Suivant les conseils de sa mère, Ilinka expira avant de plonger dans ce vortex qui ressemblait tellement à de l'eau.
Elle eut très froid un bref instant, l'impression que la gravité disparaissait tout en s'appliquant de partout, puis elle se retrouva à trébucher sur un socle d'obsidienne sombre, sur un autre monde.
Rosanna la soutint, l'empêchant de tomber, et resta près d'elle alors qu'elle découvrait une prairie luxuriante qui bientôt laissait sa place à une forêt primaire, semblant courir jusqu'à de distantes montagnes. Aussi loin que portait son regard, le paysage tout entier était couvert de gigantesques stèles de pierre noire dressées vers le ciel.
Plus que l'étrangeté des lieux, ce qui la terrifia fut l'Esprit. Loin d'être sombre et silencieux, il était empli de tant de présences qu'il lui semblait vibrer d'une mélodie plus ancienne que le temps lui-même.
« Maman, on est où ? »
Sa mère eut une petite grimace pincée.
« Ce n'est pas à moi de te répondre, mon cœur. »
Elle allait se tourner vers Delleb, qui les avait précédées de quelques pas, lorsque son regard fut attiré par un mouvement entre les stèles.
Plus silencieux que des ombres, des mâles wraiths approchaient lentement, tâtant le terrain devant eux de grands bâtons sculptés, leurs longs cheveux défaits se confondant avec les genres de robes grises qu'ils portaient.
« Attention ! »
Delleb eut un rauquement amusé.
« Bienvenue sur Iridia, la planète-temple. » déclara-t-elle, leur faisant signe de la suivre.
Rosanna la poussa doucement en avant, et Ilinka devina qu'il valait mieux ne pas traîner.
A sa grande horreur, aucun des wraiths qui les suivaient lentement n'avaient d'yeux. Et ils n'étaient pas nés comme ça. On les leur avait arrachés.
Elle se retrouvèrent donc à la tête d'une procession muette toujours plus importante, et bientôt, une gigantesque statue apparut à l'horizon.
Alors qu'elles approchaient, Ilinka réalisa qu'il s'agissait d'une titanesque reine wraith, assise en tailleur et dotée de six bras déployés autour d'elle, comme une horrible idole barbare. L'endroit était sacrée, mais de la plus abominable des manières, et elle ne put que serrer fort la main de sa mère à la recherche d'un peu de réconfort.
Elles arrivèrent finalement au pied de la statue, lui permettant de découvrir avec horreur que ce qu'elle avait d'abord pris pour des perles sculptées dans les mains de pierre étaient en fait des têtes pourrissantes aux longs cheveux blancs, et que si la statue semblait verte, elle était en réalité taillée dans la même pierre que les stèles et le grand monolithe noire planté devant elle – dont les gravures avaient été rendues illisibles par des millénaires d'érosion. Au pied du monolithe, une vasque était à moitié remplie d'un liquide sombre, gluant et bourdonnant de mouches.
C'était la statue de son rêve !
Ilinka sentit sont estomac se révulser, et c'est à peine si elle eut le temps de se pencher avant de vomir tout son déjeuner sur l'herbe.
A son grand soulagement, Delleb l'ignora royalement, tandis que sa mère l'aidait en tenant ses cheveux en arrière.
Alors qu'elle hoquetait piteusement en s'essuyant la bouche, elle remarqua du coin de l'œil l'antique reine qui, ayant abandonné tous ses vêtements au sol, partait s'immerger dans un bassin d'eau voisin.
Lorsque Delleb eut terminé ses ablutions, un des étranges wraiths en robe lui tendit un drap pour se sécher, et alors que la reine s'enroulait dedans en frissonnant, semblant presque se matérialiser entre les stèles, une seconde femelle apparut.
Ilinka n'avait jamais vu un wraith avoir l'air vieux. Cette reine était au-delà de ça. Elle n'avait pas plus de rides ou d'arthrose qu'aucun de leurs congénères, mais quelque chose, dans son aura, laissait deviner qu'elle était antédiluvienne. En comparaison, Delleb semblait un nouveau-né.
« Bienvenue, mes sœurs. » les salua-t-elle, l'accueillant d'un mouvement de tête qu'elle répéta à l'attention de Delleb.
Rosanna fut ignorée, et cela semblait lui convenir parfaitement.
« Où sont vos sacrifices, mes sœurs ? » s'enquit-elle ensuite, après de longs instants d'un silence épais.
Ilinka frémit, ne pouvant s'empêcher de jeter un coup d'œil aux crânes pourrissants au-dessus d'elles.
