L'autel du campement d'hiver était bien moins impressionnant que l'arbre sculpté de celui d'été. Il s'agissait d'une simple peinture rupestre ornant un renfoncement rocheux au pied d'une petite falaise à moins d'une heure de marche du camp.
Ilinka y avait passé le gros de l'après-midi avec le reste de la famille, à préparer un bûcher funéraire.
Ce dernier assemblé, ils s'étaient préparés, commençant par une toilette à l'eau glaciale d'une rivière voisine, suivie de peintures rituelles au coin d'un feu, allumé afin de leur éviter l'hypothermie pendant que les chamanes traçaient les arabesques sacrées sur leur peau. Ils avaient aussi retiré tous leurs bijoux et ornements, gardant leurs cheveux soigneusement peignés libres et déliés.
Personne n'avait mangé depuis le matin. Même pas les tout-petits. Il était important qu'ils aient le ventre vide.
Doucement, alors que le pâle soleil de ce début d'hiver disparaissait derrière les collines, le reste de la tribu les avait rejoints en silence, vêtus de leurs plus beaux atours et les bras chargés d'offrandes. De la nourriture, des jouets, quelques vêtements, mais aussi de petites statuettes de bois représentant des animaux, des plantes et des hommes stylisés.
Brel'om lui avait expliqué qu'ainsi, Nibod ne craindrait pas l'au-delà, ou – pire encore – regrettant la vie qu'il n'aurait pas l'occasion d'expérimenter, resterait sous forme d'esprit errant. Selon lui, plus une âme était ancienne, plus elle avait eu l'occasion de découvrir la vie, et moins elle risquait de regretter ne pas avoir pu l'explorer davantage. On laissait souvent partir les anciens seulement vêtus de leurs plus beaux vêtements et accompagnés des prières de leurs. Cela suffisait à guider leur âme jusqu'à la Grande Mère. Pour les enfants, c'était plus délicat.
Le petit était mort deux jours plus tôt. Les chamanes avaient laissé un jour entier à Zalinn pour pleurer son fils, puis elles étaient venues le chercher pour le préparer à son ultime voyage. Pendant qu'ils montaient le bûcher, elles s'occupaient de lui.
Brel'om n'avait pas pu lui dire exactement en quoi consistait cette partie du rituel. C'était surtout de la suite qu'il voulait l'instruire.
Si la majorité des familles du clan se placèrent selon l'ordre habituel des reines et de leurs filles dans la lueur du cercle de torches, leurs mâles juste derrière, ce ne fut pas leur cas.
Étant une des aînés avec Jitik et Nood'hal, Ilinka se tenait le plus près du bûcher, chacun tenant un des trois frères survivants de Nibod par la main avec, derrière eux, sagement alignés par ordre d'âge, tous les autres mange-chair de la famille. De l'autre côté du bûcher, dos à la fresque d'ocre représentant la déesse aux six bras éployés, le reste de la famille attendait, Zalinn en avant en compagnie de ses deux époux, et leurs deux fils adultes, trop âgés pour pouvoir être encore considérés comme des mange-chair, juste derrière. Tous deux avaient quitté le nid maternel mais pas la tribu, ayant rejoint celui de leur compagne respective quelques années auparavant.
Ce fut au son d'une corne au meuglement funèbre que le rituel commença, une ode sinistre à la mort et à la perte entonnée par tous en un murmure tonitruant. Puis d'un geste impérieux, Luma imposa le silence, et le petit corps emmailloté serré de Nibod fut amené, porté avec délicatesse par deux chamanes, comme s'il était composé du plus fragile cristal.
Elles le déposèrent sur un autel de pierre bien trop grand pour lui, écartant les pans de tissu avec mille délicatesses, alors que Luma tendait un grand couteau d'opale iridescente à Zalinn. La reine le prit d'une main tremblante et, des larmes incandescentes roulant sur ses joues, s'approcha de l'autel.
Seul le vent soufflant sur la prairie derrière eux était audible, et pourtant, Ilinka aurait pu jurer avoir entendu chaque coupe, chaque incision de la lame dans la chair.
Finalement, Zalinn reposa le couteau avec un tintement glauque et, chancelant un peu, s'avança vers eux, escortée par une des chamanes, qui portait délicatement un plat d'os poli.
