo, travailler toute une vie pour se payer une seule cage ne suffirait pas.

—Eh bien… une laisse, une chaîne, un harnais?

—Non. Rien de tout cela. Le Hortza ne s'entrave pas, il ne s'enchaîne pas. Il se contrôle à la voix de son maître. Alors, au risque de me répéter, comment comptez-vous l'emmener?

L'élève prit la parole:

—Je pensais faire appel à Errebelde et la garder à mes côtés au moment où nous transplanerons.

Monsieur Sallaberry s'esclaffa tellement que toutes les vaches tournèrent la tête dans sa direction. Lorsqu'il parvint à contenir son fou rire, il ajouta, en pouffant:

—Même si tu arrives à te faire obéir, tu ne pourras pas transplaner.

—Pourquoi?

—Parce que la nature du loup de pierre empêche cet aspect de la magie de s'exercer.

—Oh… fit Hercule. Mais comment avez-vous fait pour les amener ici?

—Je ne les ai pas amenés. Ils sont nés ici.

—Mais leurs parents…?

—Tu ne comprends pas: ils sont nés ici. Dans la carrière. De la carrière. Elle a engendré un premier couple. Il y a des millénaires. Puis d'autres petits ont été créés par la carrière. C'est un lieu magique. Ce n'est pas n'importe quelle créature.

—Que peut-on faire, Mathilde? Pas de transplanage. Des balais?

—Si tu t'évanouis et que je suis nez à nez avec l'animal, je risque de passer un mauvais moment. Attends…

Elle fouilla dans sa besace et extirpa une boîte laquée. Elle l'ouvrit comme un livre. C'était un recueil de carrés magiques et ils étaient nominatifs. Elle feuilleta et s'arrêta sur l'un d'eux. Elle prit une plume capable de se passer d'encre et gribouilla un message. En attendant une réponse, elle relança:

—Je veux que vous nous conduisiez à l'animal. Pour le transport, je tente une solution de secours. Voyons la bête en premier.

Monsieur Sallaberry haussa les épaules et se contenta de dire:

—C'est vous qui voyez! Après tout, ce n'est pas ma vie qui est en jeu.

Il les mena sans délai à la carrière abritant la volière et la tanière des Hortzak. Un coup de sifflet entre les doigts et la meute rappliqua. Les bêtes se mirent à grogner.

—Silence. Assis. Pas bouger.

Tel des automates moldus, les monstres aux yeux écarlates et cauchemardesques exécutèrent les ordres en respectant leur séquence.

—La théorie sur le Hortza n'est pas compliquée. Il comprend les ordres classiques du Croup ou du chien moldu. Assis, debout, couché, au pied, silence, pas bouger, en avant, stop, recule, mange, bois, prends.

—Est-ce une liste exhaustive?

—Non, mon garçon. Tu n'as pas à connaître le reste. Surtout le mot qui s'épelle A.T.T.A.Q.U.E.

—Et s'il devient agressif, hors de contrôle? compléta l'Auror.

—Vous n'avez plus qu'à espérer un miracle. Ou transplaner. Parce que stupéfixer ou pétrifier une créature minéralisée, cela ne lui donnera que des forces supplémentaires.

—Ah…

—Je vous le répète: sa magie est différente. Bon, mon garçon, voyons si tu y parviens. À toi de jouer!

Hercule inspira et expira bruyamment, chassant toute trace d'angoisse. Puis, il dicta ses ordres sans trembler, sans répéter, le plus clairement possible:

—Errebelde!

La jeune rebelle dressa les oreilles.

—Au pied!

Contre toute attente, elle se précipita vers le garçon. L'élan fut si vif qu'il engendra une mauvaise interprétation de l'Auror. Elle tira sa baguette, par réflexe.

—Stop!

Le monstre fit une halte à un demi-mètre du Belge.

—Assis.

La belle obéit et gémit. Elle acceptait les ordres, mais elle bouillait d'impatience. Elle frétillait son arrière-train sur le sol. Hercule tendit la main vers la gueule et la femelle la lécha sans vergogne. La peau fut raclée et se nimba de sang. Hercule s'en moqua, plongea la main dans son manteau et en ressortit un escargot. Il le plaça sur le museau de la créature dont les yeux rougeoyants se croisèrent d'envie.

—Prends.

