Chapitre 12 - Retour au Manoir

Les jours qui suivirent l'incident avec le jardinier virent une Hermione tourmentée s'adonner à ses activités habituelles avec un air plus distrait que d'ordinaire. Ses consultations médicales et ses cours d'Immunologie furent ponctués de froncements de sourcils intempestifs, signe que des pensées agaçantes ne cessaient de faire irruption dans sa tête.

Des pensées à base de cette stupide potion d'Amortentia à l'odeur de Malefoy. Qui lui disait de façon absolument insolente qu'elle pourrait être attirée par lui. C'était une idée stupide et grotesque, une idée insencée et ridicule. D'accord elle trouvait Malefoy drôle et compétent. Il savait se montrer tour à tour incisif ou délicat selon les situations. Il avait peu de scrupules, ce qui était à la fois bien et mal. Mais il était extrêmement agaçant, têtu, arrogant et terriblement snob, ce qui annulait complètement les qualités qu'Hermione pouvait lui trouver.

Elle en avait fini par conclure que la potion était défectueuse. Après tout c'était un objet de contrebande, elle avait probablement été faite sous un dessous de table dans un endroit crasseux par un sorcier moyennement voire peu compétent.

Pour en avoir le cœur net, après plusieurs jours à ressasser sans cesse les mêmes pensées, Hermione décida de faire elle-même une potion d'Amortentia. Sentir l'odeur du parchemin et de l'herbe coupée chasserait définitivement ces affreuses insinuations à propos de toute cette histoire de Malefoy soit disant séduisant.

Elle attendit un soir que tout le personnel de son laboratoire soit parti pour se mettre à l'œuvre. Il était près de deux heures du matin quand elle acheva la préparation. Son chaudron était rempli d'une potion nacrée aux volutes reconnaissables. Une potion d'Amortentia parfaitement préparée, elle en était certaine. Une potion d'Amortentia à l'odeur d'agrumes et de romarin, d'iode, de sous-bois et de fumée de tourbe.

D'un geste rageur, elle fit disparaître le contenu du chaudron. Elle ne trouva pas le sommeil cette nuit-là.

Le lendemain apporta une nouvelle aussi distrayante que terrifiante qui lui fit temporairement oublier l'Amortentia. Une chouette effraie lui apporta une invitation de Narcissa Malefoy à un thé le dimanche suivant.

Prise de court et de panique, elle sortit aussitôt son Carnet à Papotte.

J'ai reçu une invitation pour le thé de ta mère. Ce dimanche.

Seras-tu assez gentille pour venir ? demanda Malefoy.

Pas sûre que tu mérites que je sois gentille.

Ne punis pas ma mère à cause de moi, dit Malefoy. En plus, j'ai mangé du mucus de Veracrasse - n'ai-je pas assez souffert ?

L'as-tu vraiment mangé ? demanda Hermione, plus que dubitative.

Oui, répondit effrontément Malefoy.

Menteur.

Il ne répondit pas, ce qu'elle considéra comme un aveu.

Elle réfléchit à l'invitation. Se rendre à un thé organisé par Narcissa n'était pas si terrible, elle était même curieuse de voir à quoi ressemblait cet événement capable d'effrayer Malefoy. Mais remettre les pieds au Manoir… Rien que d'y penser ses mains se mirent à trembler. Elle ne put s'empêcher de trouver cette peur ridicule. Quinze ans s'étaient écoulés, pourquoi ne pouvait-elle pas passer à autre chose ? Elle passa la main sur la cicatrice toujours douloureuse que Bellatrix avait gravée sur son bras. Elle pouvait le faire.

J'y vais seulement si tu es là, trancha-elle. Je ne vais pas souffrir toute seule.

Je ne peux pas, j'ai déjà mis en place un conflit d'emploi du temps, dit Malefoy.

Dommage, dit Hermione. Annule.

Mais c'est compliqué, dit Malefoy. Elle sentit le ton plaintif à travers le papier et leva les yeux au ciel.

Pas plus que de me rendre à un événement au Manoir Malefoy, avança Hermione. Si elle pouvait affronter le lieu où elle avait été torturée, il pouvait bien affronter quelques dames pour le thé.

Compris, je serais là.

ooo

Le dimanche matin trouva une Hermione agitée et nerveuse. Elle s'adonna à une longue séance de yoga qui la laissa pantelante et à peine moins tendue qu'avant.

