Bonjour !

C'est l'heure du troisième chapitre, qui reprend dans la continuité du premier !

J'ai adoré l'écrire et j'espère qu'il vous plaira !

Il y a toute une partie sur Harry qui est largement inspirée des jeux vidéos Spider Man, parce que je trouvais ça intéressant à intégrer (et parce que Harry n'est pas seulement un antagoniste, honnêtement je l'aime bien haha)

Bonne lecture !


Harry Osborn vivait dans l'Upper East Side, au sein d'une splendide demeure au plafond vertigineux et où tout n'était que marbre, baies vitrées, canapés en cuir, meubles de designer et escaliers en colimaçons flanqués de rampes dorées.

Lorsqu'ils furent invités à pénétrer dans le sanctuaire de leur camarade, Peter et Gwen ne purent dissimuler leur surprise. Le luxe qui se déployait autour d'eux était très différent de celui de la Tour des Avengers ; ici, chaque pièce semblait être un prétexte pour exposer une myriade d'œuvres d'art aux prix vraisemblablement astronomiques. Des tapis épais étouffaient leur pas, l'atmosphère sentait le miel et le bois ciré ; le chemin jusqu'à la chambre de Harry leur parut durer une éternité.

— Tes parents savent qu'on est ici ? demanda Peter alors que Harry les invitait à prendre place sur des fauteuils disposés le long du mur, séparés de son lit par un paravent aux motifs envoûtants.

— Mon père s'en fout, répondit l'adolescent en haussant les épaules. Et ma mère aussi. Enfin, je suppose, vu qu'elle est morte.

— Oh, laissèrent échapper Peter et Gwen à l'unisson.

— Désolé, balbutia Peter, mais Harry balaya ses excuses d'un geste distrait de la main.

— T'en fais pas, ça fait longtemps. Et j'ai cru comprendre que toi aussi, t'étais passé par là. Enfin bon, parlons d'autre chose, si vous voulez bien. (Peter et Gwen approuvèrent vigoureusement, aussi gênés l'un que l'autre.) Vous avez envie de boire quelque chose ?

Sans attendre leur réponse, leur hôte entreprit de fouiller dans l'un de ses innombrables placards et en extirpa des bouteilles qui ressemblaient à s'y méprendre à celles que Tony gardait sous clef avant qu'il n'arrête de boire. Peter ne savait pas exactement ce qu'elles contenaient, mais la couleur de leur robe suggérait qu'il ne s'agissait pas d'innocents jus de fruits.

— On n'attend pas d'autres personnes ? s'étonna Gwen.

— Non, ils viendront une autre fois. Ce soir, je me suis dit que ce serait l'occasion qu'on reste entre nous et qu'on fasse un peu mieux connaissance, tous les trois.

— Vraiment ? Et en quel honneur ? insista la jeune fille.

Elle fronçait les sourcils avec suspicion, ressemblant curieusement à une version miniature de son père.

— J'sais pas, je vous aime bien, répondit Harry en les gratifiant d'un clin d'œil. Vous êtes… différents. Stacy et Stark, les petits génies du cours de chimie.

Il aligna les bouteilles sur la table basse.

— Vous ne m'avez pas répondu. Qu'est-ce que vous voulez boire ?

— Euh… est-ce que tu as de l'Ice Tea ? demanda Peter.

— Ou de la grenadine ? suggéra Gwen.

Harry les fixa un bref instant, puis éclata de rire. Peter se crispa, mais leur interlocuteur ne semblait pas moqueur : il s'esclaffait comme s'ils avaient lancé une plaisanterie particulièrement hilarante, une lueur amusée illuminait ses yeux bleus.

— Vous êtes trop mignons, tous les deux. Je peux aller en chercher à la cuisine, mais je vous assure que ce truc en vaut la peine. Je l'ai trouvé dans la réserve de mon père, c'est de la Beluga, la meilleure vodka du monde.

— De la… Beluga ? Et… ton père t'a laissé en prendre ?

— Je vous l'ai dit, il s'en fout. En ce moment, la seule chose à laquelle il s'intéresse, c'est sa foutue candidature pour la mairie de New-York. Comme si son entreprise à la con ne suffisait pas.

Il déboucha l'une des bouteilles et huma son contenu, l'air satisfait.

— Moi, mon père me tuerait s'il me voyait boire ça, dit Gwen.

— Le mien aussi. Enfin, je crois, renchérit Peter.

