Sortilège 37: le cimetière du Père-Lachaise
Hercule brandissait fièrement son piquant de Barboule noir tandis que son camarade japonais suivait la «torche» jusque dans la grotte d'Urtica. Après les péripéties de la journée où le Belge avait frôlé la mort, l'heure était à la détente.
—Cette tige éclaire autant qu'une baguette!
—Vous avez raison, Shin. Quelle belle lumière, plus…
—Solaire.
—Oui. Vous avez remarqué à quel point le Lumos d'une baguette donne un blanc froid, assez épuisant à la longue. Tandis que le pique de Barboule offre une teinte plus chaude. Je crois que mon prochain sujet d'étude, concernera les artefacts magiques qui peuvent remplacer l'absence de baguette.
—Madame Sato, notre gouvernante Cracmol, est une experte redoutable dans ce domaine.
—Vraiment? Il faudrait m'entretenir avec elle.
—Votre été sera bien occupé, Hercule.
—C'est juste.
—Je sais ce que vous pensez. Vous auriez pu revoir votre mère si toute la fratrie des Van Kriedt avait été arrêtée. À trois personnes, ils ont moins de solutions. Tôt ou tard, les criminels commettront des erreurs et les Aurors les arrêteront.
—Je l'espère… Allez! Baignade, digestion de nos découvertes, leçon de français et de japonais.
Les garçons s'immergèrent. L'eau activa les mémoires. Ils purent profiter une nouvelle fois de la visite dans son intégralité. Hercule se replongea avec frayeur et délice dans le face-à-face avec la dragonne. Firmin lui avait glissé une coquille d'œuf et ces drôles de vésicules poussant sur son corps. Hormis le piquant de Barboule, le père de Jacques avait aussi mis deux moustaches de Bayours, deux plumes de Dirico et des poils de Niffleur. Le fils Boulanger entretenait une correspondance soutenue avec ses parents et Hercule revenait souvent dans sa conversation. Firmin était au courant pour les baguettes.
Avec ces nouveaux cœurs, il était en mesure d'en créer de nouvelles, d'autant plus que monsieur Delacour lui avait fait parvenir, par l'intermédiaire de monsieur Racine, un nouveau lot d'essences boisés. Du chakte kok d'un rouge aussi vif qu'une fraise, venu du Paraguay, de l'ébène si sombre qu'il était presque impossible d'en distinguer le grain, du bois d'amourette avec des taches brun clair sur brun foncé. Le dernier était le plus rare. Bois rosé brun, c'était l'eucalyptus en provenance directe d'Australie. Cette collection complétait du cédrat prélevé dans les coupes effectuées par Ursula.
À chaque fois qu'il manipulait les échantillons, il éprouvait des sensations particulières, précises, en fonction de l'essence et non de son état mental ou émotionnel personnel. L'ébène instillait un sentiment de puissance, de tranquillité, comme s'il n'y avait jamais besoin de forcer ses sortilèges. Le chakte kok générait des gargouillis dans son estomac: il avait faim. C'était comme si la baguette issue de ce tronçon, allait échoir dans les mains d'un cuisinier ou d'un potionniste. Dès qu'il effleurait l'eucalyptus, la voix de Waldo se répandait dans ses pensées. Était-ce parce que les deux avaient transité par l'Australie? C'était déroutant et quel que soit le cœur qu'il choisirait d'inclure, cela donnerait une baguette tourmentée. Le sorcier qui la manipulerait, devrait être habité d'une morale à toute épreuve, avoir la conviction d'agir pour le bien. Entre les mains d'un suprémaciste ou d'un partisan de la magie noire, elle se laisserait tenter par le côté obscur de la sorcellerie. Quant à l'amourette, il savait ce qu'il allait en faire, quelle forme il allait lui donner et si monsieur Delacour était d'accord, il allait la racheter pour l'offrir à Eugénie. Lorsqu'il était élève dans l'école moldue de Bruges, il avait assisté à l'émergence d'un outil voué à remplacer l'encre et la plume d'oiseau: le stylographe. L'objet, en métal, contenait une réserve d'encre interchangeable et un système de pompe pour envoyer des doses dans une plume de métal. Dans quelques années, les plumes et les encriers auraient disparu au profit des stylos plus pratiques, transportables sans en renverser partout. Mieux: des ingénieurs moldus en créeraient avec plusieurs couleurs et l'utilisateur pourrait choisir la plus adéquate pour un travail donné: du noir officiel, du rouge pour attirer l'attention, du bleu violet plus fantaisie, etc.
Sur ce principe d'adaptation aux circonstances et après avoir vu la possession de la professeure Dunne, le garçon voulait créer une baguette multicœur. Cependant, il ne voulait pas reproduire le mélange hasardeux généré par Émilie boulanger. Il voulait se ménager la possibilité de changer le cœur à volonté. Eugénie était un être aux nombreuses facettes et aux capacités multiples. Il lui fallait une baguette circonstancielle. Pour cela, il affronterait un grand nombre de défis techniques et magiques, sans oublier l'indispensable dextérité pour produire les minuscules pièces d'un objet qui ne mesurerait pas plus de douze centimètres, soit la moitié des plus petits modèles de chez Cosme Acajor ou Ollivander.
