CHAPITRE 9

« … pour espérer être définitivement débarrassés de Voldemort. »

Dumbledore acheva son discours dans un silence si profond qu'on aurait presque pu entendre la neige tomber au dehors. Sirius, dissipé d'ordinaire, s'était montré attentif. Il fut, d'une certaine façon, soulagé d'apprendre que Mulciber n'avait pas été tué pour un vulgaire artefact moldu. Car le souvenir de sa récente expédition ne laissait pas de le tracasser. Mais à chaque fois qu'il l'évoquait, Maugrey lui expliquait qu'il était trop sensible.

Cependant que Dumbledore parlait, Sirius avait observé les réactions de Rogue à la dérobée. Le Serpentard était assis en bout de table, à côté de Maugrey, lui-même au coude-à-coude avec Dumbledore. Sans doute gêné d'être dans la mire, il avait reculé sa chaise pour se mettre en retrait. Son menton pointu reposait dans la paume de sa main. Pas une seule fois, il n'avait manifesté de surprise aux révélations de Dumbledore. Sirius l'avait même surpris à bâiller d'ennui. On aurait dit que Rogue savait déjà tout. Ou qu'il considérait que cela ne le concernait pas.

« T'es pas discret, Patmol, le taquina James, avec qui il partageait un banc branlant, au premier rang, près de la fenêtre d'où suintait un courant clair glacé. Arrête de le reluquer !

– Oh, tes fesses, Cornedrue », grommela Sirius.

Il se sentait d'humeur maussade ce soir. Ses oreilles bourdonnaient d'une façon particulièrement désagréable. La proximité d'un parasite, sûrement. L'air blasé qu'affectait Rogue, finit-il par se convaincre, c'était juste pour se donner un genre. Pour bien faire comprendre qu'il était un être supérieur. Un peu comme cette redingote cintrée qu'il portait depuis plusieurs jours et dont Sirius devait reconnaître, enfer et damnation, qu'elle ne lui allait pas si mal.

On était à la veille du Nouvel an. Malgré les reports répétés dont cette réunion avait fait l'objet, l'Ordre du Phénix était au grand complet. Les membres se serraient sur trois rangs autour de la table. Hagrid avait été refoulé au fond de la chambre, l'immense Frank Londubat avait pris place sur un tabouret aux pattes sciées et Molly avait prié Dedalus Diggle de poser son chapeau haut-de-forme sur ses genoux. Alors que les membres avaient presque fini de s'installer, un « bang » supersonique avait résonné dans toute la vallée, signalant l'arrivée de Mondingus, que plus personne n'attendait. Finalement, seule Lily, retenue auprès de sa mère malade, n'avait pas pu venir.

Tous les regards s'étaient tournés vers l'objet doré posé au centre de la table. Les visages exprimaient à la fois l'inquiétude et l'incrédulité.

« Un Horcruxe ? s'émut Elphias Doge, qui agitait son chef chenu d'un air dubitatif. Sauf votre respect, Albus, je n'ai jamais entendu parler de cette théorie et pourtant, croyez-moi, j'en connais un rayon en magie noire.

– Me paraît fumeux, ce truc, déclara d'emblée Benjy Fenwick, qui n'était pas du genre à garder sa langue dans sa poche.

– J'ignore quelle est votre source, mon cher Albus, mais sachez que ce sont de parfaites élucubrations ! » affirma Caradoc Dearborn d'un ton catégorique.

L'auguste professeur parlait toujours d'autorité, car il avait établi un record de longévité en enseignant la défense contre les forces du mal à Poudlard pendant deux années de suite.

« Vous soutenez que si l'Horcruxe est détruit, la part d'âme qu'il renferme est détruite avec lui ! Pourtant, comme l'a établi la Grande Controverse Sorcière de 1534, l'âme humaine survit à la destruction de son support sensible. Votre théorie entre en contradiction totale avec ce que nous savons de la nature de l'âme !

– Avec ce que vous en savez, rectifia Minerva McGonagall, qui, dans sa jeunesse, avait eu quelques disputes homériques avec son collègue.

– Chacun sait que l'âme est une et immatérielle ! continuait à soutenir Dearborn avec véhémence. Je ne crois pas qu'on pût la démembrer et encore moins qu'un ostensoir pût lui servir d'hôte, cet objet fût-il sacré pour les Moldus !

