Sortilège 42: les monstres

Shin n'en revenait pas du travail méticuleux produit par Hercule. Le plus ahurissant, c'est qu'en parallèle, le Belge poursuivait avec assiduité ses efforts pour réussir aux examens et continuait de fabriquer des prototypes de baguettes pour l'entreprise Delacour. Son camarade et lui venaient de pousser tout ce qui traînait dans la chambre afin de dégager une grande surface plane. Une fois le rangement accompli, ils avaient étalé les parchemins et les avaient mis bout à bout pour recréer l'histoire de Lucie Boulanger. Jacques était très ému. Il ne savait où donner de la tête tandis que les deux complices solidarisaient les peaux avec des épingles. Le tandem belgo-nippon se redressa, satisfait de la mise en place.

—Nous y sommes.

L'enquêteur commença par narrer tout ce qu'il avait pu glaner à travers les écrits. Ensuite, il exposa ses déductions, appuyées par des faits. Le Cracmol écoutait la démonstration accompagnée de gestes, avec attention, réprimant des larmes quand l'émotion le submergeait. Peu à peu, le membre fondateur de Gerbera démontra que Lucie avait été affectée à la résolution du meurtre de Lyna Beauxbâtons. L'assassin, percevant l'imminence de l'issue fatale, avait contre-attaqué sans perdre une journée, effaçant toutes les traces de son forfait. Hercule ne se contenta pas de rétablir l'honneur de Lucie; il valorisa son action, sa découverte d'une implication au plus haut niveau. Pour Jacques, Lucie était alors l'Auror à qui l'on confiait les missions les plus ardues, en dépit de sa jeunesse. Lucie n'était pas juste sa sœur ou sa tante, peu importait! C'était une héroïne brave jusqu'au dernier souffle.

—Il ne me reste qu'un dernier point, une piste à investiguer, dimanche.

—Laquelle?

—Cette histoire d'Animagus mentionnée dans les écrits d'Abraham.

—Qu'est-ce que tu en attends?

—Je ne sais pas. Parfois, j'ai des idées qui traversent mes petites cellules grises. Je ne cherche pas à comprendre pourquoi elles l'ont fait mais plutôt à voir où elles mènent.

—En tous les cas, coupa Shin, je n'ai jamais vu un pareil travail, toutes les imbrications, les recoupements. Tout cela en marge des devoirs, des baguettes. Vous m'impressionnez! Il est fort, n'est-ce pas?

—Ah ouais! J'sais pas comment te remercier, mon camarade.

—Mais vous l'avez déjà fait en sauvant ma potion Cistus Inversus. Ce n'est que la monnaie de votre pièce, mon cher. Nous sommes qui…

Il était 20h30 lorsque des coups sourds retentirent à la porte et interrompirent leur échange. Par réflexe, Hercule éjecta sa baguette et la tint fermement. Il pointa l'entrée tandis que Jacques ouvrait la porte d'un coup sec. Le Belge baissa son instrument dès qu'il reconnut l'un de ses voisins, un journal à la main. Il s'agissait de Juan Garcia, le gardien de l'équipe de Quidditch de leur ordre, un Espagnol en sixième année.

—Hercule! Regarde-moi ça!

Il agita son exemplaire de «El gato nero de la bruja». 1 Il l'ouvrit à la première page et désigna un titre: «Una evasión espectacular en Ámsterdam». Il tendit la feuille de chou aux photos animées et invita l'élève à prendre connaissance de l'article. Les mots apparurent en français sous l'effet traducteur de sa baguette. Il lut en silence:

«Casper Van Kriedt, arrêté avec plusieurs de ses frères à la suite d'un attentat fomenté par sa fratrie, un crime perpétré sur le sol français, manquant de blesser plusieurs sorciers espagnols, a été transféré samedi 7 juin à Amsterdam, en vue d'être interné dans un centre de redressement des cas sorciers déficients. À peine avait-il mis un pied dans l'enceinte hospitalière qu'il était libéré par un trio d'individus déterminés et bien renseignés. Les libérateurs du criminel ont en effet lancé leur attaque avant que Casper Van Kriedt ne soit confiné dans le dôme magique impénétrable de cet institut spécialisé. Par chance, les deux Aurors français qui avaient la charge du prisonnier, n'ont été que légèrement blessés et seront vite remis. À l'heure où nous imprimons ces lignes, le fuyard et les assaillants n'ont toujours pas été retrouvés par des Aurors hollandais débordés, selon les termes de leur commandant.»

Il rendit le quotidien à Garcia qui fulmina:

—C'est une honte! C'est à croire que les Hollandais les ont renseignés directement!

Hercule soupira et admit:

—Il y a en effet de quoi douter du Ministère hollandais. Mais ce serait très compliqué à démontrer. Néanmoins, il fallait redouter cette issue. Les Van Kriedt incarcérés à Fengsel ne sont pas près d'en sortir, eux. Cela me console un peu.

Ce versant appréciable de la justice ne calma pas la révolte du bouillant Ibère.

—Rosier et ses imbéciles vont encore essayer de les prévenir! C'est révoltant! Qu'est-ce que tu vas faire?

—Si je suis contraint de passer l'été au château, je n'en mourrai pas, concéda Hercule. Quant à ma mère, elle devra rester en exil sans que je sache où elle se trouve, sans pouvoir lui donner de nouvelles. Hélas!

—Quand je pense que cette crapule a été dans mon équipe de Quidditch! La nôtre, hein, Shin? Ça fait mal de savoir que c'était un traître.

—Il a dû décevoir beaucoup de personnes, souligna le Japonais.

—Je vous laisse. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, termina l'Espagnol. On est avec toi, Hercule.

—Merci, Juan.

Le Belge referma la porte et se figea, le visage fermé, le cœur lourd. Mère apprendrait-elle la nouvelle? Il avait reçu un courrier la semaine passée. À travers les mots, il sentait qu'elle s'étiolait, seule, sans amis, sans famille, ni même Orby. Le garçon n'avait qu'une crainte: qu'elle finisse par mourir de chagrin ou dans la misère. Avec Rosier dans les parages, le moindre de ses gestes serait épié. Les quatre élèves exclus puis réintégrés n'étaient pas les uniques sources d'information. Le noyautage était plus vaste qu'on l'imaginait. Les quatre renégats n'étaient que la partie émergée de l'iceberg. En réalité, Hercule n'avait pas fait l'objet d'un abandon de surveillance. Il en était sûr.

Il finit par se décramponner de la porte et avança vers ses camarades, sans mot dire. Jacques tira la chaise d'un des bureaux installés sous les matelas volants.

—Vas-y. Assieds-toi.

—Merci, Jacques.

—Je peux te demander quelque chose?

—Bien sûr.