Une fraction de seconde suffit pour engloutir la friandise. Monsieur Sallaberry ne put que constater ce qu'il avait cru déceler lors la première visite: Errebelde était tombée sous le charme de ce gamin.

—D'accord. Reste votre voyage. Comment allez-vous…?

Une série de tintements de clochettes interrompit sa phrase. Elle venait de l'entrée de la volière.

—En avant, dit Hercule.

Errebelde le suivit en restant au niveau des jambes du garçon. Ils quittèrent la réserve et découvrirent d'où provenaient ces mélodies. Dans l'allée conduisant à la ferme, un traîneau en bois, rutilant, venait de faire son entrée. Il était tiré par des Jackalopes, menés par Gervais Delacour. Il était tout sourire. Sa bonne humeur disparut lorsqu'il découvrit l'accompagnant d'Hercule.

Le jeune Belge n'était pas le seul à s'être levé dès l'aube. L'ordre Gerbera s'était mobilisé et introduit, en deux vagues, dans les degrés 140 et 310 du Sondeur. Eugénie avait filé à l'infirmerie et avait dû se coltiner la moitié des os, des muscles et des organes humains avant de dégoter le bon mot de passe pour atteindre le couloir secret. La bêtise ignoble du jour était «fléchisseur ulnaire du carpe», un muscle situé dans l'avant-bras. Une fois l'obstacle franchi –un quart d'heure perdu devant Raoul, le squelette –, Eugénie n'avait eu aucun mal à faire jouer la clé dans la serrure de la porte de l'appartement. Se souvenant des conseils d'Hercule, elle avait dressé une liste des pièces du domicile et du mobilier contenu dans chaque espace. Travailler avec méthode, tel était le maître-mot du garçon. Elle décida d'entamer la recherche d'informations sur sa mère par le vestibule, car il y avait une penderie dédiée aux capes d'hiver, d'été et de pluie ainsi que quelques chaussures et bottes. Elle tapota les pans de bois, à la recherche de différences de sonorité. Elle inspecta le dessus de l'armoire, exécuta un Lumos et plaça sa baguette entre armoire et mur pour vérifier si des documents y étaient dissimulés. Elle fit de même sous l'armoire. Elle contrôla les plinthes courant dans le hall. Elle s'empara d'une plume, la trempa dans l'encre et traça des croix.

—Rien ici. Allons dans sa chambre.

La porte était fermée. Elle plaça sa main sur la poignée et sentit qu'il y avait un poids de l'autre côté. Elle lança un Alohomora qui ouvrit sans abaisser la poignée. Une tasse était accrochée par l'anse. Son père avait anticipé sa venue! Si elle avait ouvert à toute volée, comme à son habitude, la porcelaine aurait chu et volé en éclats.

—Bien essayé! Mais je maîtrise le Poculum Reparo. En plus, ces tasses-là, il y en a trois autres. Poculum Gemino aurait fait l'affaire pour te tromper. Tu me prends vraiment pour une gourde!

Elle commença par ouvrir l'armoire dotée d'une penderie et garnie d'étagères de rangement. Elle tâta dans les piles de vêtements et soudain, elle sentit un minuscule livret. Elle repéra entre quels vêtements il se trouvait, nota la trouvaille et l'emplacement sur son parchemin. Puis, elle l'extirpa pour en prendre connaissance. C'était un carton rosé, à la couleur un peu passée, avec deux œillets pour le ranger dans un classeur, sur lequel il était écrit «Fascicule de mobilisation». Le nom de son père y figurait en majuscules. Il y avait son prénom, la classe où il s'était porté volontaire: 1914. Il était revenu en janvier 1916, au début de l'année. Il avait le grade de capitaine et avait été incorporé dans le service médical du 106e régiment d'infanterie. Il était stationné à Reims! La jeune fille fit appel à ses souvenirs de cours d'anglais. Sean McFlurry leur avait dit qu'au début de la guerre, le corps expéditionnaire anglais, basé en France, n'était constitué que de volontaires. La conscription britannique n'avait eu lieu qu'à partir de l'année 1916. Les Anglais avaient participé à la bataille de la Somme. Eugénie n'avait jamais été douée en géographie, mais le département de la Somme et celui de la Marne, abritant la garnison de Reims, était distant de plus de cent kilomètres!

—Militaris… documentum… Gemino.

Le livret militaire fut dupliqué.

—Tu n'as pas appris l'anglais à l'armée parce qu'il n'y avait pas beaucoup d'Anglais à ce moment et qu'ils étaient éloignés. Alors? Qu'est-ce que tu caches?