– Il me semble improbable que Voldemort ait pu faire pareille trouvaille ! se rengorgea Sturgis Podmore, tout rougeaud sous son toupet couleur paille. Vous savez comme moi, Albus, que les recherches sur l'immortalité ont été prohibées par l'article 7, alinéa 3, de l'Accord international contre la prolifération de la magie noire, ratifié en 1918. Tous les livres traitant du sujet ont été brûlés il y a plus de soixante ans. »

Sirius repensa à l'ouvrage qu'il avait vu dans les mains de Rogue, quelques jours plus tôt, s'étonnant qu'il eût échappé à la censure. Avant de s'aviser que la bibliothèque du cottage était restée inviolée pendant plusieurs décennies.

« Comment Voldemort aurait-il pu s'initier au rituel des Horcruxes ? interrogea Emmeline Vance, qui s'était penchée pour croiser le regard de Dumbledore.

– Certainement pas dans l'orphelinat de Moldus où il a grandi ! » gloussa Amelia Bones.

Cette sorcière entre deux âges, très collet monté et issue d'une famille de Sangs-Purs, se piquait de n'avoir pas peur de Voldemort, qu'elle disait tenir en piètre estime.

Dumbledore eut une seconde d'hésitation, puis, à la stupéfaction de l'auditoire, il lâcha :

« Tout laisse à penser que Tom a appris l'existence des Horcruxes lors de sa scolarité à Poudlard.

– Que voulez-vous dire ? se braqua McGonagall. Nous avons ratissé la bibliothèque avec Madame Pince ! Je puis vous assurer que…

– Vous souvenez-vous de ce cher Horace Slughorn, Minerva ? Il était sans nul doute le meilleur enseignant en potions que nous ayons eu. Je crains, hélas, que sa fatuité ne lui ait fait oublier toute prudence. Bien s'en soit toujours défendu, Horace nourrissait pour la magie noire un attrait proche de la fascination et je ne serais pas surpris qu'il soit parvenu à mettre la main sur un ouvrage interdit. Or, comme vous savez, il a jeté son dévolu sur Jedusor lorsque celui-ci a commencé à manifester certaines… aptitudes. Certains soirs, il le recevait en privé dans son laboratoire, en violation du règlement. Qui sait ce qu'il a pu lui raconter pour l'impressionner ?

– Le séduire, vous voulez dire », rectifia Dearborn dans sa barbe.

Ses voisins opinèrent du chef et il y eut quelques rires gras, entretenus par les grimaces suggestives de Mondingus, qui achevait de déglutir le saucisson qu'il avait chipé en cuisine. Les inclinations de Slughorn étaient, en effet, un secret de polichinelle. McGonagall fit comme si elle n'avait rien vu ni entendu. Repensant au portrait de promotion jauni qui ornait le hall d'entrée de Poudlard, Sirius se fit la réflexion que la réputation d'éphèbe du jeune Jedusor n'était pas usurpée.

« Combien d'Horcruxes pensez-vous que Voldemort a créé ? demanda Molly, toujours pragmatique.

– Sans doute sept, car Voldemort prête une grande importance aux symboles, expliqua Maugrey. Cet ostensoir est le premier Horcruxe dont nous ayons réussi à nous emparer, grâce aux informations données par notre ami. »

Maugrey vira vers Rogue, qui recula encore un peu plus sa chaise. « Notre ami » ? En quoi ce traître méritait-il de tels égards ? se demanda Sirius, vexé. Il se sentait de plus en plus nerveux. Il faisait à présent une chaleur étouffante dans la pièce, bien qu'Arthur Weasley se fût levé pour entrouvrir la fenêtre. Une sorte de vibration semblait rayonner de l'ostensoir.

Dedalus leva la main pour réclamer la parole, comme s'il se trouvait à l'école :

« Ne trouvez-vous pas paradoxal que Voldemort ait choisi un objet de culte moldu pour en faire un Horcruxe ?

– L'or qui compose cet objet provient d'un pillage perpétré à l'époque des croisades, intervint Shacklebolt. Il s'agissait à l'origine d'une fibule qui était la propriété de Herpo l'Infâme, l'illustre sorcier grec. Or, selon des sources de confiance, cette fibule aurait constitué le premier Horcruxe de l'histoire.

– Mais bien sûr, ironisa Dearborn avec hauteur. C'est lui, encore, qui vous a servi ces fariboles ? »

Son index déformé était pointé vers Rogue, qui ne broncha pas.

« Le Mangemort soi-disant repenti…, commenta Edgar, le frère d'Amelia, la voix chargée de sous-entendus. À d'autres…

– Petit sang-mêlé avide de s'élever au-dessus de sa condition », périphrasa sa sœur, avec un mépris cinglant.