Les esprits en paix, les garçons échangèrent dans leurs langues maternelles. Ils luttèrent pour ne pas se laisser gagner par le sommeil.
Au cours particulier de duel, le samedi 19 avril, Eugénie ne comprenait pas pourquoi la référente Urtica quitterait l'Académie dans six ans.
—Notez que j'aime bien la professeure Bonnelangue, même si elle me met des FONTE à tire-larigot, mais pourquoi pas vous comme directrice? Vous êtes la plus ancienne référente en poste.
—Il en sera ainsi jusqu'à mon départ. En nous quittant, monsieur Fontebrune nous a privés de son fabuleux don pour l'Oubliette de masse. Les élèves de deuxième année de CHASSE me connaissent depuis huitans durant lesquels je n'ai pas changé. Encore quelques années et mon secret deviendra illusoire.
—Qu'allez-vous faire?
—J'irai vivre à l'étranger. Je changerai de pays, de communauté sorcière tous les dix ou quinze ans. Je vivrai parmi les Moldus, en alternance.
—Vous allez mourir un jour, Professeur?
—Comme je suis hybride, je le suppose, Umbelina. Mais nous ignorons tous la date de notre terme.
—Sauf Obscur!
—Tu es sûre, Eugénie?
—Elle est voyante, elle doit savoir.
—Alors, je te conseille de relire tes cours. Les voyants voient pour les autres, rarement pour eux-mêmes.
—Ah zut! J'ai encore dit une bêtise!
Elvira sourit et poursuivit:
—Je voudrais te féliciter, Hercule. Hier, même si ta baguette était sur toi, tu ne l'as pas utilisée. Un sort informulé, sans toucher à ta baguette, c'était une première, n'est-ce pas?
—J'ai procédé à une analyse, après coup, des instants où je n'ai pas formulé et… lorsque j'ai appris la mort de Père, ici même, j'ai lancé ma marque involontaire sans reprendre la baguette que j'ai testée. Hier, c'était la première fois que tout survenait en même temps. L'Aquadiffindo que j'ai créé, m'est venu à l'esprit en premier. Je ne voulais pas… Est-il…?
—Il est en vie, à l'hôpital Bonpied, sous bonne garde.
—Tant mieux. Les autres?
—Pour ce que je sais, le droit sorcier français est très clair: un crime commis sur un territoire, sera jugé sur place si et seulement si un tribunal existe. Ils seront jugés en France, même si le ministère de la Magie hollandaise proteste. En revanche…
—Oui?
—Casper étant âgé de moins de treize ans, il sera remis aux mains du Ministère de son pays.
—Il sera libre?
L'enseignante expliqua que la Hollande avait créé une structure fermée nommée «Laatste Kans», un bâtiment attenant à l'hôpital pour sorciers où plusieurs Aurors et précepteurs tentaient de recadrer les enfants déviant vers les pratiques les plus sombres ou se révélant incapables de contrôler leur magie. Dans cet organisme, des groupes de pathologies étaient constitués pour plus d'efficacité. Quoi qu'il arrive, à 17ans, les enfants quittaient l'établissement guéris ou internés dans l'espace sécurisé des maladies psychiques de leur hôpital. Les Hollandais n'avaient pas de prison au sens classique et effroyable du terme. Avec une population sorcière s'élevant à environ 400 âmes, la criminalité était presque inexistante. L'acte des Van Kriedt avait explosé les statistiques.
Elvira avait mis un terme à ses explications et avait réclamé l'attention des quatre élèves. La compétition de duel approchait et la référente Urtica ne concevait pas que l'un des quatre membres fondateurs du quatrième ordre n'atteigne pas la finale. Elle rappela que la victoire rapporterait une note PLATINE comptant dans la moyenne annuelle ainsi qu'un accessit offert lors de la cérémonie de remise des diplômes. C'est ce moment qu'Eugénie avait choisi pour entamer sa campagne d'intoxication:
—Pour ce que ça sert, cette mascarade!
—Comment?
—C'est vrai, quoi! Je n'aurai ni accessit, ni diplôme, cette année. Je pense que je vais redoubler. Je vois aucun intérêt de m'y rendre. Pour me prendre des réflexions de mon père, en public, non merci!
L'enseignante avait glissé sur la remarque et leur avait demandé de constituer une équipe de quatre personnes. La proposition avait généré des regards interrogateurs.
—Est-ce de l'humour, Professeur? avait lancé le garçon.
—Non. Vous quatre, vous allez combattre.
—Contre qui?
—Moi.
Le quatuor s'était dévisagé, interloqué. Comment vaincre l'enseignante, même à quatre?
—Mais… Madame… Professeur…
—Oui, Sigrid?
—Quels maléfices pouvons-nous utiliser?
—Tout ce que vous connaissez. Sauf les impardonnables et les mortels.
