Sortilège 43: la cérémonie
Après avoir exploré le domaine, retourné le pavillon Lonicera, ouvert toutes les portes des classes, fureté dans la bibliothèque et jeté un œil chez le Sondeur, les enfants avaient dû abandonner les recherches pour assister à la compétition de Cecrabebleu, à 10h00, dans l'amphithéâtre Flamel. Katarina n'avait pas retenu Hercule dans le quatuor d'élèves affrontant les anciens de l'école. Dans les autres niveaux, certains élèves s'illustraient davantage dans le jeu créé par Agathe. Une large frange d'étudiants s'était entassée dans l'hémicycle pour assister à la première compétition du genre. Impossible pour les membres de l'ordre de Gerbera d'y échapper. Impossible, certes, mais pas pour Eugénie! Elle n'avait jamais compris l'intérêt d'endurer des souffrances pour des mots compliqués qu'elle aurait oubliés après une bonne nuit de sommeil. Elle s'était autorisée à poursuivre ses investigations dans tout le château, prête à aller déranger les employés de monsieur Delacour pour visiter le coffre de l'Observatoire.
Vers 10h30, elle avait fait un saut à l'infirmerie pour prévenir Rose qu'elle risquait d'affronter un surcroît de travail. L'Aloysienne avait retrouvé Umbelina livrée aux bons soins de l'infirmière.
—Mais tu étais où? Nous t'avons cherchée partout! Qu'est-ce qui est arrivé? Tu es couverte de blessures!
—J'espère que tu parviendras à lui faire avouer, je n'y suis pas parvenue! s'emporta madame Cacheton.
—Purée de patate! Dans quel pastis tu t'es fourrée? On dirait… des blessures causées par des sortilèges!
—Évidemment que c'en est! explosa l'infirmière, en levant les yeux au ciel. Elle ne s'est pas fait ça avec une cuillère au petit-déjeuner!
—C'est Rosier? C'est ce saligaud qui t'a fait ça?
Umbelina se contenta de nier.
—C'est un de sa bande? Le coup de la chimère, c'est son idée! Il a trouvé un moyen pour qu'elle s'attaque aux Né-Moldus qu'il ne peut pas voir en peinture! Je vais lui casser la tronche et après, je me servirai de sa chevelure graisseuse pour huiler une poêle et le faire frire!
La princesse se contenta de secouer la tête, bien qu'elle ne soit pas en mesure d'esquisser des gestes amples. C'est alors que Eugénie remarqua un bijou, un pendentif autour de son cou. Une pâle lueur l'animait. Sa propriétaire s'en aperçut et eut le réflexe de le dissimuler en ajustant le col de sa tenue aux coutures malmenées.
—Bazar! À la lanterne d'un Pitiponk, je dirais que c'est…
Rose venait de se rapprocher de Mondague revenu pour des soins à répétition, refusant d'abdiquer devant les examens. Le capitaine des rouges briguait un accessit et pas des moindres: celui de la CHASSE-Magus qu'il disputait à Oscar Torpeur.
—C'est un serment inviolable, n'est-ce pas? murmura-t-elle.
—Oui. Ce qui veut dire que si je parle, je vais payer le prix fort. Alors, ne demande rien. Ne pose aucune question. Tu sauras bientôt. Passe le message aux autres.
—Comme tu voudras, admit sa camarade.
Les deux jeunes filles restèrent ensemble jusqu'au repas. L'Aloysienne fit comprendre aux autres élèves qu'il était vain de questionner la Portugaise. Mais qui avait pu conclure un pacte magique avec elle? Même Jo Alonzo, son confident, ne put lui arracher un aveu.
Aux alentours de 14h00, les élèves concernés par l'orientation furent regroupés dans l'amphithéâtre. Aux futurs diplômés de CHASSE, il fut remis un questionnaire sur les carrières ou les affectations qu'ils envisageaient en quittant les bancs de l'Académie nantis de leurs diplômes. Pour certains, comme les Médicomages, les futurs Aurors, le temps de l'apprentissage, même s'il trouvait un terme à Beauxbâtons, ne prenait pas fin pour autant.
Aux étudiants de sixième année, la directrice expliqua les différentes CHASSE existantes et précisa que les places y étaient limitées et déterminées par le Ministère de la magie en fonction des besoins estimatifs. Pour la rentrée 1919, le Numerus Clausus de la CHASSE-Magus était fixé à quinze places. La guerre mondiale moldue étant achevée, les places en CHASSE-Medico étaient réduites à dix, incluant les Vétérinomages et les Légicomages. La CHASSE-Runesort accueillerait quatre élèves tandis que les études supérieures de potions proposeraient huit sièges. Il n'y avait aucune possibilité pour la CHASSE-Arithme, aucun étudiant n'ayant conservé la divination au-delà de la troisième année. Enfin, avec l'arrivée de Dune, six étudiants pourraient tout apprendre des arts magiques, une excellente nouvelle pour cette filière sans professeur, ni candidat depuis quelques années. Pour des raisons évidentes, le suivi du cours d'Arts Magiques pour entrer en CHASSE ne serait exigible que dans quatre ans, lorsque la première fournée d'élèves aurait suivi le cursus intégral durant le BANQUET. En revanche, Dune Dunne avait prévenu que les années manquantes seraient rattrapées sur les deux années de CHASSE, promettant un rythme infernal.