Pour oublier ce qui l'attendait l'après-midi, elle se plongea dans les préparatifs du Solstice. Elle avait besoin cette fois de récolter un morceau d'ossement très ancien, ce qui signifiait qu'elle allait probablement devoir accéder à une relique ou creuser dans un cimetière.

Avant tout, comme précédemment, elle devait localiser l'endroit décrit dans Révélations avant de rechercher une éventuelle relique ou un ancien cimetière dans la région en question.

Hermione passa la matinée à faire des recherches sur les lieux de prédilection de pousse de la sauge de jérusalem, la primevère marginée, la petite massette et autre jacinthe colibri. Cette dernière donna du fil à retordre à Hermione qui ne trouva que quelques bribes d'informations dans Milles herbes et champignons magiques.

Absorbée par ses recherches, elle oublia de manger. Une heure avant de devoir partir, elle sentit la nervosité monter en elle et elle ne cessa de lever les yeux vers l'horloge qui semblait s'être arrêtée. Devenue incapable de se concentrer, elle laissa ses livres se rendit à la salle de bain pour passer de l'eau sur son visage.

Hermione croisa son regard dans le miroir. Elle était livide et semblait terrifiée.

"Tu peux le faire," se dit-elle.

Pattenrond approuva en se frottant contre ses jambes.

Hermione enfila des robes bleu gris avec un col bateau. Ses mains tremblaient tant qu'elle eut du mal à ajuster les lacets qui resserraient le tissu au niveau de sa taille.

Juste avant de transplaner au Mitre, elle descendit une fiole de Philtre Calmant dans l'espoir d'étouffer la panique qui menaçait de la submerger. Avant d'avoir le temps de réfléchir à ce qu'elle s'apprêtait à faire, Hermione jeta la poudre de Cheminette dans l'âtre du Mitre, dit "Manoir Malefoy" d'une voix tremblante et avança dans les flammes.

Elle tournillona pendant quelques secondes qui lui parurent une éternité avant d'être éjectée dans un petit salon. Elle capta un mouvement furtif et crut apercevoir des oreilles d'elfe de maison disparaître par la porte entrouverte.

Le temps du voyage avait suffi pour que le Philtre Calmant fasse effet et c'est avec des mains stables qu'elle épousseta ses robes.

Malefoy fit irruption dans le petit salon. "Pourquoi je suis là, déjà ?" demanda Hermione alors qu'il s'avançait vers elle.

Elle le vit jauger sa tenue mais il ne fit aucun commentaire. Lui-même portait des robes noires plus formelles que celles de son uniforme d'Auror mais moins que celles qu'il avait portées à la réception des Delacroix. Elle se demanda vaguement s'il lui arrivait de porter autre chose que du noir.

Malefoy énuméra les options sur ses doigts : "Un soudain intérêt pour le tissage de liens. Remercier les Malefoy pour avoir rendu possible la construction de l'aile Delacroix. Parce que tu as été personnellement invitée par Narcissa Malefoy et que personne ne lui dit non. Parce que je t'ai obligée. Fais ton choix."

"Ne te vante pas trop - il n'y a rien que tu puisses m'obliger à faire."

"Ne me lance pas de défi, ou je pourrais décider de te prouver que tu as tort."

Ils échangèrent un regard plein d'obstination. Puis Malefoy détourna le regard pour observer les mains d'Hermione.

"Tu as pris un Philtre Calmant," dit-il. Ce n'était pas une question. Il avait vu dans quel état elle était à l'idée de se rendre au Manoir quelques mois auparavant et s'était sûrement attendu à ce qu'elle tremble de la tête aux pieds.

"Tout ce qu'il faudra pour me faire tenir le coup," confirma Hermione. "Je n'ai pas besoin de te rappeler ce à quoi a ressemblé mon dernier séjour sous ce toit."

"C'est à peine le même toit," dit Malefoy en pointant le plafond du menton.

"Que veux-tu dire ? Oh - tu disais que vous aviez reconstruit."

Hermione leva les yeux dans la direction qu'indiquait Malefoy. Ils étaient surplombés par un grand arc blanc bien différent des plafonds sombres dont elle gardait le souvenir. Elle se demanda quelle part du Manoir avait été remplacée et si cela faisait de cette maison une nouvelle demeure.

"Expérience de pensée," dit-elle. "Est-ce que c'est le même Manoir si tous ses composants originels ont été remplacés?"

"Le Bateau de Thésée," dit Malefoy. "Enfin, le Manoir de Thésée, je suppose."

Hermione regarda Malefoy avec étonnement. C'était un principe Moldu, elle était agréablement surprise et un peu impressionnée qu'il ait de telles connaissances. "Précisément," dit-elle.

