CHAPITRE 1

« Nous attendions quelqu'un ? demanda James, qui n'avait pu s'empêcher de tressaillir.

– Pas à ma connaissance, lui répondit Sirius avec désinvolture. Mais ce ne serait pas la première fois que quelqu'un se présenterait ici à l'improviste. Ne me dis pas que tu as la trouille ? »

Sirius s'imaginait piquer l'orgueil de James, mais celui-ci confessa benoîtement :

« Si, j'ai peur.

– Autrefois, le risque t'excitait, fit remarquer Sirius d'un ton déçu en décollant son front de la table.

– Il ne s'agit plus de bêtises d'écoliers, Patmol, nous sommes en guerre... »

James tourna les yeux vers la fenêtre, dont les rideaux, en lambeaux, étaient restés entrouverts.

« J'ai une famille, maintenant, murmura-t-il. Je te souhaite de comprendre un jour...

– Merlin m'en préserve ! s'exclama Sirius en se renversant en arrière sur sa chaise. Je n'ai pas envie de devenir aussi couard que toi ! »

Son regard accompagna machinalement celui de son ami. Dans l'encadrement de la fenêtre, il ne voyait que le reflet du plafonnier en laiton. C'était qu'ils se trouvaient au cœur d'une campagne isolée, où la nuit était d'un noir d'encre.

Les pas, inexorablement, se rapprochaient. James se leva comme une marionnette. Maugrey s'était redressé sur un coude et brandissait sa baguette. Sirius, lui, ne bougea pas de sa chaise ; il poussa la décontraction jusqu'à croiser les bras derrière la tête. Il refusait de se laisser gagner par l'inquiétude. Il n'avait rien à perdre.

« Un visiteur du soir de Dumbledore, sans doute... », supposa-t-il d'un air dégagé comme s'il s'agissait d'évaluer le risque qu'il se mît à pleuvoir.

Un fracas de chaise renversée le fit sursauter ; Maugrey avait littéralement bondi du canapé. Avec une souplesse de félin, l'Auror rampa jusqu'à la fenêtre, sous laquelle il se mit à croupetons, tira de la poche intérieure de son manteau un monocle nyctalope qu'il vissa dans son orbite et colla son nez à ras de la vitre. Sirius l'entendit jurer à plusieurs reprises. Mais, en réalité, le bougre frétillait d'excitation : il n'aimait rien tant que l'action. Une journée sans duel et il dépérissait.

Piqué par la curiosité, James se précipita pour rejoindre Maugrey à la fenêtre, sans prendre la précaution de se baisser. D'un coup de baguette, Maugrey fit exploser le plafonnier, plongeant le séjour dans le noir :

« Ne jamais être visible de l'extérieur, Potter ! sermonna-t-il d'une voix éraillée en lui faisant signe de s'accroupir. Ne faites pas de vous une cible facile ! Voyez-vous qui vient nous rendre visite ?

– Euh... non, avoua James.

– Regardez mieux », l'encouragea Maugrey en lui passant son monocle.

Sirius daigna se lever. James et Maugrey lui firent de la place. Tout d'abord, à cause de sa légère myopie, qu'il était trop coquet pour corriger, Sirius ne vit qu'une obscurité dense piquetée de points blancs. Mais soudain, à la faveur d'une trouée, la lueur de la lune lui révéla la silhouette d'un homme. Drapé dans une cape noire qui lui battait les chevilles, l'inconnu progressait avec difficulté en direction du cottage. Un capuchon dissimulait entièrement son visage. Malgré la distance et le manque de lumière, Sirius reconnut l'uniforme dont il avait dépouillé le corps de son frère.

« Un Détraqueur ? entendit-il James souffler à son oreille, comme s'il craignait d'être entendu par l'inconnu du dehors.

– Un Mangemort, rectifia Sirius. Ses pieds touchent le sol.

– Je doute fort qu'il soit venu seul, feula Maugrey dont l'œil perçant ratissait l'obscurité environnante. Occupez-vous de son comité d'accueil, mes garçons. Pendant ce temps-là, je vais aller vérifier qu'il n'y en ait pas d'autres planqués dans les fourrés ».

Déjà l'Auror clopinait en direction de la porte de derrière, qui ouvrait sur le jardin. Sirius alluma sa baguette, dont il dirigea prudemment le faisceau vers le bas, s'approcha de la porte du séjour et tendit l'oreille. Les pas se faisaient de plus en plus sonores. Sirius voyait flotter, à trois mètres de lui, le visage spectral de James. Bien qu'il tentât de se donner une contenance, son ami était livide.