—Tu crois que je peux parler de ton travail à mes parents?

—Je ne sais pas. J'ai démontré que Lucie ne pouvait pas être votre sœur, car votre mère n'aurait pas pu avoir onze ans au moment de l'accouchement. Une naissance qui aurait eu lieu à Beauxbâtons, en plus. Vous imaginez? Improbable.

—Ça risque de mettre la pagaille dans la famille, entre mes parents, mes grands-parents?

—À votre avis?

Le Cracmol écrasa son poing sur le bureau d'un coup sec. Il s'exclama:

—Ça fait mal de le dire, mais t'as peut-être ben raison. C'est moche mais ouais, vaut mieux que je garde ça pour moi. Et Émilie? Je lui raconte toujours tout. Je n'ai pas de secret pour ma sœur.

—Comme vous le sentez.

—Elle menait une mission dangereuse, hein?

—J'en suis sûr.

—Si elle avait eu une de tes baguettes, pas une de ces cochonneries de Cosme Acajor, elle s'en serait sortie.

—C'est gentil, mais je pense, à travers mes lectures sur Lucie, que c'était une sorcière capable d'exploiter n'importe quelle baguette.

—Tu en as des nouvelles?

—Oui.

Hercule déballa un tissu de velours dans lequel il protégeait ses créations. La baguette de cédrat, en forme de grains de café, dotée d'une plume de Phénix, remporta un franc succès. Shin et Jacques la trouvèrent élégante, finement ciselée. Tout à coup, le Cracmol aperçut, parmi les objets dispersés sur la surface du bureau, le stylo-baguette.

—Tu as eu un stylo-plume moldu! J'aimerais bien en recevoir un pour Noël. J'en ai entendu parler, il paraît que le système pour délivrer l'encre est très fiable. Tu fais beaucoup moins de taches, avec cet outil. C'est un cadeau de tes parents, avant que ton père…

Hercule s'amusa de la réussite de l'illusion.

—Ce n'est pas un stylo. C'est une baguette.

—Quoi? Je n'en ai jamais vue une comme ça! C'est… Bah ça, alors! Je me suis laissé prendre au piège!

—C'est précisément l'idée. Imaginez: des sorciers malfaisants vous capturent, cherchent votre baguette, la confisquent et vous laissent votre plumier pour écrire vos dernières volontés. Et là, vous sortez un objet insoupçonnable et vous contre-attaquez.

—Vous devenez presque inquiétant, Hercule.

—Ah ouais! J'adore l'idée. Et ton morceau de bois couleur fraise, là, tu vas en faire un sucre d'orge?

Le Belge dévisagea le Cracmol comme si un fantôme venait de faire son entrée dans l'Académie. Ce rouge bonbon ferait une friandise, en forme de canne. La sucrerie qu'on trouvait dans tout arbre de Noël qui se respectait. Il suffisait de créer une bande blanche enroulée d'un bout à l'autre de la baguette, d'appliquer le plus brillant vernis protecteur qui soit et l'illusion serait parfaite. Il remercia son camarade pour la formidable idée de supercherie. Ensuite, il leur proposa d'aller faire un rapide tour en Salle Blanche pour exécuter quelques bizarreries avec le stylo baguette. Jacques passa les meilleures heures de sa vie à Beauxbâtons. Quand il se lamenta de ne pas pouvoir faire de magie, Shin mentionna leur gouvernante, madame Sato, la reine des artefacts magiques ne demandant aucun pouvoir pour fonctionner. Ils inventèrent alors des histoires où Jacques serait un justicier défendant les Cracmols du monde entier, grâce à des inventions folles des deux sorciers. Ils s'amusèrent tant et si bien qu'à une minute près, ils faillirent rester à la porte du pavillon à leur retour. Ils en rirent de plus belle, se convainquant qu'un peu d'insouciance ne faisait pas de mal.

La dernière semaine de révision avait filé plus vite qu'à l'accoutumée. Demain, lundi 16 juin, débutaient les épreuves sanctionnant l'année d'étude. Avant cette étape, Hercule se rendait chez les Aurors pour y parachever sa mission. Les dossiers en souffrance avaient tous été traités. Quant aux archives, les vingt dernières années étaient sur le point d'être vérifiées. Hercule avait tout le temps pour établir les ultimes fiches d'anomalie. En saluant Mathilde Pourpoint, de bon matin, il avait une petite idée derrière la tête.

—Bonjour, Hercule. Dernier jour?

—Bonjour, Mathilde. Oui, les bonnes choses ont une fin.

—L'année prochaine, il te restera deux siècles années d'archives à traiter, si tu y tiens.

—Je crois que les dernières années, à examiner de fond en comble, ont calmé mes ardeurs.

La réflexion lui arracha un ricanement. Le travail administratif était une tâche capable de laminer n'importe quel sorcier.

—Bon, je te laisse terminer tes ultimes fiches.

—Mathilde…

—Oui?

—J'aurais une requête à vous présenter.

—J'écoute.

—Je souhaiterais consulter le registre des Animagus.

Elle le reluqua d'un œil intrigué et lâcha:

—Il y a une anomalie, derrière cette demande?

—Possible.

—Viens, suis-moi!

Ils quittèrent le bureau des Aurors et prirent la direction des ascenseurs. Une fois dans la cabine, Mathilde enfonça sa clé personnelle. Elle lui permettait de se déplacer dans tous les départements et services du Ministère, exceptions faites du repaire des Oubliators et de la Cave des Secrets d'État. Le registre des Animagus était entreposé au sous-sol, dans le Département des Créatures Magiques. À peine parvenus au neuvième et dernier niveau, l'enfant et son chaperon firent face à un Gobelin posté derrière son comptoir. L'univers souterrain était différent des étages supérieurs. Le garçon, face aux nombreuses poutrelles métalliques, traversées de panneaux d'acier maintenus par des rivets, eut la sensation de se retrouver dans un roman du Moldu Jules Verne. Le gardien des lieux était plus difforme que ses semblables employés à la banque Pasdelazare. Un duo de créatures traversa une allée. Elles étaient à l'image du Gobelin. Les profondeurs du Ministère regorgeaient d'employés cachés aux yeux des sorciers. Mathilde s'approcha, exhiba son écusson et réclama:

—Nous aurions besoin de consulter le registre des Animagus.

—Hum…

Le petit homme ronchonna et accepta. Il se pencha sous son bureau. Il abaissa plusieurs manettes, tourna des cadrans gradués et enfonça la sonnette disposée sur le comptoir. Un panneau pivota près de la cage d'ascenseur. L'Auror tira la porte dissimulée et entra. À l'intérieur de la minuscule pièce, il n'y avait qu'une petite commode sur laquelle une vitrine était posée. Un livret aux dimensions inférieures à un roman d'Edgar Allan Poe y reposait, à l'abri de la poussière. Mathilde souleva la vitre et s'empara du recueil.