Hercule n'attendit pas d'instructions supplémentaires. Il agita sa baguette tout autour de lui en déclamant:
—Nebula Maxima!
Un banc de brume épaisse, surgi de nulle part, les nimba aussitôt.
—Assurdiato, murmura-t-il en pointant dans la dernière position connue de l'enseignante.
—Déplacez-vous de quelques pas sur la droite. Décalez vos mains vers la droite et lancer un Periculum.
La femme répliqua dans la direction des étincelles rouges. Les siennes, blanches, trahissaient des tentatives de stupéfixion.
—A trois, on la stupéfixe. 1, 2, Finite. 3!
Le Finite leva la brume et le bourdonnement dans les oreilles de leur cible. Les stupefix atteignirent le vide. Elvira avait disparu! Sigrid reçut un sort qui la pétrifia. L'attaque était venue du sommet du dôme où l'adversaire flottait. Hercule érigea une palissade de bois tandis qu'Umbelina déclenchait une tornade pour emporter leur assaillante. Face à la violence du vent, elle ne put se maintenir davantage et transplana vers le sol. Eugénie profita de ce contretemps pour expédier un Repulso rageur qui envoya madame de Bazincourt valdinguer contre le mur. Hercule formula un Finite à destination de Sigrid. Elle fut libérée. Elvira évita une trombe d'eau déversée par Umbelina, de plus en plus maîtresse des éléments. Le garçon tenta d'encercler l'enseignante avec une muraille de bois épaisse. Lorsque cette dernière parvint à la briser, elle se heurta à une autre barrière, en métal cette fois-ci. La princesse jeta ses forces dans un Fulguracrucio qui électrisa la palissade de fer. Elvira ne put la toucher sans risquer de s'électrocuter et l'étroitesse de la cage l'empêcha de manœuvrer sa baguette à sa guise. Hercule remit du bois tout autour et demanda à Eugénie de l'enflammer. La chaleur se communiqua au métal de la cage. Umbelina, baguette en main, visa le sommet du dôme, certaine que Elvira n'avait plus qu'une seule possibilité: transplaner. Tandis que les trois autres entretenaient leurs sorts, la Portugaise fut prête pour:
—Petrificus… totalus!
Le sort toucha le plafond à l'instant où Elvira apparaissait. Elle chut sur le sol de la Salle Blanche, figée.
—Finite!
La femme se releva, remit de l'ordre dans ses cheveux et sa tenue. Elle admit:
—Bien joué! Ça, c'est du travail d'équipe, avec les points forts utilisés. Ne croyez pas que je vous ai laissé des chances de gagner. Enfin, disons que si, une.
—Dans la brume, Professeur, n'est-ce pas?
—Comment ça, M'dame?
—Elle peut voir la chaleur des corps, Eugénie.
—Grâce à ma nature hybride de vampire. Qu'aurais-tu dû faire?
—Un Aquaglaciem. Pour masquer la température de nos corps. Ah zut!
Le reste de la séance ressembla à l'entame, avec des règles changeantes, des sorts imposés pour rappeler aux élèves de faire appel à des classiques parfois oubliés comme Confundo. Lorsque les enfants furent à bout de forces, la référente les libéra. Ils durent patienter deux heures avant d'aller se jeter sur la nourriture du restaurant, affamés par l'intensité des leçons. Hercule rappela qu'il faudrait vérifier les prophéties du coffre de l'Observatoire le lendemain, le dimanche étant le plus tranquille. Eugénie émit une réserve:
—Bah non! Demain, c'est le 20 avril et ce jour-là, Armand reste dans l'observatoire toute la journ…
Elle se rendit compte de la bêtise juste à temps:
—Ah mais non! Armand n'est plus là.
—Nous ne saurons jamais ce qu'il faisait, chaque 20 avril. Une commémoration?
—C'est ce qui semble plus logique, ajouta Sigrid. Il a emporté son secret.
Les enfants enjolivèrent leur combat contre Elvira quand Shin et Katarina réclamèrent le récit. Peu après le déjeuner, ils profitèrent de la journée ensoleillée et chaude. Vers 15h00, Eugénie s'absenta pour travailler à la bibliothèque. Hercule traduisit le mot travail par des recherches sur son père et sa mère. Le garçon se rendit dans le laboratoire de potions et esquissa des formes de baguettes les plus inattendues. Le temps défila à une vitesse folle.
Le dimanche 20, aux alentours de 17h00, Agathe ressortait de la Cabane Enchantée après avoir accompagné les délateurs à la gare de Bourg-Enchanteur. Rosier, d'Arcy, Hautefeuille et de Polignac avaient eu droit de passer une nuit supplémentaire pour s'organiser et vider leurs chambres. Les parents avaient eu ainsi le temps de prévoir leur déplacement jusqu'au central le plus important du Tunnel de Transportation. Agathe leur avait rappelé la gravité de leurs actions, les suites judiciaires prévisibles et indiqué que leur retour à Beauxbâtons dépendrait du tribunal. Dans le cas où ils seraient réintégrables à la rentrée, leur admission en classe supérieure dépendrait de leurs moyennes au 30 juin, étant entendu que toute absence aux contrôles et aux examens finaux à venir, valait une FONTE à chaque fois. Soit ils devraient redoubler, soit ils passeraient avec l'obligation de rattrapage des deux mois manquants sur les week-ends de l'année scolaire 1919-1920. À ce compte, d'Arcy devrait redoubler.
