Sortilège 41: franc-jeu
Après une fin d'après-midi et une soirée passées à lister le moindre évènement un tant soit peu inhabituel survenu à l'école depuis le début de l'année scolaire, à tenter de les relier ou de les exclure pour des raisons valables, Hercule s'était endormi d'un coup dans l'armoire de la chambre. Sa nuit avait été calme, sans cauchemar, sans rêve. Quelques secondes avant le réveil, une voix avait murmuré dans son inconscient:
«Le grimoire d'Abraham.»
Il avait ouvert les yeux avec une idée en tête: trouver un argument pour accéder aux scellés des affaires en cours. Quatre-vingt-dix minutes plus tard, Mathilde Pourpoint satisfaisait à sa requête, lui demandant ce qu'il pouvait bien chercher dans les pages du journal. Il avait juste répondu:
—Le jour venu, je veux être en mesure d'enquêter sur la disparition du professeur et de notre ancien directeur.
—Armand? Qu'est-ce qui te fait croire qu'il a disparu? Il a suivi la piste japonaise, non? C'est ce que tu as déduit.
—En effet. Je lui ai communiqué plusieurs indices: le bout de fibre, l'oiseau livreur de courrier, l'écrit réalisé sans contrôle, par manque de culture française, l'encens répandu dans l'appartement. Tout désignait le Japon. Nous n'avons eu aucune nouvelle depuis son départ. Pire: je sais que la directrice a enfin choisi un référent Lonicera et qu'elle a informé le ministère. Hier, je l'ai vue revenir avec un rouleau frappé du sceau de l'école, pris dans son casier.
—Un retour? L'oiseau n'a pas pu livrer?
—Elle a eu l'élégance d'avertir monsieur Fontebrune, parce qu'elle est ainsi.
—Je te suis. Pour la consultation, je te laisse la matinée, pas plus.
—Ce sera suffisant pour photographier toutes les pages du grimoire dans ma mémoire.
—Ça, j'avoue que cela me sidère! Il n'y a aucune sorcellerie dans ton pouvoir et pourtant, je le trouve magique.
Le garçon était resté dans la salle des scellés sans la surveillance d'un adulte, tranquille. Des conditions idéales pour mémoriser. La vie d'Abraham avait été fantastique. Il cachait un passé d'aventurier, d'explorateur. Plus le lecteur avait avancé dans les cinquante premières années de l'existence de l'homme, plus il avait exulté. Le second versant de sa vie, en tant qu'enseignant, n'avait pas été moins riche. Abraham aimait l'Humain au sens large et se délectait des centaines, des milliers d'élèves auxquels il avait enseigné pendant 90 années à Beauxbâtons, des périodes entrecoupées de voyages instructifs, de découvertes, de consultations réclamées par des gouvernements sorciers ou moldus, parmi lesquels il se fondait à merveille, éblouissant par son érudition. Vers la fin de la matinée, le garçon était parvenu jusqu'à la rentrée 1917. Il avait remis le scellé à sa place, satisfait d'avoir emmagasiné de la matière.
Il s'était assis à sa place, avait fermé les yeux et fait silence. Il avait entrepris de fouiller dans les dates aux alentours de 1901, puis 1902. Il avait vite découvert des réflexions sur Lucie Boulanger que monsieur Piedargile qualifiait d'élève brillante, attachante, intelligente, d'une franchise désarmante, désireuse de donner le meilleur d'elle pour satisfaire ses professeurs. Abraham avait noté que Léonce avait dégoté une attrapeuse vive, capable d'anticiper les mouvements de l'adversaire ou de la balle dorée. Il écrivait que Lucie semblait née pour voler. Selon Elvira, la jeune fille montrait des capacités notoires pour le duel. Elle faisait la joie de ses enseignants. Le 4 avril 1903, Abraham avait rédigé un paragraphe qui avait interpellé le stagiaire non officiel:
«Ce matin, je suis allé dans la Salle Blanche. J'avais oublié ma besace lors du cours pratique sur la puissance des runes associées aux baguettes. Lorsque je suis entré, la pièce n'était pas vide alors que nous étions samedi. Elvira donnait un cours particulier à Lucie Boulanger. J'aime beaucoup cette petite. Elle est très prometteuse. Mais notre référente Urtica, en me découvrant, a paru très mal à l'aise. J'ai eu beau dire que cela resterait entre nous et que j'approuvais sa démarche, sa volonté d'exploiter les immenses qualités de Lucie, Elvira… avait… non, je dois me tromper. Elvira ne pouvait pas avoir peur! Et pourtant, je n'avais jamais vu ma consœur dans un tel état d'angoisse. C'est incompréhensible, car j'y ai vu tellement de bienveillance, d'implication de sa part. C'était surréaliste. Je sais garder un secret, tout de même! Je verrai bien si elle m'en reparle.»
Ainsi, l'ordre de Gerbera n'était pas le premier à bénéficier d'extension d'enseignement. Si la référente le faisait pour les préparer à un danger engendré par le Belge, selon la prophétie de Claire, pourquoi en faisait-elle autant avec elle? Était-ce en rapport avec l'effacement total de l'aînée des Boulanger de la réalité sorcière? Y avait-il eu une prédiction particulière la concernant? Elvira ne faisait jamais les choses au hasard. Jamais.
Le garçon avait aussitôt replongé dans ses petites cellules grises. Plus il avait avancé dans le temps, plus Abraham avait mentionné Lucie en des termes dithyrambiques. La «sœur» de Jacques n'avait jamais été le concentré de médiocrité que l'on voulait faire croire. Lyna Beauxbâtons avait confié à Abraham, dès la rentrée 1904, que sa protégée, avide d'apprentissage, voulait devenir un Animagus! Le professeur de runes se félicitait de cette ambition. Tout comme Lyna, il la croyait capable de réaliser cet exploit. Hercule n'avait pas pu s'empêcher de faire le parallèle entre Lucie et Umbelina, même si Lucie naviguait plutôt dans les hautes sphères des notations scolaires tandis que Umbelina impressionnait davantage par sa puissance brute. Au fil des pages, le Belge découvrait l'admiration sincère d'Abraham pour ses étudiants, son aptitude à l'émerveillement presque enfantin.
