CHAPITRE 2 - UN COLIS INATTENDU

Après le départ de Nell, Ysée entreprit de prendre ses quartiers dans son nouveau logis. En bonne cat-sitter qu'elle était, elle commença d'abord par prendre connaissance des informations importantes concernant Siam. Elle repéra donc l'endroit où se trouvait son carnet de santé en cas de problème, le gros conteneur plastique avec ses croquettes ainsi que la quantité à lui donner et ses jouets. Après avoir épinglé d'un aimant sur le frigo la feuille de route, la jeune femme fit le tour du propriétaire au niveau de la cuisine pour localiser les différents ustensiles dont elle aurait besoin pour plus tard.

Enfin, elle attrapa sa valise et monta les marches. Tout aussi lumineux que le rez-de-chaussé, l'étage jouissait d'un puits de lumière central dans le plafond qui éclairait la grande mezzanine desservant les autres pièces. C'était ici que se trouvait le panier et le bel arbre à chat de Siam qui alla s'y percher après avoir suivi sa nouvelle maîtresse par intérim.

Ysée poussa la porte la plus au fond à gauche, celle de la chambre de Nell que cette dernière lui prêtait gracieusement. Elle déposa sa valise dans un coin et apprécia le bel espace qui s'offrait à elle. Accroché au mur en face du lit, un immense écran plat affichait une image d'un tableau en attendant d'être utilisé comme télévision.

« Autant prendre ses marques tout de suite. Connexion à Stream'it. Nom d'utilisateur Ayulun. »

L'écran réagit à la commande et se connecta au service de vidéos en ligne tandis qu'Ysée attrapait son téléphone pour entrer son mot de passe. Un instant après, la page d'accueil fit défiler les affiches de nombreux films et séries.

« Bonjour, Ysée. Voulez-vous reprendre votre dernier visionnage en cours ? proposa une voix affable depuis la télévision.

_ Non, pas encore. Rappelle-moi où j'en étais ?

_ Votre dernier visionnage remonte à six jours. Il s'agissait de Longest Promise, épisode huit. Désirez-vous un résumé ?

_ Ça ira. Passe plutôt sur E-music en mode aléatoire, toute playlist confondue.

_ Avec plaisir. »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le service streaming s'effaça pour laisser place à la musique. Ysée sourit avec satisfaction. Il y a pas à dire. La domotique par reconnaissance vocale était vraiment pratique. Comment les gens faisaient-ils avant de pouvoir tout commander par une simple demande orale ?

Entraînée par ses chansons préférées, la jeune femme s'attela à ranger ses affaires tout en se trémoussant en rythme. Nell avait eu la prévoyance de lui laisser deux grands tiroirs d'une commode et une tringle entière de son dressing qui était assez grand pour contenir toute la garde-robe d'une star.

Après avoir rangé ses vêtements dans la chambre puis ses affaires de toilette dans la belle salle de bains ivoire voisine, Ysée redescendit au rez-de-chaussée pour s'emparer de l'autre gros sac qu'elle avait apporté avec elle.

« Et le meilleur pour la fin... » trépigna-t-elle avec joie.

Elle s'affala dans le canapé et sortit avec précaution un casque de réalité virtuelle blanc à l'épaisse visière opaque. À cette époque, cet accessoire était aussi commun dans tous les foyers qu'un ordinateur dans les années 2010 et avait même fini par supplanter les consoles de jeux vidéos ainsi que les PC gamers les plus redoutables. Aujourd'hui, jouer avec un clavier et une souris représentait le summun du rétro.

Casque en main après l'avoir branché sur secteur pour le recharger, Ysée arpenta le salon en promenant ses yeux clairs sur le moindre meuble.

« Où es-tu, Saint Graal ? »

Enfin, l'objet de son désir apparut dans son champ de vision : la box internet à la fibre ultra rapide. Elle cilla de surprise en découvrant un petit mot laissé sur la boîte noire laquée.