Elle replaça le livret entre les vêtements où elle l'avait déniché. Elle inspecta toute l'armoire, tapota contre le fond de la penderie qui sonnait creux et marquait, selon le degré 350 du Sondeur, l'emplacement de la sortie au-delà de la grille nord du domaine.

—Alohomora. Cistem Aperio. Dissendium.

Les sortilèges connus échouèrent. Elle fit glisser ses doigts sur le bois et sentit que la paroi n'était pas faite de quatre ou cinq longues planches, cloutées ou collées, voire chevillées côte à côte pour former une large surface. Le fond était un agglomérat de dizaines de morceaux d'un centimètre de largeur et d'une dizaine de centimètres de longueur, tout au plus. Elle sentit qu'il fallait en faire glisser pour débloquer un autre et ainsi de suite jusqu'à ce que tout le fond pivote. Un authentique casse-tête.

—Tu peux être sûr que c'est un Lonicera qui a inventé cette horrible sortie!

Elle laissa tomber. Elle passa à la commode qu'elle inspecta de fond en comble. Hélas! Elle ne contenait rien d'intéressant. Elle retourna la chambre millimètre par millimètre.

—C'est pas vrai! Il n'y a rien! Pas une photo de Maman!

De rage, elle se rendit dans la cuisine. Les cachettes y semblaient peu nombreuses, mais elle était persuadée du contraire. Elle fouilla les placards habituels, l'armoire à balais, le dessous d'évier et lorsque qu'elle se tourna vers l'horloge, elle tiqua.

—Arrêtée sur 13h05?

Elle vérifia que la clé pour la remonter était présente et tenta d'effectuer un quart de tour. Le mécanisme était bloqué, voire faussé. Elle s'accroupit et passa la main derrière le balancier. Elle sentit un objet en cuir. Elle parvint, en contorsionnant ses doigts, à l'extraire. Elle l'ouvrit et découvrit une photo animée d'elle, babillant dans son berceau.

Mathilde avait eu l'idée de faire appel à son oncle Gervais puisqu'il n'habitait qu'à une dizaine de kilomètres de Planes, le village abritant la ferme des Sallaberry. Mais comment avait-il réussi le tour de force d'arriver en cinq minutes, tout au plus? Le Jackalope, effrayé par la perspective de finir sous les crocs d'un prédateur, pouvait détaler à près de 60km/h, voire effectuer une pointe à 80km/h, mais il n'était pas endurant. Après les salutations d'usage, devant l'air interrogateur du garçon, Gervais donna des explications assez étranges.

—Les Jackalopes sont là pour prendre un peu l'air frais.

—C'est ce que je crois, tonton?

—Oui! Le traîneau de Noël.

—Il est magnifique, Monsieur! Il est rutilant, scintillant! Un chef-d'œuvre!

—N'est-ce pas? Donc… euh… c'est le colis à transporter?

—Oui.

—Je te laisse faire.

Hercule avança et ordonna:

—En avant, Errebelde.

Le Hortza obéit et suivit l'élève jusqu'au moyen de transport. Il tapota le siège arrière et tenta:

—Hop! Allez! Saute!

Le troisième ordre fut le mot valide. Errebelde s'était assise sur le siège et reluquait les alentours, comme si le traîneau s'était mué en territoire à surveiller et à défendre.

Monsieur Delacour se rapprocha et Errebelde montra ses crocs neufs.

—Silence. Pas bouger.

L'apprenti dresseur monta à l'arrière, à côté du molosse et posa une main sur le flanc de pierre rugueuse. Mathilde s'installa à l'avant, au côté de son oncle. La gueule de l'animal soufflait de l'air chaud dans sa nuque.

—N'oubliez pas de me la ramener, si vous êtes encore vivants! crut bon de plaisanter le fermier éleveur.

—Hercule?

—Oui, Mathilde?

—Prends ta baguette.

Il se soumit sans discuter. Il comprit vite pourquoi. Le traîneau s'ébranla à l'injonction de Gervais, glissa sur quelques mètres et s'envola lorsqu'il tira sur une manette du tableau de bord. Les Jackalopes continuèrent de pédaler dans le vide tandis que Hercule était au bord de l'évanouissement. Ce vol lui rappela des sensations ancrées dans toutes les parties de son corps, sans pouvoir les rattacher à un événement précis. Les symptômes classiques d'un effacement magique de la mémoire.

