Bonjours à tou(te)s,
Les premiers chapitres de cette fiction prennent place après CATWS et Black Panther. Une connaissance basique d'Agents of SHIELD vous facilitera la tâche !
Bonne lecture.
Disclaimer : Almost none of it is mine bruh.

Raging

Chapitre 1 : La bulle

Il était dix heures. Le tarmac était vide, à l'exception des deux Atlas Cheetah de l'armée de l'air sud-africaine, froids et laissés à l'abandon, et d'un jet démilitarisé, chaud et prêt à partir.

Aussitôt arrivée, aussitôt partie, se dit Reese en admirant les plaines et les pics des toits de Johannesburg. Elle n'avait jamais le temps de visiter les pays dans lesquels on l'envoyait, peu importe ce que croyaient les gens sur les pilotes. En tant que contractuel civil ou paramilitaire, la plupart de ses voyages finissaient par une prise de vue du tarmac, un lever ou un coucher de soleil. Elle aurait bien aimé faire un safari, voir un match de rugby ou rencontrer Mandela... Bon, pour ça il lui aurait fallu en plus un voyage dans le temps. Mais l'idée était là. Encore une fois, elle se contenterait d'une photo et d'une bonne bouffée d'air frais avant de repartir.

Encore fallait-il que le paquet arrive.

Être pilote indépendant signifiait que Reese pouvait se permettre de ne pas s'en faire pour la cargaison qu'elle transportait, matérielle ou humaine. Le plus souvent, des pièces importantes à apporter de toute urgence à l'autre bout de la planète, ou des scientifiques peu fortunés attendus à la conférence de leur vie. Des avions plus ou moins gros, selon les besoins. Ce jour-là, il s'agissait d'un jet de taille moyenne, contenant jusqu'à 20 personnes et un container plein. Rapide et léger, voilà ce qu'était le contrat.

Il s'agissait toujours d'affaires légales. Elle ne souhaitait pas tremper dans les embrouilles - la tranquillité de vie et d'esprit étaient un luxe. La cargaison était donc «réglo», bien que parfois un peu spéciale.

Le copilote arriva et lui fit signe, suivi par l'équipe de militaires qu'elle était chargée de ramener à Phoenix. Une dizaine de soldats, deux portant une glacière noire. Dans une ambiance bon enfant, ils la saluèrent avec des haussements de sourcil et des petits sourires. Elle frappa dans ses mains et leur fit signe de monter à bord. Tous semblaient être passés dans un sèche-linge à pleine puissance. Les douze heures de vol n'en seraient que plus calmes, pensa-t-elle en grimpant dans le cockpit sous les yeux blasés de son copilote.

‒ Peters, je suis votre copilote aujourd'hui, dit-il d'une voix morne.

‒ Reese Guerin. J'ai cru comprendre qu'on m'avait donné un binôme. Dure journée ?

‒ J'ai vu pire.

Il lui lança un regard entendu, et elle put y lire TOP SECRET en grosses lettres rouges lumineuses. Sans un mot de plus, elle enclencha les moteurs et quelques mètres de piste plus tard, ils étaient dans les airs.

Une fois l'avion stabilisé, elle passa en commande automatique et sortit de sous son siège un petit calepin et un crayon, et nota l'heure du décollage. Peters lui lança un œil curieux.

‒ C'est ça, l'organisation de la retraite, pour un pilote freelance ?

‒ Les jobs au lance-pierre, c'est toute une stratégie, répondit-elle avec un hochement de tête.

‒ Et ça paye bien ? Sans vouloir être indiscret...

‒ Quand un client peut se permettre les services d'un pilote et louer un avion, la rémunération est plutôt agréable. Vous par contre, vous n'allez pas me rapporter grand chose.

‒ Pas assez de rendement au poids ?

‒ Les organismes civils payent mieux que les militaires.

Après deux cafés et une pause toilettes, il fallut admettre que les grains magiques n'allaient rien faire contre la somnolence qui gagnait Reese. Peters n'avait pas l'air de s'en faire pour ce qui était des commandes, alors elle se faufila sur une couchette dans le couloir menant au reste de l'habitacle, seule et au calme. Elle programma sa montre pour sonner une heure plus tard et ferma les yeux.

Elle commençait tout juste à trouver le sommeil, quand une violente secousse la remit sur ses pieds. Elle se précipita dans le cockpit où Peters, en sueur, se battait avec les commandes.

‒ Je comprend pas, l'avion a commencé à décrocher, expliqua-t-il les dents serrées.

‒ Ne lâchez pas les commandes tout de suite, on va essayer de remonter le plus haut possible le plus vite possible...

‒ Je vous ai appelé, vous étiez dans le coma ou quoi ?

‒ Je ne pensais pas que vous feriez chuter un semi-supersonique à huit kilomètres d'altitude en troposphère !

‒ J'ai l'air d'avoir fait ça ?!

‒ Je reprends la main, allez dire à vos hommes de s'accrocher, ça ne va pas aller mieux !

Elle s'assit et boucla sa ceinture, puis entreprit d'effectuer les manœuvres pour élever l'appareil, tandis que Peters disparaissait dans l'avion. Elle entendit les voix inquiètes des soldats s'élever les unes au dessus des autres.

Ses mains moitirent sur le levier de commandes, et la sueur perla sur sa nuque. Le radioaltimètre indiqua dix kilomètres au dessus du sol, signifiant qu'ils avaient passé le pire en pénétrant dans la tropopause, mais les courants jets faisaient tanguer l'appareil.

Les voix devinrent des cris affolés dans l'habitacle, et elle sursauta.

‒ Peters ?! Qu'est-ce qui se passe ? Peters ?!

Celui-ci tomba sur le chambranle de la porte, comme une marionette sans fils, l'air hagard. Elle le regarda tomber en morceaux, dévoré par des gravats noirs et de la cendre, et poussa une exclamation lorsque l'épaisse fumée noire bloqua sa vision et envahit ses poumons.