Lorsque ce fut enfin aux deuxièmes années d'envisager leur avenir, Agathe leur indiqua que Sidonia Alinea délivrerait deux heures de Politique et Droit Sorcier. C'était une matière obligatoire, la seule matière délivrée sur deux heures. À partir de la troisième année, un début de spécialisation en vue d'une CHASSE se profilait. D'abord, pour des questions de disponibilité des enseignants, tous les cours duraient une heure (sauf la politique et le droit sorcier, comme mentionné précédemment et l'entraînement de Quidditch). Les élèves avaient la possibilité d'abandonner jusqu'à trois cours au profit de trois spécialisations. Ils pouvaient, s'ils le souhaitaient, conserver les cours en l'état. Les possibilités de changement étaient assorties de conditions. La liste des matières que l'on pouvait éliminer, était la suivante: la botanique, le soin aux créatures magiques, les sciences, la divination, la médicomagie, l'étude des Moldus, l'étude des runes, l'astronomie. En contrepartie, on sélectionnait des options parmi cette liste: la médicomagie renforcée, le perfectionnement en duel, le français rédactionnel –parfait pour les journalistes, auteurs d'ouvrages–, la botanique médicale, les arts magiques, la production de masse en potions. Chaque nouvelle option durait deux heures. La troisième année permettait le droit à l'erreur ou au regret. L'abandon des matières n'était pas définitif et pouvait être révisé à la fin. À partir de la quatrième année, tout était gravé dans le marbre.
La directrice attira l'attention sur le piège consistant à se débarrasser trop vite de certaines options et à se retrouver, trois ans plus tard, dans une impasse.
—Un proverbe chinois moldu dit qu'une personne laide ne doit pas reprocher à son miroir d'être de travers. Ce que je veux dire par là, c'est que nombreux sont ceux qui, parmi vous, éjectent des matières parce qu'ils ambitionnent d'être Auror. Ils échouent à entrer dans une autre CHASSE parce qu'ils ont commis l'erreur d'éliminer les matières indispensables pour y rentrer. La Divination, un exemple criant de vérité, est presque toujours rejetée. Et puis, vers quatorze ans, le don se révèle. Sur le tard certes mais l'opportunité d'accomplir une CHASSE-Arithme disparaît parce que la matière principale a été éliminée. Les runes sont un autre exemple. Quatre places en CHASSE-Runesort, soit une de plus que l'année dernière. Mais seulement deux élèves en dernière année alors que l'effectif aurait pu être au complet. Idem avec la CHASSE-Potions. Nous refusons des candidats en CHASSE-Magus et ne pouvons les accepter dans les autres CHASSE. C'est dommage. Une autre erreur classique consiste à ne rien abandonner afin d'alléger l'emploi du temps. C'est un mauvais calcul. Les options sont faites pour vous renforcer et vous offrir de meilleures chances de réussite et d'obtention de la CHASSE visée. Songez-y au moment de faire vos choix.
Hercule n'hésita pas une seconde sur la première partie. Il avait l'assentiment de Claire Obscur. Il cocha l'abandon de la Divination et opta pour les deux heures d'Arts Magiques avec la professeure Dunne dont la personnalité recelait tant de mystères. Ensuite, il s'interrogea sur la permutation la plus judicieuse. Il n'en pouvait plus des Moldus vus par Alinea, même si les Aurors avaient sous-entendu qu'elle jouait un double jeu. Il devrait la supporter deux heures de plus en Politique et en Droit Sorcier? Pour peu qu'elle soutienne les amendements les plus restrictifs envers les créatures magiques ou qu'elles prennent ouvertement position pour le ministre de la Magie française, soutenant les positions hollandaises, il exploserait en cours. Il n'était plus question de suivre l'étude des Moldus. Alors, qu'allait-il développer, renforcer? Pouvait-il suivre trois nouveaux enseignements? Devait-il en délaisser un troisième?
«Écoute.»
Il ferma les yeux, sans se rendre compte que plusieurs regards étaient braqués dans sa direction, comme si ce choix allait déterminer l'avenir de l'Académie. Elvira souhaitait que le garçon jette son dévolu sur le duel renforcé, à haut niveau, pour devenir une arme absolue contre un Mal à venir. Agathe, à ses côtés, ressentait ce désir ardent de sa référente. La directrice avait vu la brèche, physique et symbolique, au travers du garçon. Toujours plus de combat, c'était ouvrir la boîte de Pandore. Sa capacité à se projeter dans l'avenir, trop limitée, lui en avait montré assez. C'était effroyable.
Hercule songea au travail effectué auprès des Aurors. Il n'appartenait pas à leur corps, mais il s'était rendu utile, voire indispensable pour débloquer des énigmes. Il pouvait servir sans être asservi. Son cerveau lui permettait cette fantaisie.
Les six prochaines années ne seraient pas une partie de plaisir: il devrait affronter le rejet, l'inimitié et payer son indéfectible amitié pour Eugénie à coups de rebuffades. Il cocha les deux heures de renfort en médicomagie sans amertume, ni regret. Elles se substituaient à l'étude des Moldus. Agathe croisa le regard de Dune. Les deux femmes sourirent. Avant de sceller le document, Hercule biffa la botanique médicale, le français rédactionnel et la production en masse des potions, sans abandonner de matière en contrepartie.
Le vendredi 27 juin s'annonçait comme une journée parfaite. Le soleil était au rendez-vous, le ciel bleu n'était masqué que par quelques nuages épars, le stade de Quidditch était rempli de chaises pour accueillir les familles, les amis, les invités de marque ainsi que les étudiants. Sébastien gérait l'entrée nord du domaine tandis que Théophile et Wilfried filtraient le Tunnel de Transportation. La chaleur étouffante justifiait l'installation de portiques brumisateurs enchantés. En réalité, l'eau, dispersée en fines gouttelettes agréables, révélait les supercheries comme les sortilèges de métamorphose ou la prise de probabilité d'une attaque des Van Kriedt, au sein d'une foule de sorciers, était faible mais non nulle. Ces assassins n'avaient pas hésité à frapper la ferme des Boulanger où des sorciers ouvriers travaillaient.
La cérémonie de remise des diplômes commencerait dans quelques minutes en partant de la huitième année jusqu'à la première. Ensuite, viendrait l'instant attendu des distinctions honorifiques, voire rétribuées. Les enfants et les accompagnants prenaient place. Sigrid tournait la tête dans tous les sens. Hercule s'en inquiéta:
—Un souci?
—Je ne vois pas Eugénie.
—Cela ne risque pas.
—Pourquoi ce ton laconique?
