Les Archanges étaient conçus pour régner et commander, c'était une vérité fondamentale pour les Sept Cieux. Enfin, régner et commander après Dieu, mais comme la quasi-totalité des anges n'interagissait jamais avec le Créateur, quand un membre des Neuf Chœurs pensait à l'autorité suprême il se tournait naturellement vers les Archanges.
C'était pratiquement une seconde nature, une habitude du même calibre que la respiration ou la marche, quelque chose de si usuel et banal qu'on ne réalise même pas qu'on est en train de le faire. Gabriel venait d'en recevoir un rappel pour le moins brutal.
Elle avait essayé de s'oublier, de se fondre dans l'Embrouilleur, l'identité de Loki le mauvais plaisant qui n'en fait qu'à sa tête et n'est motivé que par le gain personnel. Après plus de deux mille ans sous ce masque, elle pensait avoir réussi son coup.
Et puis arrivait Rachel, un ange venu lui pleurer dessus, et elle avait illico singé Michel, imité Raphaël, joué la grande princesse à la patience aussi infinie que sa bienveillance, celle qui détenait toutes les réponses et s'occupait de tout si on l'en implorait. Il y avait de quoi se sentir déconfite, rien qu'un petit peu.
Mais qu'aurait-elle pu faire d'autre, en face de la détresse de Rachel, de l'état général de Rachel ? L'autre ange avait eu besoin de quelqu'un à suivre qui écouterait, qui s'inquiéterait. Peu importe à quel point ils voulaient prétendre être au-delà de ça, les anges avaient besoin d'un contact personnel. Aucun ne répondait bien quand il était traité comme un objet.
Pour avoir oublié cette autre vérité fondamentale, Gabriel se sentait horriblement désireuse de foncer voir ses deux aînés loyalistes pour leur coller une trempe telle qu'ils préféreraient coucher au Purgatoire avec les Léviathans plutôt que de la remettre encore en rogne. Et s'ils savaient ce qui était bon pour eux, ils ne résisteraient pas.
Sauf qu'elle n'était pas supposée vouloir ça, n'est-ce pas ? Rappelle-toi, Gabriel, pourquoi exactement tu n'es jamais retournée à la maison. Tu avais honte, oui, mais tu voulais être libre, aussi. Libre de tout ça. Libre d'être toi, sans un nom pesant sur toi.
Et libre, elle l'avait été. Jusqu'à ce que le passé la rattrape, et finalement non, elle n'avait jamais été si libre de son passé que ça.
Alors, il semblait qu'elle allait devoir se débrouiller, faire avec la situation présente en espérant que celle-ci ne lui saute pas à la figure. Ça tombait bien, c'était précisément le genre d'embêtements que devait constamment affronter un Embrouilleur.