« Le mot de passe est : PenseànourrirSiamentredeuxsessionsdejeu2038 ! »

Ysée gonfla les joues avant de sourire d'abandon. S'il n'y avait plus vraiment besoin de mot de passe aujourd'hui pour connecter les appareils au wi-fi d'un foyer, elle était persuadée que Nell aurait été du genre à le personnaliser de la sorte rien que pour la charrier.

Après une pression sur le bouton à l'arrière de la box, Ysée alluma son casque et appuya sur un autre bouton avant de regarder ce qui s'affichait sur ses verres opaques. « Détection d'un nouveau réseau ». Quelques secondes après, les verres confirmèrent la nouvelle connexion.

« Paramètres. Panneau de configuration vidéo, commanda-t-elle en enfilant le casque. Ajustement de l'acuité visuelle. »

La jeune femme se renversa dans le canapé pour prendre ses aises. La dernière fois qu'elle avait dû corriger la qualité d'image de son casque pour sa myopie, elle en avait eu pour longtemps et elle avait toujours repoussé cette corvée depuis des semaines. Là, elle avait le temps, alors autant en profiter. Bénie soit la personne qui avait intégré cette fonction en pensant aux infortunés porteurs de lunettes.

En grande perfectionniste qu'elle était, Ysée prit soin à régler avec le plus de finesse possible ses nouveaux paramètres visuels afin de profiter au maximum de ses prochaines rencontres vidéoludiques. Quand elle reposa son casque sur la table basse, l'heure avait bien tourné. En ce moment même, Nell devait être confortablement installée dans le luxe de sa classe affaires en direction de Detroit. Tant mieux pour elle car les longues heures de...

Ses pensées s'évanouirent au son du carillon qui servait de sonnette. Ysée se leva et se dirigea vers la porte d'entrée pour se pencher vers l'écran accroché à côté. Via la caméra installée au portail extérieur, elle vit un homme en tenue de travail qui attendait.

« Bonjour ? le héla-t-elle en activant l'interphone. C'est pour quoi ?

_ Une livraison pour madame Wiley.

_ D'accord. Je vous ouvre. »

Elle s'exécuta et ouvrit la porte pour accueillir le livreur avant de se figer. Alors qu'elle s'attendait à réceptionner un simple colis, la jeune femme fut abasourdie de voir l'homme aidé d'un collègue en train de sortir une énorme caisse haute de près de deux mètres. Elle observa d'un air interdit les deux hommes tracter leur chargement à l'aide d'un diable jusqu'au perron et le premier livreur lui tendit une tablette numérique.

« Signez en bas. Où est-ce qu'on le dépose ?

_ Euh... Attendez, c'est quoi, exactement ? bredouilla Ysée qui ne voyait même pas le second homme caché derrière la caisse.

_ Une livraison de CyberLife. »

Maintenant qu'elle prenait le temps de regarder, elle remarqua le logo de la firme imprimé plus bas sur le conteneur. La surprise d'Ysée s'amoindrit quand elle comprit. Nell travaillait majoritairement à domicile et quand elle n'était pas occupée à remplir des pages et des pages de descriptions comportementales, elle réceptionnait les androïdes chez elle afin de les tester dans un environnement plus normal. Ce colis devait être un robot à vérifier suite à une énième demande de correction. Cependant, Nell n'avait pas mentionné une possible livraison avant de partir...

« Vous permettez un instant ? » quémanda Ysée en attrapant son téléphone.

Quelques sonneries plus tard, la voix moqueuse de Nell ressortit au bout du combiné.

« Déjà ? Que se passe-t-il ? Le wi-fi n'est pas aussi rapide que prévu ?

_ Pas vraiment. Je voulais juste savoir où est-ce que je demande à faire ranger une caisse de deux mètres sur un ?

_ Quoi ? »

Après une courte explication, Ysée s'inquiéta du silence auquel elle se heurta. Les imprévus. La bête noire de son aînée.

« N-Nell... ?

_ Passe-moi le livreur. »

L'homme parut aussi incrédule que son interlocutrice quand cette dernière lui tendit son téléphone. Il le mit à l'oreille et aussitôt un flot de paroles ulcérées grésilla depuis les enceintes.