Delleb sembla se décomposer, lançant un regard plein d'espoir en direction de l'artiste.
Artiste qui l'ignora royalement, se contentant de sortir de son sac un sempiternel carnet de croquis usé.
C'était la première fois qu'Ilinka voyait Delleb avoir peur. Vraiment peur. Elle sentit l'effroi lui étreindre un peu plus les entrailles.
Qu'est-ce que ça signifiait ?! Qui était cette femelle ? Que se passait-il ? Et où étaient-elles ?
La panique de la grande régente se poursuivit encore quelques instants, amplifiant encore la sienne, jusqu'à ce que l'antique reine l'arrête d'un simple soupir.
« Je suppose que la Déesse pourra se contenter de ton sang, Delleb... Après tout, tu l'as bien servie. »
L'intéressée n'eut pas le moins du monde l'air rassuré, et en suivant son regard, Ilinka devina qu'elle se demandait si sa tête était aussi censée finir dans les mains de la statue.
Sa propre peur monta encore d'un cran. Crainte encore renforcée par le comportement étrange et absent de sa mère qui, s'étant assise en tailleur par terre, s'était mise à dessiner fébrilement.
Aussi, lorsque la prêtresse tourna son regard vers elle, elle ne put retenir un petit glapissement terrifié. Pourtant, ce fut un sourire chaleureux qui lui fut offert.
« N'aie pas peur, ma jeune sœur. La Grande Mère ne te fera aucun mal. Tu es son enfant, après tout... »
« La Grande... Mère ? » bafouilla-t-elle.
« Oui, la Grande Mère, notre puissante et magnifique déesse. » répondit la prêtresse, s'approchant d'elle avec grâce, tout en désignant d'un geste élégant la statue.
« Mais... je croyais que... les wraiths n'avaient pas de... »
« Les mâles n'ont plus de Déesse, mais les reines... Les reines ont toujours précieusement gardé le secret. » expliqua l'antique reine d'une voix aussi douce que terrifiante.
«Oh... »
Elle ne trouva rien de plus à répondre, un peu trop soucieuse de la soudaine proximité des mâles aveugles.
« Ne crains rien, jeune reine. Les prêtres gris sont les servants de la Déesse. Ce sont les sacrifices qu'Elle a décidé de garder vivants. » voulut la rassurer son aînée.
« Qu'est-ce qui est arrivé à leurs yeux ? »
Poser des questions était mieux que de paniquer en silence. N'importe quelle question !
« Aucun mâle n'a plus le droit de poser les yeux sur la Déesse. Ni de Lui adresser la parole sans mourir. Ils ont donc offert leurs yeux et leur langue à Sa grandeur. »
C'était horrible.
« Oh... OK. »
Derrière la prêtresse, Delleb semblait avoir résolu son dilemme et, prenant le long poignard de pierre qu'un prêtre lui avait tendu, elle s'approchait du monolithe en psalmodiant.
Ayant suivi son regard, la prêtresse l'invita à la suivre.
« Viens. Laissons-les faire leurs sacrifices et leurs prières en paix. Je suis sûre que tu as beaucoup de questions. »
Ilinka obéit. Refuser était impensable. L'idée ne lui vint même pas.
Elles avancèrent un moment en silence entre les stèles, tournant le dos à la statue et à ses cadavres.
« Vas-y, parle sans crainte. Ici, il n'y a aucun secret. » l'encouragea la reine-prêtresse.
« Heu... qui est la Grande Mère ? »
« La question la plus difficile de toutes, dès le début ? » sourit l'antique reine. « La Grande Mère est notre Déesse. Celle à qui nous retournons tous à notre inévitable mort. Elle est notre début et notre fin. En Elle, nous existons à jamais. »
« Si les wraiths ont une déesse, pourquoi j'en ai jamais entendu parler ? On m'a toujours dit que les wraiths n'avaient aucune religion. Juste leurs reines.»
« Tu n'en as pas entendu parler, car notre foi est un secret bien gardé par les reines dont tu parles. Et par cette humaine... » nota la prêtresse avec un geste vague en direction de sa mère. « Toutefois, tu dois savoir que ça n'a pas toujours été le cas. Il y a bien longtemps, chaque wraith, mâle ou femelle, jeune ou vieux, connaissait la Déesse et L'adorait. Chacun bénéficiait de Sa force et de Ses dons. Puis certaines, par vanité, par soif de pouvoir, ont voulu garder Ses bienfaits pour elles seules. La Déesse a accepté, tant que Ses adoratrices lui sacrifiaient toujours autant. Alors celles qui sont devenues les grandes reines du peuple wraith se sont mises à sacrifier leurs propres enfants, par centaines, pour étancher la soif de la Grande Mère. Et en échange, ont été bénies de toute la puissance et tout le pouvoir dont elles rêvaient. »
Ilinka frissonna. Elle avait entendu des histoires sur Delleb. Des mystères qui soudain prenaient un tout autre sens.