Ce fut alors que, de manière incongrue, le grelotement d'une sonnette se fit entendre. Sirius faillit éclater de rire.

« Nous avons affaire à un Mangemort bien élevé, s'esclaffa-t-il, sans réussir à arracher un sourire à James. Et moi qui pensais qu'il allait défoncer la porte d'entrée. Que nenni ! Il y met les formes !

– Ruse grossière ! rugit la voix de Maugrey dans le lointain. Il tente de faire diversion ! Souvenez-vous de ce que je vous ai appris, Black !

– Vigilance constante... », récita Sirius, blasé.

C'était l'antienne de Maugrey. Ne jamais baisser la garde. Dormir d'un œil. Refuser le verre qu'on vous offre. Promener ses armes partout avec soi. Se défier de tout le monde. Y compris de ceux qu'on aime. Et surtout de soi-même. À force, cela devenait lassant. Pourquoi toujours envisager le pire ? Ce mystérieux visiteur n'était sans doute qu'un plaisantin. Il aurait tout à fait vu Arthur Weasley faire ce genre de canular.

Sirius s'engagea à pas de loup dans le vestibule, James sur ses talons. Dès qu'il fut au niveau de l'entrée, il se rangea contre le mur, formula un sortilège de déverrouillage, puis, dans un geste répété mille fois, la baguette pointée droit devant lui, il entrebâilla le panneau de la porte du bout du pied, de façon à offrir la plus faible exposition à l'ennemi.

Mais le Mangemort ne semblait pas d'humeur batailleuse. Il se tenait sagement sur le seuil, immobile et silencieux, les pieds joints. Sur ses maigres épaules scintillaient deux monticules de flocons immaculés. Et derrière lui, les empreintes de ses bottes s'effaçaient peu à peu sous la neige qui tombait dru. Si sa poitrine ne s'était pas soulevée à intervalles réguliers – sa marche dans le froid paraissait l'avoir essoufflé – on eût pu le croire changé en statue.

Pendant une dizaine de secondes, on n'entendit que sa respiration entrecoupée, à laquelle répondaient celles, oppressées, des deux Gryffondor qui le tenaient en joue. Dans le lointain s'étendait la rumeur continue de la Serpentine.

« Qui êtes-vous ? demanda enfin Sirius, qui commençait à avoir une crampe au bras.

– Que voulez-vous ? » chevrota James en s'abritant courageusement derrière son ami.

Passant l'étape des présentations, le Mangemort exigea, d'un ton monocorde, de s'entretenir seul à seul avec le professeur Dumbledore. Les deux amis échangèrent un regard stupéfait ; il leur semblait avoir déjà entendu quelque part ce timbre de voix grave et velouté. Sirius fléchit les genoux pour tenter de distinguer les traits du Mangemort, qui arrivait presque à sa hauteur. Mais celui-ci tenait, à dessein, sa tête inclinée vers l'avant, de sorte que Sirius ne put voir que la base de son cou.

Une voix de stentor ébranla les murs du vestibule :

« Il est seul ! »

Maugrey avait fait irruption à l'autre extrémité du vestibule, triomphant. Son épais manteau en mouton retourné était maculé de neige. Comment, diable, avait-il pu, en si peu de temps, faire le tour de l'îlot ? s'émerveilla Sirius.

« Vous faites tout dans le désordre, mes pauvres garçons ! » maugréa l'Auror.

Fonçant vers eux, il écarta sans ménagement James puis Sirius de son passage, avant de tendre une paume trapue en direction du Mangemort, qui n'avait pas bronché :

« Votre arme ! » ordonna-t-il d'un ton bourru.

Aussitôt, à la manière d'un rideau de théâtre, la cape se fendit en deux et il en sortit une main gantée de cuir qui tenait une baguette en ébène. Maugrey s'empara de l'objet, qu'il fourra, après lui avoir jeté un rapide coup d'œil, dans la poche latérale de son manteau. Puis il s'avança jusqu'à ce que son menton ne se trouvât plus qu'à quelques centimètres de la poitrine de son vis-à-vis, qui le dominait d'une tête. Le contraste entre leurs morphologies respectives avait quelque chose de comique : l'Auror était aussi râblé que le Mangemort était longiligne.

« Hum, laissez-moi deviner : une crise de vocation ? le nargua Maugrey en retroussant sa lèvre supérieure dans un rictus assez effrayant. Ou bien un réveil de conscience ? Mieux vaut tard que jamais, n'est-ce pas ?