Ilinka s'était préparée à la vue du sang. A un spectacle aussi sinistre que celui qu'elle avait découvert en arrivant sur Iridia. Mais il n'en était rien. Pas de sang. Pas de chair pourrissante et bourdonnante. Juste quelques morceaux de viande à peine verte, soigneusement alignés sur le plateau.
Arrivée à leur hauteur, la chamane se retourna, levant haut son fardeau face à la déesse.
« Grande Mère, bénis cette chair. Qu'en nourrissant Tes enfants, le sacrifice de cette larve ne soit pas vain. Qu'en leur chair, sa chair à tout jamais existe. Qu'en leur sang, son sang à tout jamais coule, et qu'en Ton esprit, son esprit à tout jamais soit ! Grande Mère, au-delà de la mort, offre l'immortalité de la vie à cette larve ! » scanda-t-elle, solennelle, avant de se retourner vers eux.
Les premières bouchées furent pour ses frères de couvée. Ceux qui lui étaient le plus proches. Ceux en qui il survivrait le plus. Puis ce fut à leur tour.
Fermant les yeux, Ilinka inspira à fond. C'était comme l'hostie qu'elle avait prise une fois quand elle avait été à l'église pour la messe de Noël avec Véronique. Rien de plus. Juste une hostie un peu étrange. Ici, le corps du sacrifié n'était pas devenu pain.
Après Jitik, ce fut son tour. La chamane lui tendit un petit cube verdâtre. Il ne fallait pas réfléchir. Ne surtout pas penser à qui avait appartenu cette chair.
Elle ouvrit la bouche. Le rituel était beau, dans son fondement. Même s'il était atroce dans sa réalisation.
La viande était froide et un peu dure. Elle avait escompté l'avaler tout rond, mais elle allait devoir mâcher. Plantant ses dents dedans, elle tâcha de se dépêcher.
Elle avait accepté de participer en toute connaissance de cause. Brel'om lui avait expliqué, et elle avait choisi de participer. Elle ne pouvait plus reculer. C'était en toute conscience qu'elle avait accepté de participer à ce rituel alien.
Ne pas réfléchir. Ne surtout pas penser.
Elle déglutit, manquant de s'étrangler. Oui, c'était du cannibalisme. Mais ce n'était pas un acte malfaisant. La tribu pensait qu'en nourrissant les membres de la famille encore capables de digérer des aliments, le défunt continuerait un peu à exister au travers d'eux. Sa chair deviendrait la leur. Son sang, le leur. Une forme d'immortalité par-delà la mort.
Elle qui s'était juré que jamais elle ne mangerait personne, venait de bafouer sa promesse. De la plus belle manière qu'elle puisse concevoir.
Dans ses bras, terriblement solennel pour son âge, Hul'ma avala sa propre part du sacrifice et lui jeta un coup d'œil inquisiteur. Avait-il fait ce qu'il fallait ? Elle lui sourit, malgré les émotions contradictoires qui la traversaient.
A côté d'elle, Noodh'al caressait doucement la tête de Tudan, qui sanglotait tout bas, incapable d'avaler le morceau trop grand pour sa petite bouche.
Elle jeta un coup d'œil au jeune mâle. Combien de fois avait-il déjà vécu ça ? Noodh'al était le dernier survivant de sa couvée. Il avait perdu quatre frères et une sœur. Il avait donc été cinq fois à la place de ses cadets. Et combien d'autres fois encore ?
Elle lança un regard par-dessus son épaule et en eut le vertige, alors que transparaissait, sous les visages grave du reste de la tribu, cette invisible chaîne de cannibalisme rituel. Filiation muette et pourtant tellement tangible entre les morts et les vivants.
Lorsqu'ils eurent tous avalé leur part du sacrifice, la chamane au plateau contourna gravement le bûcher, rejoignant Luma et le couteau d'opale de l'autre côté.
Ne cherchant pas à dissimuler les larmes qui striaient ses joues, Zalinn s'avança la première, prenant la lame d'une main bien plus ferme qu'avant.
« Grande Mère, accepte cette chair offerte ! Divine Mère, que ce sang donné, apaise Ta soif et qu'en Ton sein, Nibod, fils de Zalinn et descendant d'Ipata, trouve la paix ! Qu'à jamais, en Ton sein, il soit le guide et le veilleur de ceux qui restent sur cette terre. Que le sang soit fort et l'esprit droit ! Grande Déesse, je t'en supplie, par le sang et par la chair, bénis cette famille. » scanda-t-elle, alors que d'un geste assuré, elle tranchait de longues lanières de peau sur son avant-bras, laissant son sang inonder le linceul de son enfant.