« J'y suis pour rien, se défendait le livreur avec mauvaise humeur. C'est l'informatique qui nous a... Non, je vous assure que non. Oui, j'en suis certain. » Il grogna et reprit à Ysée la tablette qu'il lui avait donnée. « Attendez, je reprends la demande. »

Ysée le regarda balayer plusieurs écrans avant de s'arrêter pour lire ce qui devait être un ancien e-mail.

« Ah, voilà. C'est bien marqué « à partir du 11 »».

Nouveau long silence puis l'homme rendit le téléphone à Ysée en même temps que la tablette pour signer. Il fit signe à son collègue et tous deux s'affairèrent à emmener la caisse à l'intérieur. La jeune femme s'effaça pour leur céder le passage et les observa se diriger vers la pièce du rez-de-chaussée qui servait de bureau à Nell. Elle reprit la communication.

« Alors... ?

_ Alors ta grande sœur est une idiote qui n'est pas fichue de mettre une bonne date dans ses messages d'absence. Mon doigt a dû riper et j'ai mis que j'étais absente à partir du 11 et non le 1er. Les joies des grosses entreprises avec les informations qui retombent en cascade...

_ C'est rien, ça arrive, sourit Ysée. Et puis, ce sera un bon point de départ pour engager une conversation avec Tristan pendant ses looooongues heures ennuyeuses. Tu t'es mise à côté de lui, au moins ?

_ Toi alors... »

Ysée pouffa.

« Du coup, faut-il que je joue aussi les nounous pour ton nouveau cobaye humanoïde ? »

Il y eut un silence que Nell mit quelques instants à briser.

« Qu'est-ce qui est marqué sur le bon de livraison ? »

Sa cadette scanna l'écran des yeux.

« Hmm... Euh... Je vois « SP700 ». Je ne connais pas cette référence. »

Nouveau bref silence.

_ Normal, c'est un prototype.

_ Oh. Il servira pour quoi ?

_ Beaucoup de choses, mais il a une future vocation d'aide sociale. »

Ysée pensa aussitôt à un androïde destiné au soutien des personnes en situation délicate comme les retraités ou les personnes handicapées. Le gouvernement parlait de plus en plus de faire appel aux créations de CyberLife pour palier la pénurie de personnel privé pour assister les plus fragiles, notamment avec la population de plus en plus vieillissante. Il n'était alors guère étonnant que la société s'attarde sur un type de machine bien ciblé.

« Si tu veux, tu peux le mettre en marche, proposa Nell sur le ton de la conversation.

_ Hein ? cilla sa sœur, étonnée. Pourquoi faire ? Je n'y connais rien et tu dis que c'est un prototype. S'il n'est pas fiable... »

Nell balaya tout de suite ses craintes. Elle savait à quel stade de développement était cet androïde. Son système jouissait déjà de tous les modules comportementaux essentiels qui lui permettaient d'interagir aussi naturellement qu'un humain. Ses améliorations ne concernaient que le cœur spécifique de sa fonction finale.

« Autrement dit, tu n'auras pas de mauvaises surprises. Rien ne t'oblige. Mais c'est vrai que d'un côté, ça serait intéressant d'avoir une approche non-psychologique de l'étude de son comportement... poursuivit Nell, plus pour elle-même d'une voix pensive. Bref, si tu tentes le coup, je serai très curieuse de tes retours.

_ Je ne sais pas. Je ne suis pas trop bien placée pour savoir si un comportement est assez social ou pas, tu sais, gloussa Ysée avec gêne. Allez, je ne t'embête pas plus. Désolée de t'avoir dérangée et bon voyage avec Tristan chéri. »

Son aînée la salua une dernière fois avant de raccrocher. Les livreurs revinrent peu après en tirant leur diable à présent vide.

« Désolée pour ce contre-temps, s'excusa Ysée en signant la tablette du bout du doigt. Merci et bonne journée à vous. »

Les deux hommes la remercièrent à leur tour et s'en allèrent pour la suite de leur tournée.