L'intéressé endura ces quolibets avec indifférence.

Il revint à la mémoire de Sirius la manière épidermique dont Rogue réagissait autrefois, lorsque James et lui le prenaient pour cible. Pas de doute, le Serpentard n'était plus l'être caractériel qu'ils avaient connu. À moins que, se sachant à la merci de l'Ordre, il n'eût, opportunément, décidé de faire profil bas.

« Le pauvre… il ne sait plus quoi inventer pour se faire valoir », s'acharnait Amelia, comme pour le pousser à bout.

Bien qu'il se fît fort de ne ressentir aucune compassion pour Rogue, Sirius sentit un malaise inexplicable l'envahir. Les lambris résonnaient d'un brouhaha assourdissant. Tout le monde parlait en même temps. On se tapait sur l'épaule, on se poussait du coude. Les frères Prewett discutaient de manière plus qu'animée avec Dorcas Meadowes. James avait froncé les sourcils, Marlene hochait la tête d'un air contrit et Remus, assis au dernier rang, murmurait à l'oreille de Peter, qui faisait obstinément non du menton. Soudain Dearborn brandit son poing, heurtant le lustre, qui se mit à se balancer. Quant à Hagrid, tassé contre le mur, il se tortillait comme si des orties lui avaient poussé sous les fesses.

Quelque chose ne tournait pas rond. D'ordinaire, les allocutions de Dumbledore ne donnaient pas lieu à des prises de bec. Et jusqu'à ce soir, jamais les Bones, malgré leurs caractères revêches, ne s'étaient risqués à prendre quelqu'un à parti. Cette tension s'expliquait-elle par le fait que Dumbledore avait, sans discussion, imposé la présence de Rogue, dont personne n'ignorait le passé et qui inspirait naturellement la méfiance ?

« Severus a toute ma confiance, coupa court Dumbledore, en laissant échapper un soupir d'irritation que Sirius ne lui avait jamais entendu. Il a livré de précieuses informations à l'Ordre. Aussi vous serais-je gré de le traiter comme l'un des nôtres. »

Il s'ensuivit un silence lourd de doutes et de réticences auquel mit fin Maugrey, dans une diversion habile, grâce à une nouvelle révélation :

« Nous avons connaissance de l'existence d'un second Horcruxe. Il s'agit d'un médaillon qui aurait appartenu à Salazar Serpentard, le fondateur de la maison du même nom. Hélas, nous avons perdu sa trace.

– Et comment comptez-vous détruire celui-ci ? » s'enquit abruptement Alice Londubat.

Elle touchait l'ostensoir de sa baguette, comme si elle eût voulu en neutraliser les pouvoirs.

« J'imagine, Alastor, que cette chose est hérissée de défenses maléfiques.

– Des recherches sont en cours pour les percer, éluda Maugrey en jetant un regard furtif à Rogue, qui regarda ses pieds. La priorité, pour l'heure, est d'identifier et de localiser les autres. Je vous invite à nous faire part de toutes informations nous permettant de le faire. »

Voilà donc quel était l'objet des mystérieuses recherches de Rogue ! Une bouffée de colère monta au nez de Sirius. Trop de choses ne reposaient-elles pas sur la parole d'un intrus dont personne ne savait ce qui l'avait poussé à changer de camp ? L'air de rien, cette mauvaise herbe était en train de prendre toute la place !

« Cet objet n'a rien d'un Horcruxe ! asséna Amelia, étrangement remontée. Il est juste ensorcelé. Personne n'a jamais réussi à percer le secret de l'immortalité ! Gellert Grindelwald – que vous avez très bien connu, je crois, Albus… »

Elle laissa échapper un rire entendu qui sonna d'une manière assez insultante aux oreilles de Sirius.

« Même lui a échoué, reprit la sorcière. Or il était le mage noir le plus doué de sa génération. Comment voulez-vous que ce Voldetruc, qui n'est pas un Sang-pur, puisse le surpasser ? Ne serait-ce que l'égaler est hors de sa portée ! »

Son frère hocha la tête en signe d'acquiescement, ajoutant avec un rictus :

« Amelia n'entend pas, bien sûr, se montrer désobligeante envers les Sangs-impurs ».