Vers midi, il avait dû cesser d'explorer sa mémoire et se concentrer enfin sur le travail de vérification, car le bureau était encore encombré par les dossiers en souffrance. Il avait mis les bouchées doubles pour rattraper le temps passé dans la salle des scellés, sans cesser de penser à la joie qu'il communiquerait à Jacques en lui relatant ses découvertes.
Hercule avait une mine affreuse, les traits très tirés. Le repas du déjeuner du premier jour de la semaine n'y changeait rien. Agathe venait de se lever. Juste avant, Jacques avait soufflé à ses amis attablés:
—Madame Bonnelangue va faire l'annonce. Qui veut parier un Gallion sur le nom du prochain référent? Je mise sur madame Waldmeister. Alors?
—Moi, avait répondu Eugénie. Aucune chance que ce soit Ursula!
—Moi aussi, avait rétorqué Umbelina. Tu te trompes.
—J'en suis, avait ajouté Shin, d'un air amusé. Je mise sur monsieur Perlenjoie.
—Sigrid?
—Hum… D'accord! Je mise sur le docteur Beauxbâtons.
—Tu es folle, avait explosé sa fille.
—Un peu, oui.
—Hercule?
—Je ne tiens pas à perdre un Gallion. Madame Waldmeister, comme je l'ai expliqué en cours de runes.
—Rhooo! Tu es pas joueur, Hercule! Et pour l'adjoint à la direction?
—Ce sera coup double pour Ursula.
—Tu crois?
—Je te donne cinq Gallions si elle est adjointe, Jacques, relança Sigrid.
Agathe lança son «Tutututute» pour réclamer le silence dans le restaurant.
—Mes chers enfants. Aujourd'hui, j'ai une annonce à vous faire. Ne pouvant cumuler toutes les fonctions, je vais céder mon poste de référent Lonicera à la professeure Waldmeister.
Une vague d'étonnement déferla dans la salle, jusqu'aux tréfonds des miroirs enchantés. Une ex-élève de Durmstrang, référente dans l'académie française, c'était une révolution.
—Ursula dispose de toutes les qualités pour réussir dans cette fonction. Entre autres, une disponibilité et une capacité d'écoute remarquables.
Une salve d'applaudissements salua la plantureuse Suissesse. Ambroisine se redressa pour l'applaudir avec chaleur, un beau geste de la part de la maîtresse des potions, pourtant donnée favorite.
—Lorsque je serai absente de l'Académie, reprit Agathe, ce sera également Ursula qui me remplacera.
Là, ce fut un séisme. Le coup de théâtre total. Une première dans l'histoire de l'école avec cette double nomination. La Suissesse ne s'attendait pas au deuxième volet.
—Zut! ronchonna Sigrid. Je viens de me faire avoir.
—Par ici la monnaie, se réjouit Jacques, encaissant en tout huit Gallions.
—Mais comment tu as fait? s'insurgea Eugénie.
—Secret, répondit-il avec un brin de mystère.
Il était heureux du coup pendable joué à ses camarades. Il était juste heureux parce que la veille, jusqu'à une heure du matin, Hercule lui avait dépeint une grande sœur fantastique, à des lieux du mensonge claqué sur toutes les mémoires et les bouches.
Agathe poursuivit son annonce en expliquant que le ministère était informé de ses décisions et qu'à son avis, elles étaient définitives. Elle avait expédié trois lettres à monsieur Fontebrune et elles étaient toutes revenues sans avoir été délivrées, comme l'avait craint le Belge. Ce dernier avait demandé à Eugénie, sur un air taquin, si elle n'était pas déçue que son père n'ait pas été nommé. Elle avait rétorqué, très fort, que c'était une excellente chose de ne pas donner de la confiture à un cochon. Remarque qui avait attiré les foudres paternelles à peine contenues.
Peu après le repas, Hercule s'était préparé pour solliciter Claire. Les autres lui avaient souhaité bon courage, tout en proposant leur aide. Il avait décliné. Il voulait pouvoir évoquer la prophétie qu'elle lui avait confiée à la rentrée et qu'il avait attribuée à Casper, à tort, il en était convaincu. Alors que la femme remontait l'escalier en direction de l'observatoire, il s'était avancé.
—Bonjour, Hercule.
—Bonjour, Professeur.
—Avons-nous cours ensemble, aujourd'hui?
—Non, Madame. C'est à propos de la mission du début de l'année.
—Oui. Et?
Il tendit deux fioles contenant des fumerolles rouges.
—D'où tiens-tu ce second flacon?
—Quand puis-je vous éclairer sans risque d'être dérangé?
—Viens à l'observatoire, à 18h15.
—Bien, Professeur. Euh… N'hésitez pas à en prendre connaissance. Les deux.
—Je m'en charge. À ce soir.
Claire n'avait pas cherché à en apprendre davantage. Elle s'était rendue dans sa salle de classe, avait compté les prédictions dans son joli coffret, n'avait pas constaté de manque et avait supposé que le garçon, en mission chez les Aurors chaque dimanche, avait trouvé le moyen de mettre la main sur le stock détenu par le Ministère. Lorsqu'elle avait consulté la prophétie inconnue, le rapport entre les deux lui avait sauté aux yeux.
Le soir venu, ponctuel à son rendez-vous secret, le Brugeois se demandait quelle serait la réaction de l'enseignante lorsqu'il allait l'ensevelir sous une avalanche de révélations. Assise sur le coin de son bureau, Claire, en robe sorcière moutarde, avait le visage reposé de la voyante épargnée par les visions en rafales.