Paralysée, elle resserra sa prise sur le levier et toussa, et cracha aussi fort que possible, mais la fumée sembla avoir son propre objectif, celui de se glisser dans ses narines et sa bouche, et de se frayer un chemin jusqu'à ses organes. Elle cligna des yeux, et l'air était juste assez clair pour qu'elle voit son corps se couvrir de noir comme Peters.

‒ Non! N... Oh m...Dieu...

Elle n'eut le temps de rien dire d'autre quand la terrible fumée finit de remplir sa bouche. Elle n'entendit que les alarmes hurlantes tandis que l'avion piquait, puis plus rien.


« C'est pas amusant de tourner en rond, n'est-ce-pas ? »

Daisy Johnson eut droit à un regard vide et un haussement de sourcil, avant que son interlocuteur ne se remette à frapper dans le punching ball d'un seul poing. Après plusieurs semaines de semi-silence, elle en avait l'habitude - Il n'était pas bavard. Personne ne pouvait le lui reprocher, étant donné que James Buchanan Barnes était plutôt un «prisonnier en liberté» qu'un vrai agent, dans le Playground du SHIELD.

‒ Je ne suis pas vraiment du genre à être réveillé sans but, répondit-il après un temps de réflexion.

‒ Quoi, vous avez déjà fait le tour de tout ce que Fitz vous a filé à regarder ? On vous paye un super abonnement à Netflix, pourtant.

Elle blaguait. Bien sûr qu'elle blaguait. Elle et quelques autres agents étaient assez détendus autour de lui pour se permettre de le traiter comme un homme. Peut-être parce qu'ils avaient le pouvoir de le mettre hors d'état de nuire, si besoin.

‒ Je n'ai jamais été très cinéma. Tu veux la place ?

‒ Non, je suis juste passée pour...Vous êtes attendu là-haut.

‒ C'est aujourd'hui?

‒ Je pense. Mais il n'y a pas de raison de s'inquiéter, tout le monde a exprimé un avis favorable...

‒ Fitz sursaute à chaque fois que je le croise.

‒ Fitz est...Fitz.

Bucky débanda sa main, hochant la tête.

‒ Merci.

‒ Pas de quoi.

Cela faisait presque trois mois qu'il se trouvait réfugié au SHIELD, à l'écart des détracteurs et des chasseurs de tête. À la demande de Steve Rogers, il fut placé sous la surveillance de Phil Coulson et de ses agents, et n'avait absolument rien fait depuis.

Bien sûr, il ne souhaitait pas jouer aux héros, et le monde n'était pas prêt à lui pardonner tous ses péchés. Mais il mentirait s'il disait ne pas avoir espéré être utile. Au lieu de ça, seules les séances d'entraînement en solo et les heures de réhabilitation psychologiques remplissaient son planning journalier. Il aurait préféré rester sous cryogénie au Wakanda, mais une exfiltration rapide avait été nécessaire quand le trône de T'Challa fut révoqué au profit de son cousin. La situation n'était pas encore propice à son retour.

Il toqua, et la porte du bureau du directeur s'ouvrit sur l'agent May. Elle le regarda de haut en bas et lui fit un signe de tête pour qu'il entre. Il leva les yeux vers le mur du fond sur lequel était projeté, en deux mètres sur trois, le visage de Captain America. Pas Steve, son ami, celui qui soupirait lorsqu'il lui tendait la boîte à thé, trop haute pour lui à l'époque. Son ami Steve était enterré très loin sous des couches de responsabilité et la fatigue de la vie de hors-la-loi. Il se permit tout de même un demi-sourire et un «Salut, Buck», puis reprit son masque de fermeté. Le directeur Coulson était plus détendu, malgré sa raideur habituelle. Bucky resta debout en face de lui, les mains dans le dos, les pieds légèrement écartés dans une position millimétrée.

‒ Sergent Barnes, j'espère que vous avez passé une bonne matinée.

‒ Jusque là, Monsieur.

Tout dépendra de ce qui va suivre, s'empêcha-t-il d'ajouter.

‒ Le capitaine Rogers et moi avons longtemps discuté de votre réhabilitation, et bien qu'en désaccord sur beaucoup de points... - Il leva des yeux amusés vers l'écran - ...Nous sommes arrivés à la conclusion que vous garder au sein du SHIELD était dans votre meilleur intérêt pour le moment. Cela dépend également de vous, et je comprendrai vos réticences, vu votre expérience passée auprès de notre organisation. Sachez aussi que vous pouvez choisir de participer à nos activités dans une certaine mesure. Je ne vous garantis pas les missions les plus délicates, mais vous n'aurez plus à dévaster notre inventaire de sacs de sable. La question est de savoir si vous voulez en être investi.

Réhabilitation. Missions. Investi. Ça sonnait bien mieux que de rôtir dans la salle de gym et regarder toutes les films du catalogue Netflix.

‒ Bucky, tu n'es pas obligé de faire quoi que ce soit qui te mette mal à l'aise. Tu dois avant tout penser à toi.

La voix avait repris quelque chose de Steve, et il s'attendait presque à se retourner pour découvrir le petit homme pâle aux yeux incendiaires qui lui venait souvent en rêve. Il laissa un sourire transparaître.

‒ Il faut que je fasse quelque chose de mon temps, en attendant de pouvoir finir de nettoyer ce que j'ai dans la tête.

‒ Tu fais le bon choix, Bucky.

‒ Bienvenue dans nos rangs, sergent Barnes.

‒ Merci, Monsieur.

Ils allaient se tourner vers Rogers, lorsque Daisy ouvrit la porte à la volée.

‒ Monsieur, on a un problème !

Coulson et Steve échangèrent un regard entendu, puis l'écran devint noir, sans un signe pour Barnes. À la place, une carte du monde et les coordonnées d'un objet volant « S.P.O.084 » s'animèrent, pour s'arrêter au milieu de l'Atlantique.

