Sa joue rappa contre le sol dur et froid parsemé par quelques brins de paille ici et là. C'est cependant son épaule qui lui fit mal en premier. Parce que Stiles était mal tombé et qu'elle avait pris pour tout son corps. Le pire, c'est qu'il pensa exclusivement à cette douleur claire, nettement délimitée avant de songer à qui lui avait porté ce coup qui l'avait fait -être s'attachait-il au concret, à son ressenti premier, parce qu'il lui fallait le temps de procéder, de réfléchir correctement. Ou peut-être peinait-il à croire qu'une main amie se soit refermée en un poing. En une arme si douloureuse par son côté trompeur. Une main qui lui avait parfois proposé une cigarette, qui lui avait tendu une bouteille d'alcool.

La tête de Stiles tournait et ses réflexions se faisaient difficiles. Brouillonnes, lentes, fastidieuses. Un ramassis de conneries à peine croyables et qui lui semblaient futiles… Parce qu'un sentiment d'urgence certain continuait de l'habiter, de lui hurler de s'en aller. Mais son état rendu faible par sa fièvre rendait tout flou. Il respira – mal –, se redressa péniblement. Il ne réalisait pas, ne se rendait pas compte de la gravité de ce qui était en train de se passer… Ni de ce que ce moment signifiait pour lui, pour sa vie, pour cette amitié de longue date. Scott, c'était quelqu'un de chiant, mais à qui il avait longtemps pensé pouvoir confier sa vie. Force était de constater que son jugement à ce sujet était caduc – avait-il seulement un jour valu le coup? – ou qu'il s'était carrément fourvoyé.

- Qu'est-ce que… Qu'est-ce que t'as fait? S'entendit-il demander d'une voix blanche.

Lui-même n'était pas certain d'avoir prononcé ces mots, mais Scott les entendit. Il n'y répondit pas tout de suite. Le silence approximatif de la grange se retrouva brisé par la paille écrasée à un rythme lent. Scott se rapprochait.

Stiles, trop sonné, ne tenta pas le moins du monde de reculer. Il était ailleurs – perturbé, absent. Bouleversé, sans doute. Il n'était même pas sûr de ce que concernait précisément sa question. Son geste? Cette activité qu'il menait en parallèle de son métier de vétérinaire? Que faisait-il précisément, d'ailleurs? Puis pourquoi considérait-il Jackson et le loup noir comme des «choses», des «monstres»? Dieu qu'il avait mal à la tête…

- J'ai simplement… Tenté quelque chose pour te remettre les idées en place.

Stiles ne perçut aucune chaleur dans cette voix, dans ces mots, dans cette intonation si particulière qu'elle lui faisait froid dans le dos. Les pas continuèrent de se rapprocher, si bien que le bout de ses chaussures pénétra presque brutalement dans son champ de vision et Stiles… Eut cette fois instinctivement un mouvement de recul. Petit et dépourvu d'énergie, certes, mais bel et bien présent. S'il avait commencé à réaliser le pourquoi du comment de sa chute, de sa douleur à l'épaule, de cette sensation bizarre à sa joue?

Non.

- J'ai les idées parfaitement claires, articula-t-il.

Mais ça sonnait faux – lui-même l'entendait. Néanmoins, que dire d'autre? Puis, que cherchait à sous-entendre Scott?

- Je n'en suis pas certain.

Stiles crut entendre un soupir. Trop fatigué, il ne releva pas la tête, ne voulut pas croiser le regard de Scott. Peut-être qu'il commençait doucement à comprendre… Qu'il avait peur de ce qu'il pourrait y trouver. D'un autre côté, il essayait vainement de se concentrer, de… Réfléchir efficacement. Il gardait toujours en tête son objectif premier: sortir Jackson et le loup noir de là. Le reste, il aviserait plus tard. D'ailleurs, où était son protégé? Ne le soutenait-il pas, avant de tomber? Finalement, le coup qu'il avait reçu avait peut-être mis sa tête en bazar – il n'était pas certain de se souvenir de tout, s'imagina avoir oublié quelque chose. Mais il n'eut pas le temps de chercher Jackson du regard qu'une main se saisit de son col et le redressa avec une brutalité telle qu'elle lui coupa le souffle. Un éclair blanc zébra la vue de l'hyperactif – il n'y vit plus du tout, l'espace d'un instant. L'arrière de son crâne avait tapé contre quelque chose mais la douleur, il ne l'avait pas ressentie. Elle ne vint pas.