—Alors, vous avez trouvé la cachette des prophéties au Ministère?
—Non, Madame. Comment savez-vous que je me rends au… Non, laissez. Vous êtes une Divinatrice.
—Comment avez-vous obtenu cette seconde fiole?
—Nous avons découvert la cachette secrète aménagée par Mysterio Flamingo.
—Vous… Vous… Je ne veux rien savoir! Surtout pas! Je ne veux pas être impliquée. Comprends-moi bien: je suis un piètre Occlumens. Si le Ministère se décidait à me faire subir le traitement de l'année dernière, s'il me faisait ingurgiter une goutte de Veritaserum, je serais incapable de résister.
—C'est pour cette raison que dans Sigma, vous vous teniez en retrait?
—Tu… Décidément! Euh… Oui. Jean et Gervais étaient intrépides. Pas moi. J'étais juste leur fervente supportrice. Bon… Quelle révélation vas-tu encore me faire?
—La prophétie.
—Les deux sont similaires. Il arrive que j'ai l'occasion de générer une vision complémentaire. Je n'ai pas pu faire le rapprochement car celle de la rentrée était sur mon bras mais l'autre, je ne l'avais pas dans mon champ visuel. Donc, vous êtes entrés en sa possession. Mais comment avez-vous pu la choisir parmi les centaines de fioles?
—Elle nous a sauté aux yeux parce qu'elle était bleue.
—Bleue?!
Elle faillit tomber du bureau.
—Mais elle est rouge!
—Elle était bleue parce qu'elle était pervertie. Elle nous a donné du fil à retordre pour la décrypter et la remettre en rouge.
Il lui montra alors le texte d'origine, incompréhensible. Il décrivit, sans mentionner l'aide d'Alpha, les étapes qui leur avaient permis de remettre le texte en clair. Il précisa que la prophétie avait été dénaturée entre la fin du mois de juin 1918 et le 2 août 1918, date à laquelle elle était entrée en possession du quatrième ordre.
Connaissant les capacités d'observation et de mémorisation du garçon, Claire n'eut aucun mal à le croire. Il lui expliqua qu'entre toutes les méthodes utilisables pour dénaturer une prédiction, le garçon avait privilégié une potion ingérée, un breuvage capable de changer tout type de protection concernant un individu. L'envoûtement vaudou, à l'Africaine, n'était pas exclu. Enfin, le garçon avait asséné le coup de grâce:
—La prophétie bleue est ancienne et elle a été affectée par la manipulation magique exécutée entre fin juin et début août. La rouge a été créée à la rentrée et n'a pas été affectée. Cela n'a touché que ce qui existait à un instant précis.
—Disons que tout ceci est survenu en juillet. Cela exclut Van Kriedt? Je ne l'ai pas vu. D'ailleurs, je n'ai vu personne, durant les vacances, hormis Agathe, Armand, Sébastien ou les elfes de maison.
—Vous êtes restée au château?
—Oui. Enfin, je suis bien allée à Bourg-Enchanteur, déjeuner à quelques reprises.
—On aurait pu verser une potion dans votre boisson?
—C'est vrai. C'est vrai… Par les flammes d'un Gazeux basque! Cela peut être n'importe qui! En plein été, il y a tellement de voyageurs et de consommateurs dans les boutiques et les restaurants de Bourg-Enchanteur!
—Êtes-vous allée ailleurs?
—Chez l'apothicaire. Euh… Voyons… Chez Baz'Repair, aussi. Un pendule ensorcelé qui s'obstinait à me sauter au visage.
—Donc, juste le village sorcier?
—Non. Je suis allée faire une longue randonnée pédestre dans l'Ariège, pour me reconnecter à la nature.
—Aucune rencontre?
—Pas que je me souvienne. Je me suis arrêtée chez les Boulanger. Ce sont des amis de longue date. J'adore leur herboristerie. La meilleure, avec les produits les plus frais. Je… je n'ai fait que me réapprovisionner.
—Rien d'autre?
—Ah si! Un aller-retour impromptu Place cachée. Non, c'était à la mi-août. De l'encre, des parchemins, quelques boules de cristal, des jeux de cartes. Des fournitures classiques. Mais tu n'as pas dit comment la prophétie avait été dénaturée.
—Quelque chose a inversé la lecture, le sens des mots, des lettres. Cette triple inversion rendait le décryptage complexe. Connaissez-vous un maléfice capable de cette inversion?
—C'est possible, mais il faudrait se trouver face à la fiole. Avec une potion, c'est bien plus compliqué à réaliser. Il faudrait un breuvage précis, avec des ingrédients coûteux ou rares, accompagnés par plusieurs sorts spécifiques.
—Pourrait-on faire appel à de la magie noire africaine pour y parvenir?
—Je ne la connais pas, mais je la crois capable de cet exploit. Que comptes-tu faire?
—Être vigilant. Tenter de consulter les autres prophéties en possession du Ministère. Surveiller ces deux prophéties, vérifier si elles disparaissent.
—Mes prophéties ne disparaissent jamais.
—C'est arrivé une fois.
—Quoi? Laquelle?
Hercule asséna le dernier coup de massue et lui remit la fiole de la retraite d'Armand. Dès qu'elle lut 19 60 06 30 sur l'étiquette, elle sut quel était le contenu envolé et la raison de son anéantissement. Elle lui confia que c'était la première fois qu'une vision était effacée. Elle fut secouée par cette révélation car cela lui parut incarner une blessure profonde dans ses capacités. L'enfant mentionna l'ultime prophétie qui, hélas, était toujours irrémédiable. Elle l'interrogea sur les débats qu'ils avaient entre eux, leurs travaux. Elle s'amusa de la manie du garçon à voir des mystères partout et promit de l'avertir si elle avait des visions du passé à propos de Lucie Boulanger dont elle ne se souvenait pas, comme les autres enseignants, hormis en la décrivant avec la même phrase lapidaire. Avant de se quitter, Claire soumit une requête au jeune élève:
—Hercule, est-il vrai que tu as une seconde baguette? Que tu l'as fabriquée?