‒ On a perdu la liaison avec l'équipe de Peters, le signal de détresse a été reçu il y a quelques minutes, expliqua rapidement Daisy, en pianotant les doigts sur sa tablette. Voila tout ce qu'on a récupéré de la caméra embarquée dans les lunettes de Peters.

L'image saccadée d'une épaisse fumée noire réduisant une dizaine de soldats en cendres dans l'habitacle d'un avion sursauta devant eux, puis du flou, et soudain de la lumière, une femme aux commandes qui regarde l'objectif, l'air horrifiée, et dans le brouhaha des cris de douleur, un hurlement avant le néant.

‒ Les coordonnées GPS indiquent précisément le point d'impact, mais c'était il y a déjà plus d'une heure, et le temps d'y aller, on n'y sera pas avant au moins six heures, expliqua Daisy.

‒ Prenez un Quinjet et prévenez une équipe de secours au plus près de la zone, je fais mon possible pour dépêcher un escadron de recherche adapté à la catastrophe. Il faut qu'on écarte les autorités qui viendront se présenter. Barnes ?

Il décolla les yeux de l'écran et croisa le regard du directeur.

‒ Préparez-vous, votre première mission de sauvetage se passera avec Daisy. Décollage dans quinze minutes.

‒ Oui, Monsieur, firent les deux nommés en cœur, avant de sortir et de courir vers le hangar.

‒ La fumée, c'était quoi ? Demanda Barnes sans s'essouffler.

‒ C'est ce qui se passe lorsqu'on brise un cristal terrigène Kree, normalement ils sont fait pour transformer les inhumains mais... Sur ceux qui n'ont pas le gène Kree...

‒ Je vois. Kree, hein ? Alien ? Comme toi ?

‒ C'est à peu près ça.

Elle se posa aux commandes et entra les coordonnées d'arrivée, tandis que lui enfilait une veste que lui tendait un réserviste, et qu'un autre stockait des produits de premier secours dans les compartiments du Quinjet.

‒ L'équipe de Peters était censée récupérer une caisse qu'on avait localisée à Johannesburg, continua-t-elle. Ils avaient fait le plus dur, ils ont repris la caisse à un vendeur sans grande violence, pourtant.

‒ Qu'est ce qui aurait causé ça ? Une mutinerie ? Ou un problème technique ?

‒ Ce n'était pas un de nos avions, donc je n'ai aucun moyen de savoir si l'engin avait un souci ou non, mais crois-moi, on n'avait que des bons agents dans cette équipe.

Les réservistes lancèrent un « go ! » et sortirent, et Daisy verrouilla immédiatement la trappe et le cockpit, puis enclencha les gaz.

‒ Alors quelle est la mission, récupérer les cristaux restants ?

‒ Et comment, en plongeant dans l'océan pour récupérer la boite au fond ?

Le regard que lui rendit Barnes en dit long, et elle perdit pied un instant.

‒ Tu veux dire que tu as vraiment la capacité physique de...? Non, une équipe de recherche va s'occuper de ça avec des machines et des mini sous-marins et des trucs à la Titanic, enfin c'est comme ça que je me le suis toujours imaginé...

Daisy porta son attention devant elle dans un silence gênant, puis secoua la tête.

‒ Tu comptais vraiment plonger et récupérer ça sous l'eau ?

‒ Pas de cristaux, et visiblement les corps vont être difficiles à récupérer, alors notre mission c'est quoi ? Coupa-t-il, ignorant délibérément sa question.

‒ En théorie, il n'y a pas de survivants, mais si par hasard il y en avait ne serait-ce qu'un...

Elle le regarda avec éloquence et il comprit. Ils étaient à la recherche d'un possible élu. Il existait une chance sur un million que dans cet avion, ignorant et à présent désemparé, se soit trouvé un inhumain dormant.


Du bleu. Du bleu à perte de vue, du bleu et le silence, et l'odeur de sel et le feu du soleil.

Reese n'osait plus ouvrir les yeux. La première fois qu'elle l'avait fait, elle était sous l'eau, le corps piégé dans un cocon de granite noir, et elle voyait l'épave de son avion couler et les corps se dissoudre au milieu des remous. Elle s'était battue pour sortir de sa camisole rocheuse, et quand tout ce qui en restait fut un buste et une jambe, elle entreprit de nager vers le monde sec, avant que ses poumons n'explosent. Elle n'avait pas vu la fin de son périple, sombrant à nouveau dans les ténèbres avant la bouffée d'air salvatrice.

La deuxième fois qu'elle ouvrit les yeux, toute l'eau qui avait trouvé logis dans ses poumons décida de se faire la malle. Elle roula sur le côté et cracha, le nez encombré, la panique de ne pas pouvoir reprendre son souffle la prenant par le cœur. Elle tâtonna du dur sous elle, œilla le morceau d'épave sur lequel elle avait atterri. Ses yeux devaient la tromper, car tout ce qu'elle voyait était de l'eau, et de l'eau, et de l'eau. Et le soleil qui réagissait avec le sel pour créer un masque de feu sur son visage, et du sang dans la bouche, et oh Seigneur oh pourquoi, pourquoi avait-elle si mal au bras ?

La troisième fois qu'elle se résigna à voir, elle fut aveuglée par la lumière et le remous des vagues lui donna envie de vomir. Il paraissait que voir le remous était pire que de le sentir, quand on avait le mal de mer. Elle pouvait confirmer. Elle n'osait plus bouger et l'eau était froide, ses vêtements collés à son corps et son dos trempé, baignant dans la mer, et elle sentait qu'elle avait perdu une chaussure. L'autre était imbibée d'eau et elle aurait aimé avoir la force de l'ôter.

T'aurais ptet' dû acheter des Geox, chanta une voix railleuse au fond de son crâne. La chaussure qui respire ! Et qui ne laisse pas entrer l'eau ! T'aurais eu un pied au sec.

