Un soir que je rêvais dans ma chambre, déserte
Depuis sa mort,
Un oisillon s'en vint de la fenêtre ouverte
Raser le bord. [...]
C'était un rouge-gorge, un charmant rouge-gorge !
Comme à foison,
Le froid, ce vieux brigand des forêts, en égorge
Chaque saison.
"Le Rouge-gorge", Alphonse Daudet, Les Amoureuses, 1858.
Il y a longtemps, un jour de brouillard et de pluie, il était venu l'enterrer. Il avait suffi d'un petit creux dans le sol, rien qu'un peu d'espace pour y nicher un cercueil fabriqué de ses mains.
Comme tous les enfants, il avait cru que tout revenait à la terre. Que, nourrie par les libations et les ossements, la vie jaillissait de cet espace souterrain qui le terrifiait.
Mais l'oiseau qu'il avait déposé là n'avait rien d'ordinaire, petit rouge-gorge aux ailes tordues et au cou brisé par de trop grandes mains.
Il y a quelques minutes à peine, le sang poisseux lui coulait entre les doigts, jus d'entrailles dégoulinant en crachats écarlates. Le pépiement étranglé et les bruits de gargouillis d'organes compressés s'attardaient entre ses oreilles, la sensation brutale contre ses doigts.
Il l'avait enterré tout seul après que son père l'ait épinglé sur la table avec ses couteaux de chasse.
Ce n'avait pas été le seul, bien sûr. Ce n'était là que le début de son apprentissage.
Souvent, il revenait sous le frêne les écouter. Puis il se réveillait en suffoquant, muscles tressaillants, la chemise de nuit imprégnée de sueur, l'estomac en berne et les intestins noués.
Un cercueil n'était jamais qu'un nid pour l'au-delà. Le dehors, un charnier à ciel ouvert. Combien étaient-ils à chanter, à présent ? Combien d'yeux curieux le regardaient ? Combien de paires d'ailes s'agitaient, de petites pattes sautillaient en sa présence ?
Plus le temps passait et plus le frêne semblait s'étirer, empli de bruits et de vie.
Il prit de grandes inspirations pour se calmer, chassant les frissons et la frayeur en se réfugiant dans le confort de sa première hache - Amabel, du nom de sa mère.
L'amour - première fracture, premier couteau planté dans les chairs de l'enfance. Sous les coups et les cris, il était parvenu à le retirer - non sans mal.
—Tu t'y habitueras, lui avait assuré son père. Un jour, tu y prendras goût.
Cela était arrivé. Le frêne avait été abattu ; il n'avait pas cessé depuis lors. Les piaillements s'étaient peu à peu effacés dans le néant. Seuls quelques rappels faisaient tressaillir cette mémoire fantôme, comme un sursaut après une longue dormance ou la douleur d'un moignon qui n'existait plus.
Il ne le comprit que bien plus tard, bien trop tard. Peut-être que ces chants qu'il ne voulait pas écouter le pleuraient, lui. Peut-être qu'en fin de compte, c'était lui qu'il fallait déterrer. Qui étouffait jusqu'à l'agonie, tordu puis remodelé à l'image dévoyée des plans paternels, malgré une renaissance spectaculaire dans le bouillonnement furieux du sang et le crissement métallique de la lame à fendre le bois.
Quelque chose se mourait, là-dessous. Walden avait simplement mis du temps à comprendre que c'était lui.