« Les reines sacrifient leurs propres enfants ? »
« Oui. »
« Même Delleb ? »
« Oh, Delleb est celle qui a le plus sacrifié à la Grande Mère. Non seulement, elle est venue lui offrir ici le sang et la vie de tout son précieux harem, mais elle lui a également sacrifié son trône et sa ruche. »
« Pourquoi faire ? »
« Pour trouver l'étincelle qui serait capable de mettre le feu à la masse moribonde qu'est devenue notre race. Et une fois cet incendie salutaire allumé, pour que la torche qui le répandrait soit façonnée. »
Ilinka s'affaissa un peu. Elle devinait de quoi – ou plutôt de qui – parlait la prêtresse.
« Je... je ne veux faire de mal à personne... »
La reine rit.
« Ma chère sœur, le feu qui dévore la forêt la renforce. Il brûle plantes et bêtes malades, laissant place et ressources aux plus forts. Notre race est vieille et pourrissante, rongée d'idées et de croyances perverties. Nous avons besoin de cela, ou nous allons disparaître, comme un arbre dévoré par les champignons. »
« Et ma mère, qu'est-ce qu'elle a à voir dans tout ça ? »
La prêtresse lui jeta un regard malicieux.
« Si tu parles de ta génitrice, elle n'a rien à voir dans tout cela. Bien qu'elle soit une de nos sœurs, la Grande Mère ne l'a pas jugée digne de savoir. Quant à l'humaine qui t'a élevée, elle n'est qu'un outil au service de la Déesse. C'est la seule raison pour laquelle elle est autorisée à fouler cette terre sacrée. Car elle sait lire les volontés de la Déesse dans les présages qu'Elle lui envoie, et La sert bien. »
La reine ne cessait de lui parler de cette entité comme s'il s'agissait d'une vraie personne, avec qui on pouvait discuter, et interagir.
« Oh, mais la Grande Mère existe. » sourit la prêtresse, qui avait lu dans son esprit. « Elle n'a pas de forme corporelle, comme nous, mais beaucoup d'êtres n'en ont pas. Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils n'existent pas. »
« D'accord... admettons. Pourquoi je suis ici ? »
« Pour être initiée, voyons ! »
« Non, non ! Je refuse. Je refuse de tuer des gens... de faire des sacrifices... ou je ne sais pas quoi ! » se rebella-t-elle, viscéralement.
La reine eut un sourire apaisant.
« Je te l'ai dit tout à l'heure. Comme il nous faut de l'énergie vitale pour vivre, il Lui faut le sang et la force vitale de Ses enfants pour exister. Les reines ont voulu s'approprier tout Son pouvoir. Elles doivent pour cela tuer leurs enfants... » La prêtresse s'approcha d'elle et lui tapota la poitrine d'une griffe. « Mais toi, plus que quiconque, devrait savoir qu'un wraith n'est pas obligé de tuer pour vivre... »
Se retournant, Ilinka détailla la statue qui dépassait entre les stèles.
« Il n'y aurait pas besoin de lui sacrifier des wraiths ? »
« Non. Pas forcément... »
C'était une consolation, mais une maigre consolation.
« Ne t'en fais pas. La Déesse n'attend pas de toi que tu Lui sacrifie qui que ce soit avant longtemps. Tu n'es qu'une jeune larve, certainement pas en mesure de Lui faire une offrande sincère. Comme le jeune mâle qui n'est pas encore imprégné, tu dois apprendre à L'aimer avant de pouvoir La servir.»
Ilinka se sentit un peu comme un condamné à mort. Un condamné à mort qui apprend son sursis. Mais un condamné à mort tout de même.
« Viens, je pense qu'elles ont fini. »
Docile, vidée et la tête bourdonnante, elle suivit.
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Delleb bouillonnait. La Reine-sans-nom était la voix de la Déesse, et nulle ne pouvait la contredire, et pourtant elle y était bien obligée ! La Grande Mère avait été claire dans sa volonté. Ilinka devait être formée. Sculptée. Forgée, telle le métal à peine tiré des entrailles du monde ! Il n'y avait pas temps à perdre !