"Dis-moi quand tu auras tranché." Malefoy tendit le bras vers la porte. "On y va ?"

"Non," dit Hermione en enroulant un bras autour de sa taille. "Je préfère rester ici à discuter de la métaphysique de l'identité."

"La moitié des invités d'aujourd'hui sont des cerveaux. Tu pourras discuter métaphysique de tout ton saoul. La jumelle Patil qui enseigne à Edimbourg est là."

"Ooh, Padma est là ?"

L'idée de pouvoir retrouver des têtes amicales dans ce lieu hostile était assez réconfortante pour qu'Hermione consente à suivre Malefoy jusqu'à la porte du petit salon. Elle fit une pause sur le seuil et prit une petite inspiration pour se donner de la force. Puis elle entra dans le Manoir à proprement parler. Elle prit garde à ne regarder que ses pieds de peur qu'un détail appartenant au passé la replonge dans le cauchemar qu'avait été sa première visite.

La voix de Malefoy lui fit lever les yeux vers lui.

"Nous voulions nous débarrasser de chaque rappel des plus… sombres moments de notre vie. Du séjour de Voldemort. Ça a un peu changé."

Avec un effort, Hermione força son regard à se lever pour regarder autour d'elle. Ils se trouvaient dans un large couloir aux murs clairs décorés de nombreux luminaires où brûlaient chaudement des bougies blanches. "Oh - c'est plus… plus lumineux que dans mes souvenirs."

Malefoy parut satisfait de sa constatation. Ils débouchèrent dans une salle à manger et il continua son commentaire.

"Nous avons mis de nouvelles fenêtres. Par exemple - cette lucarne était un énorme trou causé par une explosion. Mais nous avons apprécié que le soleil puisse entrer dans le foyer, alors on y a mis une fenêtre plutôt qu'un toit."

Ils s'arrêtèrent devant une autre grande fenêtre à la forme étrange qui donnait sur l'est. "Ici c'était l'endroit où un groupe d'Auror a jeté un Bombarda groupé. Il ne nous a pas semblé valoir la peine d'y remettre des briques, pas quand ça laisse entrer la lumière du soleil levant de façon si charmante."

Hermione pencha la tête de côté, étudiant cette démonstration d'architecture décidément peu traditionnelle. "Tu sais - ça me plait bien."

"Les dommages causés aux serpents et autres décorations du même genre ont mené à une découverte plutôt intéressante," dit Malefoy, faisant un geste vers le plafond. Hermione leva les yeux pour découvrir une arche en pierre claire décorée par des moulures en forme d'anges.

"Nous avons découvert qu'ils avaient été construits par dessus des iconographies angéliques. Je trouvais que ça faisait ressembler l'endroit à une cathédrale mais ma mère les aimait bien. Elle a gardé les moins abîmés."

Hermione examina plus en détail la demi douzaine d'anges, perchés ou planant dans diverses positions, près du sommet du plafond. "Oh. J'aurais cru que ça avait toujours été des serpents."

"Nous aussi. Il semble que des ancêtres Malefoy du dix-huitième siècle se sont un peu monté la tête sur les liens de la famille avec Salazar Serpentard et décidé d'adopter l'imagerie serpentine avec un peu trop d'enthousiasme."

Alors qu'ils traversaient ce qui semblait être le hall d'entrée, les planches de parquet brillant sous leurs pieds cédèrent soudain la place à du verre.

"Là, ça c'est intéressant," dit Malefoy. "Les cachots ont été entièrement détruits pendant la dernière bataille - et en dessous -"

"Oh - des ruines !"

"Nous avons fait venir des archéologues. Ils pensent que c'était un établissement monastique. Sixième siècle."

"Celtique ?"

"Oui. Ils ont écrit un rapport - euh - il est quelque part -"

Les moines gardaient souvent des reliques. Peut-être que les ossements qu'elle cherchait à récolter au Solstice se trouvaient juste là, sous ses pieds. Elle résista à l'envie de se mettre à genoux et presser son visage sur le sol de verre, en dessous duquel les ruines magiquement illuminées chatoyaient.

"Il faut que tu m'envoies une copie," dit-elle. "Comme c'est fascinant."

Une voix flûtée à l'accent français arracha Hermione à sa contemplation des ruines.

"Des œufs et des sandwiches au cresson ? Des scones avec de la crème fraîche ?"

