Après plusieurs siècles passés dans la peau d'un Embrouilleur, Gabriel avait contracté quelques petites habitudes étonnamment compatibles avec un état d'esprit militaire. À savoir que vous combattiez avec les moyens du bord, et que vous combattiez afin de gagner, tout le reste n'était que fioriture potentiellement inutile.

Michel perdant son statut d'adversaire ultime du Serpent ? Pas de problème, Gabriel était là – et elle refusait de piquer une crise de nerfs à cette perspective, elle l'avait déjà balancé en Enfer, elle pouvait bien passer à la vitesse supérieure en le zigouillant pour de bon – ou il y avait Cassiel qui mourait d'envie de toucher deux mots bien sonnés à l'Archange déchu, ou si vraiment ils étaient désespérés, Hela ou Castiel servirait de réserve – Gabriel voulait vomir, mais c'était la guerre, et c'était la solution de dernière extrémité, leur joyeuse bande de branquignoles ferait des pieds et des mains afin de ne pas en arriver là.

Pour ce qui était du champ de bataille – pas question de laisser les démons choisir ça. Un terrain pouvait causer une débâcle abjecte ou une victoire retentissante, si une force de trois cents spartiates avait réussi à tenir tête à une armée de plusieurs milliers de perses, c'était principalement car les hoplites grecs avaient campés dans un étroit col de montagne qui empêchait les perses de manœuvrer à l'aise, une fois les spartiates attirés hors de la nasse ils avaient été promptement écrasés sous la masse de leurs ennemis.

Il fallait un champ de bataille si intensément symbolique des forces de la lumière et de l'humanité que ça perturberait instinctivement les démons. Ne jamais sous-estimer la convention narrative, Terry Pratchett avait intuité une grande vérité universelle dans ses romans du Disque-monde.

À titre personnel, Gabriel penchait pour Bethléem – l'emplacement originel en Palestine, l'endroit où le calendrier grégorien suivi par le monde occidental avait atteint le point zéro, la petite bourgade où était né un enfant qui allait impacter la planète entière simplement en suggérant aux gens de s'aimer les uns les autres au lieu de se mettre sur la gueule.

Vu que c'était l'Apocalypse judéo-chrétienne en cours, difficile de trouver mieux sur le plan symbolique. Là où tout avait commencé, tout finirait. Et cela finirait pour de bon, parce que les anges n'accordaient pas de seconde chance, Lucifer avait gaspillé toutes les perches qui auraient pu lui être tendues de toute façon, et l'humanité en avait sa claque de ce conflit qui traînait depuis bien trop longtemps.

Que ce soient les démons ou les anges, un camp émergerait l'ultime vainqueur.