La jeune femelle pleurait et criait, retenue d'une main de fer par la Reine-sans-nom, qu'elle-même ne pouvait que défier du regard.
« Rosanna Gady, au nom de la Déesse, faites quelque chose ! » finit-elle par siffler, accablée par l'absence totale de réaction de la part de l'humaine à l'annonce de leur congé de la planète – sans Ilinka.
Un long moment s'écoula, percé des suppliques de la princesse, puis enfin l'humaine sembla se secouer.
« Laissez-moi parler à ma fille. »
Pas une demande. Pas exactement. Elle essaya de lire à la surface de l'esprit de l'humaine. En vain. C'était comme essayer de discerner une ombre devant le soleil.
La Reine-sans-nom relâcha Ilinka, qui se réfugia en trébuchant dans les bras de la Terrienne laquelle, la prenant avec douceur par les épaules, s'éloigna un peu, les prêtres gris reculant doucement sous l'impulsion de la Reine-sans-nom afin de leur donner un peu d'intimité.
Delleb se surprit à espérer. Rosanna Gady allait encore faire un de ses miracles incompréhensibles, et elles pourraient repartir avec Ilinka et accomplir la mission de la Grande Mère en poursuivant sa formation !
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« Maman ! Je veux pas rester ici ! Je veux pas ! Tu as vu les têtes ! C'est... horrible ! » sanglota-t-elle, paniquée.
Sa mère la fit asseoir au pied d'une stèle, doucement, et s'assit à côté d'elle, lui tendant un mouchoir sorti de son sac.
Rosanna la fixa longtemps, se mordillant les lèvres nerveusement.
« Tu savais, hein ? » cracha l'adolescente en reniflant.
L'artiste opina.
« Oui, je suis déjà venue ici une fois, il y a longtemps. J'ai eu... des visions... Même aujourd'hui, je ne les comprends pas toutes... La Grande Mère, son secret, même si j'y suis en partie initiée, ce n'est pas le mien. Ce n'était pas à moi de t'en parler. »
« Papa sait ? »
« Non. Il connaît l'adresse d'Iridia. Il sait que c'est une planète proscrite. Que moi ou Delleb y avons déjà été, sans mal, mais que lui mourra, s'il vient ici. »
« C'est pour ça qu'il était aussi inquiet... »
« Oui. »
Elle opina tristement.
« Tu crois qu'elle existe vraiment ? » demanda Ilinka, avec un petit geste vague en direction de la statue, quelque part dans leur dos.
« Oui. Absolument. De la compréhension que j'en ai... Nous, humains, wraiths, tous les êtres incarnés, sommes ici. (Elle agita la main horizontalement devant elles.) Les Anciens et ceux qui ont fait l'Ascension sont quelque part par-là. (Elle agita la main un peu plus haut.). Et la Grande Mère est quelque part... là en-dessous. » expliqua-t-elle, baissant la main.
« En-dessous ? »
« Oui. Markus m'a toujours expliqué que, pour entrer en méditation très profonde, il fallait plonger. Descendre en dessous de la Toile de l'Esprit. Et un jour... (Semblant hésiter, elle fit la grimace, puis inspira à fond comme pour se donner du courage.) Un jour, je suis morte... En vérité, c'était lorsqu'on a grillé les localisateurs qui nous avaient été implantés... La décharge a été trop forte... et je suis morte... Ils ont réussi à me réanimer mais... mon esprit n'était plus là... Mon corps était vivant, mais vide... C'est ce que ton père m'a raconté... Il m'a dit que le Lien n'avait pas totalement disparu. Alors il l'a suivi. Il a plongé, très très profond, et aussi très très loin au-dessus. Et il m'a retrouvée. Je ne me souviens de rien... Mais je crois qu'il a fait très peur à certaines personnes ce jour-là... »
Rosanna s'interrompit un instant, et sourit.
« Je sais pas trop ce qui s'est passé alors. Je crois que parce que je suis à moitié Ancienne, j'ai fait un genre d'Ascension... mais pas vraiment ? Et que parce que Markus est un fils de Silla, il a pu me suivre... Il ne m'en a jamais vraiment parlé, mais je sais que ce jour-là, quand il a plongé loin sous la Toile, il a perçu quelque chose, ou plutôt quelqu'un... Elle existe. »
Ilinka frémit.
« C'est un monstre... »
Sa mère haussa les épaules.
« Je ne sais pas. Elle est... wraith ? Dure, sauvage, brutale sans doute, mais je ne crois pas qu'elle ne soit que ça. »
«Y a des cadavres dans ses mains ! » s'énerva l'adolescente.