—Elle est en mission. Elle m'a emprunté la couverture de vous-savez-quoi en promettant de ne pas faire de bêtises. Le problème, c'est que je ne place pas le curseur de la notion de bêtise au même endroit qu'elle.
Sa voisine haussa les épaules et le railla en murmurant:
—Subtiliser la griffe d'un Nundu dans un degré du Sondeur, te promener avec un loup de pierre, tu les situes où, ces actions?
Il se racla la gorge et admit:
—Hum hum… D'accord. Croisons juste les doigts.
À deux cents mètres de ces protagonistes, la fille Beauxbâtons s'assura que plus personne ne traînait dans l'infirmerie. Elle se posta face à Raoul le squelette et débita à toute vitesse la liste des muscles et tendons du corps humain. N'obtenant aucun résultat, elle déroula les organes du cerveau jusqu'à la peau. Elle commença à s'impatienter, car le temps passait. La cérémonie de remise de diplômes avait déjà commencé. Elle s'attaqua aux os, sans succès. Un déclic se produisit lorsque l'enchantement reconnut le nerf hypoglosse. 1 Un comble pour son père, paralysé de la langue, lorsqu'il s'agissait de parler de Lyna. Eugénie enfila l'escalier en grimpant les marches à vive allure, ouvrit la porte de l'appartement et fonça dans sa chambre. Elle se moqua des éventuels pièges laissés par son père, car c'était la dernière fois qu'elle mettait les pieds dans son antre.
Elle se glissa sous son lit et elle donna un quart de tour à tous les pieds. Le mécanisme d'ouverture fonctionna. Elle alluma sa baguette et s'introduisit dans la cachette. La première chose qu'elle vit, c'était un portrait d'une jeune femme avec un visage tout en rondeur, les yeux rieurs, cachés derrière des lunettes cerclées d'or et une chevelure frisée incroyable, massive, indisciplinée. En dépit d'un désir ardent de s'attendrir, de prendre le temps de découvrir tous les détails, elle se força à exécuter la duplication de la photographie animée où sa mère tourbillonnait sans fin. Elle ne put combattre l'envie et resta les bras ballants, captivée par l'interminable farandole. Elle finit par se raisonner. Elle fouilla le secrétaire et tomba sur des paquets de lettres. Il y en avait des dizaines. Elle en parcourut une, le cœur battant la chamade, des nœuds au ventre. Un immense sourire se dessina sur son visage. Lorsqu'elle parcourut une seconde missive, elle éclata de rire. C'était bourré de fautes d'orthographe et de grammaire! L'hérédité avait fonctionné avec sa fille. Elle fit des copies de tout le paquet, aussi vite qu'elle put. Déjà une demi-heure d'absence!
Elle poursuivit sa fouille avec méthode. Elle tomba sur des photos d'elle, avec sa mère et son père. Des vacances à la mer! Elle avait peut-être un an ou deux. Elle découvrit un autre paquet de correspondance. L'écriture était différente: c'était celle de son père, si raide et étirée. Tout était adressé à Lyna Beauxbâtons, au bureau de la Coopération Magique Internationale.
—Alors, c'était ça, ton travail avant de devenir professeure!
Elle copia une seule lettre, car c'étaient les mots de son père et cela n'avait pas d'intérêt à ses yeux. Elle s'apprêtait à ranger la liasse lorsqu'elle vérifia l'adresse sur tous les rouleaux. Elle découvrit enfin ce qu'elle cherchait. Lyna Greengrass.
—Purée de patate! C'est un nom… anglais! C'est pour ça que mon père le parle aussi bien. C'est pour ça que ma mère faisait des fautes. Elle parlait le français à la perfection mais massacrait l'écrit. La coopération magique internationale! Tu étais anglaise! Je parie que tu as fait tes études à Poudlard. Maintenant, je sais. Je sais où chercher.
Elle ouvrit sa mallette A.D et écrivit ses découvertes sur un parchemin. Au cas où son père aurait dans l'idée de lui effacer la mémoire. Des preuves, répétait Hercule. Elle s'empara d'un formulaire officiel dont elle avait trouvé trace dans le manuel de droit sorcier étudié en troisième année. Elle prit sa plume, de l'encre et inscrivit son nom en lettres capitales.
Elle fouina encore un peu et positionna le tabouret pour vérifier au-dessus des plus hauts rangements. Elle tira le tiroir et trouva un article du Cri de la Gargouille. Il s'agissait du papier de Ghislain Brocard, le journaliste. Elle le repoussa et cela produisit un raclement, comme une pièce de monnaie qui roule. Il n'y avait que le journal. Elle sortit le tout et le retourna. Elle tira le fond du tiroir: il était double. Un objet apparut. C'était une chevalière. À en juger par sa taille, son père ne pourrait pas l'enfiler sur un auriculaire. Elle fouina dans la valisette, trouva de l'encre, trempa la bague et transféra son empreinte sur le parchemin où elle avait consigné ses découvertes. C'était un arbre. Un emblème, des armoiries, sûrement. Elle nettoya le bijou et le rangea dans le double fond. Elle contrôla toutes les cachettes possibles et finit par ressortir du bureau masqué. Elle remit la porte secrète en place, verrouilla et avisa l'heure. Elle ramassa son formulaire et inséra tout ce qu'elle avait collecté dans sa valisette: la pile de lettres, les copies de photographies et l'empreinte de la chevalière. C'était le symbole le plus intrigant et un autre mystère à résoudre.
—Zut! Presque quarante-cinq minutes! Si je n'avais pas perdu tout ce temps avec son satané mot de passe!
Elle se posta près de la fenêtre et tenta de discerner quels élèves passaient sur l'estrade devant Elvira, Ursula et Wilfried. Ils étaient petits. Les enfants de première année! Elle verrouilla sa valisette avec le mot de passe adéquat. C'est alors qu'elle entendit du bruit. Elle se cacha sous la couverture de dissimulation et prit la direction du hall. Elle faillit recevoir la porte d'entrée en pleine figure. Son père! Il vociféra comme un taureau furieux en traversant l'appartement:
—Eugénie! Je sais que tu es là!