L'équipée folle volait bien plus vite que le balai trafiqué de Wilfried Laflèche. Les trente kilomètres en rase-motte furent avalés en moins de quinze minutes et le conducteur atterrit sur les rives de la Porteille, le cours d'eau alimenté par la Rivière Enchantée serpentant dans le domaine.

—Nous t'attendrons ici, Hercule. Tu as ton carré magique?

—Oui et de quoi écrire. J'ai aussi dupliqué les automobiles réduites de Sigrid.

—Sacrée trouvaille, ça! J'aurais bien aimé l'avoir! Il nous a fallu beaucoup de temps pour inventer une formule qui bougeait les bancs de façon synchronisée.

—À tout à l'heure! dit d'Hercule. Errebelde! Descends. Au pied. En avant.

La rebelle ne méritait plus son nom. Pour l'instant…

Gervais ouvrit un compartiment du traîneau et proposa:

—Chocolat chaud? Biscuit?

—Comme dans le temps! Au fait, tu viens de lui confirmer que tu n'étais pas seul lorsque tu explorais le Sondeur. Tu as dit «nous».

—Ça m'a échappé. Il n'y a pas prêté attention.

La jeune femme pouffa de rire.

Eugénie enrageait. Après deux heures de fouille intensive, elle n'avait mis la main que sur le livret militaire de son père et un vieil album photo. Sur ce dernier, elle apparaissait à plusieurs reprises, ainsi que des professeurs. Aucun cliché de sa mère. Pourtant, dans l'album, il y avait des emplacements vides, de temps en temps, entre les différents clichés animés. Son père avait effacé les traces du visage de sa mère. Il l'avait effacée tout court, car elle n'était pas mentionnée dans le moindre document. La jeune fille avait sondé le moindre meuble, les tiroirs, y compris la salle de bain et sa propre chambre. Soit c'était caché à la perfection, soit il avait procédé à une destruction systématique.

Allongée sur le lit de sa chambre, elle cherchait une explication. Son père avait peut-être dissimulé des documents dans le tunnel conduisant de son armoire au-delà de la grille Nord. Un peu comme la cachette des prophéties aménagée par Mysterio Flamingo. Dans ce cas, elle devait l'ouvrir aujourd'hui ou jamais. Elle se leva et fit les cent pas dans la chambre. Puis, elle sortit et se dirigea vers la salle de bain, fouillée comme les autres pièces. Enfin, elle repartit en sens inverse, énervée et rentra dans sa chambre. Elle allait se jeter de nouveau sur le lit, par dépit, lorsqu'elle fut prise d'un doute.

—J'ai la berlue ou quoi?

Elle partit du mur de sa chambre, côté tête de lit et compta les pas la séparant du mur opposé, s'appliquant à mettre un pied devant l'autre. Elle mesura ainsi 23 pieds. Ensuite, elle prit un départ dans l'alignement de sa chambre et parcourut, de manière identique, la longueur de couloir jusqu'à la porte de la salle de bain. La pièce d'eau était construite derrière sa chambre, sur trois mètres, soit la largeur de sa chambre. Or, elle compta 27 pieds. Il manquait près d'un mètre. Elle vérifia et fut certaine de ses comptages. Elle tapota sur tout le mur de la tête de lit. Il sonnait creux, peu ou prou, et c'était normal puisque la salle de bain se trouvait derrière. Elle essaya de déplacer le lit mais se souvint que c'était impossible. Son père avait vissé les pieds dans le parquet, parce qu'il en avait assez qu'elle saute sur la literie durant des heures, faisant claquer la boiserie contre la cloison.

—Sauf que je n'ai aucun souvenir d'avoir fait ça… Si c'était avant mon quatrième anniversaire, impossible de m'en rappeler.

Elle s'inséra sous son lit. Elle avait examiné les sommiers, fouillé entre matelas et support. Elle poussa le lit pour essayer de décoller l'un des pieds. Elle échoua mais perçut un léger cliquetis. Elle tenta alors de «dévisser» le pied du sol. Elle parvint à exécuter un quart de tour et déclencha un bruit plus franc. Elle contrôla au-dessus de son lit: il n'y avait aucun changement. Elle appliqua le même traitement aux trois pieds restants. Clac! fit le mur. Elle glissa sur le parquet et découvrit que la tête de lit était entrouverte. Elle jubila, retira l'oreiller et le traversin, puis tira le panneau rembourré et tendu de tissu. L'ouverture faisait environ un mètre carré, soit la surface de la tête de lit. Il fallait se contorsionner pour entrer dans la cachette. Elle attrapa sa baguette et lança:

—Lumos Maxima.