Ses yeux se fermèrent tous seuls et même si Stiles n'eut aucune conscience de cette souffrance qui devrait le submerger, son corps réagit. Son visage se crispa à outrance, ses lèvres laissèrent échapper un gémissement faible et étouffé. Le pire pour lui, c'était sa tête: il avait juste l'impression qu'elle était lentement en train d'exploser.

- Ouvre les yeux.

L'ordre était sec. Aussi sec que la voix qui l'avait déclamé. Stiles s'exécuta comme il le put, mais pas pour lui obéir. Il avait simplement… Besoin d'y voir et de chercher autour de lui un moyen de se sortir de cette situation dantesque.

- Regarde-moi.

Stiles essaya malgré la peur qui commençait à l'inonder: et il la vit, cette lueur qui le terrifiait tant.

Celle qui l'empêchait de reconnaître son meilleur ami. Celle qui lui montrait l'homme qu'il était réellement… Le monstre qu'il avait finalement libéré en sa présence.

Sa vue était floue, elle tanguait. Il avait même l'impression que certaines couleurs s'altéraient – ce qui n'était pas forcément bon signe. Rêvait-il? Était-il victime d'une forme d'une hallucination ou le coup porté à sa tête avait-il été quelque peu méchant? C'était marrant, parce que Scott, qu'il avait toujours trouvé naturellement beau, lui parut soudainement hideux. Les traits déformés par cette colère froide l'animant telle une bête, cette rage étrange frisant la folie, oui… Elle lui donnait l'air d'un monstre. Un monstre qui pouvait être tout aussi bien humain que surnaturel. Enfin, Stiles n'était pas en mesure d'affirmer que l'image que lui transmettait ses yeux était réelle… Tant sa propre tête ne pouvait pas y croire. Il n'a pas pu me frapper. Ce n'est pas possible, réussit-il à penser, incrédule… Mais faible à souhait. A la merci de cet ami au regard de plus en plus sombre.

- Tu vas répéter après moi, Stiles.

Ce dernier fronça les sourcils: sa voix, il commençait à avoir du mal à l'entendre. Mais même comme ça, il perçut toute la menace qu'elle contenait. Elle ne convergeait pas complètement vers lui… Stiles savait qu'elle irait se répercuter sur Jackson et le loup noir s'il ne réussissait pas à rester ancré dans la réalité. Alors il s'accrocha comme il le put, fit ce qu'il pouvait pour se concentrer sur la douleur qu'il commençait vaguement à ressentir.

- Ces choses sont des monstres, cracha Scott. Allez, répète!

Il secoua Stiles en voyant que celui-ci semblait perdre le fil. Mais l'hyperactif réussit à se concentrer légèrement… Suffisamment pour le regarder d'un air nouveau. Il y avait de la colère dans ses prunelles, quelque chose d'aussi fort qu'instinctif, comme si les mots de Scott l'avaient plus ou moins réveillé.

- Non, réussit-il à articuler, un air de défi collé au visage.

Parce que l'idée de prononcer ces atrocités le répugnait. Des atrocités qu'il n'aurait jamais pensé entendre… Encore moins sortir de la bouche de son soi-disant meilleur ami. Alors même si cela pourrait lui permettre de s'éviter quelques élans de violence, il ne le fit pas. N'énonça pas ces horreurs. Parce qu'il ne les pensait pas et qu'il ne pouvait pas qualifier Jackson ou le loup noir de monstres.

Car la seule bête ici finalement, c'était Scott.

- Stiles, ne me cherche pas… Siffla le latino entre ses dents.

Ses doigts s'étaient resserrés sur son col, compressant légèrement sa gorge. Et le visage d'Isaac apparut un instant dans son esprit. Cet idiot avait eu raison. Il avait eu juste sur toute la ligne.

Un élan d'audace le prit. Quoiqu'il se passe, Scott allait le frapper à nouveau et Stiles, dans son état, ne pouvait plus rien faire. Pas à moitié dans les vapes et fiévreux comme il l'était. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était gagner du temps.

Du temps qui ne se chiffrerait qu'en minutes s'il avait de la chance.

Alors il décida d'appliquer le plan on ne peut plus simpliste qui venait de naître dans sa tête. Il pesa rapidement le pour et le contre en faisant fi du brouillard qui commençait à s'imposer en lui, dans sa tête.

Il lança un regard plein de défi à celui qu'il considérait désormais comme la pire des ordures et articula péniblement ceci:

- Ceux que tu appelles des «choses» sont plus humains… Que tu ne le seras jamais.