Elle imagina son autre chaussure, au fond de l'océan, habitée désormais par une famille de Bernard-l'hermite.

Elle imagina des requins. Elle imagina Martin Brody, des Dents de la Mer, sur son radeau de fortune, la regarder se faire déchiqueter par un grand blanc en lui intimant qu'il lui aurait fallu un plus gros bateau. Elle pensa à Peters et son visage ravagé par la fumée, et se demanda pourquoi elle avait survécu.

Et à quoi ça servait, vu là où t'en es, ajouta la voix. Ptet' que mourir dans le crash aurait été une meilleure fin. T'aurais jamais imaginé finir bouffée par un requin, hein ? Enfin, t'aurais jamais imaginé que ça pouvait arriver un jour. Ou alors séchée comme une tranche de bacon vieille de trois jours sur un bout de rafiot. Au moins les mouches viendront pas te bouffer, mais les poiscailles...

« La ferme. La ferme, oiseau de malheur, qui que tu sois, d'où que tu viennes dans mes souvenirs, la ferme ! »

Elle pensait l'avoir dit tout haut et aussi clairement qu'un présentateur radio, mais ses mots n'étaient en réalité que des petits sons sans consonnes, car ses lèvres étaient trop sèches et douloureuses pour articuler. Cligner des yeux aussi était douloureux, alors elle se dit qu'elle ne les ouvrirait plus. Il n'y avait plus rien à voir.

Quand elle n'eut finalement plus la force de hurler ou de pleurer, elle resta immobile, laissant l'adrénaline s'envoler, attendant que la mort la prenne. Peu à peu, la journée avança et la température descendit.

Elle y était presque, elle le sentait, mais quelque chose l'empêchait de partir en paix. Le soleil avait décidé de revenir pour la rôtir avant le grand final, et la chaleur était aussi forte qu'un sèche cheveux en pleine figure.

Le soleil faisait le même bruit qu'un sèche cheveux dans la figure.

Alors, brisant sa promesse de mort aveugle et paisible, elle ouvrit les yeux pour la quatrième fois et observa avec une curiosité passive le gigantesque homme de métal qui tombait du ciel.


‒ On arrive sur position, Barnes ! J'amorce la descente...

James Barnes reboucha la bouteille d'eau dans sa main et la reposa dans le bac à ses pieds, puis alla se rasseoir à la place du copilote, scannant l'immense marée de bleu sous le jet. Cela faisait bientôt sept heures qu'ils étaient partis, et le soleil se coucherait dans deux heures. Ce qui signifiait qu'ils n'avaient pas bien longtemps pour trouver quoi que ce soit.

‒ Les données géographiques sont précises ? Demanda-t-il en observant l'eau.

‒ à un kilomètre près, et on arrive tout juste sur zone, mais la mer est calme alors l'avion ne devrait pas avoir dérivé trop loin...

‒ On ne trouvera pas l'avion, il est déjà englouti. Il faut qu'on trouve un remous, une tâche dans tout ce bleu...

‒ Comme ça ? Coupa-t-elle en pointant du doigt un petit point noir.

‒ Exactement.

Ils volèrent jusque là, et aussi distincte qu'une punaise sur un mur blanc, une femme se trouvait là, flottante sur l'eau avec un bras sur le ventre et les jambes écartées, le visage en sang et une chaussure en moins.

‒ Barnes, stationnez l'avion, je desc... Hé !

Daisy n'eut pas le temps de se lever de son siège, que Bucky avait déjà déroulé la corde noire de la bobine au plafond de l'appareil, et actionné l'ouverture de la trappe à ses pieds. Il passa sa main humaine et son pied dans deux triangles soudés au treuil.

‒ Stabilise l'appareil et remonte-nous quand je te donnerai le go !

‒ Quelqu'un a besoin de se défouler, blagua-t-elle en enclenchant la stabilisation.

‒ Tu n'as pas idée.

Il appuya sur le dérouleur et se laissa tomber par la trappe, descendant rapidement à l'aide de la bobine.

Il avait les yeux braqués sur elle et se demanda si elle était morte, ce jusqu'à ce qu'elle entrouvre finalement les yeux, un air fatigué mais aussi exaspéré sur le visage. Il connaissait cet air-là. Il se l'était plusieurs fois lancé dans le reflet de la vitre de sa chambre cryogénique d'HYDRA, au réveil. T'es encore en vie, toi ? Tu pourrais pas juste crever, et on n'en parle plus ?

Elle sembla retrouver une étincelle de conscience et finalement un peu d'espoir, et lorsqu'il arriva sur elle, bras métallique tendu, elle poussa une exclamation derrière des dents fermées et, comme si le sol sous elle s'était effondré, elle s'enfonça dans l'eau d'un coup. Bucky poussa un juron, et les pieds en avant, il lâcha la corde et plongea lui aussi pour pouvoir la récupérer. Son oreillette grésilla au contact de l'eau, il la retira d'un geste, puis attrapa la jeune femme par la chemise pour la remonter. Ils percèrent la surface et il attrapa le treuil à la volée, trouva le triangle avec son pied, et tira trois fois sur la corde pour donner le signal. À l'aide de son bras bionique, il plaqua la jeune femme contre lui, et elle enroula son bras autour de lui avec la ferveur du survivant, respirant bruyamment. La trappe du Quinjet se ferma derrière eux et il posa enfin pied par terre, et aussitôt amena la rescapée sur le lit de fortune qu'on réservait aux blessés.

Daisy le poussa gentiment hors de son chemin et se connecta immédiatement à l'équipe médicale au sol pour effectuer les manœuvres de premier secours. Prétextant la pudeur, il la laissa couper les vêtements mouillées de la jeune femme et alla s'asseoir dans le siège du pilote, désactivant la stabilisation pour rentrer à la base. Elle entendait sa partenaire du jour essayer de rassurer la rescapée, tandis que l'agent Simmons lui ordonnait de «palper les membres pour tout signe de gonflement». Au bout d'une quinzaine de minutes, elle revint s'asseoir à côté de lui et soupira.