Elle se glissa en douce dans l'escalier, sur la pointe des pieds. Elle se hâta de mettre de la distance. Une fois au rez-de-chaussée, elle ne rejoignit pas les festivités et choisit d'aller déposer le formulaire de changement de nom de famille et de renonciation à tous ses droits d'héritage sur l'Académie. Elle le glissa sous la porte du bureau d'Agathe. La porte s'entrouvrit presque aussitôt. La directrice ramassa le feuillet, le lut et grimaça.
Une voix féminine interrompit ses rêveries:
—S'agit-il des ennuis dont j'ai rêvés?
—Oui, Dune.
—Ah… Devrais-je tenter de la rattraper et de la dissuader?
—Vous ne connaissez pas encore Eugénie. L'opposition frontale engendre des réactions… préjudiciables. Laissez-la faire.
—Il y aura de lourdes implications.
—En effet.
—Et son père?
—Je m'en chargerai. Bien. Allons-y!
Elles abandonnèrent le bureau et se rendirent à la cérémonie où la fin de la remise des diplômes était proche.
La directrice rejoignit ses référents sur l'estrade. Les enseignants se tenaient au pied du promontoire, en file indienne, prêts à annoncer leurs champions et à leur offrir leurs récompenses en Gallions. Un homme fendit les rangs et se hissa à la hauteur de la direction, baguette en main, l'air menaçant. Elvira fut la plus rapide à s'opposer à lui.
—Qui êtes-vous? Que voulez-vous? dit-elle avec calme mais fermeté.
—Robert d'Arcy, Secrétaire du Commerce Sorcier, Trésorier de la Guilde des Commerçants, inscrit au registre des familles au Sang Pur. Et ce que je veux, c'est le diplôme de mon fils!
—Votre fils?
Elle consulta la liste avec les notes finales. Elle tendit le document et pointa la moyenne.
—Étain . Très insuffisant. Le redoublement est automatique.
—Il a été pénalisé par un renvoi illégal et abusif.
—Il a été réintégré et a produit des examens finaux encore plus lamentables.
—Vous n'avez pas le droit de lui mettre des FONTE pour absence.
—Toute absence, que la raison soit médicale ou autre, est un manquement au contrat magique liant un élève à l'Académie. Chaque entaille au contrat est sanctionnée par une FONTE. C'est le règlement qui régit cet établissement depuis sa fondation.
—C'est… illégal! Vous en répondrez devant le Tribunal Administragique!
Agathe sentit que la référente était sur le point de trahir sa nature dans ses iris lavande. Elle s'avança et dit:
—Si les règles et les enseignements dispensés dans notre établissement vous dérangent, monsieur d'Arcy, vous êtes libres de le quitter. Sans oublier votre fils. Maintenant.
—Que…
—Maintenant.
Elle tira sa baguette et lui sourit. Wilfried et Ursula en firent autant. Face au nombre, Robert d'Arcy recula et battit en retraite. Il attrapa son fils et prit la direction du Tunnel de Transportation. Sur cette entrefaite, Alfred déboula au pas de charge, interrogeant ses collègues, scrutant la foule. Il était si contrarié que Rose consulta sa coiffe enchantée, qu'elle lui répondit où fouiller dans ses jupons, que l'infirmière en retira une fiole et qu'elle força le praticien à la boire d'un trait. En quelques secondes, il retrouva un teint plus rosé, éloigné de la crise d'apoplexie. La directrice poussa un soupir sonore et entama enfin:
—Chers amis, pour la première fois, je vais avoir l'honneur de remettre les accessits aux élèves ayant obtenu les meilleures moyennes dans chacune des CHASSE ouvertes à Beauxbâtons, ainsi que dans les six niveaux du cursus BANQUET. Concernant les CHASSE, il s'agit des meilleurs élèves des deux années d'études. En CHASSE-Magus, le vainqueur incontestable est Oscar Torpeur.
Un solide gaillard surgit des gradins du stade, dévala les marches au pas de course et sauta sur l'estrade comme un Jackalope poursuivi par un Gazeux basque. Il récupéra son titre et sa bourse replète. Lorsque la directrice l'invita à dire un mot, il se contenta de:
—Les mages noirs peuvent trembler. J'arrive!
—Merci. En effet, ils vont avoir peur. Hum… En CHASSE-Medico, c'est Charles Schweitzer qui se distingue. Bientôt, nous pourrons parler du docteur Schweitzer.
Personne ne sourit, hormis Hercule qui comprit la référence d'Agathe au Moldu homonyme. Il jubila.
La CHASSE-Potion honora Hubert Montaigne tandis que Germain Delatour, seul en lice en CHASSE-Runesort, faisait un carton plein avec la meilleure moyenne de huitième année. L'idéal pour se lancer dans la carrière de briseur de sorts après avoir maintes fois brisé les trajectoires du Souafle face aux trois cercles. Lonicera bondit de joie, entraîné par Delplanque et Umbelina lorsque Jo Alonzo fut consacré meilleur élève de cinquième année. Sigrid rafla la première place dans la promotion de deuxième année. Elle fut chaudement félicitée et, à sa grande surprise, pas seulement par le Gerbera.
La révélation vint de la première année: Émilie Boulanger. Alors que la fillette était venue chercher ses Gallions pour cette performance ahurissante, la directrice et ses adjoints la retinrent quelques instants.
—Je me souviens, en août dernier, avoir été conviée par Armand Fontebrune et Abraham Piedargile à participer à la réunion sur l'admission des élèves. Émilie, c'était la première fois qu'un enfant avec un handicap, jugé très sévère pour un sorcier, était présenté à l'Académie. Mais ce jour-là, il n'y a pas eu de débat. Il y a eu unanimité pour t'accueillir et t'enseigner. Tout au long de cette année, tu as surpassé ton mutisme, tu as démontré que tu avais toutes les qualités d'une grande sorcière et bien plus. Tu as décroché la meilleure moyenne de la promotion de première année. Mais…
Elle marqua une pause et ménagea le suspense. Puis, elle reprit:
—Tu as obtenu la meilleure moyenne, tous niveaux confondus. Et… tu as battu le record établi par Sigrid Vlaamel qui m'avait détrônée l'année dernière. Voici un sac de 150 Gallions pour ces exploits. Je me joins à tous les professeurs pour te dire ainsi qu'à tes parents et à ton frère, à quel point tu fais honneur à cette Académie.