C'était une minuscule pièce, tout en longueur, avec une sorte de secrétaire au bout, très étroit, sur mesures, protégé par un couvercle rabattable. Au-dessus, il y avait trois étagères. Dessous, il y avait un tabouret pour s'asseoir, la seule chose qui pouvait loger dans cet espace étriqué. Il se rangeait entre les pieds du secrétaire. Elle éclaira les murs. Il y avait des traces attestant de la présence de cadres. Elle ouvrit tous les compartiments, le tiroir, fouilla les étagères en se servant du tabouret pour inspecter les hauteurs. Tout était…

—Vide!

Elle passa son doigt sur le bois. Il y avait peu de poussière. La cachette avait été fraîchement nettoyée et vidée. Elle enragea, finissant par pleurer. Elle avait faim, elle était épuisée par cette quête, sa colère ne diminuait pas. L'idée de lancer un Incendio radical lui traversa l'esprit, histoire d'anéantir les possessions ultimes de son père. Ainsi, il pourrait rester dans l'auberge dans laquelle il allait, à Vernet-les-Bains. À vie!

Tout à coup, sa colère agit comme un électrochoc. Elle sortit de sa cachette, poussa la fausse tête de lit, tourna les pieds, arrangea les draps, l'édredon et fit en sorte qu'il n'y ait plus une seule trace de son passage. Elle vida sa commode, son armoire et enfourna le tout dans un sac à extension. Ensuite, elle le déposa dans l'entrée et se rendit dans la chambre de son père. Il avait laissé son propre sac enchanté, pendu dans la penderie. En revanche, la malle supposée se trouver dans le cellier où il stockait victuailles et conserves, ainsi que quelques bouteilles de vin, ne se trouvait plus à sa place. Une énorme malle, signée Delacour, pour seulement deux nuits à l'extérieur?

—Il a vidé le bureau secret et a tout emporté! C'est pas possible d'avoir l'esprit aussi tordu!

Elle finit par se calmer en pensant à Hercule.

—Comment ferais-tu? S'il n'y a rien à voir mais que tu sais que des documents te sont cachés, qu'est-ce que tu fais? Tu cherches un autre créneau. Voyons… Il va rarement s'approvisionner en médicaments. Il préfère envoyer Rose, la plupart du temps, car il en oublie la moitié. Une sortie… Non, la visite de Bonpied avec les deux années de CHASSE-Médico a déjà eu lieu en novembre et en décembre. Il n'encadre jamais les autres sorties, car il les trouve inintéressantes. Une convocation par Armand? C'est court. Il me faut une ou deux heures. Et le coup de la fausse maladie, de l'épidémie pour l'occuper? Non, il ne va pas se laisser prendre au piège comme l'année dernière. Et si… ah oui! Ça, c'est très osé, très risqué mais c'est le seul instant où il ne pourra pas être à l'infirmerie pour une durée suffisante. La remise des diplômes! Quant à moi, d'ores et déjà, je vais publiquement revendiquer le droit à la défection. Oui!

Ragaillardie, elle effectua une ultime vérification des pièces et quitta l'appartement avec la ferme intention de remporter la prochaine bataille.

Hercule avait presque tout prévu sauf la frousse d'Errebelde face à l'escalier dissimulé dans le coffre. Quelques escargots bien juteux et craquants avaient solutionné le problème. Il risquait d'être à court si le Hortza regimbait pour redescendre au retour.

En sortant du passage secret, il prit garde à ne pas croiser d'élèves. La plupart des étudiants s'étaient réfugiés dans les étages des pavillons, du moins chez Aloysia et Lonicera, pour s'y amuser sans retenue. Le danger venait d'Urtica, dépourvu d'espace commun. Il consulta sa montre. Il était 9h30. Le service du petit-déjeuner avait pris fin depuis trente minutes. Il avait prévu la cape de dissimulation, mais elle était trop petite pour couvrir l'animal seul.

—En avant.

Il descendit les marches de l'escalier principal, suivi comme son ombre par son garde du corps. Ils atteignirent le hall. Il perçut des voix venues de l'extérieur.

