Derek n'arrivait pas à croire ce qu'il avait fait, pour la simple et bonne raison qu'il était sa propre priorité. Si l'on avait besoin de lui, il aidait… Sans être du genre à stopper son chemin et changer ses plans pour autrui lorsque rien ne nécessitait réellement son intervention. Il aurait pu… Juste prêter son téléphone à Stiles pour qu'il appelle une dépanneuse et laisser celui-ci l'attendre. Derek s'était tout d'abord surpris en lui proposant – d'une façon qui n'appelait pas le moindre refus – de l'emmener au lycée, en ajoutant qu'il contacterait la fameuse dépanneuse pour lui.

Au final, il avait bel et bien passé cet appel… Depuis le foyer Stilinski, chose d'autant plus étonnante qu'il ne venait jamais dans cette maison, excepté lorsqu'il avait des recherches à confier à l'hyperactif. Mais jamais, ô grand jamais il ne pensait y aller de son propre chef pour une autre raison que celle-ci. Encore moins pour aider Stiles comme il l'avait fait… Mais celui-ci lui avait paru si pathétique qu'agir en bon samaritain lui était apparu comme l'unique chose à faire. C'était dans ce fichu bouchon qu'il s'était rendu compte qu'il ferait fausse route s'il emmenait réellement Stiles au lycée car dans son état, impossible qu'il suive quoi que ce soit.

Aucun des klaxons qui avaient retenti près de la Camaro ne lui avait fait ne serait-ce que froncer un sourcil. Il avait beau n'être qu'un humain… Il avait deux oreilles, une ouïe largement suffisante pour percevoir des bruits aussi forts que ceux-ci. Et pourtant, il n'avait pas bronché. Son sommeil était si profond que Derek s'était dit qu'il valait mieux le laisser dormir. S'il s'était laissé aller ainsi dans sa Camaro – sans doute sans s'en rendre compte –, c'est qu'il devait cruellement manquer de sommeil et connaissant l'énergumène, Derek ne serait pas surpris par cette idée. Cette pensée-là non plus ne lui ressemblait pas: en temps normal, il ne songeait pas à ce genre de choses qui, selon lui, ne le regardaient pas – elles n'étaient pas son problème. Mais là, Stiles s'était endormi, dans sa voiture. Sous sa responsabilité, en quelque sorte.

Derek n'avait que peu réfléchi, lorsque le bouchon avait cessé d'exister. Au lieu de prendre à droite, il avait tourné à gauche.

Et le voilà à observer d'un air curieux le jeune homme qui dormait à poing fermé sur son lit en bazar. Non, Derek n'était pas allé jusqu'à faire l'effort de retendre correctement les draps avant de le déposer avec une délicatesse toute relative dessus – l'avoir porté était, à ses yeux, bien suffisant. Lui qui avait plaisanté au sujet d'une pseudo bonne action de l'année estimait finalement l'avoir faite.

Pourtant, il n'était toujours pas sorti de cette chambre, ne s'était pas non plus résolu à détourner ses yeux clairs du visage on ne peut plus détendu de Stiles. Comment cet idiot faisait-il pour dormir à poings fermés, malgré les klaxons, l'arrêt brutal de la Camaro devant son jardin et son transport si peu soigneux jusqu'à son lit? D'ailleurs, comment avait-il fait pour tout simplement s'endormir à côté de lui, dans la voiture? Derek soupira. L'humain devait lui accorder une confiance incroyable, ou bien… Être véritablement épuisé. Le fait est que cette situation dérangeait quelque peu le loup-garou, qui ne faisait rien pour s'en éloigner, l'oublier. Une part de lui avait besoin de comprendre cette étrangeté qui n'apparaissait que comme un détail sans importance. N'importe qui pouvait avoir un moment de faiblesse sans en préméditer l'arrivée.

Soudain, ses sens lupins l'alertèrent sur une arrivée imminente, des pas un peu lourds qui montaient les escaliers. Derek ne bougea pas, fit mine de n'avoir rien remarqué. Ce n'est que lorsque la porte de la chambre s'ouvrit doucement qu'il daigna faire migrer son regard vers le nouvel arrivant. Mais son ouïe, elle, resta un moment concentrée sur le rythme cardiaque de l'hyperactif, lequel était parfaitement régulier depuis peu.