—Oui, Madame. Il s'agit d'une copie de celle du directeur Fontebrune. Je l'avais réalisée pour aller avec sa statue de glace.
—Je… je me demandais si…
Elle ouvrit son immense cabas, en sortit un plumier et l'ouvrit. Il y avait une vieille plume rouge dans l'écrin au velours élimé. Elle prit l'objet et le tendit au garçon. Elle le questionna:
—Sais-tu ce que c'est?
Il inspecta l'outil d'écriture pour la forme. Cette teinte ne pouvait être confondue avec le rouge sang du plumage d'un ibis.
—Du Phénix.
Il en percevait la chaleur réconfortante et dévastatrice.
—Elle était utilisée par ma grand-mère.
—Celle à l'origine de votre première prédiction?
—Oui.
—Aimeriez-vous que j'utilise ce cœur pour une nouvelle baguette?
—Tu auras les Gallions correspondants.
—Souhaitez-vous une forme particulière? Une marque?
—Non. Je crois que tu as assez d'imagination pour me surprendre. Et pour le bois?
—Madame Waldmeister m'a fait don d'une belle pièce de cédrat, un arbuste produisant des agrumes, une essence prisée par les voyants. Quant à la forme, j'ai une idée en tête.
—Alors, je peux compter sur toi?
—Bien sûr.
Le garçon garda le coffret. Il servirait d'écrin à la création. Le cédrat prendrait la forme de grains de café mis bout à bout. Le symbole des cafés Obscur.
Le 1er juin, comme chaque dimanche depuis le début de l'année 1919, Hercule venait frapper à la porte de la direction pour emprunter la cheminée et se rendre au ministère. Désormais rôdé à l'exercice et aux mesures de sécurité dans le siège du pouvoir sorcier, il se passait de chaperon. Ce matin-là, Agathe l'attendait, habillée de pied en cap pour une sortie officielle.
—Bonjour, Madame.
—Bonjour, Hercule.
Elle tenait un énorme grimoire que le garçon reconnut aussitôt.
—Vous avez la nostalgie d'anciens élèves?
—Tu ne crois pas si bien dire.
—Vous m'accompagnez?
—En effet. Je dois rencontrer le commandant des Aurors ainsi que le chef du Département Éducatif.
—Rien de grave, Madame?
Elle sourit et s'abstint de répondre. Puis, elle lui proposa d'entrer dans la cheminée. Deux bouffées vertes plus tard, ils émergèrent au Ministère et se présentèrent au contrôle des baguettes. Celle d'Agathe émit une série de notes de musique rapides lorsque l'ex-Auror, reconverti en gardien, posa ses énormes doigts dessus. La création de Cosme Acajor n'apprécia pas les mains étrangères. Agathe déclina son identité et sa fonction, faisant sourciller le rustre. Hercule se soumit au même protocole, mais arracha un sourire au sorcier usé par le combat.
Quelques minutes plus tard, l'enfant s'attelait à la pile de dossiers tandis que la femme s'enfermait avec le commandant dans une salle d'interrogatoire. Le garçon aurait volontiers accepté de se métamorphoser en souris pour capter des bribes de la conversation.
Une fois assuré que personne ne les espionnerait, l'hôte invita la directrice à s'asseoir en face d'elle.
—Guillaume, j'ai reçu votre courrier alarmiste sans en comprendre le sens. Y a-t-il un souci avec Hercule?
—Van Betavende? Non, aucun. Un garçon agréable, brillant, utile, judicieux. Si j'ai un souci, c'est qu'il a bientôt terminé son travail et que je n'aurais aucun moyen légal de le garder avec nous.
—Alors? Pourquoi ce message «venez vite me voir!»?
—Pour deux raisons. Aussi graves l'une que l'autre.
Le commandant avait l'air gêné aux entournures et, comme il ne savait pas comment s'en sortir, il se leva et se mit à faire les cent pas pour calmer son stress.
—Il y a une rumeur, un bruit de couloir au Ministère.
—De quoi s'agit-il?
—Du dossier sur l'attaque des Van Kriedt. Il n'a pas été pris en compte dans son intégralité.
—C'est-à-dire? fit la cinquantenaire, intriguée.
—Les Hollandais vont plonger parce que leurs crimes ont eu lieu devant des Aurors assermentés. En revanche, il se murmure que le ministre de la Magie aurait fait pression pour invalider les sanctions sur les suprémacistes de l'Académie. Il aurait fait en sorte de convaincre le président du Tribunal Administragique du manque de preuves directes incriminant Rosier et les autres. Vous savez que le ministre Picaillou prête une oreille très très attentive aux familles influentes comme les Rostand de Hautefeuille, d'Arcy, Rosier et de Polignac. J'ai bien peur que ces petits mouchards s'en sortent grâce à une faille juridique. Il aurait fallu que vos constatations flagrantes soient faites par un Auror.
—Mais Sébastien a constatéles détournements de courrier et l'information faite aux criminels!
—Monsieur Grossel ne fait plus partie des effectifs du bureau.
—J'enrage! Ils vont s'en tirer?
—Pire.
—Expliquez-vous! Ils ne vont tout de même pas revenir?
—J'en ai peur.
—Ils vont s'en prendre à Hercule!