—Au pied. Allez! En avant!

Il pressa le pas et tourna dans le couloir. La bibliothèque étant fermée, il ne risquait pas grand-chose de ce côté. Par contre, Eugénie pouvait apparaître sur le seuil de l'infirmerie. Et l'un des autres membres de Gerbera pouvait toujours surgir de la salle du Sondeur. Plus vraisemblablement, le trio parti dans le degré 310 que Sigrid, explorant le degré 140, occupée pour la journée –elle avait même prévu un pique-nique –. Il entrebâilla la porte. Personne!

—Au pied! Viens! Assis. Pas bouger.

La louve de pierre resta en place près d'un banc, observant son environnement, humant l'air et gardant un œil sur le garçon. Il mit les modèles réduits en place, les régla sur le degré 220 et l'appela. Elle le rejoignit dans l'isoloir central. Hercule débloqua la sécurité. Le bruit des mécanismes intrigua l'animal. Il ne grogna pas, mais émit un couinement et pencha la tête, amusé. La masure apparut. Hercule avait toujours un doute, la peur d'atterrir par mégarde chez le Gobelin du degré 210 et que celui-ci soit déterminé à l'embrocher. Cette fois, l'erreur serait sans conséquence sauf pour Triplesec qui devrait faire face aux dents de diamant du Hortza.

—En avant.

Le drôle de duo approcha de l'entrée. L'aveugle perçut du mouvement et demanda:

—Qui est là?

—Moi.

—Bonjour, Hercule. Tu viens t'enquérir de ma santé?

—Oui. Pouvez-vous remonter votre manche et me montrer votre main?

Le Sondeur avança et dévoila le mal. Il avait progressé et couvrait désormais la main et l'avant-bras. En totalité.

—Alors?

—Cela s'étend.

—Ah… As-tu avancé dans tes recherches? Johannes t'a-t-il aidé?

—J'ai… eu… une autre idée.

—Bien. C'est curieux. As-tu emmené une autre personne? Je perçois une autre respiration, très rapide. Ton ami Katarina a-t-elle eu d'autres mots pour moi?

—Non. Errebelde, au pied.

La créature approcha.

—Qu'est-ce que c'est?

—Un animal dont j'ai fait la connaissance. C'est comme un énorme loup de pierre. Sa langue, sa salive ont des propriétés guérisseuses.

—Je comprends. Est-ce dangereux?

—Oui.

—Que faut-il faire?

—Tendre votre bras devant sa gueule.

—Bien. Alors, espérons qu'il ne me croquera pas.

—Cela pourrait être douloureux.

Le Sondeur fit confiance à l'enfant. Hercule le guida, ajusta la position et ordonna:

—Allez, Errebelde! Lèche comme tu as fait avec moi.

Le Hortza ne comprit pas la demande. Il n'y avait aucun ordre correspondant à la pulsion dont il avait fait preuve. Hercule plaça sa main sur l'avant-bras du Sondeur. La rebelle sentit son odeur et donna un coup de langue, puis un second. Le garçon fit glisser sa main ensanglantée et Errebelde poursuivit son récurage sur le Sondeur. Elle s'appliqua à nettoyer toutes les zones contaminées, Hercule indiquant à leur hôte quand pivoter son membre ou le reculer. Bientôt, l'avant-bras et la main furent luisants de sécrétion. Le garçon offrit deux escargots en récompense, ce qui amusa le résident du degré et ravit l'animal.

—Tu parais à ton aise avec les créatures magiques. J'ai ressenti ta relation avec le dernier arrivé, le Baku. As-tu remarqué que ton sommeil est plus profond, moins agité?

—C'est vrai.

—Une créature très bénéfique. Un excellent choix pour l'Académie.

Le Sondeur se mit à bavarder comme s'il avait rencontré un vieil ami. Le dresseur du jour lui répondait, un œil sur Errebelde, cherchant une trace d'impatience, l'autre œil sur le membre malade. Il crut déceler des traces blanches sur les articulations des doigts et au coude.

—Sondeur, je crois que cela agit. Oui. Je détecte une amélioration.

—C'est une réussite, alors?

—Je… je crois.

Les zones noircies s'éclaircirent, passant de l'ébène au gris foncé, puis au gris clair.

—Ça fonctionne! s'exclama Hercule, avant de recouvrer une attitude plus calme, plus en conformité avec le caractère méfiant du molosse minéral. Il faut que je vous quitte. Je n'en ai pas fini avec ma mission.