Respirant doucement pour contenir la nausée qui montait, Ilinka se força à ne pas détourner les yeux, alors que Luma, d'un geste doux mais implacable, forçait la mère éplorée à arrêter, devant presque arracher la lame sanglante de sa paume pour la remettre à Tikan, qui fit de même, suivi de Brel'om et de leurs deux fils adultes.
Le mâle ne le lui avait pas présenté comme ça, mais il s'agissait d'un échange équivalent. La chair des morts nourrissait les vivants, et les vivants offraient la leur à la déesse pour assurer un au-delà serein au défunt. Comme si leurs chairs mutilées pouvaient remplacer celle qu'ils avaient mangée.
C'était abominable, mais d'une manière tolérable. Compréhensible. Ce n'était pas une folie sanglante, irraisonnée et avide. Bien qu'ancrés dans des superstitions auxquelles elle ne donnait pas foi, chaque geste, chaque étape de ces funérailles avait un sens. Une raison d'être.
Aussi barbare que soient les pratiques, elles étaient ancrées dans un amour profond de chacun de ces pratiquants, et pas dans la démence égoïste d'une poignée de psychopathes.
Enfin, la lame d'opale fut reposée et, à gestes doux, les chamanes remmaillotèrent le petit corps estropié, bien serré dans le tissu à présent aussi sombre que les élytres d'un scarabée.
Il fut tendu à Zalinn qui, le berçant doucement, lui murmurant une ultime comptine, le déposa tendrement sur le bûcher, auquel fut bouté le feu alors qu'une nouvelle mélopée funèbre s'élevait.
Alors que les flammes montaient à l'assaut du surplomb rocheux noirci par de précédentes cérémonies, un à un, chacun vint déposer au côté du corps son offrande. Qui un fruit, qui un jouet. Qui un petit vêtement à la taille de Nibod, qui une figurine de samuk.
Puis, sans que le chant mortuaire ne semble vraiment faiblir, ils repartirent, discrètement, humblement, jusqu'à ce qu'il ne reste que la famille et les chamanes, autour des restes calcinés du brasier.
Grach, Hul'ma et Tudan avaient fini par s'endormir, tout comme Iri'kel et les autres jeunes.
Ilinka était restée à veiller, en compagnie de Jitik et de Noodh'al, tandis que Zalinn, Tikan et Brel'om s'assuraient que le feu ne s'éteigne pas avant d'avoir complètement consumé le corps de leur enfant. Ce qui fut le cas peu avant l'aube.
L'horizon se colora de jaune et ce fut comme si la magie se rompait. Comme si elle sortait d'un étrange et sinistre rêve fiévreux, alors qu'elle se découvrait tremblant d'épuisement dans le froid du matin.
L'air apaisé, Zalinn vint réveiller ses cadets endormis et, distribuant caresses et encouragements, incita tout le monde à rentrer pour un petit déjeuner plus que nécessaire et mérité. Ce qu'Ilinka accepta avec enthousiasme. Elle mourait de faim, au point d'en avoir mal aux mains, et n'avait vraiment pas envie de penser aux implications que cela avait après une nuit si pleine d'émotions.
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« Hey, Minus, le commandant te demande. » siffla Kizu'kan, lui faisant signe de se lever.
Perplexe, Zen'kan s'empressa d'obéir. Jamais le commandant Bibkal'mar ne l'avait convoqué en personne.
Le commandant l'accueillit dans son bureau, impeccablement rangé, d'une bouffée âcre d'un genre de pipe.
Zen'kan attendit au garde-à-vous les ordres du seigneur des lieux.
« Repos, guerrier. »
Il obéit.
Le commandant le fixa d'un œil inquisiteur.
« Quel est votre vice, Zen'kan Giacometti ? A part refuser de porter le nom de votre génitrice, bien sûr. »
« Silla est peut-être ma génitrice, mais elle n'est pas ma mère. Je porte le nom de ma mère. » répondit-il, piqué au vif.
Bibkal'mar eut un rictus tordu.