Agathe s'arrêta aux casiers et nota qu'elle disposait toujours du numéro 4. Si Armand ne revenait pas, elle devrait récupérer le numéro 1. Mais elle refusait d'envisager ce cas de figure, tout comme elle tardait à nommer un(e) référent(e) Lonicera pour la remplacer. D'ailleurs, elle était bien en peine d'en choisir un.
—Ah! Du courrier! Qui peut bien avoir envie de m'écrire un dimanche?
Elle s'empara du rouleau et reconnut le sceau officiel du bureau des Aurors. Monsieur de Franjac la tenait au courant de l'évolution de l'affaire Van Kriedt. Elle fit sauter le cachet et découvrit le texte. Elle se mit à trembler et le rouleau lui échappa des mains.
—Ce n'est pas vrai! Pas ça! Oh non! Pas ça…
Elle ramassa la missive et courut se réfugier dans le bureau directorial. Elle réprima la montée des larmes, inévitable et fit de son mieux pour réfléchir à la manière de gérer cette situation. Comment et quand allait-elle annoncer ce drame? Pouvait-elle dissimuler l'information jusqu'au déjeuner du lendemain, lorsque la totalité des effectifs enseignants et étudiants seraitprésente? Risquait-elle une fuite entre-temps? La réponse prit forme dans la cheminée léchée par des flammes vertes. Un garçon en uniforme apparut et enjamba le chenet.
—Hercule?
—Professeur? Madame?
—Oh… Je… j'avais oublié. Le dimanche chez les Aurors.
—Oui…
—Tout va bien, Hercule?
Sa voix chevrotait et cette hésitation n'échappa pas à la sagacité du Belge.
—Et vous, Madame? Je suppose que… non…
—Tu l'as appris, n'est-ce pas?
—Le Commandant a été incapable de…
—C'est terrible. Terrible. Hercule, je vais communiquer demain midi. Puis-je espérer que…?
—Oui, oui. Madame, Eugénie, elle et lui, c'était… Elle ne comprendrait pas que je le taise. Sachez que cela me brise le cœur et que le révéler à mon amie, sera un supplice. Personne ne le connaissait autant qu'elle.
—C'est courageux de ta part… Je sais que tu trouveras les mots.
—Merci, Madame.
—Courage.
—Vous aussi.
L'enfant réajusta son sac sur son épaule et quitta la zone administrative. Il choisit de se rendre sans tarder au pavillon Urtica et d'aller, par le passage secret, dans l'antre des elfes pour solliciter leur aide.
Orby et Orpi s'étaient pliés en quatre pour satisfaire les desiderata du jeune garçon. Ils avaient collecté toutes sortes de victuailles susceptibles de convenir à Eugénie et avaient déposé le tout dans la chambre du garçon. Face à l'étonnement de Shin, Hercule avait juste dit qu'il souhaitait disposer du quartier général pour lui et Eugénie, ayant une tragique nouvelle à lui communiquer, avec le fracas et le chagrin qui allaient suivre.
—Pourriez-vous faire en sorte que les autres membres de Gerbera n'y soient pas?
—Naturellement.
—Il faut que je trouve notre amie.
—Elle a passé sa journée à la bibliothèque.
—Vraiment?
Voilà qui n'était guère dans les habitudes de la jeune fille.
—Elle déteste cet endroit, non?
—Oui. Sauf si elle y trouve son compte. J'y vais. À demain.
Le garçon avait passé la sangle du sac autour de son cou et s'était rendu dans l'antre tenu par Théophile Amand. Eugénie compulsait des ouvrages. À y regarder de plus près, il s'agissait des reliures du «Cri de la gargouille» que l'Académie stockait depuis plus d'un siècle. Elle était si concentrée sur sa lecture qu'elle n'avait pas senti le poids du regard de son camarade. Il finit par se racler la gorge et dire:
—Eugénie…
—Oh salut! Tu es de retour du bureau des Aurors?
—Oui.
—Tu n'as fait arrêter personne, aujourd'hui?
—Personne. Et vous? Que faites-vous?
—Je cherche d'autres sources d'information. Je ne veux pas me tourner les pouces en attendant d'en savoir plus sur mon père et ma mère. J'explore une autre piste. J'ai fouillé toute la journée, je n'en peux plus.
—Il est temps de vous arrêter, je crois. D'autant plus que… je… voudrais m'entretenir avec vous. Au quartier général. Seul à seul.
—Les autres y sont.
—Non. J'ai demandé à ce qu'il en soit ainsi.
—Ah… Dans ce cas, je te suis.