– Je suis venu proposer mes services à M. le Directeur, esquiva le Mangemort d'une voix si basse qu'elle en était à peine audible.

– Quel directeur ? affecta l'Auror.

– Je sais que le professeur Dumbledore est ici. »

L'Auror appuya l'extrémité de sa baguette sur la jugulaire de l'inconnu, sans que ce dernier parût s'en formaliser.

« Et comment pouvez-vous en être si sûr ? répliqua-t-il, sur la défensive. Qui nous a vendus ?

– Ce n'est pas à vous, Maugrey, que je vais apprendre l'importance du secret des sources. Puis-je parler à M. le Directeur ?

– Où vous croyez-vous ? grogna Maugrey, visiblement exaspéré que le Mangemort connût son nom. On n'entre pas ici comme dans un moulin ! Il faut d'abord montrer patte blanche. »

Le Mangemort eut un haussement d'épaules méprisant.

« Qu'est-ce que cela changerait ? Je ne conteste pas être ce dont je n'ai pas l'air.

– Permettez-moi d'insister », répartit Maugrey en lui enfonçant sa baguette dans le cou.

Dans un geste d'agacement, le Mangemort tira son capuchon en arrière, révélant un visage hâve et anguleux sur lequel il fit retomber un rideau de cheveux noirs. Puis il dégrafa sa cape et laissa glisser au sol avec un flegme qui semblait vouloir signifier qu'il n'avait rien à cacher. Pour finir, il écarta les bras et exécuta une sorte de pirouette sur lui-même, révélant une silhouette sanglée dans une robe au col montant qui le faisait ressembler à un séminariste.

Sirius sentit sa mâchoire se décrocher.

« Vous ? s'exclama Maugrey, incrédule.

– Ro…, béa James.

– Oh, mais c'est ce brave Servilus ! ironisa Sirius, comme s'il eût voulu, par ce sobriquet, conjurer la créature intimidante que son ancien souffre-douleur était devenu. Qu'est-ce qui nous vaut l'honneur de ta visite nocturne ? Serait-ce que Voldemort ne veuille plus de toi ? »

Mais à son grand déplaisir, Rogue ne réagit pas à la provocation. Son profil insolite était incliné vers celui de Maugrey, qui tenait lui-même le sien levé en sa direction : les deux hommes se regardaient en chiens de faïence.

« Si je ne m'abuse, le Ministère offre mille gallions pour votre capture, fit remarquer Maugrey dans une menace voilée.

– Mes services valent bien davantage, rétorqua Rogue avec un aplomb que Sirius ne lui connaissait pas. En outre, à moins que votre réputation ne soit usurpée, l'argent ne vous intéresse pas.

– Voyez-vous cela ! »

Maugrey avait violemment empoigné Rogue par le col de son habit pour l'attirer à l'intérieur du vestibule. Le Mangemort n'opposa aucune résistance, semblant s'estimer content de ne pas avoir essuyé de coup. Maugrey claqua la porte derrière lui et se mit à faire le tour de son corps efflanqué, comme un chien qui flaire, examinant chaque détail de son habit susceptible de dissimuler une arme. Rogue ne paraissait pas décontenancé ; il facilitait même la tâche de Maugrey en gardant les bras levés. Mais lorsqu'avec sa main, Maugrey effleura l'endroit où devait se trouver la Marque des Ténèbres, Rogue eut un imperceptible mouvement de recul. Son regard cerné croisa involontairement celui de Sirius. Aussitôt, il détourna les yeux.

Le Gryffondor eut un hoquet de dégoût. Cela faisait deux ans qu'il n'avait pas vu Rogue, mais son aversion pour lui était restée extraordinairement vivace. Dès leur première rencontre, dans un compartiment du Poudlard Express, Sirius l'avait pris en grippe. Severus Rogue n'était alors qu'un gosse d'ouvrier famélique et mal fagoté. Mais il incarnait tout ce que Sirius méprisait : le sérieux, le goût du travail bien fait et, surtout, le respect idolâtre de la règle. Le Serpentard ne balançait jamais à dénoncer ses petits camarades. Il y mettait même un certain zèle. Et en permanence, il affichait une moue chafouine, typique de sa maison. Sans compter qu'il était d'une laideur proverbiale, crasseux par-dessus le marché. Il rappelait à Sirius l'elfe de maison de ses parents. Bref, le Gryffondor éprouvait pour Rogue plus encore que du mépris de classe : une haine viscérale.