‒ Elle est en vie. Elle est en vie et à part un bras cassé et une déshydratation extrême, j'imagine qu'elle va bien.

Bucky comprit très clairement le sous-entendu et hocha la tête.

‒ C'est une inhumaine ?

‒ C'est une inhumaine.


Reese se réveilla au son fracassant d'une porte qui claque, et sursauta. Ses yeux embrumés discernèrent une seule porte dans la pièce dans laquelle elle se trouvait, et ce n'était qu'une vitre coulissante. Elle avait sans doute simplement rêvé.

Le bip monotone du cardiogramme indiquait qu'elle était en vie, et cela malgré tout ce qu'elle avait imaginé la dernière fois qu'elle s'était réveillée. À présent, elle était au sec, et la lumière était tamisée, et sa peau n'était plus un masque salé et irritant. Elle n'avait plus mal au bras, mais à vrai dire elle n'avait plus mal nulle part, plus aucune sensation. Jetant un regard à son bras, elle s'entendit lâcher un petit ricanement devant la perfusion de Fentanyl et laissa retomber sa tête sur l'oreiller. Elle n'avait absolument aucune idée d'où elle était et comment elle avait atterri là, mais la drogue faisait suffisamment effet pour qu'elle s'en foute complètement.

Elle avait soif, cela dit. Depuis combien de temps n'avait-elle pas bu ? Combien de temps avait-elle passé seule au milieu de l'Atlantique? Et puis dans ce lit d'hôpital? Il devait bien y avoir de l'eau quelque part, se dit-elle en relevant la tête et elle passa en revue la pièce.

En effet, il y en avait, là sur la tablette, à peine plus loin qu'une longueur de bras, un verre qui l'attendait à moitié plein. Elle n'avait plus qu'à l'attraper. Avec précaution, elle glissa tout à gauche du lit et pria pour ne pas basculer, puis tendit le bras pour attraper le verre. Il lui aurait fallu un deuxième avant-bras. Elle n'avait jamais remarqué que ses bras étaient aussi courts.

‒ Allez... De l'eau, allez ! S'énerva-t-elle dents serrées, les doigts tellement tendus qu'elle risquait la crampe. Et juste au moment où elle allait abandonner, la plus étrange des choses se produisit.

Comme un chien ayant vu le postier arriver par la fenêtre, le liquide dans le verre se mouva sur le bord et commença à grimper pour glisser jusqu'à l'extérieur, telle une boule de gelée. Reese arrêta de respirer et, la main toujours tendue, elle regarda se dérouler la petite chose jusqu'à ce que l'eau effleure la phalange de son majeur. Le contact la sortit de sa transe et elle sursauta, et l'eau tomba à terre en une flaque tout à fait régulière. Elle leva la tête et regarda alentours, s'attendant à voir quelqu'un la pointer du doigt en riant, à côté d'un cameraman et d'un présentateur de gag show gominé. Mais non, il n'y avait personne dans la chambre ou derrière la porte vitrée et l'eau du verre avait bel et bien coulé toute seule. Elle reporta son attention sur la flaque et son reflet dans celle-ci.

Génial, t'as toujours soif, railla la voix dans sa tête.

À peine eut-elle pensé ces mots que la flaque se mouva à nouveau, cette fois-ci décollant du sol en un stalagmite, puis elle roula dans les airs en une boule, jusque devant les yeux de la jeune femme.

‒ Ce n'est pas...Normal, constata-t-elle lentement, la voix enrouée. Et à chaque mot, la surface de la boule vibra, comme si le signal verbal la parcourait en ondes. Elle se mit à jeter des « ah » et de « oh » pour évaluer le phénomène, puis une image lui revint en mémoire: La mer, bleue à perte de vue, et elle, flottant au dessus, sur un bout d'avion qu'elle pensait ne pas arriver à voir sous elle. Mais peut-être qu'elle ne l'avait pas vu parce qu'il n'y avait rien à voir. Peut-être avait-elle flotté sur la surface comme sa voix flottait sur la boule d'eau, induisant de petites vaguelettes. Peut-être même fallait-il qu'elle se rende à l'évidence que...

‒ C'est moi qui fait ça.

L'eau vibra comme pour acquiescer, et un léger « paf » la fit se tourner vers la porte. Une autre masse d'eau s'était écrasée contre la vitre et glissait à présent dans l'interstice pour se faufiler dans la chambre. Reese sortit de son lit, ôta avec précaution l'intraveineuse de son avant-bras, mais laissa la sonde cardiaque sur son doigt de la main droite et marcha lentement vers le centre de la pièce où l'eau venait la rejoindre, comme un chien bien élevé. Elle s'accroupit, ressentant une douleur infime dans le ventre ‒ merci Fentanyl ‒ et avança la main gauche pour caresser la boule d'eau, qui s'était accouplée au contenu du verre. Elle tendit la main, paume vers le haut, et la boule y reposa, vibrante entre ses doigts. Elle lâcha un petit rire, et des papillons secouèrent ses tripes. Drogues douces, que ferais-je sans vous ? Se demanda-t-elle en remuant la main autour du globe, s'attendant à ce qu'il tombe au lieu de flotter comme il le faisait. Elle se releva en tenant l'eau en lévitation, et l'admira quelques minutes, jusqu'à ce qu'elle sente une petit goutte s'écraser sur son front et rouler sur son nez. Elle l'essuya lentement et leva la tête pour voir d'où venait la fuite, et l'air se bloqua dans sa trachée.