L'expression fit tiquer quelques membres, dont aucun, sur le coup, n'eut le réflexe de relever – à l'exception de Marlene, qui émit un claquement de langue scandalisé. Sirius, lui, ne se sentit pas choqué. Bien sûr, il ne partageait pas le préjugé selon lequel le croisement des sangs affaiblirait la race sorcière ; il laissait ça à ses parents honnis. Pourtant – il fallait le reconnaître – les unions mixtes produisaient parfois des déchets. Rogue était un bon exemple. Ce taré n'avait-il pas cru faire oublier quel sang coulait dans ses veines en exterminant des Moldus ?

« Nous n'en doutons pas », déclara McGonagall en réponse à Edgar.

Son ton, plus cassant encore qu'à l'accoutumée, montrait qu'elle n'était pas dupe. Frère et sœur s'entre-regardèrent avec une moue d'incompréhension.

« Laissons à Voldemort ses idées, voulez-vous ! » intervint brusquement James dont l'indignation, quelque effort qu'il fît pour la contenir, était perceptible.

Il défendait Lily, pensa Sirius. Forcément.

« James a raison, s'exposa-t-il à son tour, par solidarité avec son ami, même s'il n'en était pas si convaincu. On ne peut pas combattre Voldemort sans combattre aussi ses idées. »

Il était assez fier de sa formule. D'autant que Marlene, à trois têtes de là, le regardait avec une moue approbatrice.

« Comment avez-vous le front de nous faire la morale ! se fâcha tout rouge Amelia. Dès les premiers attentats, nous nous sommes formellement désolidarisés de ce pseudo Lord ! Voulez-vous, mon cher Sirius, que nous parlions de la charmante famille dont vous êtes issu ? N'est-ce pas à votre père que l'on doit une dizaine de tribunes rétrogrades dans la Gazette du sorcier ? »

Le sang de Sirius ne fit qu'un tour. C'était la première fois qu'un membre de l'Ordre s'abaissait à l'attaquer sur sa parentèle.

« Pardon ? » hoqueta-t-il en se levant si brusquement que le banc sur lequel il était assis manqua de basculer en arrière.

Sirius sentait James le retenir par la manche, mais il n'en avait cure. Il allait lui faire rendre gorge, à cette mégère !

« Si je puis me permettre…, tenta timidement Arthur Weasley.

– Je ne vous laisserai pas proférer des ignominies pareilles ! hurla Sirius en donnant un coup de poing sur la table. Je… je ne suis pas comme eux !

– Bien sûr ! ironisa Amelia, qui n'avait pas sursauté. Les idées de votre famille ne sont pas les vôtres. Vous, vous prônez la mixité à tout crin. En attendant, j'observe que vous ne fréquentez que des garçons de bonne famille. »

Elle donna un coup de menton en direction de James, qui la dévisageait avec une hostilité non dissimulée :

« Vous et votre ami êtes apparentés au troisième degré, n'est-ce pas ? Et votre famille a du bien, elle aussi. Si je ne m'abuse, votre grand-père, Henry Potter, a siégé au Magenmagot.

– On défend de nobles idées en public, mais on ne se mélange pas en privé, renchérit Edgar d'un ton triomphal. Si je me laissais aller à mettre un nom sur cette attitude, je parlerais d'hypocrisie. »

La hargne des Bones paraissait désormais hors de contrôle. Et personne ne disait rien – même James, devenu complétement atone. Sirius avait l'impression d'être dans un cauchemar.

« Taisez-vous ! cria-t-il. Vous dites n'importe quoi. »

Mais pourquoi Dumbledore ne le défendait-il pas comme il avait défendu ce chien de Rogue un peu plus tôt ?

« La vérité vous dérange, Sirius ? le titilla Edgar, galvanisé par la passivité du groupe.

– Je me suis toujours tenu à distance de tout ça ! » soutint Sirius, faute de mieux.

Pris en étau entre les belligérants, Mondingus et Doge semblaient compter les points.

« À distance, vraiment ? insinua Edgar en dodelinant de la tête. Vous avez été élevé par cette famille, pourtant. Deux de vos cousines ont rejoint les rangs de Voldemort…

– Votre frère lui-même…, compléta Amelia. Je me souviens parfaitement de lui. Un beau garçon, ce Regulus. Il vous ressemblait comme deux gouttes d'eau. Mais qu'avez-vous fait pour le dissuader, Sirius ? C'est étrange, je ne crois pas vous avoir une seule fois entendu condamner son choix.

– Peut-être y songez-vous également ? » osa Edgar.