Maugrey palpait à présent les flancs de Rogue :

« Est-ce indispensable ? s'enquit celui-ci avec lassitude, bien qu'il le laissât faire.

– Préfériez peut-être que je vous déshabille ? » proposa Maugrey d'un ton sardonique.

Pour le plaisir de mettre Rogue mal à l'aise, il fit glisser ses mains sur ses hanches osseuses. À deux pas, Sirius, lui, continuait de le tenir en respect avec sa baguette, prêt à le stupéfixer au moindre geste suspect.

« Purée, ce qu'il a changé ! chuchota James dans son dos. Tu trouves pas ? »

Certes, pensa Sirius avec mécontentement. Dans cet uniforme ajusté, qui soulignait la sveltesse de sa taille, Rogue avait de l'allure. Même son nez crochu, qui lui avait valu tant de quolibets à Poudlard, ne prêtait plus à rire. Avec ses longs cheveux raides qui lui faisaient comme un voile sur la tête, il paraissait nimbé d'une grandeur inquiétante – ce qui était, sûrement, ce à quoi cette vermine sortie du ruisseau aspirait en s'enrôlant chez les Mangemorts.

« Nan, je ne trouve pas », prétendit Sirius.

N'ayant rien décelé de suspect sur Rogue, Maugrey avait mis un terme à la fouille :

« À vrai dire, je m'attendais plutôt à voir rappliquer ce poltron de Lestrange, reconnut-il en rangeant sa baguette dans son manteau. On le dit en disgrâce suite à l'attentat manqué du Tower Bridge. Mais vous, si j'en crois les dernières nouvelles, vous êtes au contraire dans les bonnes grâces de Jedusor. »

Maugrey se faisait un malin plaisir d'appeler Voldemort par le patronyme sous lequel il s'était fait connaître à Poudlard et non par le nom grandiose qu'il s'était inventé par la suite.

« Alors je me demande : pourquoi déserteriez-vous ? »

Sirius avait vu Rogue cligner des yeux à l'emploi du verbe « déserter ».

« Si vous daignez me conduire à M. le Directeur, je m'en expliquerai, répliqua le Serpentard dans un effort perceptible pour rester calme.

– Je crois plutôt que c'est votre Maître qui vous envoie ici, insinua Maugrey sans ciller. Ce ne serait pas la première tentative d'assassinat que nous déjouerions. D'autant que si je me fie aux informations que l'Ordre a recueillies sur votre compte… »

À ces mots, Maugrey extirpa un annuaire corné de sa poche qu'il se mit à feuilleter juste sous le nez stoïque de Rogue.

« … jouer les spadassins ne vous rebute pas. Désirez-vous que je vous lise la liste des victimes que le bureau des Aurors vous impute ?

– Ne vous donnez pas cette peine, répondit Rogue avec condescendance. Je ne doute pas qu'elle soit exacte. »

S'il n'avait pas cherché à nier, il n'exprima pas, pour autant, le moindre remord.

Sirius déglutit. Certes, il savait que Rogue était un illuminé. Mais il ignorait tout de ses activités de Mangemort. Et en dépit de ce que venait de dire Maugrey, il ne parvenait pas à se le figurer avec du sang sur les mains. Car, pour tuer des gens, pensait-il – lui, ne l'avait encore jamais fait –, il fallait du courage physique. Or l'escogriffe qu'il avait côtoyé à Poudlard en était totalement dépourvu ; jamais Sirius n'avait vu Rogue se battre, fût-ce sur un terrain de Quidditch. Vraisemblablement les deux années qu'il venait de passer au contact de ses coreligionnaires l'avaient-elles endurci.

« Je n'ai plus de maître, précisa Rogue après une profonde inspiration. Je suis venu ici de mon propre chef.

– Ils disent tous cela…, ironisa Maugrey en s'amusant à le décoiffer d'une tape derrière la tête. Ils se sont laissés entraîner, ils regrettent. Le mois dernier, ils sont une dizaine à s'être rendus. Mais ça ne prend pas. Les geôles d'Azkaban débordent de ces soi-disant repentis, qui ne sont que des lâches incapables d'affronter les conséquences de leurs actes. Vous aurez beau essayer d'apitoyer les juges, vous croupirez en prison pour le reste de votre vie, comme les autres. »

Aussi insondables que la nuit dont il était venu, les yeux de Rogue se rivèrent à celui de Maugrey. Il le regardait comme s'il voulait le tuer.