« C'est plutôt audacieux de choisir un nom humain. »
« Je suis fier de porter le nom de ma mère, mon commandant. Elle est humaine, mais cela ne diminue en rien sa valeur en tant que guerrière, ou que personne.»
« En effet. Et vous n'avez pas répondu à ma question. Quel est votre vice ? »
« Je... ne suis pas sûr de comprendre votre question, commandant Bibkal'mar. »
L'intéressé sourit, crachant un nuage de fumée.
« Tous les wraiths qui passent trop temps loin de leur ruche développent des vices. Moi, c'est l'herbe de Malor... » expliqua-t-il, agitant sa pipe. « Et vous ? »
« Heu... je fumais aussi... avant... »
« Mmmh... et vous avez arrêté ? »
« Heu... J'ai plus de... cigarettes, mon commandant. » bafouilla-t-il, traduisant maladroitement en anglais, faute de savoir comment dire cigarettes en wraith – si seulement ce mot existait.
« Et c'est pour ça que vous êtes déprimé, Zen'kan ? »
« Heu... quoi ? » lâcha-t-il – avant de se mordre les lèvres alors qu'il réalisait son manque de respect.
Heureusement, le commandant ne sembla pas s'en formaliser.
« C'est mon travail de veiller sur mes troupes. Kizu'kan m'a signalé qu'un de mes apprentis garde avait soudain des tendances suicidaires. J'aimerais bien savoir pourquoi... »
« Je ne suis pas suicidaire, mon commandant. » protesta-t-il faiblement.
Ce n'était pas un mensonge. L'idée de mourir accidentellement lui paraissait plus désirable que d'habitude, mais il ne cherchait pas activement à mourir, juste à souffrir pour supplanter un peu la douleur de ce conflit mental qu'il ne parvenait pas à résoudre.
Il avait envisagé un temps de s'auto-mutiler, puis il avait réalisé que laisser les autres lui rouler dessus durant les entraînements était un moyen plus efficace d'avoir son lot d'os brisés et de plaies à cicatriser.
Même s'il régénérait, la douleur avait toujours cette douceur apaisante, rassurante, quand elle irradiait de son corps meurtri.
Malgré son démenti, il n'obtint qu'un regard peu convaincu du commandant.
« J'ai besoin de guerriers fiables, plus encore au sein de ma garde... » nota ce dernier, vidant sa pipe dans un cendrier avant la remplir d'une nouvelle dose de bourre.
« Je suis fiable, commandant ! » protesta-t-il.
« Alors, quel est le problème ? » répliqua Bibkal'mar.
« Aucun, mon commandant. » assura-t-il.
Le commandant le fixa longuement d'un œil critique.
« Je l'espère, guerrier. Ni moi, ni aucun de mes officiers n'a eu à se plaindre de vous jusqu'ici, je n'aimerais pas avoir à vous renvoyer au couvain pour manquement à votre devoir. N'est-ce pas ? »
« Absolument, mon commandant ! » approuva-t-il, saluant, horrifié par l'idée d'un renvoi aussi humiliant.
A nouveau seul dans les couloirs, il s'arrêta dans l'ombre d'une alcôve. Il fallait qu'il se reprenne et vite, mais comment ?!
« Le Nabot ? Qu'est-ce que tu fais là ? »
La question de Moustache le fit sursauter, alors que son aîné le fixait, la tête penchée de côté.
« J'ai été convoqué par le commandant. » bafouilla-t-il en verdissant.
Moustache opina gravement.
« Un problème ? »
« Heu... »
Son aîné eut un demi-sourire.
« Si tu veux en parler, viens avec moi, on parlera en marchant. Si tu veux pas parler, tu peux aussi m'accompagner. »
Zen opina, emboîtant le pas au guerrier, qui l'emmena dans les profondeurs du vaisseau, dans une des soutes servant de zone de repos et de rencontre impromptue à bord de la ruche. Là, dans un coin, à l'abri de quelques caisses vides, il découvrit le Rêveur et Paisible occupés à disputer une partie d'échecs wraiths sur le communicateur de ce dernier.
Moustache s'installa sur une cantine voisine et il fit de même, observant en silence la partie, qui se solda par la victoire du Rêveur.
« Ah, le Nabot. Salut. » lui offrit le gagnant.
« Salut. »
« Tu veux tenter ta chance ? » s'enquit ce dernier.