—C'est… tout? s'étonna l'enfant. À moins que cela ne soit enchanté comme le grimoire du professeur Piedargile.

—Pas du tout. Combien crois-tu qu'il y a d'Animagus officiels? Je veux dire, en vie.

—Je n'en ai aucune idée.

—Une petite douzaine, toutes générations confondues.

—Si peu?

—Le processus pour devenir Animagus est risqué, compliqué, conditionné par la météorologie et une foule d'épreuves terribles. Mal réalisé, il entraîne des séquelles monstrueuses, handicapantes. Ce n'est pas une sinécure. En revanche, pour un Animagus déclaré, tu as en général quatre non déclarés. C'est un peu comme un iceberg. Alors… Voilà le registre. Que cherches-tu?

Comme le minuscule grimoire comportait peu de pages, il fut aisé de le parcourir à grande vitesse. Hercule se rendit à la page où étaient enregistrées les dernières entrées. Il eut sa première surprise. Elvira avait été inscrite en 1847. Jusque-là, rien d'anormal. Ce registre était utilisé pour surveiller les activités des individus notés: comment Elvira avait-elle pu échapper à la surveillance? Parce que la référente Urtica était décédée en 1849! Hercule faillit pousser un cri en faisant cette découverte. Il fit glisser son doigt un peu plus bas et trouva: Lucie Boulanger, 05/08/1891–20/04/1911. Adresse: Orgeix. Profession: Auror. Animagus: aigle forestier.

—Voilà!

Il souligna le fruit de sa recherche.

—Quoi? Qui est-ce?

—Un Auror.

—Eh bien?

—Vous aviez trouvé une fiche brûlée, au service du personnelmagique du Ministère. Je me souviens, le commandant était dans tous ses états. C'est elle. L'Auror manquant.

—Bon sang! Tu… tu savais?

—Dans son journal, le professeur Piedargile avait écrit que l'enseignante de métamorphose lui avait fait part des projets de cette élève. Abraham la décrivait comme une étudiante très respectueuse des lois et règlements. J'avais supposé que son dessein serait très officiel et enregistré s'il avait abouti. Lucie Boulanger. Là, il est écrit noir sur blanc qu'elle était Auror.

—Tu crois que c'est elle qui a enquêté sur la mort de…

—… de l'enseignante en question. Lyna Beauxbâtons. C'est la dernière des preuves qui me manquait. Voulez-vous bien effectuer une duplication?

—Oui.

Elle en effectua deux, plia un rectangle de parchemin et donna l'autre au garçon.

—Le commandant va être étonné par cette découverte.

—Tout comme mon ami Jacques. La preuve indéniable que sa sœur était une brillante Auror.

—Ta capacité à démêler la vérité du mensonge est ahurissante.

Elle marqua une pause pour digérer la révélation et reprit, sur un autre registre:

—Au fait, sais-tu que tu as des choix à effectuer en fin d'année, à l'école? En fin de deuxième année, les élèves doivent indiquer quelles matières ils veulent conserver ou abandonner, afin de suivre de nouveaux enseignements.

Ils remirent le grimoire en place, saluèrent le Gobelin et le laissèrent refermer la pièce d'entreposage. Tout en reprenant la direction de leur bureau, le garçon répondit:

—Nous aurons une réunion d'information vendredi, entre les deux semaines d'examen. Même si j'aimerais beaucoup rejoindre la CHASSE-Magus, pour intégrer le corps des Aurors et enquêter, mon vertige m'empêchera d'obtenir mon certificat de vol. C'est rédhibitoire, Mathilde, n'est-ce pas?

—Oui. Il faut savoir voler. La CHASSE-Runesort est une excellente alternative. Tes aptitudes sont nombreuses. Nous faisons parfois appel à des briseurs de sort dans de sales affaires. C'est bon à savoir.

—En effet. D'autant plus que je suis le meilleur élève de ma classe dans l'étude des runes. Néanmoins, je songe de plus en plus à la CHASSE-Enchant'art.

—Tonton Gervais est en train de marquer des points dans la partie et à distance, en plus. Il est rusé! s'amusa-t-elle.

—Pour être franc, Mathilde, je ne me vois pas comme un récipiendaire du Ministère. Je préfère devenir ce que les Moldus appellent un iconoclaste. Si j'étais resté parmi eux, lorsque je me croyais Cracmol, je serais devenu un enquêteur privé. Savez-vous que c'est un Français qui a créé le premier bureau d'enquête privée?

—Sûrement un ancien policier moldu, non?

—Pas tout à fait. En réalité, c'est un ancien bagnard, devenu chef de la sûreté de votre pays. Eugène-François Vidocq.

—Oh! J'ai entendu parler de ce Moldu!

—C'était un précurseur. J'aimerais l'être autant que lui.

Le garçon et la femme se séparèrent en entrant dans l'espace de travail. Mathilde ne perdit pas une seconde pour aller faire part de la nouvelle du jour au commandant. Il tomba des nues. Elle lui rapporta aussi les intentions du garçon quant à son avenir. Guillaume de Franjac fut persuadé que rien n'était joué.

Nanti d'une prime conséquente, un authentique encouragement à persévérer dans l'excellence, le jeune Belge avait entamé ses examens prévus du 16 au 26 juin. Il avait fait de son mieux pour chasser les fortes émotions éprouvées lors du discours de remerciement déclamé par le chef des Aurors. Désormais, il était concentré pour affronter près de seize disciplines. Certaines se déroulaient avec la totalité des élèves, comme les matières magistrales telles que l'Histoire de la magie, l'étude des Moldus, l'anglais, le français ou les sciences. D'autres se passaient en tête-à-tête avec les professeurs comme la Legilimancie ou les sortilèges, la métamorphose, le soin aux créatures magiques ou la botanique. Parfois, l'entrevue ne durait même pas cinq minutes, parfois le travail durait près de huit heures, comme l'épreuve conduite par Ambroisine Fordecafé en CHASSE-Potion. Hormis un week-end de relâche et le vendredi 20 juin, consacré le matin à la compétition de Cecrabebleu et l'après-midi, dévolue à l'orientation –elle concernait les deuxièmes, sixièmes et huitièmes années –, les deux semaines promettaient de l'intensité avant la remise des diplômes.

Les épreuves comptaient pour un tiers dans la moyenne finale. Certains élèves, ayant fait preuve d'excellence tout au long de l'année, à l'instar de Sigrid, ne pouvaient pas redoubler, même en cas d'échec cuisant au dernier coup de rein. Hercule et Shin faisaient aussi partie du lot. Néanmoins, ils ne disputaient pas le titre de champion à l'héritière des Flamel.