Elle s'affaira à tout remettre en place. Comme si la jeune fille avait fait preuve de divination, elle n'eut pas le cœur, ni l'envie de le taquiner. Elle était épuisée par sa recherche mais satisfaite et fière d'elle. L'article concernant l'assassinat de sa mère, le 25 décembre 1910, avait été rédigé le lendemain par un mystérieux G.B. Avant et après cette date, elle était tombée sur d'autres entrefilets signés par les mêmes initiales. Essentiellement des faits divers, deux enquêtes sur la corruption de certains membres du Tribunal Administragique et un trafic de plumes de Jobarbille. À cela, il fallait ajouter trois éditos sur le championnat de Quidditch. Après des heures à compulser, à lire en diagonale, elle était tombée par hasard sur la rubrique nécrologique du 2 septembre 1915 où Ghislain Brocard, journaliste au Cri de la gargouille, avait la douleur de faire-part du décès de son père dans sa 91e année. Il fallait que ce soit lui. Elle s'était mis en tête de le chercher dans l'annuaire de Beauxbâtons et était tombée sur sa scolarité médiocre. Bien que son métier ait été mentionné, l'adresse de sa résidence n'y figurait pas. Elle n'avait plus qu'à espérer qu'il n'y ait qu'un seul G.B et à dégoter un hibou assez futé pour voler jusqu'à la bonne demeure.
Le duo s'arrêta au pied de l'arbre dissimulant la Cabane. Après avoir juré et montré leur sésame, le garçon et la fille grimpèrent dans la cachette. Hercule se défit de son sac assez lourd, en dépit de la magie et se mit à l'aise. Il patienta jusqu'à ce qu'Eugénie soit assise, sans sa cape. Il tira une chaise et s'installa juste à côté d'elle. Il commit un geste auquel elle ne s'attendait pas: il prit les mains de son amie entre les siennes.
—Eugénie, j'ai reçu… une… horrible nouvelle.
Elle frémit.
—Elle nous concerne tous. Mais… vous, plus que toute personne dans l'Académie…
Ses doigts se crispèrent. Comme Hercule ne parvenait plus à articuler un mot, elle sut que c'était un élève qui avait quitté l'école et qui la touchait de près. Elle en était sûre. Il n'y avait que deux possibilités.
—Non… Qui? Max ou Pierre?
—Pierre…
Elle fondit en larmes. Il la tira à lui, contre son épaule et pleura à son tour, lâchant la douleur contenue. Pierre et Max, Max et Pierre: l'un n'allait jamais sans l'autre. C'étaient ses deux grands frères, les complices qui lui avaient enseigné ses premiers tours de magie, les clowns qui l'avaient maintes fois poussé à commettre les pires bêtises, le duo de trublions assumant devant Armand pour qu'elle n'écope pas de punitions. Le tandem n'était plus qu'un, amputé, massacré en pleine jeunesse. On lui avait volé son grand frère, celui qu'elle aurait voulu avoir, avec Max.
Eugénie avait voulu connaître les circonstances et Hercule avait livré les maigres informations en sa possession, distillées par monsieur de Franjac. Pierre, farouche défenseur de toutes les créatures vivantes, magiques ou non, combattait des braconniers avides de trophées monnayables. Ces derniers, las de subir revers sur revers depuis l'arrivée de ce maudit Français –bien qu'il soit né à La Rochelle, Canada –, avaient préparé un piège en se servant d'un Mourse, un animal protégé semblable à un ours polaire mais doté de défenses affûtées en lieu et place des incisives de la mâchoire et d'une queue hérissée d'une multitude d'appendices en ivoire, capable de sectionner un jeune dragon en deux. À l'aide de deux Inuits, Pierre avait donné son énergie et son courage pour délivrer la pauvre bête. Des sorciers malfaisants avaient surgi et l'avaient mis à mort. La suite était nébuleuse, car les deux autochtones, blessés, avaient été écartés du champ de bataille par un blizzard soudain. Leur témoignage paraissait incohérent, suspect. Selon eux, bien que Pierre ait été mortellement atteint, sa baguette avait jeté des sorts post-mortem, dont une tornade glacée emportant les assassins. Mais peu importaient les circonstances ou l'héroïsme dont il avait fait preuve: il était mort. La fin de toute chose.
Les enfants étaient adossés à la paroi de la cabane, assis sur le matelas transformé en sofa. Ils s'y étaient réfugiés, blottis, pelotonnés comme si ensemble, la douleur et le chagrin étaient plus supportables. Eugénie avait les yeux écarlates, le nez bouché, les joues rouges et se sentait presque fiévreuse. Hercule ne valait guère mieux et, s'il avait eu un miroir pour juger son état, il se serait trouvé pitoyable.
La jeune fille le questionna sans le regarder:
—Qui est au courant, à l'école?
—Agathe, vous et moi.
—C'est tout?