Hermione observa l'elfe de maison et reconnut les oreilles qui s'étaient échappées du petit salon de la Cheminette quand elle était arrivée. L'elfe était impeccablement habillée dans une taie d'oreiller brodée, souriante et attentive. Elle ne présentait aucune trace de maltraitance ou de traumatisme comme Dobby à l'époque. Les Malefoy continuaient à exploiter des elfes de maison, mais ils semblaient au moins les traiter décemment. Comme elle ne répondait pas, l'elfe proposa un autre plateau à Hermione. "Ou peut-être des gâteaux au caramel pour Mademoiselle ?"

Hermione ravala ses objections à être servie par une elfe de maison et répondit poliment. "Oui, je vais prendre un gâteau. Un grand merci*."

"Cela me fait plaisir, Mademoiselle*," dit l'elfe avec une révérence, avant de disparaître.

Hermione surprit le regard de Malefoy sur elle alors que l'elfe de maison disparaissait.

"Quoi ?" demanda-elle.

"J'attend ton plaidoyer," dit Malefoy, l'air résigné.

Hermione renifla. "Je suis parvenue à admettre le fait qu'il y a certains aspects de la société sorcière que je ne comprendrais jamais."

"Mais tu les acceptes ?"

"Non," dit Hermione. "Je les tolère."

"Hmm."

"Ne t'inquiète pas, je ne vais pas commencer une révolution des elfes de maison dans ton hall d'entrée."

"Dommage," dit Malefoy. "Henriette est française, tu sais. Une radicale par nature."

Finalement, ils arrivèrent au salon. Hermione eut le souffle coupé devant la scène qui s'offrait à elle. Le salon était ouvert sur une terrasse baignée dans la lumière du soleil où les invités bavardaient sous de petites ombrelles en dentelle blanche ouvragée. De magnifiques arrangements floraux dont les pétales battaient comme des ailes de papillons parsemaient chaque surface disponible du salon, faisant ressembler l'endroit à une petite serre printanière. Derrière la terrasse s'étendaient de splendides jardins où étaient disposés des parterres de fleurs qui ajoutaient encore à la beauté du lieu.

"Les fleurs," dit Hermione, émerveillée.

"Je suis enchantée qu'elles soient à votre goût," retentit la voix de Narcissa Malefoy. "Bienvenue, Guérisseuse Granger. Je suis si contente que vous soyez venue."

Hermione salua son hôtesse, qui l'entraina dans un tour du salon pour lui présenter les différentes variétés de plantes disposées dans les arrangements floraux. Elle sentait Mrs Malefoy légèrement tendue, mais soucieuse de paraître accueillante. Aussi, Hermione fit de son mieux pour paraître elle-même détendue et alimenter la conversation en civilités polies.

Mrs Malefoy emmena ensuite Hermione dans un cercle de membres haut placés du Ministère auquel elle la présenta en mettant l'accent sur ses accomplissements pendant et après la guerre. Hermione n'avait pas besoin de présentation, étant déjà connue de tous, mais Mrs Malefoy semblait radieuse de mettre en valeur la présence d'une née Moldue sur son domaine et Hermione joua le jeu.

Quand Mrs Malefoy se fut assurée que tout le monde avait bien remarqué son invitée trophée, elle laissa Hermione vagabonder par elle-même parmi les invités. Bientôt, elle retrouva une groupe d'anciens de Poudlard et partagea des anecdotes avec Padma et Terry.

Le thé fut servi sur de petits plateaux d'argent qui flottaient entre les convives dans de délicates petites tasses de porcelaine accompagnées par leur soucoupe assortie. Hermione remua son thé distraitement en écoutant Padma raconter qu'elle avait croisé Zabini à l'université d'Edimbourg.

D'autres plateaux ouvragés circulaient, garnis de toasts au saumon, de scones à la confiture, de verrines et de mignardises.

Hermione se détendit. Finalement, l'épreuve était de loin plus facile que tout ce qu'elle avait pu imaginer. Pas de sang-purs méprisants, pas de manoir sombre. Un lieu charmant, des visages familiers et accueillants.

Quand les invités furent repus et les tasses de thé vidées, il y eut une exode hors de la terrasse pour aller dans les jardins. Les nombreux convives, errèrent à travers les haies et les parterres de fleurs de printemps alors que le soleil commençait à se coucher. Hermione admira la végétation baignée dans la lumière dorée et se prit à trouver le domaine tout à fait charmant.