—C'est à craindre. Tout ceci n'est qu'une tentative de désaveu de votre politique, signée Picaillou. Il vous met à l'épreuve. Bienvenue dans le monde politique! Agathe, ma convocation, ou plutôt mon appel au secours, concerne un autre point, comme je vous l'ai mentionné au début de notre conversation. Quand vous m'avez répondu que vous deviez vous entretenir au Ministère pour un recrutement, j'y ai vu une possibilité de contre-attaque.
—Comment?
—Vous aurez le dernier mot pour le recrutement?
—C'est la prérogative de la directrice. Même le Ministre ne peut pas s'y opposer.
—Voilà, Agathe. L'autre mauvaise nouvelle.
Suite à la mort du regretté Pierre Bratel, Max, le fils du commandant, avait perdu tous ses moyens. Il avait été anéanti à un degré que le père n'avait pas anticipé. Max était en mission d'infiltration chez les suprémacistes et sa couverture avait volé en éclats. Il avait perdu le contrôle. Son fils était malgré tout un sorcier talentueux, avec de solides connaissances, notamment en défense contre les forces du mal, en potions et surtout, en dépit des cours catastrophiques de Flamingo, en métamorphose. Max avait développé un talent certain pour ce versant de la magie. Guillaume avait expliqué que, Max sans Pierre, n'était plus Max. Un changement de fonction pourrait être bénéfique. Il était conscient que sa demande avait des allures de passe-droit, de favoritisme et cela le gênait.
—Ne le soyez pas. Vous prenez le plus grand soin de votre fils et c'est tout ce qu'il y a de plus louable. Je vais faire preuve de franchise.
Il s'attendait à un refus.
—L'idée m'enchante à un point fantastique!
—Vraiment?
—Je cherche à soulager certains personnels, à répartir les tâches. Je veux un enseignant avec les qualités d'un Auror, au poste de métamorphose. Cela tombe à point. En contrepartie, je veux que Max conserve son statut d'Auror, son écusson, afin de cadenasser les suprémacistes de l'école. Officiellement, il aura quitté le corps. Il aura même été rejeté, selon une rumeur. Cela, afin que les suprémacistes se croient intouchables. S'ils commettent un seul faux pas, Max se dévoilera. Mais il faut que cela reste secret. Vous et moi.
—C'est la seule façon de les coincer. Une nouvelle infiltration.
—Exactement. Max a toujours joui d'une grande popularité dans l'établissement, auprès des élèves comme auprès des enseignants. Il aidait souvent les jeunes en difficulté. Ce sont les qualités d'un enseignant. Le seul point noir, c'est sa jeunesse qui pourrait poser problème. Il devra asseoir son autorité. Mais un nouveau défi peut l'aider à passer le cap du deuil. Ma décision est prise. Quand puis-je le voir?
—Il est à la maison, avec mon épouse.
—Pouvons-nous envoyer un hibou?
—J'ai plus rapide, fit-il en lui adressant un clin d'œil. Et pour le chef du Département Éducatif?
—Je vais aller le voir pour décommander.
—Oh!
—Avec mon plus beau sourire et ma meilleure répartie.
—Ah!
Guillaume éclata de rire. Le Ministre avait voulu se payer la tête de la directrice. Le duo contre-attaquait avec superbe.
Hercule, prétextant de nouveaux contrôles de pièces à conviction, s'était enfermé dans la salle des scellés en début d'après-midi. Il avait passé une demi-heure à fouiller, à la recherche des prédictions de Claire Obscur. Un rapport stocké aux archives indiquait que Favori et ses hommes avaient récolté 37 fioles au cours de l'hospitalisation forcée de la voyante. Dans le document, il n'y avait pas un mot sur le contenu des 37 prophéties, comme si les Aurors n'avaient pas su les consulter. C'était aberrant. Si aucune mention de prophétie bleue n'était faite dans l'écrit, cela n'empêchait pas un changement de coloris à posteriori dans l'une des fioles stockées. Hélas! Il n'y avait rien dans les scellés et cela constituait une nouvelle anomalie. Hercule l'avait rapporté à sa responsable, Mathilde, qui avait remonté l'information à la hiérarchie. La disparition de scellés était presque devenue une banalité depuis que le garçon avait entrepris une vaste et exhaustive vérification.
Monsieur de Franjac avait été très intrigué par l'origine de la découverte du Belge. Le Brugeois avait alors avoué avoir travaillé, avec ses amis, sur une prophétie «tombée d'une poche» dont la couleur et la signification avaient été faussées de manière intentionnelle. Le commandant s'était surtout amusé de voir à quel point la vérité était chevillée au corps du garçon. Cette quête, associée à la franchise, lui vaudrait des déboires et freinerait sa carrière. Hercule avait tenté de soutirer les vers du nez au commandant à propos de la visite matinale d'Agathe. De Franjac était resté muet comme une tombe. Face à ce mutisme, l'enfant avait déployé ses talents d'analyse. Il avait assemblé les détails: le sourire d'Agathe en sortant de la salle d'interrogatoire, l'annuaire de l'école entré aux forceps dans sa besace, le chemin emprunté par Agathe à son départ –elle n'allait pas vers le bureau du chef du département éducatif –, le commandant se frottant les mains, se posant quelques minutes pour écrire un rouleau et allant dans la direction du bureau postal du Ministère pour l'envoyer, sa bonne humeur manifeste au déjeuner. La réponse était tombée comme un couperet:
—Madame Bonnelangue a recruté un Auror.
—Mais…
Hercule était reparti, satisfait de son tour pendable.
À peine Shin était-il entré dans la salle de cours utilisé par Sean McFlurry, qu'il avait aussitôt reculé et interposé son bras droit pour stopper Hercule.
—Que…? commença son camarade, avant de découvrir l'ampleur des dégâts.
Rosier et d'Arcy avaient recouvré leurs places au dernier rang. Thibaldus ouvrit sa boîte à vomir des insanités:
—Salut les macaques! On est de retour! Blanchis par le Ministre en personne! Alors, ça vous en bouche un coin?