Après quelques instants flottants adossée contre la porte d'entrée, Ysée se dirigea vers le bureau dont la porte était restée ouverte.

Voici donc la pièce la plus personnelle et remplie de la maison. Les murs étaient couverts d'étagères toutes remplies d'ouvrages qui portaient sur la psychologie, le comportement, les émotions, la pensée et toute autre évocation du psyché humain. Une réplique grandeur nature du Penseur sculptée par Rodin trônait près d'un sofa à la forme de S ondulé qui n'était pas sans évoquer un canapé de psy. Ysée était persuadée que Nell s'y allongeait de temps en temps quand elle avait besoin de réfléchir au calme.

Sur le vaste bureau en angle, de nombreux cahiers côtoyaient des livres de développement personnel ainsi que des diagrammes aux si nombreuses arborescences que certaines se poursuivaient sur quatre pages scotchées les unes aux autres. Nell faisait partie de ses rares personnes qui ressentaient le besoin d'utiliser le papier pour poser ses idées.

Oui, sans cette énorme caisse laissée en plein milieu de l'espace, cette pièce respirait la réflexion et le calme studieux. Même Siam qui avait été intriguée par l'arrivée des livreurs avait quitté sa mezzanine pour renifler avec curiosité ce nouvel objet imposant à l'odeur inconnue.

Ysée baissa les yeux sur son téléphone qui venait de biper sous l'arrivée d'un nouveau message. C'était Nell.

« Au cas où, tu auras besoin de quelques données à l'allumage :
Connexion administrateur : NW0433718900AT
Mot de passe : TP01HJDD55
Demander changement utilisateur (donner ton nom)
Ne pas valider de profil
Je te laisse le choix de son nom :) »

Elle tordit un peu la bouche dans une grimace. Pourquoi sa sœur était-elle aussi enthousiaste à l'idée de lui faire tester son prototype ?

Quoique. Ce n'était pas si étonnant, en fait. Nell ne respirait que pour son travail et rien ne la rendait plus heureuse que quand elle donnait « vie » à un nouvel androïde, à défaut d'un enfant. Elle avait toujours été très consciente de ses choix de vie et le cœur qu'elle mettait pour donner à ces êtres factices un semblant d'humanité pouvait être vu comme celui d'une mère qui apprenait la vie à son enfant. Nell était heureuse et fière de son travail et ne rougissait jamais d'avouer qu'elle considérait les androïdes comme des êtres à part entière. Elle les traitait avec le même respect qu'un autre être humain.

Peut-être était-ce ça. Peut-être que Nell voulait montrer à sa petite sœur le fruit de ses heures de travail acharné et de son manque de vie personnelle. Elle voulait partager avec elle ce qu'elle aimait.

« On peut au moins l'ouvrir, ne serait-ce que pour virer cette caisse. »

Après avoir déposé Siam sur le siège de bureau pour ne pas être gênée, Ysée débloqua les loquets de la caisse et l'ouvrit.

Dans un matelas de mousse spéciale dormait un androïde à l'apparence d'un beau jeune homme brun aux cheveux légèrement ondulés et au visage serein figé d'un faux sommeil. D'environ vingt-cinq ans d'apparence, il portait un ensemble simple composé d'un tee-shirt gris brodé de son numéro de série et d'un jean foncé. Au premier abord, il aurait été aisé de le confondre avec un vrai être humain si Ysée avait ouvert sans savoir.

Elle l'observa avec attention, à la fois fascinée et dérangée. Jamais elle n'avait eu l'occasion d'apprécier les détails d'un androïde d'aussi près et elle n'avait pas remarqué à quel point ceux-ci jouissaient d'un tel souci de réalisme.

« C'est dingue... souffla-t-elle en se penchant plus près. Il a des cils encore mieux fournis que moi... »

Même la texture de sa peau avait l'air plus vraie que nature, sans parler de ses cheveux qui avaient de quoi figurer dans une publicité pour du shampooing.