Le plafond était recouvert d'eau, de l'eau dont elle ignorait la provenance, de l'eau qui stagnait en une couche épaisse, et descendait le long des murs, et commençait à se tisser comme une toile d'araignée dans les coins. Ça, elle ne pensait pas que ça venait d'elle. Elle entendit le cardiogramme s'énerver et vit littéralement son cœur paniquer sur les trémolos à l'écran, et la sphère d'eau qui volait tout à l'heure devant elle comme un animal de compagnie explosa soudain, lui tirant un cri et un geste de recul. Sa vision de l'extérieur de la porte était floutée par la quantité d'eau qui s'étirait sur la vitre. Trois silhouettes apparurent, et la porte brisa en morceaux, et l'eau s'enfuit en un feu d'artifice tournoyant dans la chambre.

‒ Aidez-moi ! Cria-t-elle tandis que l'eau frôlait ses jambes, tapait contre les murs et les vitres et rebondissait partout dans un brouhaha chaotique. Elle discerna une jeune femme, qui tentait de lui crier quoi faire, mais elle n'entendait rien à part les coups de l'eau contre les surfaces et les bips intempestifs du cardiogramme. Un petit homme pointa quelque chose à un homme plus grand, qui hocha la tête et courut dans la chambre en direction des appareils. Reese n'eut pas le temps de voir ce qu'il faisait, car d'un coup, son corps ne répondit plus et ses jambes se dérobèrent sous elle.

C'est un cauchemar, pensa-t-elle alors qu'elle heurtait le sol violemment, l'arrière de son crâne rebondissant sur le béton. Les yeux grands ouverts, elle sentit tout son corps se contracter, et fut prise de violentes secousses, tous ses muscles voulant se réveiller et s'agiter, y compris sa langue, et ses jambes, et même son bras endolori. Elle se sentit glisser hors de son contrôle, et toute l'eau du plafond et des murs tomba d'un seul mouvement sur le sol avec fracas. Un corps était apparu dans la fraction de seconde qu'il fallut à l'eau pour atteindre le sol, et elle revit le même éclat brillant de métal que celui de l'hélicoptère. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites et elle sentit l'eau s'agiter autour d'elle, et n'entendit plus rien à part le bruit des gouttes et quelques mots près de son oreille.

«…. Si...lmez pas...devoir...ommer...entendez ? »

Son dos arqua et elle s'entendit essayer de crier sans y parvenir, puis elle vit une main. Et le noir.


‒ Aaah l'eau, l'eau va, il faut débrancher les appareils, elle va s'électrocuter!

Leo Fitz pointa du doigt le cardiogramme affolé et les étincelles qui sortaient déjà des prises derrière le lit, et Bucky hocha la tête et courut aussitôt pour aller les débrancher. Il tira sur les câbles, arrachant la prise du mur, et se tourna au son d'un corps heurtant le sol pour voir la jeune femme convulser sur le sol mouillé. Elle s'arrêta un instant et ses yeux s'écarquillèrent, et il vit l'eau se décoller du plafond comme des ballons de fête sans filet. Il glissa sur le sol et la couvrit de son corps, bras de métal en l'air, et il la vit rouler des yeux et convulser de nouveau. La plaque d'eau le heurta comme une dalle de béton, et il plia sous la force du choc, le souffle coupé. Sonné, il risqua un œil vers Fitz et Simmons, qui n'osaient pas le rejoindre à cause des projectiles dans la pièce, et se tourna vers la rescapée pour lui parler.

‒ Hé ! Si vous ne vous calmez pas, je vais devoir vous assommer! Vous m'entendez?

Elle s'éleva soudain du sol et un son guttural sortit de sa gorge, alors il prit sa décision. Il lui donna un coup sur le côté du crâne, du plat de la main, et elle tomba inerte, tout comme l'eau qui tournoyait dans la pièce. Il resta quelques secondes la main en l'air, puis tourna la tête vers les deux scientifiques tétanisés.

‒ Dites-moi que c'était une bonne idée.

‒ C'était...

‒ Ben...

‒ ...Pas une si mauvaise idée, je crois. Simmons ?

‒ On va la remettre sur pied en un rien de temps !

Bucky soupira et les aida à remettre la jeune femme sur le lit, puis ils la déplacèrent dans l'une des unité de confinement à disposition, sous le contrôle de deux autres agents. Ils eurent à peine le temps de se sécher, que l'agent Melinda May se présenta à eux pour un débriefing musclé.

‒ Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour qu'elle transforme sa chambre en aquarium ?! Demanda-t-elle d'un ton sévère. La base fuit de tous les côtés !

‒ Eh bien, il semblerait qu'elle ait, comme tout autre inhumain jusqu'à présent, découvert ses pouvoirs immédiatement à son réveil, commença Simmons.

‒ Oui, continua Fitz, on a récupéré les images de la caméra de sécurité pour voir ce qui s'est passé, et...

‒ Elle a paniqué, finit Bucky. Elle ne s'est même pas rendue compte de ce qu'elle faisait.

Derrière eux sur l'écran de l'ordinateur, Les images montraient et remontraient Reese Guerin, debout dans la salle de réveil, appelant à l'aide les mains sur les oreilles, visiblement terrorisée. May hocha la tête, la mâchoire serrée.

‒ Barnes, pourquoi étiez-vous là ? Demanda-t-elle soudain et Bucky fut momentanément à court de mots.

‒ C'est ma première mission de sauvetage depuis... 1944, au moins. Je n'avais rien d'autre de prévu, alors je me suis dit que j'irai la voir.

‒ Et on a discuté dans le labo, jusqu'à ce qu'on voit la moitié des échantillons liquides léviter jusqu'à sa chambre, intervint Fitz, les bras croisés sur son torse.

‒ Très bien, je vais en informer Coulson. Gardez-là sous surveillance et dès qu'elle se réveille, appelez Daisy.

Ils hochèrent tous la tête. En vérité, Bucky était venu voir la jeune femme, mais il était resté avec Fitz pour discuter de sa prothèse en vibranium. Ça, l'agent May n'avait pas besoin de le savoir, car elle pourrait en tirer de mauvaises conclusions. Les hommes et leurs jouets.

‒ Je vais montrer ça à Daisy pendant que les tests sont en cours, annonça Simmons avant de partir elle aussi.