Il dormait comme un bébé.

Noah Stilinski, car il s'agissait bien de lui, demanda à Derek de le rejoindre d'un signe de tête. Une fois tous les deux dans le couloir, il ferma la porte.

- La dépanneuse que tu as appelée pour Stiles est en chemin, je vais y aller pour apporter ses clés.

Clés que Derek lui avait confiées lorsqu'il lui avait ramené son fils, inconscient. La tête du shérif, qui était au départ rentré chez lui pour récupérer quelques documents, Derek s'en souvenait encore. En même temps, il y avait plus normal et plus prévisible qu'un loup-garou solitaire lui rapportant sa progéniture, complètement inerte dans ses bras. Il lui avait expliqué la matinée dans les grandes lignes avant de pouvoir emmener l'hyperactif dans sa chambre pour l'y laisser se reposer. Noah, qu'il connaissait comme facilement agacé par les frasques de son fils turbulent, n'avait pas fait d'histoires – Derek avait même cru percevoir une forme d'inquiétude dans son odeur.

- Je me doute que tu as des choses à faire, mais… Est-ce que tu pourrais rester ici, le temps que je revienne? Lui demanda le shérif en enfilant une veste. Je n'en aurai pas pour longtemps, mais dans la mesure où il est dans cet état, je préfère ne pas le laisser seul.

Derek ne s'était pas trompé: Noah s'inquiétait bel et bien pour sa progéniture, ce qu'il pouvait comprendre même s'il l'avait rarement vu le montrer. Il était un homme d'action, de travail, souvent fatigué par les frasques de son fils – duquel on le voyait rarement se rapprocher. Disons qu'on le savait épuisé par ses responsabilités, peu enclin à se concentrer sur autre chose. En d'autres termes, Stiles passait parfois au second plan tant que ce qu'il faisait restait superficiel, peu impactant.

Là, son endormissement semblait le préoccuper au point de retarder son retour au poste.

- Il dort, fit simplement Derek en haussant les épaules.

Dans un sens, il le rassurait; dans l'autre, il énonçait quelque chose de purement factuel. Il avait bien fait attention à ce qu'il percevait le concernant et il n'avait rien trouvé de plus qu'un somme pur et simple. Profond, certes, mais un somme tout de même. Stiles n'était pas en train de plonger dans le coma, ni de subir le moindre accident cardio-vasculaire.

- D'habitude, un rien le réveille, objecta Noah. Peut-être qu'il a passé un peu trop de temps sur les jeux vidéos ces derniers temps, peut-être que ça lui a grillé ses nuits ou peut-être qu'il s'est lancé dans de nouvelles recherches sur des choses de votre monde.

Noah, bien qu'il soit assez proche de la meute et qu'il l'aidait autant que faire se peut, s'en excluait toujours. Ce n'était pas son monde à lui, son quotidien. Il tenait d'ailleurs à intervenir le moins possible, sans doute pour garder un semblant de normalité dans sa vie. L'on pouvait considérer sa façon de vivre comme un moyen de faire la part des choses.

- Le fait est que mon fils est épuisé et ce n'est sans doute pas pour rien, soupira Noah. Je lui parlerai lorsqu'il se réveillera. En attendant, je serais rassuré si tu restais près de lui.

Et il ne pensait pas cela sans raison: épuisé ou non, Stiles était capable de toutes les folies… Ce que son père désirait plus que tout éviter. Derek, qu'il connaissait ferme, autoritaire, intransigeant, parviendrait aisément à lui mettre des bâtons dans les roues s'il tentait quoi que ce soit.

Mais si le loup-garou avait l'habitude de réduire ses mots au maximum tant parler était une activité qu'il appréciait peu, cette fois-ci le laissa muet. Parce qu'il n'avait pas envie de rester plus que nécessaire, d'autant plus qu'il considérait en avoir déjà assez fait. Ce matin, il s'était montré on ne peut plus sympathique – sans sourire.

Et pourtant, il se sentit incapable de refuser la demande plus qu'explicite de Noah Stilinski, dont le front était désormais bel et bien ridé d'inquiétude.