Au soir du lundi 16, le Belge et ses camarades d'Urtica en avaient fini avec les potions, la métamorphose, l'anglais et l'étude des Moldus. Autant Hercule était certain de succès avérés dans les trois premières disciplines, autant le devoir sur les coutumes vestimentaires des Moldus pouvait être sujet à caution. Lors de la seconde journée, Hercule et Jacques firent des merveilles avec les Bayours, changeant leur paille, recyclant leurs déjections comme si l'enseignante l'avait accompli elle-même. La botanique réussit aussi au Belge tandis que Jacques héritait d'un OR, détaillant plus que de raison les usages de l'asphodèle. Les épreuves de Legilimancie et d'Occlumancie furent une réussite. Le Brugeois remplit les clauses du contrat exigé, réalisant les blocages et les incursions dans l'esprit de ses adversaires. Il s'était servi de sa baguette de cèdre au cœur de Billywig, mais s'il avait affronté Rosier, il aurait été tenté de sortir son stylo, de pousser l'inclusion de Baku et de tester un Legilimens pour découvrir la totalité de ses secrets ou le transformer en résident de l'hôpital Bonpied.

Pour l'épreuve de duel, la professeure avait fait simple: le candidat tirait, dans un sac, quatre papiers sur lesquels figuraient les noms de ses quatre adversaires. Il les affrontait ensuite. S'il ne remportait aucun duel, il héritait d'une Fonte. S'il en gagnait un, il obtenait la note Étain. Ainsi de suite jusqu'à quatre victoires récompensées par l'Or. Une fois qu'un candidat avait accompli ses confrontations, le papier comportant son nom était éjecté du sac et ne pouvait plus être choisi. Dès qu'un nom, remis dans le sac à l'issue de chaque combat, avait atteint quatre tirages, il était soustrait par un sortilège automatique. Shin et Hercule n'avaient pas eu à s'affronter et avait obtenu Or. Rosier s'en était tiré avec un Bronze, la faute au tandem belgo-nippon qui lui avait fait mordre la poussière à deux reprises. Il fulminait et se plaignait, à qui voulait l'entendre, que tout était truqué.

Au soir du second jour, après le dîner, la fatigue commençait à se faire sentir. Cependant, la douceur de la soirée, consécutive à une journée où le thermomètre avait flirté avec les trente degrés, incitait les élèves à flâner et à profiter des senteurs du jardin. Le soleil glissait avec majesté à l'horizon. Umbelina, adossée à la rambarde du pont enjambant la rivière enchantée, était en train de discuter avec Jo Alonzo et Louis Delplanque. L'objet de la conversation tournait autour de leur avenir respectif.

—C'est vrai ce qu'on dit?

—Qu'est-ce qu'on raconte, De Laranjeira?

—Que tu as choisi CHASSE-Arithme pour l'année prochaine? taquina la jeune fille.

—Je ne sais pas d'où sort cette rumeur mais quand je serai médicomage, tu pourras toujours m'envoyer celui qui a dit ça. Je lui administrerai quelques potions pour l'aider à retrouver son équilibre mental.

—Ah ah!

—Et toi, Jo?

—Dans un an, je choisirai la CHASSE-Enchant'Art. Aucune hésitation.

—C'est que tu es un merveilleux couturier! Si, en plus, tu apprends à envoûter les tenues pour qu'elles s'ajustent par magie, tu connaîtras un vrai succès.

—Tu sais qui serait l'enseignantprincipal? demanda Louis. Il n'y a personne depuis plusieurs années.

—C'est Dune Dunne. Tu sais qu'elle possède une cape enchantée, à l'épreuve de nombreux sortilèges?

—C'est vrai? Delplanque, tu imagines nos tenues de Quidditch avec des capes à l'épreuve des Cognards?

—Ça m'étonnerait que Laflèche laisse passer ça!

—Ça vaut le coup d'essayer, non?

—Mais tu es vraiment prête à tout pour gagner! Sacré Capitaine! L'année prochaine, il va falloir recruter. J'arrête les matchs, les entraînements. J'ai six heures de médicomagie par semaine.

—Je comprends. Ne t'inquiète pas, je verrai ça.

—Tu as une idée pour tes options, Umbelina?

—Je ne veux pas la Divination! C'est… Pfff… Bref! Le droit et la politique, ça pourrait être intéressant mais avec Alinea, ce n'est pas terrible. Je garde le balai, le Quidditch et je demande à doubler le duel à la place de la Divination. Je voudrais bien les sortilèges informulés!

—Tu brûles les étapes, Umbeijo.

—Je sais. Je suis pressée de…

Soudain, un craquement effroyable déchira l'air. C'était comme un coup de tonnerre sans le moindre nuage menaçant. Les élèves tournèrent la tête en direction du château. La partie gauche de la toiture, coiffant les deux étages dévolus aux CHASSE, était endommagée par une créature à trois têtes: celles d'un lion, d'un bouc et d'un dragon. Le corps, puissant, était félin. La longue queue de serpent fouettait et fracassait les tuiles et la charpente. La bête chimérique repéra deux proies au sol et s'élança du toit, se moquant de la hauteur. Elle atterrit sur les graviers avec une souplesse consommée et se rua sur Jacques et sa sœur. La monstruosité cracha du feu. Émilie interposa un Protego efficace, doublé d'un Repulso rageur. La chimère s'acharna et la baguette d'aubépine noire vomit une mixture gluante sur les pattes du monstre. Louis, Jo et Umbelina se portèrent à leur secours.

En quelques secondes, d'autres élèves jaillirent des quatre points cardinaux. Mourgues, Mondague, Valembreuse se moquèrent des interdits sur l'usage de la magie avant 17ans et firent pleuvoir des sortilèges. Les deux Portugais, accompagnés de Delplanque, organisèrent une manœuvre d'encerclement. La bête était vive et se déplaçait à une vitesse folle, évitant les attaques. L'ordre Gerbera fut bientôt au complet pour combattre tandis que Sébastien, Agathe, Dune, Wilfried et plus inhabituel, Jean Racine, sortaient du bâtiment principal et se regroupaient pour prendre la chimère à revers. Hercule, dont la baguette de cèdre rechignait à commettre des sorts violents, décida d'éprouver la création de cédrat. Elle fit des merveilles avec un Bombarda Maxima qui fit mouche. Dune régla l'intensité de sa propriété au maximum. Son Aquaglaciem paralysa les pattes de la bête. Umbelina fut tentée d'utiliser le Fulguracrucio pour porter un coup fatal, mais le Belge modéra ses élans:

—Non! Ne dévoilez pas votre arme!