—Tu dois ramener l'animal. Il ne peut rester au domaine.

—Oui, Sondeur.

—Je sens poindre une once de regret.

—J'aime la sensation de puissance qu'elle dégage. Madame Waldmeister adorerait l'avoir.

—Je le sens. Tu aimes cette créature. N'est-ce pas?

Hercule concéda un oui sincère. Il eut un ultime regard pour l'âme du château. Le blanchiment était en cours. Il salua l'être de marbre et fila vers l'isoloir, accompagné de son terrifiant garde du corps. Il revint au degré zéro, rangea ses affaires et traversa la salle. Il risqua un œil à l'extérieur. La voie était libre. Il donna ses ordres. Errebelde resta en retrait, le temps que le garçon s'assure d'un accès sans risque à l'escalier. Il tomba sur Rosier dévalant les marches et beuglant qu'il n'avait pas trouvé ces sales sangs impurs de Boulanger.

—Van Betavende!

—Rosier.

—Qu'est-ce que tu fiches ici?

—Et vous?

—Je traque ces sales anomalies de Boulanger.

—Vraiment?

—Ôte-toi de mon chemin!

—Je n'ai aucun ordre à recevoir d'un suprémaciste qui envoie du courrier à un assassin.

Thibaldus blêmit et osa:

—Je ne vois pas de quoi tu parles.

—Moi, si.

Hercule éjecta sa baguette pour répondre à celle que l'Urticant pointait sur lui.

—Il n'y a personne pour te sauver, Van Betavende. Tu es seul face à moi.

—Qui vous dit que je suis seul?

—Mes yeux.

—Vos yeux vous trahissent.

Hercule fit tournoyer sa baguette et déclama:

—Errebelde!

—C'est quoi, ce sortilège à la noix?

—De la magie noire. L'appel à un démon impitoyable.

—Eh ben voyons!

—Errebelde, au pied.

Le Hortza quitta le couloir et se montra. La rebelle se mit à grogner et à écumer.

—Non… non… pitié! Pitié! supplia Thibaldus, terrifié par l'apparition cauchemardesque.

Hercule connaissait le mot. Impardonnable. Le monde sorcier serait débarrassé d'une engeance maléfique.

—Pitié? Voyons… Soit je lâche le loup infernal sur vous, soit vous renoncez à traquer les Boulanger.

—D'accord! D'accord! Tout ce que tu veux!

—Déguerpissez! Pas bouger.

Le suprémaciste à la chevelure graisseuse, fonça dehors et courut en direction des pavillons, à en perdre haleine, sans se retourner, sans cesser de hurler qu'il avait vu un démon aux yeux rouges.

—Hop! En avant.

La créature et son dresseur gravirent les marches en direction de l'observatoire, désert. Le garçon déverrouilla le coffre grâce au «Nunquam sine me», sacrifia ses derniers escargots et produisit un Lumus Solem qui rassura l'animal. Il gagna rapidement l'extérieur où Gervais et Mathilde les attendaient. Ils s'envolèrent sans tarder et Hercule prit le temps de narrer l'aventure. Lorsqu'il aborda l'ultime péripétie avec son «confrère» détesté, il termina son propos par:

—Si vous connaissez un sort d'illusion optique, je suis preneur.

La réflexion déclencha l'hilarité de monsieur Delacour. Mathilde lui confia un sort que des Aurors utilisaient parfois pour tromper l'ennemi. Il fallait juste être capable de visualiser à la perfection.

L'arrêt à la ferme Sallaberry dura un peu plus de temps que prévu, car le fermier voulut son compte de narration. Puis, il dut promettre que l'histoire resterait secrète. Avant que les protagonistes ne le quittent, à la demande de Gervais, il offrit un assortiment de plumes à Hercule. De l'Occamy, de l'Augurey, de la Coquecigrue et même une, soumise à réglementation, de Jobarbille. Gervais repartit aux commandes de son attelage atypique, bien content d'avoir vécu une aventure lui rappelant l'Académie et ses folles péripéties. Hercule et Mathilde transplanèrent vers le tunnel et le garçon remercia l'Auror sans qui rien n'aurait pu arriver. Elle répondit:

—Ce n'est rien. C'était facile. Je savais que tu réussirais.

—Mais comment?

Elle rit et dit:

—Décidément, toi et la divination, ça fait deux.