Un miaulement discret de Siam qui reniflait l'intérieur de la caisse fit redresser la curieuse à l'équerre. Elle s'ébroua et haussa les épaules d'un air détaché.

« Oui, tu as raison, Siam. On se demande pourquoi ils avaient besoin de lui donner un look de mannequin s'il sert juste à faire la cuisine et le ménage pour une personne diminuée, bougonna-t-elle. Peut-être pour inspirer confiance... »

Sur ce, elle referma la caisse sans un autre regard pour son occupant. C'était vraiment intimidant. Et puis, à quoi ça lui servirait d'avoir un androïde dans les pattes ? Elle pouvait se gérer toute seule.

Ysée tourna les talons vers la sortie du bureau. Hélas, sa démarche perdit en rapidité pas après pas, ralentie par la pression d'une pensée stupide : son cerveau ne parvenait pas à se défaire de l'image d'un cadavre enfermé dans un cercueil derrière elle. C'était plus fort qu'elle. Elle avait beau ne pas être particulièrement fan des androïdes, leur réalisme physique était tel qu'elle voyait toujours un être humain à travers eux. Et un être humain enfermé dans une caisse n'était pas une chose normale pour elle.

« Foutu cerveau terre-à-terre. »

Elle fit demi-tour, rouvrit la caisse et guetta l'androïde immobile. Elle n'avait aucune idée de comment le faire fonctionner.

« Peut-être comme la domotique ? Euh... Mise en marche ? »

Un faible sursaut la secoua en voyant la petite LED illuminer la tempe droite de l'androïde. Elle ne l'avait presque pas vue à cause de ses cheveux qui manquaient de la cacher.

« Bonjour. Merci de confirmer votre identité », demanda-t-il sans autre mouvement que celui de ses lèvres.

Sa voix avait une tessiture agréable à l'ouïe, jeune et douce. Elle semblait venir d'un comédien de doublage si ce n'était pas là le fruit d'une voix générée par IA particulièrement inspirée.

Ysée attrapa vite son portable et récita les codes de connexion laissés par Nell. La diode vira au bleu quelques secondes.

« Connexion administrateur authentifiée. Bonjour, Nell.

_ Changement utilisateur ? murmura Ysée du bout des lèvres.

_ Certainement. À qui transmettez vous les droits temporaires ? »

Elle eut un blanc et se mordit la langue.

« Y... Ysée. Ysée Wiley.

_ Demande enregistrée. Quel profil souhaitez-vous activer pour cette session de test ? »

Nouveau coup d'œil au message de Nell. Elle avait dit de ne pas configurer de profil. De quel genre de profil aurait-il pu s'agir ?

« Pas de profil.

_ Demande enregistrée. Souhaitez-vous accéder au mode personnalisation ? »

La jeune femme cilla, le regard soudainement pétillant d'envie. S'il y avait bien un mot qu'elle aimait, c'était celui-ci. Personnalisation. Elle était capable de passer des heures entières sur les écrans de création de personnage des jeux vidéos auxquels elle jouait. L'angle du nez, l'écartement des yeux, la longueur des cheveux... Chaque détail était pensé et magnifié à l'extrême. Alors si on lui donnait l'occasion de faire de même dans la vraie vie...

« V-Vraiment ? Je peux ? Oh oui !

_ Veuillez choisir la couleur des cheveux grâce au bouton LED tactile situé sur ma tempe. »

Celui-ci clignotait. Ébahie, Ysée approcha lentement la main et lissa le pourtour dans les sens des aiguilles d'une montre. À ce contact, les cheveux charbon de l'androïde se nuancèrent vers le châtain de plus en plus clair. Un autre quart de tour les éclaircit ensuite vers le cendré jusqu'au blond nordique.

Elle entrouvrit la bouche d'extase. La technologie avait vraiment de multiples formes de génie.

