Les enfants tournèrent leurs têtes au grincement des escaliers. Deux ombres s'approchaient : celle d'un homme intérieurement inquiet et angoissé et celle d'une femme faussement rassurée. Pourtant, il fallait à tout prix se convaincre que les choses se termineraient bien. Bah oui, après tout… ils en avaient déjà vu d'autres… ! Mais c'était plus fort que lui, Antoine Dumas ne pouvait s'empêcher de se ronger les sangs, surtout lorsque la sécurité de ses proches était en jeu. Et encore plus celle de sa fille… D'ailleurs, Antoine ne tarda pas à froncer les sourcils en constatant sa disparition. Dans le canapé, les jumeaux faisaient face à Jules, tandis que l'aînée siégeait en terrasse. Un soupçon de panique s'empara alors de lui…
« Elle est où Suzanne ?
- Dans sa chambre… Elle est partie pleurer parce qu'elle veut pas partir…, expliqua Jules sans pitié.
- En même temps, elle a pas tort… ajouta Martin en souriant faussement.
- J'y vais ! clama Candice en faisant demi-tour.
- Non mais… commença Antoine.
- Je m'en occupe, je te dis !
- Ok… »
Elle tourna les talons, faisant grincer les marches à nouveau jusqu'au premier palier où la porte de la chambre était entrouverte. Elle colla un sourire sur son visage et osa enfin la pousser.
« Toc ! Toc ! Toc ! lança-t-elle souriante. Je peux ?
Dans son lit, la petite se contenta d'hocher positivement la tête sans sourire.
Qu'est-ce que tu fais ?
- Je regarde des vidéos sur le téléphone de papa…
- Hum… Et elles ont l'air super tristes tes vidéos… t'as les yeux tout mouillés…
Elle haussa les épaules sans engouement.
Qu'est-ce qui se passe ma puce ? demanda Candice en s'installant au bord du lit.
- C'est parce que j'ai pas envie de partir…
- Ça tombe bien parce que moi non plus ! Et j'ai même réussi à convaincre papa de rester…
- Même si c'est dangereux ?
- Qu'est-ce qui est dangereux ?
- Le monsieur qu'a disparu… Et le petit oiseau tout à l'heure…
- Sauf que toute cette histoire n'a rien à voir avec nous, ok ? Papa est toujours inquiet parce qu'il t'aime très fort et qu'il a peur qu'il t'arrive quelque chose. Mais il t'arrivera rien ! On est là…
- Alors ça veut dire qu'on va quand même au restaurant ce soir ?
- Ouais ! Et on attend plus que toi pour partir maintenant ! On y va ?
- Ouaissss ! »
Les deux redescendirent dans la foulée, l'une bien plus rapide que l'autre qui rassura son compagnon d'un geste de la main. Elle récupéra son sac sur la table et prit le soin de fermer la porte de la villa à double tours. Certes la petite était rassurée mais le danger n'était pas écarté pour autant. Et pour couronner le tout, le couple devait se tenir à distance… juste histoire de rester conforme à la déclaration du commissaire auprès de la propriétaire du café de la plage… Antoine prit la tête de la marche, suivi par les jumeaux avec qui les discussions sportives allaient bon train. Candice, elle, se plaçait en fin de peloton et observait sa petite fille sur l'écran du téléphone d'Emma. Et mine de rien, du haut de ses presque deux ans, Éloïse leur manquait à tous, et surtout à lui qui fixait la plage sans entrain. Perdu dans ses pensées, Jules se questionnait de plus en plus sur ses motivations japonaises. Et au fond, il semblait enfin savoir… surtout quand la plus jeune d'entre eux osa enfin lui poser la question fatidique.
« Tu vas rentrer avec nous après, ou tu vas repartir au Japon ?
Surpris, Jules posa ses yeux sur elle avec émotion.
- Je vais devoir repartir mais… ce sera pour mieux rentrer !
- Cool ! Tu m'apprendras à faire des gâteaux alors ?
- Grave ! Tu vas voir tu vas devenir une pro ! »
La petite s'en satisfit et inséra sa main dans la sienne. Et elle au moins était libre de pouvoir le faire sans risque…
Devant, son père stoppa sa marche, fouillant dans sa poche arrière pour extirper son téléphone qui vibrait.
« Oh putain… souffla-t-il en montrant l'expéditeur à Candice. Je réponds pas !
À peine rangé dans sa poche, le téléphone sonna à nouveau.
- Je crois qu'elle va pas te lâcher là…
Antoine grommela et colla son portable à son oreille, énervé.
- Allô ?
- Ouais c'est quoi cette histoire de pigeon mort et de mec disparu ?
- Alors bonjour déjà…
- Suzanne m'a appelé en pleurs !
- Ohlala… pesta-t-il. C'est bon, tout va bien, problème réglé. Tu peux retourner à tes occupations !
- Pas tant que je serai pas certaine que ma fille est en sécurité !
- Alors au cas où tu l'aurais oublié, TA fille, c'est aussi MA fille. Donc je gère, ok ?!
- Arrête un peu ! Dès qu'elle est avec toi y a un problème…
- Pardon ?! Je dois vraiment te rappeler qui avait enlevé Suzanne la dernière fois ?! Ou c'est pas la peine ?!