Profitant de l'immobilité de sa cible, Hercule hurla un Aquadiffindo. Le cédrat, supporté par la plume de Phénix, fit un trou dans la gorge de la tête de lion. Cela mit la chimère dans un état de furie totale et elle parvint à se libérer. Umbelina usa d'un Tornado Extremis pour désorienter le monstre tandis que ses camarades lançaient des Bombarda à tout-va. La bête se débattit et déploya des ailes pour lutter contre le souffle violent. Elle était enragée et dès qu'elle reprenait l'initiative de l'attaque, elle visait en priorité les Boulanger, monsieur Racine et Umbelina. La Portugaise se déchaîna. Un craquement sonore retentit. L'air vibra plus que de raison. Des hallebardes de glace plurent sur la chimère et un éclair zébra le ciel. Le monstre battit en retraite et s'adossa au château. Une meurtrière des appartements s'ouvrit et s'élargit. Madame Obscur apparut, une fiole à la main. Elle jeta la potion vers la chimère et lança, avec sa baguette:

—Repulso!

Le contenant éclata sur la peau caparaçonnée. Le liquide la rongea à une vitesse exponentielle et en quelques secondes, le cauchemar finit en scories que le vent acheva de balayer.

—Bravo, Claire! Mais… Ce n'est pas fini! Sébastien, vous trois –elle désignait les Lonicera –, allez dans les pavillons et frappez à toutes les portes! Assurez-vous de réveiller tous les élèves endormis!

Les instructions insensées délivrées par Agathe n'étaient pas le fruit du hasard. Elles se basaient sur les capacités prédictives de la directrice. Alors que les enfants obéissaient, un autre tremblement, suivi d'un craquement, ébranla les fondations du château. Une autre monstruosité décapita le dôme de l'Observatoire. Dix têtes de cobra, greffées sur la masse graisseuse d'un hippopotame, terminée par la queue et le dard d'un scorpion, composaient cette nouvelle aberration. Elle abandonna les hauteurs pour se jeter sur ses cibles. Max, dont le sommeil lourd était légendaire, venait de passer une tête à la fenêtre agrandie de son appartement.

—Qu'est-ce que c'est que ce raffut?! s'exclama-t-il.

Une des dix têtes le repéra et tenta de l'arracher au premier étage. Il transplana pour éviter le coup fatal. Vêtu de son seul pyjama rayé de bleu et de rose –sûrement du blanc contaminé par un coloris rouge mal fixé –, il se jeta dans la bataille. Le docteur Beauxbâtons, la brosse en bataille, apparut sur le perron, baguette à la main. Sébastien revint des pavillons où le mot d'ordre avait été transmis. Umbelina accourut en compagnie de Jo.

—Tout le monde a été réveillé, Madame.

—Impossible, Sébastien, répondit Agathe.

—Madame, Madame, je n'ai pas trouvé Valentine Clairdelune! Claironna Umbelina. Et à Halloween…

—Trouvez-moi cet élève, hurla Alfred. Vite! Trouvez-la et réveillez-la par tous les moyens!

Les élèves se répartirent le quadrillage du domaine. Noël, aux côtés d'Émilie et de Jacques, suggéra:

—La Salle Blanche.

La fillette approuva d'un hochement de tête. Hercule, à quelques mètres d'eux, abandonna la lutte et se lança sur le talon des élèves de première année. Le médicomage avait raison: si Valentine cauchemardait, elle pouvait engendrer des tremblements, des coups. Il avait en mémoire l'épisode d'Halloween où Rosier et sa bande d'imbéciles avaient terrorisé la pauvre Suissesse. Si Valentine faisait face à l'Épouvantard, les conséquences seraient pires que les séismes.

Hercule n'était qu'à quelques mètres de Noël et d'Émilie dont la course rapide n'était pas ralentie par un petit ventre dodu. Parvenu à l'étage, le garçonnet ouvrit la porte. Hercule, au bout du couloir, aperçut Valentine, allongée sur le sol dans une position fœtale, crispée, terrorisée par l'Épouvantard. Lorsque la créature personnifiant la peur la plus viscérale aperçut le fils Millefeuille, elle abandonna son apparence de spirale hypnotique avec des yeux injectés de sang qui effrayait et plongeait sa victime dans l'inconscience et le cauchemar permanent. À la vue de Noël, elle prit son visage, son corps et se mit à grossir en s'empiffrant à coups de gâteaux énormes, crémeux, huileux. Il hurla:

—Non! Non! Pas ça!

Il s'effondra, suppliant la créature de le laisser en paix. Émilie s'interposa. La nuit tomba et il n'y eut plus bientôt qu'une seule lueur émise par une fleur bleue au pistil blanc et aux étamines jaunes. Le Belge fut le témoin de la lutte de la fillette. Elle parvint à se concentrer, sans fléchir, et à exécuter le geste, accompagné du sortilège informulé. La fleur se transforma en pissenlit fané, se dispersant en des centaines de petits parachutes volants. Alors qu'elle était sur le point d'exécuter un autre sortilège, l'Épouvantard se rendit compte de la présence de l'élève d'Urtica. La porte de la salle se ferma toute seule, les étamines se regroupèrent devant l'Urticant et tombèrent au sol, comme un corps abattu. Hercule se précipita, le retourna et découvrit Eugénie, morte, les yeux révulsés. Il la serra dans ses bras et se mit à pleurer sans pouvoir s'arrêter.

—Non… Non… Ne…

Son esprit reprit le dessus et chassa l'illusion. C'était juste ce maudit Épouvantard qui concrétisait sa plus grande frayeur. Elle avait changé. Il en avait la preuve irréfutable. Comment ridiculiser la mort?

«Écoute.»

Il revit la scène où il avait collecté, pour Garrick Ollivander, les caractéristiques des baguettes détenues par ses camarades.

—Cornouiller et cœur en plume de Phénix.

Le phénix.

—Riddikulus.

La chair de son amie s'effondra sur elle-même et il ne resta que de la cendre. De la matière grise jaillit un phénix au visage de la jeune fille mais avec le corps sans plume, juvénile, ce qui était cocasse. Il leva sa baguette et lança:

—Repulso. Collaporta.

La créature fut repoussée dans son armoire et emprisonnée. Elle eut beau se déchaîner comme une furie, tout était fini.

—Ça va? Vous allez bien?

Émilie approuva de la tête tandis que Noël se remettait sur ses deux jambes. Valentine reprit à peine conscience. Les enfants la forcèrent à se mettre debout et la secouèrent pour l'empêcher de replonger. Elle titubait, sous l'influence d'une puissante potion, en plus d'avoir été agressée par l'Épouvantard.

—Par ici! cria Hercule, en entendant des pas précipités dans l'escalier.

Alfred, suivi de Rose, s'introduisit dans la salle.

—Elle a l'air assommée, Docteur. Et la créature? dit Hercule.