‒ Je devrais aller surveiller la euh...

‒ Laisse, coupa Bucky, je vais y aller. J'ai rien d'autre à faire de toute façon.

Sans attendre de réponse, il se dirigea vers les salles de confinement. Un ingénieur fit un faux mouvement, et son calepin vint heurter son bras gauche. Le « clang » du métal retentit dans le couloir et l'ingénieur s'immobilisa, les yeux fixés sur le visage de Bucky. Visiblement terrorisé. Celui-ci baissa les yeux, se racla la gorge, et continua son chemin, les dents serrées.

Il y avait des réputations dont on se passerait bien.


« Peters... »

Bucky leva les yeux vers Reese et la vit ouvrir les yeux. Ses bras tressautèrent contre les liens qui la tenaient attachée au lit. Il alla à côté de la porte et appuya sur le bouton d'appel, puis se rapprocha du lit.

« L'eau... »

Elle ouvrit les yeux et ses pupilles cherchèrent de droite à gauche, et le cardiogramme s'affola.

‒ Vous êtes en sécurité. Il faut que vous restiez calme, dit-il d'une voix qu'il aurait voulu douce, mais qui claqua comme un fouet. Il avait besoin de plus d'entraînement.

‒ Peters est mort ? L'équipe... Ils sont morts ?

‒ Votre avion s'est crashé dans l'océan, on vous a récupérée. Il n'y avait plus que vous.

Le bip du cardiogramme était toujours bruyant, mais la lumière était faible et à part la douleur dans son bras et derrière la tête, elle n'avait aucune raison d'être inquiète. Elle était saine et sauve.

Sauf qu'elle se rappela de la petite sphère d'eau flottant dans les airs.

‒ Je ne voulais pas... Tout à l'heure, l'eau... Qu'est ce qui s'est passé ?

‒ Je ne suis pas le mieux placé pour vous expliquer ça, mais quelqu'un arrive.

‒ ...Vous êtes vachement rassurant, dis donc.

Il était peut-être trop tôt pour les missions de sauvetage, finalement, se dit-il. Il était bien trop radical de passer de tueur de sang froid à sauveteur volontaire. Il n'avait pas l'empathie, ni le ton, ni le savoir faire pour ce genre de petites discussions. Bien sûr que non, il n'était pas rassurant, parce qu'il n'était pas rassuré non plus.

«C'est vous, l'éclat brillant.»

Il reporta son attention sur elle et vit qu'elle avait les yeux fixés sur sa main gauche, la seule partie de sa prothèse visible sous le shirt à manches longues qu'il portait.

‒ Pardon ? Fit-il tout de même, ne sachant comment répondre.

‒ Vous êtes celui qui m'a récupérée. Vous étiez dans l'hélicoptère et dans la chambre, n'est-ce-pas ?

‒ ...Oui.

‒ Vous êtes super loquace.

Il ne savait pas s'il devait le prendre mal ou pas, mais elle n'avait pas l'air hostile ou même méchante. Elle avait juste l'air de vouloir se rassurer. D'après ses propres expériences, être attaché à un lit avec des aiguilles dans le corps était loin, très loin d'un week-end idéal.

‒ Quelqu'un va arriver.

‒ Vous l'avez déjà dit, dit-elle les yeux fixés au plafond, plus pour lui faire remarquer que pour le taquiner.

‒ Le docteur Simmons est très douée...

‒ Je fais voler de l'eau. Par la pensée. C'est bien ce que c'est, je... Je fais voler l'eau. Par la pensée.

Bucky ne répondit rien, les mains derrière le dos, le regard fixé sur le pied du lit d'appoint.

Elle émit un rire nerveux et se mordit la lèvre pour s'empêcher de parler ou de pleurer. La porte s'ouvrit à cet instant et Bucky relâcha la respiration qu'il avait bloqué depuis trente secondes. Il alla se placer au fond de la salle de confinement et laissa la place au bord du lit à Simmons et Daisy. Le directeur Coulson entra également. Toute une délégation pour une survivante qui n'était pas membre du SHIELD.

‒ Mademoiselle Guerin, je suis Phil Coulson, directeur du SHIELD, et voici l'agent Daisy Johnson et le docteur Simmons. Vous avez déjà rencontré l'agent Barnes.

Elle jeta un œil à Bucky et il réalisa qu'il ne s'était pas présenté. Mauvaise habitude. Il devrait apprendre à réutiliser son nom.

‒ Le SHIELD, ça... existe encore ?

‒ Oui, ça existe, assura Coulson avec un demi sourire. Nous vous avons récupéré car l'équipe que vous aviez à bord de votre semi-supersonique était la nôtre. Nous étions votre employeur pour cette mission. Nous estimons vous devoir des réponses, et nous sommes ici pour vous les fournir.

‒ L'avion a eu des turbulences... J'étais en voie de le redresser, mais ensuite il y a eu cette fumée... On aurait dit qu'elle... Que ça les a mangé. C'était quoi ?

Elle vit le visage de Peters partir en lambeaux noirs et cligna des yeux pour chasser ces images. Coulson lança un regard à l'agent Johnson, qui se racla la gorge.

‒ C'est ce qu'on appelle des cristaux terrigènes. Ils ont été conçus pour amorcer la transformation de toutes les personnes porteuses de gène Kree – de gène alien, je veux dire, pour leur donner des capacités inhumaines. Sur un individu non porteur du gène, par contre...

‒ Le cristal se transforme en fumée, pour créer un cocon autour du détenteur du gène, mais sur toute autre personne, la fumée agit comme un parasite et désintègre les tissus, expliqua Simmons de sa petite voix fluette.

‒ Vous avez déjà entendu parler des inhumains, n'est-ce-pas ? Demanda Coulson, et Reese hocha la tête.