Elle suivit un groupe entraîné par Mrs Malefoy pour une visite de la serre, qui contenait de nombreux spécimens botaniques rares. Hermione eut l'agréable surprise de découvrir une jacinthe colibri entre une fougère géante et un buisson ardent. Elle reconnut immédiatement les fleurs qui s'agitaient nerveusement, les mêmes qui l'avaient narguée des heures durant pendant ses recherches.

Quand Mrs Malefoy présenta la plante à ses invités, Hermione s'enquit de la provenance de ces jacinthes.

"C'est un ami français qui les a importées pour moi il y a quelques années. Elles viennent de Provence, du massif de la Sainte-Baume plus exactement."

Un grand sourire s'entendit sur le visage d'Hermione, qui remercia chaleureusement Mrs Malefoy. Elle resta à contempler le fleurs aux pétales battants alors que le reste du groupe s'éloignait en direction de l'allée suivante. Elle examina les feuilles de la plante et reconnut également celles qu'elle avait contemplées sur les photos animées de Milles Herbes et Champignons Magiques. Ses prochaines recherches porteraient sur le massif de la Sainte Baume pour voir si sa végétation incluait également la sauge de Jérusalem ou la primevère marginée.

"Est-ce que tu admires, ou tu manigances quelque chose ?" retendit la voix de Malefoy, qui surgit soudainement de derrière la fougère géante.

Hermione sursauta et essaya de ne pas avoir l'air coupable. "Peu importe," éluda-elle.

"La deuxième option, alors."

"Je réfléchis juste," dit Hermione, ce qui était l'exacte vérité.

Malefoy vint se planter devant elle. "Si tu as besoin d'une fleur ou autre, je suis sûr que ma mère n'y verrait pas d'inconvénient. Elle serait probablement plus qu'heureuse de contribuer à ce que tu essaies de faire."

"Non," dit Hermione, ses pensées toujours tournées vers le massif de la Sainte Baume. Ce nom lui disait quelque chose. Il lui semblait qu'une grotte connue portait ce nom également.

"Non," reprit-elle. "Elle a déjà aidé."

"Comment ?"

"Rien ; ça n'a pas d'importance," dit Hermione, qui s'arracha à ses tentatives de réflexion pour revenir au présent. Malefoy ne la crut visiblement pas mais n'insista pas, ce dont elle lui fut reconnaissante.

Hermione jeta un coup d'œil dans la serre en quête du reste du groupe. Ce faisant, un détail à travers les vitres du toit la fit se figer. Le toit du Manoir se découpait dans une forme désagréablement familière dans la lumière du soleil couchant.

"Malefoy," demanda-elle, se sentant pâlir. "Est-ce que - est-ce que c'est ici qu'était la salle à manger ?"

"C'est ici, oui."

Un frisson la traversa de la tête aux pieds au souvenir de ce qu'elle avait vécu dans cet endroit. Puis elle regarda autour d'elle et vit que tout avait changé pour le mieux. Il n'y avait plus de trace du mal, le lieu était devenu charmant. Elle se redressa et serra la mâchoire. Elle pouvait surmonter ça. Sa main trouva sa cicatrice sur son avant bras, cachée par un puissant sort de Détourne-Regard et la sensation du poignard qui entaillait sa peau se rappela à son souvenir, aussi fraîche qu'au premier jour. Sa respiration devint heurtée.

"Sortons d'ici," dit Malefoy, passant son bras sous celui d'Hermione et la tirant hors de la serre. Sans s'en rendre compte, il avait posé les doigts à l'endroit de la cicatrice d'Hermione. Elle essaya de se dégager mais la prise de Malefoy sur son bras était ferme et inflexible.

"Malefoy, je vais bien," protesta-elle à travers ses dents serrées. Elle essaya de nouveau de retirer son bras.

"Menteuse," dit Malefoy, ne relâchant pas sa prise.

"Très bien. J'irai bien dans un moment. Je ne m'attendais pas à être aussi…"

"Si tu dis faible, je pourrais m'énerver," dit Malefoy.

"Dépassée, alors." Hermione sentit une goutte couler sur son front et se tamponna avec la manche de son bras libre. "Eurk, sueurs froides."

"Dois-je aller te chercher quelque chose ? Filtre de paix ?" demanda Malefoy.

Hermione ouvrit la bouche pour lui rappeler les bases des potions mais il se reprit juste avant : "Non, contre-indiqué dans les 24h suivant la prise d'un Philtre Calmant. J'avais presque oublié. Assieds-toi."

Il lâcha enfin son bras et Hermione s'assit sans protester sur le banc de pierre jusqu'auquel Malefoy l'avait menée. Ses mains tremblaient d'une façon tout à fait dérangeante et elle essaya de les cacher dans les plis de ses robes.