« Je ne mendie la clémence de personne, rétorqua-t-il insolemment.

– Me voilà rassuré ! ricana Maugrey. Vous admettez donc que, sentant le vent tourner, vous êtes venu négocier les conditions de votre ralliement. Si j'étais poli, je dirais que vous êtes un opportuniste ; si j'étais sincère, je dirais que vous êtes un pleutre. »

L'offense avait porté. Quelqu'empire qu'il eût sur lui-même, Rogue ne put totalement dissimuler sa vexation. Pourtant, il ne chercha pas à contredire Maugrey.

« Ramassez votre cape, lui conseilla celui-ci avec un sourire goguenard. Vous en aurez besoin. Les geôles d'Azkaban sont tellement froides et humides.

– Permettez-moi au moins de parler à M. le Directeur ! l'implora Rogue dans un brusque sursaut d'humilité. Ce ne sera l'affaire que de quelques minutes. Me croyez-vous assez puissant pour tuer seul et sans baguette un sorcier de sa trempe ?

– Un point pour vous, admit Maugrey, beau joueur. Et qu'avez-vous donc de si extraordinaire à lui offrir en échange de votre immunité ? »

Rogue se contenta de répondre à mi-voix :

« De faire tout ce qu'il voudra. »

Rogue avait ôté ses gants. Il tenait ses longues mains grandes ouvertes devant lui, posture par laquelle il entendait, sans doute, apporter la preuve de son innocuité. Mais toute courbée que fût sa nuque, son port de tête restait altier. Et dans son regard fatigué, légèrement tombant, brûlait quelque chose qui ressemblait à une détermination féroce.

« Tout ? répéta Maugrey, d'un ton aussi suspicieux que dubitatif. Avez-vous seulement une idée de ce que Dumbledore est susceptible d'exiger de vous ? Il n'est pas certain qu'à tout prendre, vous ne préfériez pas aller à Azkaban.

– Tout », confirma Rogue avec un sang-froid qui impressionna jusqu'à Sirius.

Car en dépit des menaces de Maugrey et bien qu'il fût à la merci de l'Ordre, rien dans sa voix ni son attitude ne traduisait l'ombre d'une appréhension.

« Même mourir, s'il le faut ? insiste Maugrey.

– Je ne suis pas ici pour sauver ma peau », répliqua Rogue d'une voix désincarnée, mais qui n'en paraissait que plus sincère.

Pour la première fois, Maugrey parut déstabilisé. À plusieurs reprises, ses yeux allèrent des mains au visage de Rogue, comme s'il cherchait à évaluer le degré de fiabilité de ses affirmations. Puis il se mit à arpenter le vestibule de long en large, les mains derrière le dos. Sirius et James le regardaient faire, sans bien comprendre ce qui se tramait entre lui et Rogue.

« Je crois comprendre ce qui vous amène ici, jeune homme... », marmotta Maugrey d'une voix hésitante, comme si, de retour d'une fausse route, il cherchait encore son chemin.

L'Auror alla se planter face à Rogue :

« Une soif de vengeance, n'est-ce pas ?

– Un motif de cet ordre », éluda Rogue en jetant un regard de côté à ses anciens camarades.

L'inflexible Auror le considéra de pied en cap.

« Vous êtes presque convaincant, concéda-t-il en lui saisissant le poignet. Venez avec moi. »

Sans rien laisser transparaître de sa satisfaction – oui, cette ordure devait jubiler de s'en être tirée à si bon compte, pensa Sirius en serrant les poings – Rogue se pencha pour ramasser sa lourde cape avant d'emboîter le pas à Maugrey.

Sirius regarda les deux hommes s'engager dans l'escalier qui menait à l'étage. La scène à laquelle il venait d'assister le laissait à la fois sidéré et impuissant. Comment son instructeur, l'être le plus paranoïaque que la terre eût porté, avait-il pu se laisser abuser par ces simagrées ? Tout en Rogue respirait la duplicité : sa voix, légèrement susurrante ; son regard tour à tour fuyant ou impénétrable ; ses manières, tellement empruntées qu'elles en étaient ridicules ; son corps même, souple et délié, qu'on aurait dit capable de se faufiler dans n'importe quel interstice.

Ce type n'était, objectivement, qu'un sale cloporte tout juste bon à être écrasé du pied. Et d'ailleurs, si cela n'avait tenu qu'à lui, Sirius l'aurait déjà fait.