« Non. J'ai jamais su jouer à ce jeu. »
Le Rêveur opina, proposant d'un geste à Moustache – qui refusa d'un mouvement de tête. Il commença donc une nouvelle partie contre Paisible.
Les deux disputèrent encore trois manches, puis Paisible et Moustache s'esquivèrent, l'heure de leur garde venue.
Zen resta donc seul avec le Rêveur, que le silence ne semblait pas spécialement déranger.
« Tu es pensif. » finit tout de même par noter ce dernier.
Il hésita un moment. Il se méfiait un peu de ses aînés. Montrer des faiblesses n'était pas une bonne idée, mais ça faisait des jours qu'il ruminait tout seul dans son coin, sans arriver à rien.
« Ouais. Je me demande ce qu'on vaut. »
Le Rêveur pencha la tête, interrogatif.
« On est des guerriers. Tuer, c'est notre boulot, mais on est aussi des Ouman'shiis. On est censé ne pas faire ce genre de chose. Comment on sait quand c'est bien et quand c'est pas bien ? »
Le Rêveur opina gravement.
« C'est une bonne question. Qu'est-ce qui t'a fait penser à ça ?»
Zen'kan verdit.
« J'ai vidé quelqu'un... l'autre jour et... je sais pas quoi en penser. »
« Mmmh. C'était pendant la mission sur Euralie, c'est ça ? »
« Oui. »
« C'était une situation de combat. Tu as obéi aux ordres. »
« Oui, mais non. Les ordres, c'était de neutraliser les adversaires. Pas de les vider ! »
« C'est un moyen efficace de neutraliser un ennemi. » nota sobrement le Rêveur.
« Oui, mais ce gars, j'avais des tonnes de moyens de le neutraliser sans faire ça. J'ai choisi de le faire. J'ai volontairement choisi de le vider, parce que je voulais le sentir souffrir... C'était pas les ordres, ça... »
« Alors pourquoi l'avoir fait ? » demanda son aîné.
Pas un reproche. Une simple question.
« Avant... avant que je l'attaque, il m'a défié. Il m'a dit qu'il allait me décapiter. »
« C'est une bonne raison de vouloir le tuer. »
« Heu... peut-être, mais c'est pas pour ça que je l'ai fait. Il m'a dit que... qu'il voulait faire des... choses aux enfants qui étaient retenus en otages... qu'il allait les faire souffrir, et que ça le rendrait heureux... Et je sais pas, j'ai comme pété un plomb... Mais j'ai été heureux de le faire souffrir. En quoi on est différents, lui et moi? »
Le rêveur médita ses propos de longs instants.
« J'aurais probablement fait pareil à ta place. Si faire du mal à ces larves était vraiment quelque chose qui le rendait heureux, tu as bien fait de le tuer, et de cette manière. »
« On est d'accord, et je ne regrette pas de l'avoir fait. Mais du coup, moi, en quoi je suis différent de lui ? En quoi ce que j'ai fait est mieux que ce qu'il comptait faire ? Comment je sais que je suis pas un connard qui mérite de crever ? »
« Je ne sais pas. Je suppose que c'est liés aux circonstances. Nous sommes des guerriers. Il est normal pour des guerriers de se battre et de tuer. Et nous sommes des wraiths. Nous sommes des prédateurs. Ce qui est naturel pour nous ne l'est pas forcément pour d'autres. Je suppose que des choses que nous faisons naturellement sont monstrueuses si d'autres les font ? »
« Mais on est des Ouman'shiis. On est censé valoir mieux que ça, non ? »
Le Rêveur prit une fois encore son temps avant de répondre.
« C'est vrai, nous sommes Ouman'shiis, mais cela ne veut pas dire être pacifique ou docile. Encore moins ne plus tuer. Je crois que ça signifie surtout de ne pas le faire par défaut. Mais avec intention. Et pour les bonnes raisons. »
« Hein ? »
« Cet humain que tu as vidé. Tu ne l'a pas vidé juste parce qu'il était là, et que tu en avais envie. Tu l'as fait parce que tu as voulu venger et protéger les larves sans défense auxquelles il allait s'attaquer. Il y avait une intention dans ton geste, et je la trouve louable. »
« Mais je n'étais pas obligé de le vider ! »
Le Rêveur eu une grimace dédaigneuse.