La fillette agita sa baguette pour écrire un simple merci qu'elle fit grandir en deux mètres par quatre d'un autre geste. Les lettres se mirent à scintiller, presque à bouillir. Elle reçut une ovation, le public se levant pour l'applaudir. Elle gambada jusqu'à sa place, au milieu des élèves.
—Ambroisine, si vous voulez bien prendre la suite.
L'enseignante des potions clopina jusqu'au centre de la scène. Elle appliqua un Sonorus sur sa voix quelque peu faiblarde.
—Bravo à Émilie. Elle a obtenu d'excellentes notations dans ma classe. Cette année, j'ai été enthousiasmée par de prodigieuses réalisations, des créations, des applications ingénieuses. Beaucoup de choses, de joie. De l'excellence, oui. Mais il faut un gagnant. C'est un élève très en avance, stupéfiant, audacieux, adorable, curieux de tout et, ce qui me plaît, un avant-gardiste qui n'a pas peur de créer et de tester. Il a toutes les qualités d'un grand potionniste. L'accessit récompense ce garçon. Noël Millefeuille.
L'annonce provoqua une vague de murmures. L'onde prit de l'ampleur. Millefeuille! Le descendant de… Son aïeul, c'est l'Empoisonneursuprême? Hercule, au centre du public, se leva et applaudit en criant:
—Bravo! Bien joué, Noël! C'est mérité! Et si j'ai besoin de Polynectar, c'est à toi que je demanderai, les yeux fermés!
L'ordre Gerbera se redressa et applaudit. Peu à peu, les bravos surgirent d'un peu tous les côtés. Ils grossirent. Les enseignants encouragèrent les récalcitrants. Au final, le garçon, arrivé pour retirer son prix, fut acclamé. Il remercia l'assistance en lançant:
—Si vous voulez faire des blagues au Polynectar, j'en suis. Mais uniquement le 1er avril, hein!
Des rires saluèrent ses gestes et ses paroles bienveillantes. Il retourna à sa place et adressa un signe amical au Belge. Laurine de Clermont-Tonnerre, placée derrière le Brugeois, tapota sur son épaule. Il se pencha en arrière, pour l'écouter.
—C'est adorable, ce que tu viens de faire. Vraiment merveilleux.
Elle tenait son parchemin encadré, serré entre ses doigts, comme si elle craignait qu'on ne lui dérobe. Si elle avait réussi à décrocher sa place en troisième année, c'était grâce à de meilleures performances aux examens finaux, grâce à un travail acharné et une baguette performante. Il y avait eu un déclic avec le professeur de Franjac et le geste désintéressé d'Hercule. Un Argent inespéré en Histoire de la magie, idem en français et un Or miraculeux en Divination où elle avait suivi son instinct. Avec le Bronze en duel –elle avait chuté face à Shin mais avait rabaissé son caquet à d'Arcy, avec un Stupefix asséné avec conviction. Alors qu'elle était nulle en Legilimancie et en Occlumancie, la baguette de châtaignier lui avait assuré deux Bronze.
—Laurine, je trouve qu'il ne faut pas juger les personnes sur leurs noms, leurs titres, leurs intentions mais sur leurs actes.
—Tu as raison. Je te remercie.
—Pourquoi?
—La baguette. Elle m'a aidée.
—Non, Laurine. Ce n'est que l'extension du sorcier. Vous êtes volontaire, courageuse. La baguette n'est que l'écho de vos qualités. Elle les souligne.
—C'est pour ça que Rosier, même avec une autre baguette…
—… restera ce qu'il est. La lie de la communauté sorcière. Avec une baguette conçue pour le mal, ce serait révélateur.
La remise des prix continuait. Émilie avait assis ses performances globales sur une longue série d'exploits individuels dans plusieurs disciplines. Elle avait raflé l'accessit des sciences, de l'Histoire de la magie, de la médicomagie et de l'Occlumancie, avec une pluie de Gallions à la clef! L'étude des Moldus récompensa Thibaldus Rosier, un véritable affront que Sidonia Alinea reconduisit en offrant des Gallions superflus à De Polignac pour le Droit et la Politique Sorcière. Sean McFlurry venait de récompenser Rosa Fuchs la révolutionnaire mais polyglotte pendant qu'Elvira de Bazincourt estimait que Sigrid était la plus efficace et rapide pour maîtriser un nouveau sort. Lorsque vint le tour de la botanique, Jacques Boulanger fut impérial. Max, adjoint à Sean, remit un autre prix à Sigrid pour la métamorphose, toujours précise. Tout à coup, Rose Cacheton surprit l'assemblée réunie dans le stade en se portant en avant et en annonçant:
—Eh bien moi aussi, j'ai un prix à remettre. Bon, ce ne sont que dix Gallions de ma poche mais ça paye quelques litres de Poussos. Mon prix, c'est pour l'élève qui détient le nombre record de nuitées à l'infirmerie. C'est Marcello Di Maggio.
L'ineffable italien se redressa dans le clan vert-blanc-rouge et fut plébiscité. Il leva les bras en signe de victoire, déchaînant la passion. Il fila à la vitesse de l'éclair sur la scène, fit un roulé-boulé volontaire sur les planches et se redressa avec superbe:
—Merci! Ces cabrioles pour montrer à quel point vos soins ont été efficaces, madame Cacheton. J'en profite aussi pour remercier tous ceux qui m'ont aidé à traverser cette épreuve. Les joueurs de Quidditch, de tous les ordres, solidaires mais également Katarina et Hercule. Voilà! Salut à tous! Amusez-vous bien et vive le Quidditch!