—La directrice l'annoncera demain. Lorsque je suis arrivé par la cheminée, ses yeux étaient pleins de larmes. Je crois qu'elle venait juste de recevoir le hibou. Je lui ai dit que je me tairai sauf pour vous. Parce que c'est…
—Max et Pierre ont été ma famille pendant sept ans. Jusqu'à ce que le Gerbera naisse. Il me manque la moitié de leur première année passée dans l'école. L'œuvre de mon père. Sept ans, Hercule. Presque toute ma vie.
Elle se tourna vers lui.
—Merci d'avoir pris ton courage à deux mains et de me l'avoir dit. Je sais que tu l'aimais beaucoup et c'était réciproque. Tu sais, j'entretiens une correspondance avec eux. Pierre me l'a dit, me l'a écrit, il était certain que tu deviendrais un grand sorcier. J'en suis aussi convaincue. Oui…
L'estomac d'Eugénie rugit avec une indélicatesse patente.
—Oh…
—Si vous avez besoin de manger, j'ai tout ce qu'il faut dans le sac.
—Comment as-tu fait?
—Orby et Orpi.
—Ils sont adorables, quand ils ne se disputent pas.
—Un épisode compliqué que j'aimerais oublier.
—Je peux regarder?
—Bien sûr.
Le garçon était certain que l'appel du ventre finirait par détourner, pour un temps, son esprit du sujet de douleur. Elle alla de découverte en ravissement, trouva les couverts, deux cloches ensorcelées pour conserver les aliments au chaud, s'extasia devant deux bouteilles de Bièraubeurre et pleura lorsqu'elle mit la main sur une pyramide miniature en macarons. Le garçon avait aussi amené de quoi passer la nuit sur place. Une gourde d'eau et l'un de ses derniers pots de pâte dentaire, achetés par son père et envoyés par hibou. Eugénie avait de nouveau pleuré, touchée par le cadeau qui ne pourrait être jamais renouvelé. Hercule, même en pleine panade, donnerait son uniforme et sa baguette. Sa générosité était immense. Il l'écoutait parler, sachant que le chagrin la guettait et que les mots n'étaient qu'un emplâtre éphémère. Mais elle s'en moquait: il était là au moment où il le fallait. La tentation de tout lui avouer sur ses découvertes familiales la tenaillaient; elle en venait à douter de sa lame Hope.
Une fois rassasiés, les enfants ne tardèrent pas à trouver le sommeil, l'un près de l'autre, Hercule lui narrant sa journée pour l'aider à s'endormir. La nuit fut calme, sereine. Le Baku s'était nourri de leurs cauchemars au pied de l'arbre.
La prise de parole d'Agathe avait ébranlé les étudiants et les enseignants à l'heure du déjeuner. La pauvre avait les yeux bouffis par la fatigue et le chagrin. Elle avait dû écrire un discours la veille, s'entraîner à le prononcer en tentant de conserver son calme, sa contenance face à l'assistance médusée. Hercule avait été ému lorsqu'il était entré dans le restaurant et qu'il avait croisé le regard de la femme, le remerciant d'avoir tu l'information. Le garçon, passant près de la table du corps professoral, avait entendu Elvira se plaindre d'un surprenant:
—Pourquoi a-t-il fallu que cela survienne un 20 avril? Pourquoi ces morts à cette date?
La réflexion avait intrigué le garçon; il avait aussitôt fait le lien avec Armand qui s'enfermait dans l'observatoire. L'hypothèse d'une funeste commémoration prenait forme.
Agathe avait souligné à quel point Pierre Bratel avait été un élève aimé par ses enseignants comme par ses camarades. Il avait pris un engagement –protéger d'innocentes créatures de la cupidité –des plus louables car si les sorciers avaient des Aurors, une justice, pour les défendre, les animaux n'avaient que des bonnes volontés pour prendre soin d'eux. La professeure de français leur avait confié qu'elle communiquerait toute information que le Ministère ou le bureau des Aurors voudrait bien lui transmettre. Enfin, elle avait décrété que, dans l'hypothèse d'un rapatriement en France de la dépouille de Pierre, auprès de sa famille, elle demanderait à ce qu'une délégation de l'école se rende aux obsèques.
L'ambiance appesantie avait marqué les cœurs, les visages, durant les cours délivrés dans la semaine. La peine dissipait les esprits. Le jeudi suivant l'annonce, Agathe avait reçu des éléments précis. Pierre serait enterré le lundi 28 avril, à 14h00, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, dans le carré secret des sorciers. Eugénie avait demandé à s'y rendre, tout comme Hercule. Shin avait exprimé la possibilité d'aller se recueillir sur la tombe de sa mère. D'autres élèves s'étaient portés volontaires et plusieurs enseignants souhaitaient rendre un ultime hommage au garçon décédé avant son vingtième anniversaire. Au final, la directrice avait dû limiter le contingent à soixante individus et décréter un deuil officiel de l'école. Sean McFlurry, en charge de la métamorphose, avait enseigné l'art de créer des fleurs pour embellir la tombe de leur camarade. Ainsi, chaque élève serait libre de lui témoigner une pensée.