—Entrez, ordonna Sean. Rosier, tu présentes tes exquiouses tout de suite, avait répliqué le professeur, avec sa pointe d'accent anglais qui revenait à la charge lorsqu'il était outré par l'impolitesse.
—Sûrement pas!
—Très bien. Sébastien?
Le concierge fit son apparition et fondit sur Rosier. Il l'arracha de son siège d'une seule main, le suspendit dans les airs en le secouant comme un prunier et demanda:
—Le professeur t'a dit de faire des excuses. Soit tu obéis et on en reste là, soit je t'amène à un endroit qui va te déplaire au plus haut point.
—Je m'en fiche! Je ne m'abaisserai pas devant ces immondes sous-produits de la magie.
—Comme tu voudras!
Il transplana avec son fardeau. Sébastien ne le faisait jamais; il fallait qu'il soit certain, à 100%, de ne pas se fracasser contre un obstacle.
—Où est-il allé? beugla d'Arcy.
—Là où est la place de tout suprémaciste qui osera déballer ses opinions dans cette classe. Au cachouuut!
La veille, une rumeur avait couru dans l'Académie. Elle était partie des elfes de maison qui avaient entendu du ramdam sous leurs pieds, au deuxième sous-sol. Sébastien avait été aperçu couvert de boue, de poussière, dégageant des relents nauséabonds à plusieurs mètres. Il aurait remis en fonction un cachot datant du 17e siècle, aménagé pour les contrevenants au règlement, sous la férule du directeur Gaston Lafrousse, un impitoyable meneur d'hommes.
—Tu es prié de rajouter monsieur ou professeur, à la fin de tes phrases.
Croyant revenir en conquérants, les délateurs zélés en prenaient pour leur grade. D'Arcy crut que la coupe était pleine. Il déchanta très vite.
—Asseyez-vous. Bien. Avant de poursuivre notre leçon sur la métamorphose des végétaux, j'ai une communication officielle de la direction. L'année prochaine, je ne vous enseignerai plus la métamorphose et la transformation. À la place, j'assurerai un autre cours. Bien sûr, je serai toujours votre professeur d'anglais.
—Quel cours allez-vous délivrer, Professeur? demanda un élève.
—Je ne suis pas autorisé à vous le révéler. Ce sera communiqué ce midi, par la directrice. En revanche, je vais vous présenter mon remplaçant pour ce cours.
Alors que Hercule s'attendait à voir Alain Meursault, un Auror expérimenté, il tomba des nues lorsqu'il découvrit les traits juvéniles, la toison frisée et les yeux pétillants de Max de Franjac.
La quasi-totalité de la classe se leva et l'applaudit à tout rompre. Shin imita ses camarades, bien qu'il ne sache pas de qui il s'agissait.
—Vous avez bien sûr reconnu Max de Franjac. Max, je t'en prie. Pardon, je vous en prie, cher confrère!
L'intéressé rougit jusqu'aux oreilles. Hercule était aux anges et ne put réprimer des larmes de joie. Le nouveau professeur s'en aperçut, hochant la tête et cligna des yeux, partageant l'émotion de l'enquêteur.
—Bien que je ne sois plus Auror, je vais m'installer au fond de la classe, pour surveiller un peu, fit-il avec un soupçon d'incertitude dans la voix, laissant planer un doute.
—Durant ce mois, reprit Sean, mon remplaçant va observer et se familiariser avec les méthodes, bien qu'elles soient très fraîches dans son esprit. Bien! Commençons! Je vais distribuer des cactus issus de la serre de madame Waldmeister. Il s'agit d'Opuntia Monacantha, une espèce d'Amérique du Sud. Je veux que vous la métamorphosiez en Dionée gobe-mouche. J'ai ici un grand bocal rempli à bord d'insectes volants pour tester votre métamorphose. La plante gobe-mouche du genre Dionaea est la seule de son espèce, selon votre professeure de botanique. Vous avez le droit d'utiliser votre manuel pour vous aider. Par contre, c'est un travail individuel. Pas de tricherie. Il y a deux paires d'yeux pour vous surveiller. Et d'Arcy, lorsqu'il sortira du cachot, informez votre camarade Rosier de sa note: FONTE. C'est tout. Au travail!
Max n'était pas resté inactif. Il avait défilé dans les rangs, vérifié la progression des uns et des autres et fait une halte auprès de Laurine de Clermont-Tonnerre, en panique totale, surtout qu'elle voyait Shin et Hercule, à ses côtés, prenant de nombreuses notes.
—Je vois que tu butes sur le problème.
—Je suis nulle en métamorphose. Je n'arrive jamais à faire une transformation correcte.
—Vraiment? Tu permets que je vérifie ta baguette? C'est toujours par là qu'il faut débuter. Il faut de bons outils.
Il agita, sans un mot, la baguette en direction de la cactée. Elle se transforma en coupe faite d'un métal terne comme l'étain.
—Waouh!
—Ne t'extasie pas trop vite, d'accord?
En prononçant ce «d'accord», il se souvint que c'était un des tics de langage de Pierre. Sa gorge se serra, il se sentit vaciller.
—Pourquoi?
—Pardon?
—Pourquoi il ne faut pas s'extasier?
—Oui. Regarde. Finite.
La coupe redevint une plante. Il prit sa baguette personnelle et reproduisit l'opération. La coupe étincela comme si elle était en or.
—Tu vois la différence? Il y a un problème. Je te laisse ma baguette pour terminer ton exercice, le temps que je trouve ce qui cloche avec la tienne.
—D'accord.
—Ensuite, pour l'exercice, monsieur McFlurry ou moi-même, donnerons toujours les éléments de réponse dans les questions qui seront posées. Tu l'as entendu donner les noms latins des plantes?
—Oui.