Le transalpin ignorait, hélas, le rôle crucial joué par Umbelina et la participation décisive, sous forme de potions, du prodige Millefeuille.
Claire admit que le nouvel élève, Shin Ishii, avait non seulement produit la prédiction la plus précise de l'année, mais il avait décroché de meilleures notes que Valentine à qui elle souhaitait un bon rétablissement. Le Japonais emportait un double accessit. Hercule connut son heure de gloire en soins aux créatures magiques où Ursula l'encensa et le remercia d'avoir sauvé le Bayourson. Dune loua le meilleur analyste des runes, en son nom et en celui du professeur Piedargile. Elle lui remit deux bourses. L'une était bien garnie de pièces, l'autre semblait vide. Il soupçonna un cadeau personnalisé. Elle lui murmura:
—Vous découvrirez une foule de choses magiques, l'année prochaine.
Il se retourna, intrigué. Son questionnaire avait-il déjà été analysé?
La directrice fut sur le point de mettre un terme à la cérémonie, en se réservant ses matières pour la bonne bouche.
—Je vais demander à Katarina Rostopchine de me rejoindre. Bien! Allez! Voilà… Katarina, cette année, a été la plus brillante en français. Elle ne s'est pas arrêtée à cette expression de son excellence. Vendredi dernier, avec son équipe d'élèves, elle a battu l'équipe des anciens au Cecrabebleu. Un authentique exploit. Elle a aussi organisé cette compétition. Ça, c'est l'efficacité de cette jeune fille. Sa richesse. Mais cette charmante sorcière, très appréciée de tous, a découvert un pan de la magie qu'un de ses ancêtres avait autrefois défriché. Les mots guérisseurs. Katarina a sorti un élève d'un coma. Elle a retrouvé la raison perdue d'un autre élève, cité tout à l'heure. Je suis certaine que dans un avenir proche, elle révolutionnera le soin. Voilà pour toi!
Elle lui remit un triple sac et s'apprêta à inviter élèves, enseignants et familles à se désaltérer et à se restaurer auprès des stands mis en place par les elfes de maison lorsque Elvira s'avança sur la scène et lui coupa l'herbe sous le pied.
—J'ai un accessit de dernière minute à distribuer.
—Ah?
—Vendredi dernier, dans la salle d'entraînement, a eu lieu une compétition de duel. Inter-niveaux.
—Quoi? s'offusqua la directrice, scandalisée par la tenue d'une épreuve où l'équilibre des forces ne pouvait pas être respecté, les élèves n'ayant ni les mêmes connaissances, ni les mêmes expériences. Nous reparlerons de ce sujet!
Agathe était furieuse.
—Les affrontements ont eu lieu. La logique a presque été respectée puisque les niveaux inférieurs ont perdu face aux élèves des niveaux supérieurs. Presque. Une combattante a réussi l'exploit de défaire ses aînés et de se hisser jusqu'à la finale. Seul Oscar Torpeur est parvenu à vaincre. Oscar, tu peux venir chercher tes Gallions. Cependant, notre tireur d'élite a affronté un adversaire acharné, rapide, doué, qui lui a donné du fil à retordre. J'appelle Umbelina.
La Portugaise rejoignit le tireur d'élite qui lui serra la main en signe de respect.
—Umbelina, cette récompense spéciale, j'y tenais parce que de tous les élèves, tu es la seule à avoir réussi à une chose impensable depuis que j'enseigne. Tu m'as surpassée. Tu l'ignores, car tu as été oubliettée après cet exploit.
—Quoi?
Agathe allait de surprise en déconvenue.
—L'œuvre de votre prédécesseur, ma chère.
—Oh…
—Voici ta récompense. Un jour, tu te tiendras peut-être ici, à ma place, cherchant une pépite parmi les élèves, un être exceptionnel qui fasse ta fierté.
L'émotion étreignit la gorge de la référente Urtica. Elle martela:
—Oscar t'a battue en finale mais bientôt, aucun sorcier ne sera capable de t'égaler en duel. Pas même moi.
Agathe rompit les paroles presque glaçantes en clôturant:
—Les buffets sont dans cette direction et les boissons sont par là. Régalez-vous!
Puis, elle marmonna:
—Mais de quoi parlez-vous? Et à quoi rime cette compétition secrète?
Elvira se mura dans le mutisme. Elle avait perdu une bataille mais pas la guerre.
Juchée sur un arbre, à l'orée du bois, Eugénie observait, invisible, les convives agglutinés autour des buffets appétissants. Elle aurait bien profité des agapes, mais l'urgence était ailleurs. Elle avait dû mettre un point d'arrêt à son plan d'évasion. Son affaire se compliquait. Son père allait et venait, excité comme un Pucestis, soufflant tantôt des messages au creux de l'oreille d'Agathe, des instructions à Sébastien ou des remarques à Wilfried. Si l'inquiétude d'Eugénie grandissait, c'était à cause de la cible désignée de son père: les Boulanger. Jacques, accompagné de son père et de sa sœur, venait de quitter la petite fête pour prendre la direction des pavillons. Quelques minutes après, le trio revenait chargé des bagages dont Alfred exigeait l'ouverture en sa présence. Ça faisait tout un pataquès. Agathe le conjurait de se calmer, mais il gesticulait comme un Niffleur devant une bijouterie. La fouille des bagages ne donnait rien et il était encore plus furibond. Il ne décramponnait plus les fermiers. Le médicomage avait deviné ses intentions et le mode opératoire.
Hercule lui avait conseillé de remettre en cause chaque étape de son plan. Il comportait des impondérables et à chaque imprévu, elle devait apporter une ou plusieurs solutions de rechange. Son sac à sortilège et sa valisette ne contenaient pas que des vêtements pratiques pour un séjour impromptu chez sa tante. Il y avait trois jours de nourriture et d'eau, une boussole, son couteau magique, la copie des lettres de sa mère et, indispensable, une carte de la région. Elle avait aussi prévu un couchage et une longue toile subtilisée dans la Cabane Enchantée pour s'abriter.