« Tu es un wraith. Il devrait être reconnaissant, car par ton geste, tu as rendu sa mort utile. Non seulement tu as débarrassé la galaxie d'un déchet répugnant, mais en plus, tu lui as donné l'opportunité de se rendre utile en te nourrissant. »
Ce fut à son tour de faire la moue en réfléchissant. Les paroles du guerrier étaient séduisantes, mais étaient-elles seulement vraies ?
« Tu as déjà vidé quelqu'un, toi ? »
« Deux fois. Une fois, partiellement seulement. » regretta-t-il.
« Il s'est passé quoi ? »
« Une balle perdue. »
« Oh. »
Le Rêveur savait donc de quoi il parlait.
« Et tu ne t'en es pas voulu ? »
« Non. Ce n'étaient pas des Ouman'shiis, ni même des innocents. C'étaient des guerriers qui cherchaient à me tuer et, pire encore, à tuer ceux que je devais défendre. Je n'ai rien fait de mal. »
Était-ce vraiment si simple ? Vraiment ?
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« Alors, Dr McKay, ce verrou ? » s'enquit Mullhausen, le successeur de Dickson à la tête de la mission Atlantis.
« Rien à faire, monsieur. La cité quitte Pégase, elle saute. » répondit le scientifique, l'air pincé, alors que Zelenka opinait frénétiquement à côté de lui.
Mullhausen les détailla quelques instants, puis partit en pestant sur la malchance d'être celui qui devrait l'annoncer à la Commission.
Sheppard sortit de son poste d'observation dans les ombres du laboratoire.
« Rodney, vous êtes réellement incapable de désactiver ce verrou ? » s'enquit-il, une fois certain qu'ils n'étaient plus que tout les trois.
Le génie canadien ricana.
« Pfeuh ! Pour qui me prenez-vous ?! Ça fait des années que j'ai reprogrammé ce verrou pour pouvoir l'activer et le désactiver à ma guise ! »
« Pourquoi ne pas le dire ? » s'enquit John.
« C'est vous qui me le demandez, colonel ?! Ronon vous a cogné un peu trop fort sur la tête à l'entraînement ? »
« Rodney... » siffla-t-il en guise d'avertissement.
« Vous avez quand même remarqué que les effectifs ne cessent d'être réduits ? On est passé de douze équipes AR à seulement quatre, le personnel scientifique de la base a été divisé plus que par deux, et maintenant, la cafétéria a des horaires d'ouvertures faute de personnel ! » postillonna le scientifique en retour.
« Et d'après Walter, le SGC subit le même genre de restriction, même si de moindre ampleur. » intervint Zelenka.
« Walter ? » demanda Rodney, perplexe.
« Walter Harriman, le responsable en chef de la Porte au SGC... » répondit Zelenka, les lèvres pincées.
« Ah, le technicien qui appuie sur les boutons ! » siffla McKay avec dédain.
Sheppard jeta un regard à Zelenka, qui le lui rendit. Tous deux travaillaient depuis trop longtemps avec le Canadien génial pour encore relever ce genre de remarque.
« OK, la Défense et la Commission revoient les budgets à la baisse et ça embête tout le monde. Ça ne m'explique toujours pas pourquoi vous, Rodney, vous privez du plaisir de pouvoir vous vanter partout d'avoir neutralisé un programme Lanthien tellement compliqué que même le Colonel Carter s'est cassée les dents dessus. »
Rodney eut un geste dramatique.
« Radek, regardez avec quel genre d'abruti je dois travailler au quotidien ! Colonel, même vous, avec votre intellect limité, vous devez vous rendre compte que la cité est littéralement la chose ayant le plus de valeur que la mission Atlantis ait jamais découvert ? S'ils veulent vraiment, comme je le prédis, fermer le projet Atlantis, ou pire, le SGC, ils voudront récupérer tout ce qui a de la valeur avant ! Et nous savons tous ici que la cité appartient aux Pégasiens. Pas aux Terriens. Ici, elle est utile. Là-bas, ils vont juste la désosser comme une vielle bécane dans une casse... »
Le silence retomba, lourd de non-dits. Ce fut Rodney qui le brisa.
« Et je suis sûr que Sam le sait. Impossible qu'elle n'ait pas découvert les mêmes failles que moi... »