—Disparue, répondit Rose.

Ce fut au tour d'Agathe et de Sébastien d'accourir dans la salle d'entraînement. Valentine fut évacuée vers l'infirmerie.

—Un grand merci à vous trois! s'exclama la directrice. Nous étions à court de solutions et Claire n'avait plus une seule goutte de potion.

—C'est Valentine qui a créé tout cela?

—Il semblerait, Hercule. Mais elle n'aurait pas dû être dans cet état, ni être enfermée avec l'Épouvantard. Elle le sait parfaitement.

—Une potion pour la droguer, la manipuler?

—Et des manipulateurs! enragea Agathe. Par contre, je ne comprends pas! Les chimères n'auraient jamais dû pouvoir s'échapper de la Salle Blanche. Elle est étanche. Sébastien?

—Madame?

—Voulez-vous bien inspecter la salle? Il y a une fuite. J'en suis certaine.

—Bien, Madame.

—Oh et demandez aux professeurs présents de monter au grenier de la CHASSE. Envoyez également un message à Ursula et Elvira. J'ai besoin de leur aide. Il faut réparer les dégâts.

—Entendu.

—Madame?

Elle se tourna vers le Belge, surprise par son intervention.

—Si vous me le permettez, je crois savoir comment repérer la fuite. Je vais chercher ce qu'il me faut au laboratoire de potions.

—Vraiment? Bien. Fais ce qu'il faut pour me trouver le défaut. Je le «boucherai» ensuite.

Le garçon exécuta son plan. Il se rendit au sous-sol et vida le stock d'alumine de madame Fordecafé. Il revint les bras chargés du gros pot. Il attendit ensuite que la pièce soit évacuée et que l'agitation, comme les poussières en suspension, soit retombée. Dès qu'il en fut assuré, il ouvrit le bocal d'alumine et le déversa sur le sol. Ensuite, il exécuta:

—Tornado Extremis.

Un vent soufflant en spirale éjecta l'alumine et l'envoya au sommet du dôme. Puis, lorsque le sortilège cessa, le garçon observa le résultat obtenu. L'alumine descendit avec lenteur. Hercule remarqua une courbure, une déviation près d'un pan de mur. Il avança à pas mesurés dans la direction du phénomène troublant la gravité naturelle. Sans cligner des yeux, fixés sur un point en cause, il s'approcha jusqu'à quelques centimètres. Il vit un trou circulaire de deux millimètres de diamètre. Il posa son doigt juste dessous et chercha une plume dans sa besace. Il posa son nez à une phalange de l'orifice et put sentir un mince filet d'air venu de l'extérieur. Il enfonça la plume dans le trou.

Elvira et Ursula étaient arrivées à la rescousse vers minuit. Les professeurs, assistés de quelques élèves de CHASSE logeant au dernier étage, avaient lancé des kyrielles de Reparo tandis que les enfants étaient priés de regagner leurs pénates. Avec les renforts, le dernier étage, le grenier et la toiture avaient été remis en état aux alentours de trois heures du matin. L'autre aile du château, coiffée d'une coupole en partie métallique et mécanique, était plus compliquée à réparer et nécessitait des sorts très techniques. La lunette astronomique était très endommagée. Face à l'ajournement de la remise en état, Dune avait proposé d'utiliser ses appartements personnels dotés d'un observatoire enchanté pour faire passer les examens. Agathe avait validé cette solution de secours et l'avait grandement remerciée.

La directrice s'était ensuite rendue dans la Salle Blanche en compagnie d'Elvira pour colmater, avec la magie adéquate, le minuscule orifice marqué avec une plume par le Belge.

—Regardez, Agathe. Là!

—C'est minuscule.

—Cela a suffi pour que ces créatures cauchemardesques s'échappent. Où est Valentine?

—Alfred ne parvenait pas à stabiliser son état, elle ne cessait de se rendormir et de s'agiter. Il a préféré prendre la cheminée et la conduire à l'hôpital Bonpied. Rose s'occupe des blessés.

—Qui a été touché?

—Mourgues s'est battu comme un lion, mais il a reçu une vilaine morsure. Valembreuse a été projetée par le fouet de la première créature. Elle s'en tire avec de gros hématomes. Mondague a écopé de la plus méchantepunition: le dard de la seconde chimère a traversé son épaule.

—Il en a vus d'autres. Cela aurait pu être pire. Quel baptême du feu, Agathe!

—Je me passerai bien d'un tel palmarès. Bon… Qu'est-ce qui a pu provoquer un trou si régulier?

La directrice ferma les yeux, effleura l'orifice et fut secouée par des images surgies d'un passé très proche. La violence la désarçonna. Elle était habituée à anticiper le futur, de par la nature de sa voyance. Il fallait de lourdes charges émotionnelles pour que le passé s'invite dans ses visions. Cette fois, c'était à la limite du supportable. La souffrance imprimée dans le sort qui avait transpercé la carapace magique, était exorbitante. Soudain, elle fut à la place de la fissure, comme un œil braqué en direction de la source, de l'émetteur du maléfice. Elle reconnut le visage d'Hercule, dévasté par le chagrin, ravagé par la colère, la haine, le doigt tendu en avant. Un jet infime, diamétralement opposé à la pression exercée dans les forces protectrices. Aucune baguette. Elle mesura alors la tâche d'Elvira, l'évidence de son objectif et quelle voie Hercule devait emprunter. Elle se rattrapa au mur, perdant ses forces.

—Agathe?

—Ça va, ça va. Allez-y. Avec moi!

Elles levèrent leurs baguettes et psalmodièrent plus d'une vingtaine de longs sortilèges aux sonorités gaéliques.

Au petit-déjeuner, les visages des uns et des autres étaient marqués. Les plus atteints étaient les professeurs. Pour la plupart, ils avaient enduré une nuit blanche à combattre, puis à réparer. Autour de la table centrale, Max tentait de détendre l'atmosphère:

—Quelle nuit! Je crois que si je n'avale pas une bassine de café, je pourrais bien m'endormir dans un chaudron posé sur un brasier!

—Nous sommes tous dans cet état, Max, confirma Agathe.

—Ce qui m'insupporte, c'est que certains se réjouissent. Suivez mon regard!

Il mentionnait Rosier, trônant comme un paon au milieu de sa cour, déplorant que les chimères n'aient pas réduit quelques «impies», quelques «mécréants» en cendres, avant d'être mises hors de combat.

—Il se vante! Quel crétin! jura Max. Désolé, ça me démange. Lorsque j'étais en infiltration chez ces dangereux illuminés, ce n'était pas de tout repos.

Il se mordit les lèvres et ajouta:

—Je suis sûr que c'est un coup de ce Rosier! Si seulement je trouvais une preuve…

—Max, il est inutile de ressasser le passé. Ce qui est fait, est fait. Sébastien? Avez-vous pu le contacter?