« C'est vrai. Mais tu sais quel autre nom, d'autres gens lui donnent ? »
Ilinka hocha la tête négativement. D'une main, sa mère repêcha dans son col le collier que Zen'kan lui avait offert, tout en produisant le porte-bonheur grinnaldien patiné par les ans qu'elle-même portait depuis plus de vingt ans.
« Tuim ?! » murmura la jeune wraith, soudain saisie de la ressemblance entre les deux déesses à six bras.
« Oui. Les Grinnaldiens lui font offrande de leur art, une des rares chose dont les wraiths sont incapables, et pendant des millénaires, elle les a protégés des sélections. Lors des rares sélections visant Grinna, les shamans ont toujours eu des visions prémonitoires, et tout le monde a pu se cacher à temps. C'est sur Grinna que Delleb a reçu l'ordre de m'emmener après ma première visite ici. Et lorsque Markus est venu m'y chercher, et que les Grinnaldiens ont vu de leurs propres yeux que certains wraiths peuvent être bons, ce n'est pas comme sur Oumana un ou deux villages, qui nous ont rejoint. C'est toute la planète ! Dans son ensemble ! Tous les shamans grinnaldiens ont reçu la même vision, la même nuit, et tous les clans, tous les villages sont devenus Ouman'shiis. Du jour au lendemain, juste parce que leur Déesse leur l'avait demandé, ils sont passé d'une haine farouche des wraiths, à la volonté d'en faire leurs frères. Je ne peux pas expliquer un miracle pareil autrement qu'en reconnaissant l'existence de Tuim... »
L'artiste mit côte à côte les deux idoles, si semblables avec leurs six bras stylisés à l'extrême. « Tuim est la Grande Mère. » conclut-elle.
Ilinka se sentait malade. Comme si la réalité même n'était qu'une illusion.
« Et toi, tu acceptes de... servir... un dieu qui tue des gens ?! »
Rosanna eut un petit rire triste.
« Je n'ai pas le choix. Que je le veuille ou non, je ne suis qu'un pion dans un jeu dont j'ignore la plupart des règles. Je préfère collaborer de mon mieux, afin de pouvoir peut-être changer un peu les choses quand cela ne me convient vraiment pas... »
« Des sacrifices hum... wraiths... ça te convient ?! » s'insurgea Ilinka.
C'était ça, au final ? Elle s'en foutait parce qu'ils n'étaient pas humains ?! Elle ne pouvait pas y croire !
« Non, ça ne me convient pas, mais actuellement, il n'y a rien que je puisse faire pour l'arrêter. Pas plus que je ne peux faire que tous les wraiths arrêtent de tuer pour se nourrir. Mais chaque wraith qui devient Ouman'shii, chaque vie humaine épargnée, est une victoire. »
Sa mère lui effleura la joue avec douceur, posant sur elle un regard brûlant d'amour et de fierté.
« Et j'ai l'intuition que toi, tu es celle qui empêchera de nombreuses têtes de rejoindre les mains de cette statue... »
« Comment ? Si toi, ou Delleb, vous ne pouvez rien faire, comment je suis censée le faire ? »
« Je l'ignore, mon cœur. Mais je suis certaine d'une chose. La Grande Mère n'a pas manigancé tout ça depuis je ne sais combien de siècles, pour en rester là. Je ne sais pas ce qu'elle attend de toi, mais je sais que plus vite tu accepteras de l'écouter, plus vite tu pourras passer à autre chose. Tu comprends ? »
« Tu me demandes de rester ici ? Avec... eux ? »
« Oui. C'est terrifiant, je sais. Et je suis désolée... J'aimerais tellement pouvoir rester avec toi... Mais... »
« Mais c'est pas possible... » conclut-elle à la place de sa mère, qui opina. « Et si je deviens un monstre ? »
« Tu ne le deviendras pas. »
« Comment tu peux en être sûre ? » demanda-t-elle, retenant avec peine un sanglot terrifié.
« Parce que, toute Déesse que soit la Grande Mère, elle ne peut prendre que ce que tu lui donnes. »
« Tu me promets qu'après, je pourrai rentrer à la maison ? »
« Je te le promets. Et je te jure, et Elle sait que je suis sérieuse, que si quiconque essaie de t'en empêcher, il aura à faire à moi, et aucun endroit dans cet univers ou tous les autres ne sera assez lointain pour m'en empêcher. »
Ilinka frémit. Les mots de sa mère avaient résonné comme une prophétie. Quelque chose de presque tangible.
« OK. Je vais le faire... mais, je peux avoir un câlin ? »
« Bien sûr. »