Dès l'aube, le lundi, le carrosse s'était envolé pour un long voyage. À son bord, le Belge n'avait pas lâché sa baguette et Eugénie ne l'avait pas quitté d'une semelle. Hercule avait ouvert sa besace et jeté un coup d'œil au carré magique: le corps des Aurors serait presque au complet dans le cimetière. Le garçon avait aperçu son encrier estampillé Entreprise Delacour et une boîte en buis dans laquelle il rangeait toutes les inclusions possibles de baguettes. N'importe qui se serait demandé pourquoi cet objet se trouvait là, à côté d'un nécessaire utile pour signer un registre de condoléances ou un parchemin vital pour conserver un lien avec les Aurors. Mais la nuit passée, il avait rêvé de ce petit coffret, sans raison aucune. Alors, il avait écouté le signe envoyé dans ses songes et embarqué le boîtier.
L'atterrissage avait eu lieu vers 13h30, en banlieue, chez un sorcier fermier disposant de tous les sortilèges repousse-Moldus. Puis, les professeurs avaient abusé du transplanage pour emmener, à tour de rôle, les 50 élèves présents. À 13h45, les membres du cortège entraient dans un caveau sur lequel un écriteau prévenait les Moldus que les murs risquaient de s'effondrer à tout instant. Derrière le passage, une longue procession s'étirait jusqu'au fond du carré.
Une sorcière, vêtue de noir des pieds à la pointe du chapeau démesuré, dotée d'une abondante chevelure blanche, jouait le rôle d'officiant menant la cérémonie à la demande de la famille Bratel. Les parents, terrassés par la peine, étaient soutenus par la sœur aînée, Clara, une trentenaire dont les yeux verts étaient identiques à ceux de son défunt frère.
La femme en noir invita tour à tour Max, anéanti, balbutiant, Ursula, très attachée à l'un de ses plus brillants élèves, décédé en se battant pour Sa cause à elle, Eugénie, au bord de l'effondrement, Elvira dont personne ne se souvenait et Agathe, très émue, à prononcer quelques mots pour le défunt. Puis vint le tour de Guillaume de Franjac, encouragé par monsieur Bratel. Le commandant ne se contenta pas de saluer le garçon, le jeune Auror atypique, désireux de donner un sens à sa vie, de relever un défi ambitieux. Il insista surtout sur le fait que pour lui, Pierre était comme un second fils depuis l'école primaire moldue parisienne où les enfants avaient fait connaissance et s'étaient aussitôt entendus comme larrons en foire. Pour lui aussi, c'était MaxetPierre, PierreetMax, inséparables, écrit en un seul mot.
Après son témoignage poignant, un petit homme brun, dans la cinquantaine, en robe rouge bardée de boutons dorés et coiffé d'un large chapeau pointu à franges noires, se présenta. Il s'agissait du capitaine Laville, commandant en chef des Rangers canadiens, des Aurors voués à protéger la faune et la flore de l'immense territoire. Il relata combien il avait apprécié l'engagement du jeune Français, à quel point il avait aimé son caractère volontaire, enjoué et teinté d'humour, même quand le thermomètre affichait –50 degrés Celsius et le faisait claquer des dents pour raconter ses drôles d'histoires. Puis, le Ranger avait expliqué dans quelles circonstances précises Pierre avait trouvé la mort. Enfin, il avait indiqué que le jeune homme, depuis trois mois, avait rejoint une tribu inuite dont il avait adopté les rites et les rudiments de la langue. C'était en sauvant deux hommes de la peuplade, venus l'aider à libérer une créature prise au piège, qu'il avait trouvé la mort. Le Canadien avait terminé en disant que la magie de Pierre ne semblait pas avoir cessé à son décès, ce qui avait dérouté l'assistance. Monsieur Laville s'était effacé pour laisser la place à une jeune femme aux yeux si bridés qu'ils étaient presque invisibles. Sa peau était cuivrée, ses cheveux lisses et noirs. Sa tenue, faite de différentes fourrures et de cuir, était inadaptée aux 25 degrés du jour. Au lieu d'entamer un discours, elle se déplaça dans la foule et rejoignit Hercule. Elle l'attrapa par le bras. Éberlué, le garçon suivit. Une fois face à l'assistance, elle se mit à parler alors qu'il effleurait sa baguette. Tout fut clair. Elle marqua une pause. Hercule en profita:
—Je m'appelle Maïkan. Dans votre langue, cela signifie le loup.
Elle poursuivit sur le même rythme, donnant au Belge le temps de restituer ses paroles.