—Oui, Madame. Gervais Delacour et trois de ses employés arriveront cet après-midi.

—Enfin une bonne nouvelle!

Alfred fit son apparition et les rejoignit à table. Il était exténué et les poches apparues sous ses yeux s'agrandissaient d'heure en heure.

—Avez-vous soigné les blessés? Vont-ils s'en tirer rapidement?

—Valembreuse est sortie ce matin. Ça ira. Quant à Mourgues et Mondague, ces têtes brûlées ont quitté l'infirmerie contre mon avis médical. Ils ne sont pas sortis d'affaire. Vous auriez vu ça! C'était un concours à celui qui serait prêt le premier pour passer les examens. Mondague pissait le sang et se lançait des Vulnera Sanentur entre enfilage de caleçon et de chaussettes. Et ça le faisait rire, ce grand escogriffe!

—Il a le moral, c'est l'essentiel, commenta Max, d'un air laconique.

—Mouais. Quant à Valentine, le chef de service des maladies et affections psychiatriques craint que son équilibre psychique n'ait subi des séquelles. Pauvre gamine! A-t-on une idée de qui lui a fait ça? La potion qu'elle a ingurgitée, n'est pas tombée dans son gosier par hasard.

—J'aurais bien un nom à suggérer, répliqua Elvira, la mâchoire serrée. Mais cela pourrait déplaire au ministre de la Magie.

La référente Urtica n'avait jamais aimé les suprémacistes et ne s'en était jamais cachée. Toutefois, elle n'avait pas pour habitude de se positionner de manière politique.

—En tout cas, l'année de Valentine Clairdelune est fichue.

—Non, Alfred. Sa moyenne de l'année lui permet de passer en troisième année, rassura Agathe. Elle a réussi les épreuves des deux premiers jours, C'est suffisant. Donnons-lui l'été pour se remettre de ses tortures. Si vous le permettez, je vais improviser un petit discours.

La directrice se leva, lança son traditionnel sonal et le silence se fit.

—J'aimerais remercier les élèves et les professeurs qui se sont démenés pour affronter les créatures qui nous ont attaqués, hier soir. Pour ceux qui l'ignoreraient, il s'agissait de chimères. Ce sont des aberrations nées de l'esprit de sorciers soumis à certains traitements… assimilés à de la torture physique et, ou mentale. C'est une élève, maltraitée, torturée par l'entremise d'un Épouvantard, qui a créé sans le vouloir ces choses. Nous savons qu'une ou plusieurs personnes ont exploité les faiblesses de cette victime et ont tout fait pour lui causer du tort ainsi qu'à certains d'entre nous. Comme l'a fait remarquer, à juste titre, l'un d'entre eux, la famille Boulanger, monsieur Racine, Umbelina de Laranjeira ont été pris davantage pour cibles que les autres combattants. Un Cracmol, deux Né-Moldus… Cette affaire n'en restera pas là et le bureau des Aurors est d'ores et déjà saisi de ce crime. Je tiens à remercier Noël, Émilie et Hercule qui ont découvert Valentine et lui ont porté secours. Je remercie aussi Claire Obscur, car une vision lui avait conseillé de préparer la potion Chimeris Evanesca. Une composition très coûteuse, réclamant un ingrédient cueilli à la dernière pleine lune du 13 juin. Sa vision ne précisait pas, hélas, la date d'accomplissement du méfait. Les examens vont se poursuivre, comme prévu. La brèche dénichée en Salle Blanche a été colmatée et les sortilèges renforcés.

Agathe ne put éviter d'orienter son regard dans la direction de la tablée d'Hercule. Elle se ressaisit et informa que les examens d'astronomie auraient lieu chez Dune. Elle réitérera ses remerciements et fit part de ses vœux de réussite à tous les candidats.

À la table de Gerbera, la fatigue était visible et l'angoisse naissante. Umbelina, sans mot dire, tentait de se remémorer la bataille afin d'être certaine de ne pas avoir dévoilé trop de sortilèges appris en avance. Jacques n'avait pas ce scrupule.

—Vous avez vu comment Émilie s'est battue contre la chimère?

—Un Protego et un Repulso simultanés, en guise de hors d'œuvre, souligna Umbelina. Très fort! Et cette pâte gluante, je ne connaissais pas. Le tout informulé! Tu vas faire des étincelles, l'année prochaine, en club de duel!

«Pas des étincelles de Periculum, j'espère!» écrivit la fillette en lettres dorées devant elle, faisant éclater de rire les convives.

—Ça n'a pas dû être une partie de plaisir, face à l'Épouvantard, dit Sigrid. Que s'est-il passé? Noël? Émilie? Qu'avez-vous vu?

—J'ai vu la pauvre Valentine maltraitée. Cet Épouvantard déclenchait des cauchemars et, plongée dans la peur, notre camarade a la faculté de donner naissance à des fantasmagories terrifiantes.

—L'Épouvantard est rentré dans son placard?

—Pas tout de suite, Eugénie. Il s'en est pris à nous trois. Successivement. Ça… n'est jamais une expérience plaisante, Eugénie.

—C'est vrai que tu l'as déjà affronté.

—Affronté? Il m'avait plutôt terrassé.

—Et du coup? C'est quoi vos peurs?

Émilie, Noël et Hercule se dévisagèrent. Dévoiler ses peurs était impudique. La fillette brisa le tabou et inscrivit:

«J'ai peur d'une certaine fleur. J'ai failli mourir empoisonnée avec.»

—C'est vrai, confirma Jacques. Je m'en souviens.

—S'agissait-il du pavot bleu?

—Ouais, Hercule. Le pavot qui fait le contraire de ce qu'on attend. Tu as vu le résultat du Cistus Inversus avec un changement de variété? Eh bien, mal utilisé, c'est mortel.

—Moi, si je révèle ma peur, vous allez vous moquer, coupa Noël.

—Pourquoi, Noël? dit Hercule. Il n'y a aucune raison de se moquer. Croyez-moi: je partage votre peur. Je surveille la quantité d'aliments que j'ingère. Je n'ai aucune envie de grossir à ne plus pouvoir me déplacer.

—C'est ta terreur? demanda Eugénie.

—Oui.

—Tu as de la marge avant de devenir énorme, rassura Sigrid. Comme moi!

«Mais pourquoi les gâteaux?» intervint la cadette des Boulanger.

—Dans l'inconscient collectif des humains, les gâteaux représentent la gourmandise et elle est aussitôt liée à l'excès. J'imagine. N'est-ce pas, Noël?

—Oui, répondit le garçonnet, avec timidité.

—Et toi, Hercule? Quelle forme a pris ton Épouvantard? insista Eugénie.