"Je vais bien, vraiment," mentit-elle d'un air qui lui parut elle-même peu convainquant.

"Ta bravade est des plus irritantes," dit Malefoy.

Il appela un elfe de maison pour qu'il apporte du chocolat, qui fut immédiatement présenté sur un plateau d'argent sous la forme d'une énorme tablette et de deux gâteaux* au chocolat.

Hermione oublia ses réticences à être servie par un elfe de maison et prit un carré de la tablette qu'elle laissa fondre dans sa bouche.

"Mieux ?" demanda Malefoy.

"Mmh, des endorphines," dit Hermione, tentant de sourire.

"Si ma mère demande ce qu'il s'est passé, nous dirons que nous avons fait un détour parce que tu voulais voir les fontaines."

"Quelles fontaines ?" demanda Hermione en regardant autour d'elle. Elle prit conscience de son environnement, qui se trouvait être une énorme fontaine en bronze représentant…

"Des Hippocampus !" s'exclama Hermione. "Euh - Hippocampodes !"

Malefoy agita sa baguette en direction de la fontaine, activant le gargouillis des jets d'eau qui la firent vraiment paraître vivante. "Maintenant que je les ai vus en vrai, ils ont l'air de pâles imitations."

"Ne sois pas bête. C'est beau. C'est de qui ?"

"Fremiet," dit Malefoy.

"Bien sûr."

Malefoy regarda la statue d'un air critique. "L'échelle est bonne, les proportions sont parfaites, le mouvement est magnifique - mais c'est difficile de capturer leur majesté."

"Ce qu'il manque vraiment pour compléter l'expérience, c'est un vent froid de la mer du Nord pour nous geler les fesses."

"Je vais demander au jardinier d'ajouter des jets de grêle."

"As-tu un vieux balai crasseux pour pouvoir voler ensemble ?"

"Probablement," dit Malefoy. "Dois-je aller le chercher ?"

"Non."

"Mais imagine ce que ma mère dirait ?"

"Exactement."

Malefoy s'appuya sur ses paumes. "Maintenant j'ai envie de vin chaud."

Ils regardèrent le jeu de l'eau sur les statues des Hippocampus en silence, seulement brisé par le gargouillis des jets. Hermione reprit un carré de chocolat. Malefoy prit l'un des gâteaux. Il était étrangement silencieux, les sourcils légèrement froncés, comme s'il était aux prises avec des pensées désagréables. Plusieurs fois il sembla sur le point de parler puis se raviser.

"Je n'aurais pas dû te faire venir," dit-il finalement, les yeux fixés sur les jets d'eau. "Tu veux rentrer chez toi ? Je vais t'emmener au petit salon de la Cheminette. Nous pourrons dire que tu as été appelée par l'un de tes patients."

Hermione resta interdite à la fois devant l'aveu de son erreur et devant la prévenance dont il faisait part à présent. Elle le regarda pendant quelques secondes pour s'assurer qu'il s'agissait bien de Malefoy, puis elle baissa les yeux vers ses mains, qui avaient cessé de trembler. "Je pense que ça va maintenant."

Elle respirait de nouveau normalement, son rythme cardiaque était stable. Elle n'était pas aussi calme que sous le Philtre Calmant, mais elle n'était plus dans l'état de stress avancé qui l'avait rongée toute la matinée.

Elle regarda la serre qui se tenait à l'endroit où elle avait été torturée. "Je pense que c'est une bonne chose de revenir ici. Possiblement. C'est une clôture, n'est ce pas ? Ça marque la fin d'un terrible chapitre."

L'eau dansait. Alors que le soleil se couchait, les illuminations magiques des jardins commençaient à s'allumer. La fontaine était baignée de lumière ; les Hippocampus avaient l'air de respirer. La serre brillait d'une lumière dorée.

"De bonnes choses poussent ici, maintenant," dit Hermione. "Même ta maison est… elle est différente. Et je ne veux pas juste dire le bâtiment. Elle est touchée par la Lumière."

Malefoy ne répondit pas, visiblement un peu gêné.

"Parfois, je pense que quinze ans c'était il y a vraiment très longtemps," continua Hermione. "La moitié de nos vies, au final. Une éternité. Et puis il y a des moments comme - comme celui que je viens juste de vivre, où j'ai l'impression que c'était hier. Et tout est brut et me blesse."

"Je sais," dit Malefoy. Son intonation laissait entendre qu'il vivait de tels moments également.