Sirius se figea. C'était le coup de grâce. Toute la tablée avait les yeux tournés vers lui. On l'attendait au tournant. Mais Sirius ne savait quoi répondre. Pourquoi les Bones se montraient-ils si agressifs avec lui ? Il sentit les phalanges de James se renfermer doucement sur sa main, pour l'inciter à la retenue. Hélas, au même moment son regard hagard croisa celui de Rogue, qui l'observait avec une acuité qui acheva de lui faire perdre pied.

« Je n'ai rien à voir avec ce… ce… » balbutia Sirius, sans parvenir à achever.

Il hésitait sur le qualificatif. Mais il n'avait pas le choix. Il fallait qu'il donnât à l'Ordre des gages de loyauté. Car Dumbledore l'avait mise en doute la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Le vieux directeur l'avait même comparé à Rogue, à son désavantage. Rogue. Toujours Rogue. Sirius le haïssait. C'était lui le fauteur de trouble.

« Ce… ? répétait Amelia d'un ton sarcastique. Précisez votre pensée, très cher. Nous vous écoutons.

– Ce… » dit une nouvelle fois Sirius, pour gagner du temps.

Mais il n'en avait plus. Il était acculé. L'autre hystérique ne le lâcherait pas. Alors Sirius cracha la première insulte qui lui passa par la tête. Mais à peine eut-elle franchi ses lèvres qu'il regretta. Qu'importe ce qu'il s'était passé entre eux, Regulus resterait son petit frère, à jamais. Et Sirius continuerait à l'aimer, envers et contre tout. Même s'il savait qu'il ne devait pas. Même si cela ne servait plus à rien, maintenant. Même si on devait le mettre au ban de l'Ordre pour cette raison. Les mots terribles qu'il venait de prononcer, c'était la faute d'Amelia. Lui, il s'était fait piéger !

« Ne salis pas sa mémoire, Black ! Tout Mangemort qu'il a pu être, il valait mille fois mieux que toi ! »

C'était Rogue, blême de rage, qui avait parlé. Tonné, plutôt. Le Serpentard s'était levé, lui aussi. Sirius le voyait trembler de tous ses maigres membres, les poings contractés à s'en faire craquer les jointures. C'était trop beau, ce bouc-émissaire qui s'offrait à lui ; Sirius reporta toute sa rancœur sur Rogue, sans prêter attention à James, qui s'était interposé.

« Mais pour qui tu te prends ? vociféra-t-il au-dessus de l'épaule de son ami. Mêle-toi de tes affaires, sale vermine ! Regulus était mon frère, tu entends ! Alors je parle de lui comme je veux ! T'étais qui, toi, d'abord, pour lui ? Rien ! Tu ne mérites même pas l'air que tu respires ! C'est toi qui aurais dû mourir ! »

Désireux de joindre le geste à la parole, il écarta James pour aller fracasser le crâne de Rogue, mais son ami le rattrapa, lui ceinturant la taille à deux bras pour l'empêcher d'avancer. Sirius se mit à ruer comme un taureau. Autour de lui, on reculait les chaises. Il aperçut Marlene qui le dévisageait d'un air atterré. Maugrey, lui, s'était levé pour abriter Rogue. Ce dernier n'avait pas bougé, mais ses yeux étroits s'étaient écarquillés et sa lèvre inférieure tressautait dans une espèce de tic nerveux ; un flot d'insultes semblait bouillonner dans sa bouche. Sirius piaffa de plus belle. Mais pourquoi les empêchait-on de se battre ? Il fallait que l'un d'entre eux mourût !

Soudain Dumbledore toussota et Shacklebolt, se levant d'un bond, emporta l'Horcruxe hors de la pièce. Sitôt qu'il eut disparu dans le couloir, Sirius se calma. Que venait-il de dire à Rogue ? Lui avait-il vraiment reproché de ne pas être mort ? Aurait-il sérieusement pensé à le tuer ? Remarquant sa perplexité, James avait fini par le lâcher. Alors Sirius se rassit, un peu honteux. Sans un mot, Rogue fit de même.

Autour de la table, tout le monde avait recouvré sa sérénité, jusqu'aux Bones. Sirius se sentait à la fois détendu et confus, comme après l'amour. Dumbledore secoua sa longue barbe de sage. Ses yeux étaient à demi clos et ses doigts assemblés en triangle soutenaient son menton :

« Après cela, doutez-vous encore, mes chers amis, qu'une partie de l'âme de Voldemort habite cet objet ? murmura-t-il d'une voix apaisante. Regardez comment sa seule présence dans cette pièce a suffi à nous diviser. »