—Alors, comme souvent, c'est dans cette direction qu'il faudra chercher.
—Merci, Professeur.
Le terme «Professeur» l'atteignit en plein cœur. La jeune fille plongea dans le manuel à la recherche d'une formule où le nom de la plante figurait dans la langue morte. Puis, en compagnie de Sean, le nouvel enseignant effectua quelques tests de la baguette. Cette réalisation n'était pas une réussite. Hercule tomba en arrêt sur une nouvelle page, griffonna quelques mots et passa à la pratique sur son cactus. La transformation donna le sourire aux deux hommes. La vérification avec les mouches ne serait qu'une formalité. Max posa la baguette sous les yeux du Belge, étonné. L'enseignant leva le menton, d'un air de dire: à toi de jouer!
Le garçon ramassa l'objet très fin, au manche si étriqué qu'il paraissait taillé pour la main d'un bambin. Il ferma les yeux. Max donna un petit coup de coude à Sean, l'incitant à observer une scène stupéfiante.
L'élève écouta avec attention. L'essence du bois était commune, européenne mais c'était une sous-espèce d'une branche répandue. C'était la même sensation qu'avec la baguette de Katarina. Mais celle-ci était triste. Elle «soupirait». Son cœur était brûlant, violent et il enrageait.
—C'est du sycomore. Je dirais qu'il y a du dragon, à l'intérieur. Et…
Il murmura afin que Laurine n'entende pas:
—Elle s'ennuie.
Il secoua l'objet et, en dépit de sa finesse extrême, le garçon perçut un léger mouvement à l'intérieur.
—L'inclusion se rétracte. Le contact n'est pas total. Je dirais que cette baguette est en train de dépérir.
—Impressionnant. Quand j'ai acheté ma baguette chez Ollivander, je voulais du Sycomore, car tous les sorciers qui en possédaient, exécutaient des prouesses avec. Il me l'avait déconseillé, car il en avait vues s'enflammer.
—Par ennui? suggéra Hercule.
Sean dodelina de la tête, hésitant entre une réponse affirmative ou négative. Le Belge grimaça et fronça les sourcils. L'idée que l'outil de sa camarade lui fasse défaut en pleine période d'examens, alors qu'elle rencontrait mille et une difficultés d'apprentissage, lui était intolérable. Grâce au guidage de Max et au prêt de la baguette, Laurine était parvenue à composer la formule. Le geste n'était pas précis et si sa cactée avait changé de forme, assez pour ressembler à Dionaea, elle n'avait pas su ouvrir ses pièges à mouches. Sean et Max avaient jugé correct de lui attribuer un honorable «BRONZE». Laurine était aussi heureuse que si elle avait remporté une compétition majeure dans l'Académie. Le cours prit fin et le Belge fut tiraillé par l'envie de rester auprès de Max. Il n'avait que dix minutes d'intercours. Il lança juste avant de s'éclipser:
—Heureux de vous compter parmi nous, monsieur le Professeur.
—Attends de voir les premiers examens que je vous concocterai avant de te réjouir, jeune apprenti Auror-Enquêteur stagiaire fabricant de baguettes.
—C'est un titre un peu pompeux, ne croyez-vous pas?
—En effet. Trouve-toi un autre sobriquet. Ce sera ta mission de la semaine.
—Bien, Professeur.
La perspective de revoir ce gamin, tous les jours, lui fit chaud au cœur. Qu'en serait-il avec Eugénie? Qu'adviendrait-il du trio infernal amputé? Il allait être fixé dans quelques minutes puisque les élèves de la deuxième année Aloysia allaient remplacer Urtica dès 10h05.
Hercule croisa ses deux camarades de l'ordre à la verveine. Il leur servit un sourire radieux qu'elles attribuèrent à une excellente note. Il ricana bêtement en imaginant leur surprise. Il rattrapa les autres Urticants et descendit au sous-sol, en salle de potions. Monsieur Grossel apparut en tenant Rosier par le col de son uniforme.
—Tu es calmé?
—Non! s'insurgea Thibaldus en gigotant. Quand ma famille va apprendre ce que vous avez fait…
Sébastien agita sa baguette et fit apparaître un parchemin. Il s'agissait de toutes les notes obtenues par l'élève.
—Qu'est-ce que tu lis, en bas?
—BRONZE .
—Pas de chance! Ta note FONTE en métamorphose vient de s'ajouter. Il manque encore les FONTE pour chaque contrôle manqué durant ton absence. Encore quelques-unes comme ça et tu passes à BRONZE– de moyenne. Il y a un espoir, pour moi, que tu redoubles. Je ne t'apprendrai rien en te disant qu'un autre redoublement est interdit et que le contrat magique entre l'école et l'élève est alors rompu. Alors? Tu fais des excuses à Ishii et Van Betavende? Ou tu préfères retourner au cachot et écoper d'une nouvelle FONTE?
—D'accord!
Thibaldus s'approcha des intéressés et se contenta de grommeler:
—Désolé pour ce que j'ai dit.
Il n'en pensait rien, naturellement. Il fila à sa place.
—Madame Fordecafé a reçu les mêmes instructions, ajouta le concierge avant de s'éclipser.
L'enseignante demanda aux élèves de concocter Velox Purgato, une potion médicale aux usages multiples. Après avoir réalisé le breuvage, il faudrait séparer la production en trois parties égales, se référer à l'ouvrage de médicomagie, choisir les formules et les tours de baguette adéquats pour obtenir de quoi nettoyer le système sanguin, le foie et les intestins. Comme il fallait utiliser une baguette, Jacques serait dispensé de spécialisation. En revanche, il devrait obtenir un Velox Purgato vétérinaire propre à vider les boyaux d'un Gazeux basque en quelques secondes, afin de sécuriser l'intervention d'un vétérinomage. Une mission plus compliquée que la spécialisation.