Il y eut un long silence. L'eau dansait et chantait.

Finalement, Hermione reprit. "Au moins, tu as assez changé pour que je ne voie plus l'idiot brutal du temps de ma scolarité."

"Ah oui ?"

"Oui," dit Hermione, ne pouvant réprimer un petit sourire. "Tu es juste un idiot maintenant."

Elle laissa son sourire s'épanouir alors que Malefoy se détendait visiblement.

"Wow," dit-il, feignant d'être touché du compliment.

"Tu as grandi du menton, aussi," dit Hermione.

"Merci."

"Et des pieds - plus ou moins."

"Continue. Ce catalogage est passionnant."

"Quoi d'autre ?"

"Tu n'as pas encore insulté mes mains," dit Malefoy.

"Montre moi." Elle prit la grande main de Malefoy dans la sienne qui paraissait toute petite à côté et l'examina avec un regard critique. "Trop grande. Peut-être que tu fais une autre poussée de croissance."

"Peut-être."

"Il ne vaut mieux pas, en revanche," dit Hermione, relâchant sa main. "Tu es déjà grand. Tu ne voudrais pas être dégingandé."

"Y-a-t'il autre chose que tu voudrais critiquer sur mes proportions ?"

"Je crois que j'ai inventorié les plus offensantes."

"Tss, je suis le nombre d'or incarné."

"Fibonacci devait être complètement imbibé de Chianti," rétorqua-elle, sans pitié.

Malefoy éclata d'un rire inattendu. Puis il se reprit. "T'as t'il traversé l'esprit que ton système métrique n'était pas approprié ?"

"Qu'est ce que tu veux dire ?"

"Que tu es minuscule," dit Malefoy, faisant un geste vers Hermione. "Cette base de comparaison rend tout le monde énorme à tes yeux."

Hermione fut scandalisée. "Je ne suis pas minuscule." Elle se redressa sur le banc. "Je suis de taille moyenne, d'abord. Ou un poil en dessous."

"Plusieurs poils, je pense. Tu dois avoir du sang de lutin. Ça expliquerait ton côté criard."

"Je ne suis pas criarde," protesta-elle.

Malefoy rapprocha son pouce et son index et regarda Hermione à travers cet espace. "Vingt centimètres de hauteur - c'est à peu près ça. Toute petite."

"Toute petite ?!"

"Microscopique, vraiment. C'est toi, la nanoparticule ; tu devrais parler avec ce mec danois pour lui demander quelles sont tes applications cliniques."

Hermione resta interdite, partagée entre l'offense, la surprise qu'il ait retenu ce qu'elle avait dit sur les nanoparticules, et l'amusement. Puis elle éclata de rire.

Malefoy sembla enchanté de la voir rire de bon cœur.

Elle finit par se calmer. Elle prit une grande inspiration et essuya une larme de sous son œil. "Magnifique. Des sueurs froides et maintenant des larmes. Y a t'il d'autres émotions que tu voudrais m'arracher dans ta guerre contre mon maquillage ?"

"Par quelle émotion n'es-tu pas passée aujourd'hui ?"

"Voyons voir. J'ai été stressée, en colère, effrayée, indulgente (avec tes défauts), joyeuse, euh…"

"De l'amour, alors ?" suggéra Malefoy.

"J'en ai ressenti, ça."

"Ah oui ?"

"Oui. Il y a quelque chose entre ce chocolat et moi. J'aimerais être laissée seule avec lui, si ça ne te dérange pas."

"Désolé, tu entres dans un ménage à trois* par défaut quand tu acceptes du chocolat dans ma maison," dit Malefoy, cassant un nouveau carré qu'il mit dans sa bouche.

"Ce chocolat n'est pas monogame ?"

"Non."

"Très bien," soupira Hermione. "Je suppose qu'il y en a assez pour partager."

Elle sortit sa baguette et fit fondre un peu de chocolat. Puis elle arracha un bout du gâteau restant et le trempa dans le chocolat fondu.

"Pure décadence, Granger, mais j'aime ton style."

Ils finirent le gâteau dans un silence complice.

"Je me sens vraiment mieux," dit Hermione. "Ne ferions-nous pas mieux de rejoindre les autres ?"

"Je suppose," dit Malefoy.

Mais il ne fit pas un geste en ce sens. Assis sur le banc à côté d'Hermione, il regardait le coucher de soleil teindre le ciel en rose pâle. Elle ne bougea pas non plus, savourant l'ambiance presque magique de la douce lumière, du murmure de l'eau, de l'agréable compagnie de Malefoy.