« C'est... C'est trop bien, s'émerveilla Ysée en testant toutes les nuances possibles. Les nouveaux modèles androïdes auront-ils tous un jour une personnalisation aussi poussée ? »

Après avoir apprécié la large palette de choix qui s'offrait à elle, la jeune femme resta sur un châtain moyen qui s'harmonisait bien avec la couleur de peau de son avatar concret et confirma son choix.

Sa joie disparut ensuite dans une exclamation de surprise quand l'androïde ouvrit tout à coup les paupières, dévoilant des yeux bruns qui, bien que dirigés droit sur Ysée, demeuraient lointains et creux.

« Veuillez choisir la couleur des yeux grâce au bouton LED situé sur ma tempe. »

Elle ne bougea pas tout de suite puis se risqua à un geste devant les yeux du robot. Celui-ci ne réagit pas, signe qu'il n'était pas encore pleinement éveillé. Ysée s'en doutait bien et pourtant... Cet humanoïde était certes aussi inerte que le mannequin d'un magasin, son visage était bien trop vivant pour ne pas la perturber.

La jeune femme caressa une nouvelle fois la diode et fit défiler les nuances des iris pour s'arrêter sur un joli vert piqueté de noisette. Quitte à avoir un visage de beau gosse, autant pousser le vice jusqu'au bout, non ?

« Pfff... C'est n'importe quoi, soupira-t-elle avec un faible rire. En fait, je parie que c'est juste pour ça que Nell m'a proposé ça. Couleur d'iris confirmée.

_ Merci. Pour finir, quel nom souhaitez-vous me donner ? »

D'abord saisie par le doute, elle finit par se pincer les lèvres pour s'empêcher de rire. Même à son âge, elle n'était jamais la dernière pour un peu de bêtise gamine. Son côté amoureux des RPG objurguait cette hérésie rôliste à laquelle elle était en train de songer. Elle avait honte.

« Et après avoir passé trois heures à créer l'avatar le plus badass, elle l'affubla du prénom ridiculement débile de Marc-Eustache juste pour faire une blague à sa...

_ Souhaitez-vous confirmer le prénom de Marc-Eustache ? »

Ysée tressaillit, blême, et secoua les mains.

« N-Non ! Non non non, je confirme rien du tout ! C'était une blague, d'accord ? On recommence ? »

Le regard fixe et vide du robot ne vacilla pas face à la panique qui s'agitait face à lui.

« Très bien. Quel nom souhaitez-vous me donner ? » réitéra-t-il de sa voix douce et posée.

La jeune femme s'apaisa avec un soupir de soulagement avant de contempler le résultat de sa création. Cet androïde était certes encore creux par l'absence de sa réelle conscience, il n'en demeurait pas moins une belle figure à contempler. Et puis, elle était une adulte, tout de même. Un peu de sérieux.

Quel nom siérait le mieux à cet être à la fois humain et irréel ? Pas un prénom commun, c'était sûr.

Ysée erra au gré de ses pensées qui finirent par s'arrêter dans un recoin de son esprit. Elle sourit doucement, amusée par la coïncidence qu'elle venait de remarquer.

« Reis. »

La petite LED clignota.

« Merci. Chargement du programme et vérification des systèmes en cours. »

Et ses paupières se refermèrent comme les ailes d'un papillon.

Nageant entre rêverie et confusion, Ysée patienta pendant de longues minutes à guetter Reis qui semblait endormi pendant que tournoyait de bleu la diode sur sa tempe. Elle finit par se lever quand elle réalisa que le processus risquait de prendre du temps. Peut-être que le fait ne pas avoir défini de profil lors de l'allumage demandait plus de ressources à paramétrer.

Elle s'étira longuement. En attendant, elle aussi avait un programme qui l'attendait.


Ca y est, les deux protagonistes sont dans la place, il est temps de vraiment commencer.

En créant Reis, j'avais en tête pour son visage quelque chose de très simple et doux dans ses traits. Une sorte de mélange entre Luke Newton (pour la beauté simple) et Timothée Chalamet (pour l'air toujours un peu rêveur qu'il affiche).

Reste à voir comment l'émulsion va prendre entre les deux.