Dès que les instructions furent fournies aux élèves, Hercule se tourna vers Laurine et lui tendit la baguette de châtaignier.
—Pour vous. Rangez votre sycomore défectueux.
—Mais…
—Je l'ai fabriquée et éprouvée. Le cœur de Gigogne est très stable, une véritable assurance de réussite. C'est ce qu'il vous faut. Cadeau.
—Cadeau?
—Oui. Vous verrez, ce sera mieux.
—Mer… merci, fit la jeune fille, émue.
Le garçon se détourna sans en attendre davantage et se concentra sur son travail. Laurine resta interdite pendant une bonne minute, abasourdie. Puis, elle se convainquit qu'elle pourrait réussir un second exploit dans la matinée.
Une fois n'était pas coutume, le Belge était allé seul à la grotte Urtica. Shin travaillait d'arrache-pied pour être fin prêt aux examens de fin d'année. Une autre personne avait presque disparu de la circulation: Umbelina. Depuis quinze jours, elle fuyait aussitôt son repas avalé et exploitait la moindre seconde libre dans la Salle Blanche. Hercule était surpris par sa ténacité; personne n'imaginait que le titre de championne de duel de 2e année allait lui échapper.
Une fois dévêtu et immergé dans l'eau, le garçon repensa à la merveilleuse surprise «Max». Lorsqu'Eugénie s'était retrouvée en sa présence, elle avait éclaté en sanglots et s'était jetée dans ses bras, occasionnant les moqueries acerbes de Rostand de Hautefeuille. Sébastien était arrivé à la rescousse et avait demandé à la blonde à particule si elle désirait prendre la place chaude de Rosier au cachot. Elle avait décliné la proposition et avait effectué une rapide courbette en signe d'excuses.
«À présent, repartons dans le passé. Allons dans l'année 1910.»
Le baigneur ferma les yeux et s'immergea en totalité. L'accès magique à sa mémoire n'en fut que plus rapide. Les phrases défilèrent jusqu'à la fin de l'année où Abraham avait écrit près de deux pages sur le meurtre horrible de Lyna. L'homme était peiné, choqué, au point où il avait suspendu l'écriture durant une semaine qu'il avait rattrapée et détaillée au début de janvier 1911. Tout à coup, le garçon émergea.
—Par les flammes d'un Piment Cornu! Qu'est-ce que…
Il vérifia, relut plusieurs fois. Le 7 février 1911, le spécialiste des runes avait inscrit: «J'ai la sensation d'avoir reçu un sortilège Oubliette. Ce matin, Armand m'a parlé d'une sanction donnée à un de mes élèves dans la journée, mais je n'en ai aucun souvenir. Je connais l'élève, je me souviens de sa tentative de franchissement de la grille nord du domaine, mais aucun souvenir de la sanction. J'espère que je ne perds pas la tête!». Dans les jours suivants, Abraham ne mentionnait plus cet incident.
Quelques minutes plus tard, Hercule arriva à la fin du mois de juin 1911. Monsieur Piedargile parlait de la préparation de la cérémonie des diplômes. Il revoyait les noms des élèves, de mémoire, ayant obtenu l'accessit des runes lorsqu'il avait eu deux trous de mémoire sur les années 1901 et 1902. En consultant son grimoire, il avait retrouvé le nom du double lauréat: Lucie Boulanger. Il se demandait comment elle avait pu décrocher la première place puisqu'il s'agissait d'un enfant médiocre en tout sauf en métamorphose. Il était convaincu d'avoir reçu le sortilège Oubliette quelques mois auparavant. Hercule s'exclama:
—Il y a eu un ménage fait avant le décès de Lucie! On a effacé toutes ses traces et ensuite… on l'a éliminée! Pourquoi? Que saviez-vous? Qu'aviez-vous découvert? Allons, Van Betavende, concentre-toi. Écoute…
Dans les méandres du cerveau belge, les détails accumulés durant des semaines se classèrent dans l'ordre chronologique. Lucie était une élève brillante, collectionnant les succès, comme l'attestaient les écrits de Wilfried et Abraham. L'élève avait poursuivi ses études, après l'obtention de son diplôme de BANQUET. Elle était entrée en CHASSE, mais Abraham n'avait pas précisé laquelle. Il la considérait comme une combattante hors pair, intelligente. Elvira masquait la vérité et entretenait un lien avec l'élève qu'elle formait. Elle avait été attrapeuse, à l'aise sur un balai. Elle brillait en métamorphose et Lyna était très impliquée dans sa formation. Elle avait décroché de nombreux accessits rapportés par Abraham. La logique voulait qu'elle ait intégré la CHASSE-Magus. Elle en était sortie en 1909 et, à coup sûr, avec d'excellentes notes. Une jeune femme avec des facilités pour la métamorphose et les maléfices, désireuse de suivre le processus pour devenir un Animagus, n'avait pas pu échapper au corps des Aurors. La fiche carbonisée mentionnée par le commandant, l'Auror enquêtant sur la mort de Lyna, victime d'une censure, c'était Lucie! Ce n'était pas une criminelle, mais l'Auror qui avait cherché le nom du meurtrier de Lyna Beauxbâtons!
«Elle était sur le point de le confondre! Voilà pourquoi l'assassin a nettoyé tout autour de lui! Un meurtrier puissant, avec ses entrées au Ministère pour avoir pu censurer le dossier et la fiche du personnel. Si les Boulanger sont toujours en vie, c'est parce qu'ils ignoraient tout des missions de Lucie. Si j'explique mes découvertes à Jacques, ne risque-t-il pas son existence?»
Le garçon s'éternisa dans l'eau, pesant le pour et le contre. Lorsqu'il choisit de s'extraire du liquide, après avoir longuement fait silence pour écouter les murmures de l'univers, c'était avec la conviction que la vérité primait sur tout.