—Je ne peux pas en parler et je demanderai à Émilie et à Noël de ne pas en dire un mot. Parce que cela vous concerne.

Il balaya l'assistance du regard. Son geste laissa entendre que derrière l'utilisation du pronom personnel «vous», il englobait toutes les personnes présentes à table. Aussi, chacun y alla de son interprétation, en silence. Noël ne le trahit pas, car Hercule venait de sauver son secret, ayant parfaitement compris la nature de la peur du garçon. Gâteau, Millefeuille. Le poids du patronyme l'angoissait. Émilie ne pipa pas un mot alors qu'il n'avait rien offert en retour. Or, la baguette d'Émilie était toujours prompte à commenter, une franchise caractéristique qu'elle partageait avec son frère. Ce silence titilla l'esprit du Belge. Quelle monnaie d'échange n'avait-il pas vu ou entendu à table, ce matin? Ou auparavant? Ses capacités pour le duel? Son instinct? Son talent pour exploiter la baguette à double cœur? La cloche sonna 7h45 et les mets disparurent des tables. Une nouvelle série d'épreuves attendait les élèves.

La première semaine d'examens s'achevait. L'ordre Gerbera était dans l'ensemble, plutôt satisfait de ses performances, accomplies lors des différentes interrogations écrites et orales. Shin était heureux d'avoir affronté avec brio, la matière qu'il redoutait le plus: le français. Sigrid avait excellé dans bien des domaines et Hercule savourait une promenade de santé dans les questions posées sur les runes. La veille, il avait répondu au questionnaire d'astronomie dans l'observatoire enchanté de Dune. Tous ses camarades avaient été stupéfaits par la magie régissant la pièce sauf Hercule. L'apesanteur et le Têtenbulle obligatoire avant l'interrogation n'avaient pas trompé l'enquêteur. La druidesse s'était ménagée une autre entrée dans les degrés du Sondeur. Elle accédait au 330, le monde des étoiles! Pour Dune, le doute éprouvé le jour où le garçon avait été attiré par le parc animalier de sa «résidence», n'était plus permis: le Belge connaissait les 36 degrés.

Hercule avait profité de la matinée pour retrouver Claire dans l'observatoire en reconstruction. Trois hommes y maniaient la baguette, suivant scrupuleusement les instructions de Gervais Delacour, lui-même muni de plans antédiluviens, jaunis.

—Tiens! Tiens! En voilà, une surprise!

—Bonjour, monsieur Delacour. Je… je ne m'attendais pas à vous voir. Mais tant mieux!

—Ah?

—Bonjour, Professeur.

—Bonjour, Hercule.

—Euh… eh bien… jouons cartes sur table! J'apporte vos… commandes.

Le garçon fouilla dans sa besace et déposa plusieurs coffrets sur le bureau, dont celui qui contenait la plume de Phénix de Claire.

—Honneur aux dames, si vous le voulez bien. Professeur, voici votre baguette. Bois de cédrat, 33centimètres, souple, inclusion de plume de Phénix.

—Ah ben je vois qu'on travaille pour la concurrence!

—Une demande du professeur, avec un héritage familial en guise de cœur magique.

—Oh! Elle est… ce sont… des grains de café! Comme c'est élégant, raffiné! L'as-tu testée?

—Contre une chimère, mardi soir.

—Oh… Elle est…

—Allez-y, prenez-la. Ressentez sa chaleur.

—Oh… C'est… Je l'adore. Merci d'y avoir mis autant de cœur et de talent.

—Je vous en prie.

Il se tourna vers l'artisan et dit:

—Pour vous, Monsieur, voici le résultat à partir des trois échantillons que j'ai reçus.

Si le manche d'ébène, figurant la tête du Hortza, trahissait la nature de baguette, il était beaucoup plus compliqué de deviner le véritable usage des deux autres. Gervais ne put s'empêcher de lâcher un sifflement admiratif.

—Les gars, posez vos baguettes deux minutes et venez voir!

Les trois sorciers se penchèrent au-dessus des coffrets et s'interrogèrent.

—Qu'est-ce que c'est? fit l'un d'eux en désignant l'objet chromé.

—Cela ressemble à un stylo-plume moldu, dit monsieur Delacour. Mais ce n'en est pas un.

—C'est l'effet recherché.

Hercule montra comment l'utiliser et émit des avertissements d'usage, insistant sur le fait qu'il n'avait pas pu tout tester. Gervais trouva le principe des capuchons interchangeables brillant. Il prit soudain un air très sérieux et énonça:

—Il faut déposer un brevet magique au Ministère, au Service des Artefacts. C'est impératif. C'est… Oui, il faut protéger cette création. Nous nous en chargerons dès que tu… enfin, tu sais quoi.

—Entendu, Monsieur.

—Et tu as un second capuchon! Incroyable, la miniaturisation. Bravo!

—Patron, j'adore la noire! C'est une beauté! On croirait que le manche va devenir vivant. C'est quoi cette bestiole?

—Un Hortza.

Gervais Delacour se mordit les lèvres pour ne pas narrer sa rencontre le 1er avril.

—Magnifique, commenta Claire. Tu sais, tu n'as peut-être pas le Don en divination, mais tu as du talent pour la création. Non mais regardez cette canne, un sucre d'orge, on aurait presque envie de croquer dedans!

—Tu es doué. Tu sais, je pense que tu as toutes les qualités pour la CHASSE-Enchant'Art. Je connais ton goût pour les aventures, les mystères mais justement, l'Enchant'Art t'ouvrirait de nouvelles perspectives. La calligraphie magique, les danses invocatrices, les chants envoûtants, les tatouages vivants sans oublier la fabrication et l'enchantement d'artefacts.

Claire posa une main sur l'épaule du Belge et dit, sur un ton rempli de bienveillance:

—Je partage l'avis de Gervais. Pour suivre les arts magiques, il va te falloir abandonner la Divination. Je devrais défendre ma discipline, mais j'admets ma défaite. Les arts magiques nourriront ton imaginaire. J'espère juste qu'à l'occasion, je pourrai te confier mes prédictions les plus nébuleuses.

—Allons, allons, Claire! Hercule aura de nombreux travaux pratiques, l'année prochaine. Ne le surcharge pas!

—Y compris ceux par correspondance, Gervais? s'amusa-t-elle.

—Ah! Tu n'as pas changé, toi! Oui, correspondance comprise!

—J'essaierai d'être partout à la fois, répliqua le garçon, sur un ton sérieux.

Après s'être délesté de ses créations et avoir salué les adultes, le Brugeois s'était mis en quête de ses camarades. Il les avait retrouvés dans le quartier général. Tous sauf Umbelina, introuvable.

1«Le chat noir de la sorcière.»