—Je suis l'oreille et la voix de l'univers pour le peuple inuit. Selon Pierre, je suis comme votre ministre de la Magie avec la fonction de prophétesse et de médicomage. J'ai fait la connaissance de Pierre il y a trois mois. Il a pris une décision fulgurante et s'est installé parmi nous, adoptant nos coutumes. Je connaissais déjà sa venue. Il y a des centaines d'années, une prophétie annonçait la venue d'un sorcier blanc chevauchant une branche et brandissant un sceptre pour combattre la cupidité des hommes et défendre le peuple inuit. La légende disait que les hommes le tueraient mais que la magie de l'Inuit blanc lui survivrait. Les deux hommes, venus à son secours pour sauver un Mourse, ont vu sa baguette se lever et projeter les assaillants dans une tornade alors que Pierre avait cessé de vivre. Alors, je sais que l'univers l'a accueilli en son sein et a prévu de lui confier un autre but, un plus grand dessein. Pierre n'avait pas de convictions; il avait la foi la plus inébranlable en sa mission. Désormais, il est partout et à jamais dans nos cœurs.
La voix d'Hercule se serra. Il n'y avait pas de peine, ni de colère dans le timbre de Maïkan. Seulement de la certitude.
Elle le remercia et recula en sa compagnie. Elle poursuivit leur mise à l'écart tandis que d'autres témoignages familiaux, amicaux, fraternels avaient lieu. À une trentaine de mètres de l'attroupement, la jeune femme se tourna vers Hercule et lui dit, en inuit:
—Je te remercie, Enfant de la Vérité.
Le garçon accusa le coup. Comment l'avait-elle appelé?!
—Je… je vous en prie. Comment saviez-vous que j'avais la capacité de comprendre n'importe quelle langue, grâce à ma baguette?
—J'écoute l'univers. Il parle sans cesse.
—L'univers? fit le garçon, dubitatif et désarçonné.
—Il te parle aussi. Quand tu touches le bois, n'entends-tu pas ces voix?
Le Belge n'en crut pas ses oreilles. Personne n'avait entendu ses réflexions faites dans le château. À part le château lui-même. Et donc le Sondeur.
—Si, osa-t-il.
—Apprends à écouter davantage. Sois attentif. Cela commence à venir. As-tu apporté ce dont j'avais besoin?
—Pardon?
—Ton rêve, cette nuit. Mon message.
Elle disait cela avec un aplomb, comme si c'était… normal!
—J'ai… effectivement… rêvé.
—Alors?
Il fouilla dans sa besace et ouvrit le coffret.
—Bien! La vésicule de dragon est là.
Elle saisit la chose blanchâtre offerte par Firmin Boulanger.
—C'est l'essence du dragon. La concentration ultime. Je n'ai pas donné la version complète de la légende. L'histoire dit que la Voix de l'Univers obtiendra la graine des mains de l'Enfant de la Vérité, qu'elle ira au pays de glace où les montagnes crachent le feu et qu'elle offrira cette semence à la terre en furie. Le sceptre de l'Inuit blanc, porté par les vents, fera son apparition, plongera dans le feu, libérera l'esprit du sorcier et annoncera le retour d'Isdréki. Le dragon de glace.
—Vous voulez dire que l'esprit de Pierre va revenir sous la forme d'un dragon de glace?
—Oui. Alors, un jour, père et fils sillonneront les terres inuites et les délivreront de la cupidité des hommes.
Le garçon tenta d'assimiler toutes les informations, de les relier, d'y trouver une logique.
—Demande à ton esprit de faire silence, ferme les yeux et écoute.
Il obéit. Le brouhaha ambiant de la cérémonie touchant à sa fin s'estompa. Bientôt, il se sentit comme dans la grotte d'Urtica, isolé et connecté en même temps. Il ne perçut plus que sa respiration, les battements de son cœur, puis ceux de la femme. Enfin, en filigrane, un tempo plus rapide. Il ouvrit les yeux.
—Vous portez son fils.
—Bien, Enfant de la Vérité. Nos chemins se séparent aujourd'hui. Je pars en Islande.
—Quand?
—Maintenant.
—Mais comment? Vous allez transplaner jusqu'en Islande? Mais c'est impossible, sur une telle distance!
Elle se contenta de sourire et de dire:
—É-cou-te.
Elle vrilla sur elle-même et disparut d'un pop à peine audible, à des lieues du craquement sonore habituel. Il referma le coffret et le rangea. Il lui fallut quelques instants avant de reprendre ses esprits. Eugénie et Shin le rejoignirent.
—Tu nous aides à trouver la tombe de sa mère?
—Oui, bien sûr.
—Vous avez l'air chamboulé, Hercule. Est-ce à cause de la femme? Où est-elle?
—Quand je vous narrerai notre conversation, vous me traiterez de menteur.
Les enfants se répartirent les allées à visiter jusqu'à ce que la jeune fille déniche la sépulture de madame Ishii. Le Japonais prit le temps de lui parler, de fleurir le marbre et de déposer un origami en forme de cœur, battant la mesure. Puis, l'heure du retour sonna. Il y eut les remerciements, des mots chaleureux échangés, du courage insufflé. Madame Bratel serra Eugénie dans ses bras, ce qui engendra une inévitable montée des larmes. Elvira resta quelques instants devant la tombe où une plaque de bois provisoire indiquait: «Pierre Bratel, 11 octobre 1899 –20 avril 1919». Elle serra le poing de rage et ses yeux devinrent orange.