- Ouais parce que je m'étais faite avoir… Mais toi, depuis que t'es avec elle, y arrive que des problèmes… La preuve! Suzanne m'a dit qu'elle s'était retrouvée chez les flics pendant que vous étiez partis faire du bateau! Tu parles de vacances hein!
Antoine rigola jaune.
- Ah donc nous y voilà… Candice coupable…
- Bah ouais ! Je dois te rappeler quelques épisodes ou c'est bon ?
- Ok, donc tu m'appelles pour quoi ? Insulter Candice ou te préoccuper de Suzanne ?
- Je te préviens Antoine, s'il arrive quoique ce soit à ma fille…
- Quoi ? Tu vas faire quoi?
- Faire en sorte qu'elle s'approche plus d'elle!
- C'est ça! T'inquiète je gère. Bonne soirée ! »
Le commissaire raccrocha avec énervement. Chaque fois c'était pareil… Et plus le temps passait, plus ils s'engueulaient sur des désaccords futiles concernant l'éducation de Suzanne. Et comme d'habitude, Candice était pointée du doigt. Et la plupart du temps, sans aucune raison valable…
« Alors ? C'était quoi cette fois ? demanda Candice qui l'attendait doucement.
- Comme d'habitude… Je ne sais pas assurer la sécurité de ma fille et…
- Elle me déteste et tout est de ma faute…
- Ouais…
- C'est bien ! Jusqu'ici rien ne change…
- Ça me saoule cette guerre permanente…
- Elle me supporte pas, qu'est-ce que tu veux ? Puis bon, entre nous… c'est réciproque hein !
- Fin' c'est pas une raison pour faire des scandales en permanence aussi…
- Faut la comprendre… On était 2 à convoiter le même homme et… elle a rien gagné… Puis on a pas été très corrects, à l'époque… Y a des rancœurs c'est normal…
- Ouais mais la rancœur est passée depuis… maintenant elle peut plus m'encadrer !
- Mais ce qu'il s'est passé reste douloureux… Tu sais, des fois j'essaye de me mettre à sa place et… je me dis que j'ai eu de la chance…
- Comment ça ?
- Bah elle a tout perdu et… c'est un peu comme si je lui avais pris ce qu'elle avait tout le temps voulu…
- C'est vrai ! Tout est de ta faute en fait… plaisanta-t-il en enserrant ses épaules.
- Eh ! protesta-t-elle boudeuse alors qu'Emma se retournait sourire aux lèvres.
- Il dit ça alors qu'il te kiffe depuis le début s'te plaît…
- C'est vrai ça ? Tu me kiffes depuis le début ? répéta-t-elle fièrement.
- J'sais pas… fit-il mine de réfléchir.
- Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure… rajouta Jules avec dépit. Dès que tu venais à la maison pour le « boulot », c'était flagrant…
- Pas du tout…
- Y a que maman qui voyait rien !
- Ou qui faisait semblant de ne pas voir… rectifia-t-elle amusée. »
Antoine rigola aux éclats et déposa un baiser sur sa joue. Juste histoire de montrer que les choses n'avaient pas vraiment changé depuis toutes ces années… Au contraire, les choses étaient peut-être même amplifiées. Et même si Candice avait fait semblant de ne pas voir, au fond, elle savait qu'il y avait toujours eu ce « truc » indéniable entre eux. Cette petite étincelle qui brûlait toujours jusqu'à parfois exploser avant de retrouver son calme. Et aucune engueulade, aucun désaccord n'avait réussi à l'éteindre. Jamais. Et aujourd'hui encore, elle se maintenait, contre vents et marées. Elle se maintenait malgré les débordements récents de Candice. Et comme pour le rassurer face à son inquiétude de la veille, la blonde attrapa sa taille et lui rappela son amour à demi-mots, bien planquée au creux de son oreille. Ce n'était pas dans ses habitudes mais, le ton du moment s'y prêtait.
« Eh ! Vous avez vu ?! s'époumonna Léo en pointant du doigt le kiosque à journaux voisin.
- « Des métropolitains pour une enquête en sous-marin » lut Martin perplexe.
- C'est sur la disparition de Joseph… bredouilla Antoine. »
Les deux se regardèrent perplexe alors que les jumeaux rassemblaient déjà leurs pièces de monnaie respectives pour les donner au vendeur en l'échange du journal. Léo se dépêcha de l'ouvrir à la page 6 et se planta devant les plus âgés pour une lecture collective.
« Merde ! marmonna le commissaire. Mais ça parle de nous là !
- Nan mais c'est pas possible ! Comment on aurait pu savoir qu'on était mêlés à l'affaire ? Y a que les flics qui sont au courant !
- Mais regarde ! C'est comme si je m'étais entretenu avec le journaliste ! Mais c'est complètement faux, j'ai jamais dit ça !
- Y a quelqu'un qu'essaye de nous mettre des bâtons dans les roues… C'est un coup monté…
- Ça va, y a pas de photos de vous… observa Jules avec perspicacité.
- Non… Mais ça veut dire que Joseph observe tout depuis le début… J'comprends mieux le coup du pigeon…
- Bon ! On met ça de côté pour ce soir… Ça sert à rien de paniquer pour rien… Je vais l'envoyer à Gondar. Ça devrait pas être bien compliqué de retrouver le journaliste non ? releva Candice d'une fausse assurance.
- Sauf si la taupe est dans la police… répondit durement son chéri avant d'entraîner sa fille dans sa marche. »