L'ambiance changea soudain quand un groupe d'invités pénétra dans la petite cour avec des exclamations sur la beauté de la fontaine. Hermione prit conscience qu'elle était plus proche de Malefoy que ce que voulait l'étiquette et elle s'éloigna sur le banc à un bras de distance.

Malefoy en fit de même, ce qui laissa juste assez de place à un invité qu'Hermione n'avait pas vu précédemment, Blaize Zabini.

"Zabini," dit Malefoy. "Je n'avais pas vu que tu étais invité."

"Drago," dit Zabini. "Grang - euh - Guérisseuse Granger ? Professeur Granger ?"

"Hermione ira très bien," dit Hermione.

"Je ne suis pas d'accord," dit Malefoy. "Ne laisse pas Zabini t'appeler par ton prénom,"

"Trop tard," dit Zabini. "J'ai la permission de la dame."

"Fais-en bon usage," dit Hermione.

"Hermione," dit Zabini, prononçant le mot lentement. "Shakespearien, n'est ce pas ?"

"Oui," dit Hermione, surprise.

Zabini se pencha vers elle, tournant ostensiblement le dos à Malefoy

"Alors Hermione, sur quoi tu travailles en ce moment ?"

"Ça dépend des jours, j'alterne entre les consultations de médecine au cabinet moldu, les gardes à Sainte Mangouste, les cours magistraux et mes activités de recherche," résuma Hermione.

Zabini siffla.

"Hé ben, tu trouves encore le temps de dormir avec tout ça ?"

"À peine."

Et elle réussissait à gâcher le peu de temps de sommeil qu'elle avait en ressassant des pensées agaçantes à propos de Malefoy. Zabini s'enquit de ses activités de recherche et elle se lança dans une longue explication sur les applications des techniques de thérapies géniques.

Zabini hochait la tête de temps à autre avec un air légèrement impressionné. Il posa quelques questions pertinentes qui surprirent agréablement Hermione. À la fin de son exposé, Zabini pencha la tête sur le côté avec un air intrigué.

"Je me demande bien pourquoi un cerveau comme toi perd son temps avec un grand imbécile comme Drago," dit-il. "Viens plutôt t'asseoir avec moi sous les cerisiers, Narcissa a servi du champagne."

"Je suis juste là," dit Malefoy d'un ton qui paraissait très irrité.

"Oh," dit Zabini. "J'avais oublié."

"Malefoy n'est pas un grand imbécile," dit Hermione, éludant la proposition de Zabini.

Ce dernier eut un sourire moqueur. "Quelle taille d'imbécile est-il, alors ?"

"Des plus petits, et seulement quand il est vexé."

"Clairement, tu ne le connais pas," objecta Zabini.

"J'ai développé une familiarité avec lui," dit Hermione.

Zabini regarda Malefoy d'un air interrogateur. "Une familiarité, tu dis ?"

"Au travail," dit Hermione.

"Oh ? Et en quelle qualité Drago et toi travaillez ensemble ?"

"Une affaire ennuyeuse du Ministère, avec laquelle je ne vais pas t'embêter." Estimant que la conversation glissait sur un terrain dangereux, Hermione se leva, lissa ses robes, et s'excusa pour aller rejoindre Padma qui discutait avec un groupe d'invités près de la fontaine.

"Hermione ! Tout va bien ? Je t'ai vu sur le banc avec Malefoy, il a été correct avec toi ?"

"Oui oui, il est tout à fait correct avec moi," répondit-elle en jetant un regard à l'intéressé qui était plongé dans une conversation qui semblait le contrarier avec Zabini. "Je me suis sentie mal dans la serre et il a eu la prévenance de m'amener à l'écart."

"On travaille ensemble - une affaire confidentielle," ajouta-elle devant le regard surprit de Padma.

"Oh. D'accord. Tout va bien alors ?"

"Tout va bien," confirma-elle.

Zabini se leva du banc et vint rejoindre Hermione et Padma, les entourant chacune d'un bras.

"Le thé touche à sa fin, je vais passer la soirée au Macassar, ça vous dit de m'accompagner les filles ?"

Hermione refusa poliment en se dégageant doucement. Zabini se tourna vers Padma, un bras toujours sur ses épaules. "Et toi Patil, ça te tente ?"

Padma jaugea Zabini du regard pendant quelques secondes avant d'acquiescer : "D'accord." Ils transplanèrent dans un craquement qui raisonna dans le jardin, laissant seule une Hermione dubitative.