‒ Notre équipe avait récupéré une caisse à un marchand d'armes à Johannesburg et devait la ramener ici, mais malheureusement il nous a été impossible de leur déléguer un moyen de transport. Nous avons été obligés de démarcher un pilote civil et privé pour les rapatrier...

‒ Moi, coupa Reese qui avait récupéré une certaine énergie. Attendez, vous êtes en train de me dire que vous m'avez impliquée dans une mission à risque, sans me parler de ce que contenait cette boite ?

‒ A posteriori, je regrette profondément de ne pas vous avoir informé plus tôt, mais ces cristaux étaient trop importants, et trop convoités. Vous auriez risqué une attaque, expliqua Coulson.

‒ Attendez, la fumée, elle m'a... J'étais en contact avec avant le crash, alors... Ne me dites pas que...

Les regards qu'ils lui lancèrent anéantirent le moindre petit espoir d'avoir mal compris ce que tout cela induisait. Elle revit la fumée entrer en elle, et puis l'enveloppe rocheuse sous l'eau, dont elle dut se défaire pour ne pas couler. Un cocon. Détenteur du gène.

Inhumain.

‒ Eh, je... Non – Je suis née à Seattle ! J'ai eu quelques problèmes de santé comme tout le monde mais jamais personne n'a dit que... Non, je suis normale !

Le bip jusqu'alors régulier du cardiogramme s'affola, et tous sauf Bucky se lancèrent des regards tendus. Il n'y avait pas d'eau dans la chambre, mais il y en avait partout autre part.

‒ Ce n'est pas aussi simple, l'insertion du gène dans votre lignée peut remonter à des siècles, rassura Daisy, ça ne fait pas de vous quelqu'un de mauvais.

‒ Vous savez d'où ça vient et comment ça marche, vous pouvez inverser le truc, n'est-ce-pas ?

Reese chercha du réconfort dans tout le comité d'accueil, mais visiblement personne n'était là pour trouver une solution à son problème. Pire, personne n'avait l'air de penser que c'était un problème.

‒ Je fais exploser de l'eau par la pensée ! S'écria-t-elle, mais personne ne cilla.

‒ Vous pouvez le contrôler, ce n'est que le début, dit le docteur Simmons.

‒ Et vous ne serez pas seule pour le faire, nous sommes toute une équipe pour vous aider..., ajouta Coulson sans pouvoir finir. Il vit le regard de la jeune femme dans le lit d'appoint se poser sur lui et redouta les mots qui allaient inexorablement sortir de sa bouche.

‒ Je veux rentrer chez moi. J'en veux pas, de vos capacités, de vos gènes mutants, de votre foutue organisation, je veux ma vie, comme elle était jusqu'à ce que vous la foutiez en l'air !

Elle avait crié les derniers mots qui firent écho dans la petite pièce blanche, et les sangles sur les bords du lit claquèrent avec le mouvement violent qu'elle avait fait pour se redresser.

‒ Il faut que vous compreniez que tant que vous ne contrôlerez pas vos capacités, vous représenterez un danger en dehors de notre base. En dehors même des murs de cette salle...

‒ Et il faut que vous compreniez que je n'en ai absolument rien à foutre ! S'écria-t-elle. Vous m'avez fait ça, bon Dieu de merde, vous avez fait de moi un monstre !

Les lèvres de Coulson se réduisirent à deux fines lignes serrées, Daisy soupira, l'air exaspérée, et les autres baissèrent le regard, car visiblement son avis n'était pas isolé. Seul Bucky continua de l'observer, incapable de détourner le regard. Il était loin de pouvoir comprendre l'entièreté de la situation, mais cela ne l'empêchait pas de se rendre compte qu'il avait sous les yeux le pire scénario imaginable pour l'équipe.

‒ C'est vrai, consentit Coulson. C'est ma faute. J'ai pris la décision de vous engager et j'ai mis votre vie en péril. Je vous ai placé au contact de ce qui a fait de vous ce que vous ne vouliez pas être. Je vais devoir vivre avec une mauvaise décision de plus et je peux vous assurer que la liste est longue, mais vous, est-ce que vous le pourrez? Parce que si nous vous laissons partir dès cet instant, sachez que vous aurez plus sur la conscience qu'un simple dégât des eaux à la fin de la semaine.

Le silence plana dans la pièce, et Fitz croisa le regard de Bucky, rongeant le bout de son index, avec un air signifiant « Voilà pourquoi il est le Directeur ».

‒ Vous croyez que je vais tourner au vinaigre et décimer une ville, c'est ça ? Demanda Reese.

‒ Je crois que vous ne voulez faire de mal à personne, mais que vous avez entre les mains quelque chose qui vous échappe, et qu'on peut vous aider à contrôler. Libre à vous de l'utiliser ou non lorsque vous l'aurez maîtrisé.

La jeune femme continuait de fixer le Directeur, et après quelques secondes, Bucky la vit cligner plusieurs fois des yeux et se racler la gorge. May fit signe à tout le monde de sortir, et il comprit que toute la situation avait finalement frappé la nouvelle inhumaine comme un coup de marteau sur la tête. Il sortit en dernier, sans bruit, la laissant avec Coulson. Un dernier regard vers elle lui indiqua qu'elle avait finalement cédé aux pleurs, les mains jointes sur son ventre. Il se demanda un instant s'il aurait pleuré lui aussi, si l'on lui avait annoncé qu'il deviendrait un meurtrier et un monstre. Il l'avait certainement fait lorsque tout lui était revenu en mémoire, caché dans un appartement miteux à Bucharest, recroquevillé sur son matelas. Pleurer d'avoir commis tant d'atrocités était normal, se dit-il. Pleurer de savoir qu'on avait le pouvoir de le faire l'était moins.

Coulson sortit finalement, fit signe à May de le suivre, puis se tourna vers lui avec un petit sourire.

‒ Daisy m'a fait un débriefing. Très bon boulot, Agent Barnes.

Il hocha la tête une fois, mais il n'était pas persuadé que le sauvetage ait réussi.