Puis, elle conclut avant de disparaître:

—À dimanche, Auror enquêteur stagiaire.

Hercule regagna l'Observatoire. Il n'était que 11h00 du matin. Il alla voir du côté de la salle du Sondeur, au cas où ses camarades seraient revenus. Il tomba sur Eugénie traînant son sac à extension, bien trop lourd pour elle seule.

—Hercule.

—Voulez-vous de l'aide?

—Ce n'est pas de refus! J'ai entassé ma vie là-dedans.

—Avez-vous trouvé satisfaction?

—Non. Pas grand-chose. Et toi?

Il poussa la porte de la salle du Sondeur. Il y avait eu du changement. Les Feux Éternels brûlaient comme jamais. Exit le poison! Satisfait, il aida Eugénie à porter son sac aux portes du pavillon Aloysia. Ensuite, il repartit vers le château et le contourna. Il vit la fontaine Flamel en fonction.

—Ahhhh! Je n'ai jamais autant aimé le 1er avril.

Puis, une vague de mélancolie l'envahit. L'adrénaline en chute libre, la peine de ne pas pouvoir informer ses parents. L'émotion se fit violente, inattendue. Il s'assit sur un banc et pleura. Un choc l'ébranla, une douleur terrible au crâne s'ensuivit. Il bascula en avant et son sang se répandit dans la neige.

Alors que Hercule revenait à lui, il découvrit un environnement familier: les murs blanchis de l'infirmerie avec quelques portraits animés de médicomages illustres. Il porta la main à la tête: elle était prise dans un épais bandage. Dehors, le soleil se couchait. Il tourna la tête et découvrit cinq visages amicaux.

—Que s'est-il passé?

—Rosier, expliqua Eugénie. Je venais de balancer mon sac dans ma chambre et je repartais vers le château pour te rejoindre quand j'ai vu ce cancrelat qui revenait de la fontaine Flamel. Il criait: «Je l'ai eu! Je l'ai eu!». Alors, je suis allé voir et je t'ai découvert, baignant dans ton sang, inconscient.

—Mais comment avez-vous réussi à…

—Je t'ai traîné sur la neige. Une chance qu'il y en ait eu autant! Ça glissait comme sur des skis. Finalement, cette année, tu as encore fait du ski joëring, mais c'est moi qui ai rempli le rôle de l'Abraxan. Par contre, ton manteau, il est fichu. Il n'a pas résisté au dallage du château et aux marches du perron. À moins d'un miracle! Je demanderai à Alonzo, il est fortiche en couture magique.

—Merci pour tout, Eugénie. Et vous, alors?

Sigrid lui parla du degré visité. Elle était enchantée. Il y avait toutes les plantes possibles et imaginables, il y avait même des végétaux poussant en altitude, au froid car après une heure de marche, derrière une forêt tropicale, on découvrait la montagne sacrée avec des lianes qui entraînaient le visiteur au sommet. Le danger, c'est qu'elle avait dû se faire violence pour redescendre vers les isoloirs et que, étant donné l'immensité des lieux, il était facile de ne plus jamais retrouver son chemin. Après l'enthousiasme de l'Aloysienne, le garçon avait affronté la passion d'Umbelina. La Portugaise avait volé en rond dans la grotte à l'encens jusqu'à ce que Shin, pris d'un pressentiment, ose traverser le lac incandescent à pied. Il avait été consumé. Katarina s'était jetée pour lui porter secours et avait disparu dans une bouffée écarlate. Umbeijo avait volé durant deux heures, en proie à la panique.

—Mais vous êtes là!

—Oui, répondit Shin, le sourire aux lèvres.

—Alors?

—Lorsqu'on traverse, on disparaît et on se retrouve dans une autre grotte qui comporte une sortie. Dehors, c'est l'océan aux vagues déchaînées. On se retourne et on fait face à une île volcanique.

—Quel est ce lieu?

—Le passage secret pour rejoindre l'école magique de Mahoutokoro.

Hercule fut sidéré. Katarina posa un objet sur les draps et lui dit:

—Petit souvenir du Japon.

C'était une plume d'un mètre de long. C'est celle d'un Pétrel-Tempête géant.

—Mais comment vais-je réussir à la loger dans une baguette?

L'humour était au rendez-vous. Il allait mieux. Mais Rosier ne perdait rien pour attendre.

1«Au revoir» en grec.