Elle redescendit de son perchoir et mit le cap sur le château, couverte par la couverture de dissimulation. Elle évita les invités, les élèves déambulant dans le jardin et s'engouffra dans l'entrée du château. Elle fila au sommet de l'aile droite. Elle poussa la porte de l'Observatoire: il était désert, en chantier pour encore deux ou trois jours. Elle lança un Cistem Aperio et descendit. Le coffre se referma. Elle dévala les marches et se tourna vers le tunnel. Il y avait une silhouette se découpant dans la saignée. Elle ne pourrait pas passer sans effleurer la personne. Un Lumos éclaira le visage de l'inconnu.
—Eugénie…
Elle retira la couverture.
—Hercule.
—Je voulais vous souhaiter bonne chance. Il y a une trentaine d'heures de marche. Vous y parviendrez en quatre jours, je pense. Tenez!
Il lui tendit un petit ballot.
—Quelques friandises, des biscuits, une gourde de jus d'ananas. Au cas où il y aurait des prolongations.
—Hercule… comment savais-tu…?
—Le plan B. Toujours un plan de secours. Plus long, plus éprouvant mais plus sécurisé.
—Tu m'épates! Viens là!
Elle se pendit à son cou et le serra contre elle. Il en fut tourneboulé. Elle aurait voulu l'entraîner avec elle, tout lui dire. Avouer. Il s'éloigna en douceur.
—Bonne chance, Eugénie Beauxbâtons.
Elle faillit rectifier, mais elle garda le secret. Elle avait l'intention de le prendre de vitesse.
—Si Delacour te fait des compliments, ne prends pas la grosse tête!
—Promis. Au 17 septembre!
—À bientôt!
Elle s'enfonça dans le tunnel sans se retourner. Elle rejoignit vite la rivière souterraine. Elle sauta de rocher en rocher, tel un chamois. Elle longea la rive et sortit à l'air libre. Elle emplit ses poumons d'oxygène, soulagée. Libre. Elle s'empara de son couteau et l'interrogea en pointant les directions possibles. Elle contrôla avec la carte et la boussole. La lame Hope était un excellent guide.
La fête s'éternisait quelque peu, en dépit de départs de plus en plus nombreux. Shin, Sigrid et Katarina venaient d'embarquer à bord d'un ovule. Les trois élèves se rendaient à Paris. Leurs bagages avaient été fouillés par Sébastien sur ordre formel du docteur Beauxbâtons. Plus le temps passait, plus le médicomage devenait fou. Hercule l'observait et scrutait la réaction des autres enseignants. La directrice faisait preuve d'un calme olympien. La disparition d'Eugénie ne signifiait qu'une chose, à ses yeux: la fille avait été plus maligne que le père. Dune Dunne était assez guillerette: était-ce dû à la folie du docteur ou à cause des degrés de sa liqueur à la coriandre? Un authentique mystère. Janine Etchegaraï, la présidente du club des Pimentines d'Espelette, venait de proposer à Umbelina de l'accompagner. Elles allaient jusqu'à Bourg-Enchanteur puis rejoignaient Biarritz avant de transplaner jusqu'à Espelette. La Portugaise avait droit au déballage sous la férule du médicomage avant de pouvoir disparaître. Hercule s'était rapproché des Boulanger. Firmin lui avait délivré une franche bourrade dans le dos, manquant de lui faire avaler un toast de travers.
—Extraordinaire, l'utilisation de la vésicule du Piment Cornu! Quand nous avons lu la lettre de Jacques, nous étions sidérés. Incroyable! Penses-tu pouvoir t'en servir comme inclusion pour tes baguettes?
—J'y compte, Monsieur. Votre dragonne paraît équilibrée et j'ose espérer qu'une baguette avec cette excroissance offrira les mêmes gages de stabilité.
—Ben… Tiens!
Il lui tendit une bourse et lui adressa un clin d'œil:
—Tu auras l'occasion de faire des tests à une plus large échelle. Il y a un peu de tout.
—Merci beaucoup, Monsieur.
—Ce n'est rien. Ça débarrasse!
Il rit de sa boutade et reprit:
—Tu dois être fier de parvenir à créer des baguettes. Ça reste mon outil magique favori.
—Émilie y est parvenue.
—Un gros coup de chance. Ça n'a pas fonctionné tout de suite. Elle est parvenue à produire son premier sort juste après les vacances de Noël! Après, tous les deux jours, on recevait une lettre du Ministère pour usage de la magie avant 17ans. La rigolade! Et là, première de l'école! C'est juste…
—Une immense source de fierté?
—Oui! Oui… répéta-t-il à l'envi.
Jacques les rejoignit et reçut une accolade virile de son père.
—Le plus grand botaniste!
—Doublé d'un des meilleurs potionnistes, d'excellent conseil, ajouta le Belge.
—Hercule oublie de mentionner les fois où il me corrige en runes, histoire de la magie, sciences et surtout, en français. Sans compter qu'il m'a permis de décrocher un Or à l'examen final du soin aux créatures magiques.
—Vous êtes des champions! Bon, je vais voir s'il ne reste pas du jus de citrouille. Il fait une de ces chaleurs!
Firmin s'éloigna tandis que les garçons restèrent seuls. Hercule félicita une fois de plus son camarade pour sa maîtrise de la botanique.
—Un Or à l'examen. Splendide.
—Oui, mais j'suis loin de ma sœur. Elle est incroyable, Émilie. Tu as vu ça, l'ami?
—Elle est sidérante.
—Tu imagines? Les parents nous avaient inscrits tous les deux comme Cracmols. Mais il n'y avait qu'une seule place par niveau d'étude.
—Vous auriez dû arriver en même temps?
—Ben oui! La Émilie, ça l'a fichue en rogne! Les parents lui répétaient que c'était comme ça, elle devrait s'y faire. Elle aurait une chance l'année suivante. Alors, elle s'est fabriquée sa baguette personnelle. Et là, quelque temps après, bam! Tout s'est déclenché! De la magie comme s'il en pleuvait!
—Attendez… Si vous auriez dû arriver en même temps à l'Académie, cela signifie qu'Émilie est née en septembre, juste avant le 17?
—Ben non! Elle est née le 22 décembre, comme moi. Émilie, c'est ma sœur jumelle.
—Votre ju… Par les flammes d'un Piment Cornu! Alors là, la lumière émise par ma cervelle est digne de celle d'un Pitiponk! Même moins que cela!
—Je croyais que je te l'avais déjà dit.
—Je peux vous assurer que non. Avouez que c'est quand même facile de se tromper! Elle mesure une tête et demie de moins que vous!
—Eh ouais! Moi, j'ai attrapé le physique de Papa et elle, c'est Maman tout craché. Enfin, malgré son année de retard, elle a rattrapé le niveau, non?
—De toute évidence, elle l'a dépassé.
La sœur jumelle était née au début de l'hiver!
«Ce n'est pas possible. Elle a été victime d'une très grave agression. D'autres incidents ont eu lieu lorsqu'elle était hospitalisée à l'infirmerie, mal en point. L'emploi du temps ne concorde pas. C'est un pur hasard.»
Une personne tapota sur son épaule. Il se retourna et découvrit Noël. Il était accompagné d'un homme à son image, longiligne, brun, les yeux noirs et d'une femme tout en rondeurs, joviale, le sourire aux lèvres. Ses parents. Ils firent connaissance et lui confièrent qu'ils avaient été très touchés par l'attitude du Belge. Ils échangèrent des amabilités durant un bon quart d'heure. Noël rayonnait alors qu'à l'instant de sa nomination surprise –il était persuadé que Sigrid vaincrait –, il était terrorisé. Lorsqu'Amélie Rostang de Hautefeuille, suivie par Rosier comme un fidèle Croup, passa à la hauteur du quatuor en conversation, elle les toisa et détourna le regard, dégoûtée. Madame Millefeuille haussa les épaules et eut l'air affligé par ce caractère hautain. Le mépris entre la blonde à particule et la maman de Noël n'échappa pas à l'œil de Nundu d'Hercule. Leur petit génie des potions se préparait une prochaine rentrée épique.
Gervais Delacour fit enfin son apparition et s'approcha de son futur apprenti.
—Ah… Hercule… Est-ce que tu as vu l'avancée des travaux de restauration?
—Non, Monsieur.
—Veux-tu voir comment un spécialiste du bois s'en sort avec le métal?
—Avec joie.
—Allez! Viens! Suis-moi. Prends ton bagage. On sait jamais, au cas où un paranoïaque aurait l'intention de le fouiller.
—Il ne trouverait que des vêtements, de la pâte dentaire, des carrés de tissu propre, une brosse à cheveux. Plus quelques manuels scolaires, des plans de baguettes, des inclusions, du bois, des instruments, ainsi que deux baguettes en cours de fabrication. Rien d'autre.
—Vraiment?
—Assurément.
Gervais fut étonné et s'amusa de la situation. Beauxbâtons allait tourner en Abraxan encore des heures. Le médicomage, attentif au moindre mouvement des amis de sa fille, fondit sur eux en compagnie de Sébastien. Il lui ordonna de fouiller le bagage du Belge. Le garçon se soumit aux desiderata sous le regard soupçonneux du praticien. En deux minutes, il fut fait la preuve qu'aucune élève révoltée ne se dissimulait dans la valise, enveloppée d'un tissu à sortilège d'extension. Alfred enragea et grogna:
—Vous savez où elle se cache! J'en suis certain!
Hercule ne se laissa pas impressionner et répliqua:
—Vous aurez tout le loisir de m'interroger à la rentrée, en cours, lorsque nous passerons trois heures par semaine ensemble.
—Quoi? Vous…
Il écarquilla les yeux, imaginant que le gamin voudrait devenir médicomage. Déjà que Hercule le bombardait de questions en temps normal!
—Pardonnez-moi, Alfred mais… commença Gervais.
—C'est bon! Circulez.
L'homme et l'enfant se rendirent dans l'observatoire. Parvenus sur le chantier, le garçon constata que les réparations seraient bientôt achevées. Si le dôme était complet, l'instrumentation était encore en pièces détachées. L'artisan se tourna vers le garçon et lui demanda:
—Tu penses connaître toutes les sorties de l'école?
—Je sais où se trouvent les cinq sorties.
—Et si je te dis que l'entreprise Delacour s'est ménagée une sixième issue, tu paries un Gallion dessus?
—Jamais de la vie. Vous me semblez trop confiant.
—Ah ah! Allez! Leçon numéro 1: chez A.D, on adore les surprises double, voire triple.
Il s'empara de sa baguette, visa le coffre contenant les lunettes astronomiques et déclama:
—Oirepa metsic.2
Les verrous devinrent charnières et les articulations se transformèrent en fermetures. Le couvercle du coffre bascula en arrière. Il était vide. Les parois s'allongèrent et grimpèrent jusqu'à environ deux mètres de hauteur. Le panneau frontal se mua en porte. Elle s'entrebâilla.
—Ça par exemple! C'est vrai pour d'autres productions A.D?
—Tu verras ça à la rentrée. Allez, je t'en prie.
Le garçon pénétra dans la colonne de bois avec sa valise. L'adulte le suivit et claqua la porte. Ils étaient serrés comme du poisson en conserve. Soudain, tout se mit à tournoyer. Cela ne dura qu'une paire de secondes. Hercule poussa une autre fermeture et se retrouva dans la cuisine des Delacour. C'était un lieu chaleureux doté de boiseries, de poutres, de meubles garnis de vaisselle et de provisions. Gervais l'incita à s'aventurer dans la pièce aux dimensions faites pour les grandes tablées. Il se contenta de faire simple:
—Bienvenue chez les Delacour!
1Il contrôle la langue.
2Cistem Aperio, à l'envers.