— Parce que vous comptez le leur dire ? pouffa Harry.

— Mon père est policier, il devinerait que j'ai bu avant même que je pose un pied sur le paillasson !

— Et comment il ferait pour le deviner ?

— Bah… ça se voit, non ?

— Si tu commences à marcher de travers et à rentrer dans les murs, ouais, mais ça n'arrivera pas avec une gorgée ou deux. T'as bien plus de self control que tu ne le croies, Stacy.

— Et l'odeur ?

— La vodka ne sent rien. Essayez, je vous jure que vous ne le regretterez pas !

Comme pour leur montrer l'exemple, Harry porta la bouteille à ses lèvres et en avala une généreuse gorgée. Peter l'observa, désarçonné. Tony lui avait déjà prouvé mille fois que l'alcool était dangereux : l'adolescent se souvenait très bien des matinées qu'il l'avait vu passer à grimacer, les yeux rouges et le teint livide, au bord de la nausée, et il ne comprenait pas ce que Harry pouvait bien rechercher là-dedans.

— Délicieux, gloussa l'adolescent en s'essuyant la bouche. A ton tour, Gwen ! Promis, si t'aimes pas ça, j'irai te chercher la meilleure grenadine de la réserve, trente ans d'âge, un grand millésime !

Gwen leva les yeux au ciel mais, à la surprise de Peter, accepta la bouteille.

— Très bien, Osborn. Tu l'auras cherché.

Lorsqu'elle amena le goulot vers son visage, une lueur de défi brillait dans son regard.

Peter l'entendit distinctement déglutir, puis laisser échapper une exclamation étouffée en écartant précipitamment la bouteille de ses lèvres.

— Woooah, c'est… c'était…

Ses pommettes arboraient une teinte rose vif, sa bouche était tordue, à mi-chemin entre surprise et dégoût. Peter ne put s'empêcher de rire devant son expression qui semblait toute droite sortie d'un dessin animé.

— Au lieu de te moquer, c'est à toi d'essayer ! riposta-t-elle en fourrant la bouteille entre ses mains.

— Nan, je passe mon tour, répondit l'adolescent, mais Harry intervint :

— Tu ne vas quand même pas te dégonfler ? De quoi t'as peur ?

— Je n'ai pas peur, répliqua Peter. C'est juste que… euh…

Il pensait à Tony et à ce qu'il éprouverait en le voyant boire. Colère ? Déception ? Regret ? Un subtil mélange des trois ?

Ou rien du tout.

Lorsque Peter lui avait demandé la permission d'aller chez Harry, il avait légèrement tiqué, mais s'était contenté de lui répondre qu'il pouvait faire ce qu'il souhaitait, tant qu'il était rentré à vingt-deux heures et qu'il le tenait au courant de ses éventuels déplacements. « Ne fais pas trop de bruit en rentrant, Morgan sera déjà couchée » avait-il conclu, sans plus sembler s'intéresser aux faits et gestes de son fils.

Une constante, depuis l'Eclipse.

Il avait un nouvel enfant préféré, il devait s'en occuper. Peter, lui, était passé au second plan.

Pas de quoi en faire toute une histoire.

— Je n'ai pas peur, répéta-t-il plus fermement.

Comme dans un rêve, il se vit approcher la bouteille de ses lèvres, les mains légèrement tremblantes. Il n'avait jamais bu d'alcool et n'était même pas certain de ressentir le moindre effet, avec son métabolisme modifié — mais après tout, que risquait-il ?

Il en prit une gorgée et comprit immédiatement la réaction de Gwen. Il avait l'impression de boire du désinfectant, et une sensation de brûlure coula le long de son œsophage, incendiant le creux de son estomac. Son visage était anormalement chaud, ses yeux piquaient comme s'il avait fixé trop longtemps une ampoule allumée.

Il se mit à tousser, et quelqu'un lui tapota le dos en riant.

— Ouaaais ! Ça, c'est de vrais potes ! Je savais que vous alliez pas vous défiler !

Harry paraissait aussi réjoui que si Peter et Gwen s'étaient tatoué son prénom sur le front. Il s'enfonça paresseusement dans son fauteuil et reprit la bouteille.

— Je ne suis pas sûre de vouloir recommencer, prévint Gwen.

— Moi non plus, s'empressa de dire Peter.

— C'était si horrible que ça ?

— Bah…

Peter et Gwen échangèrent un nouveau regard.

— C'est le temps de s'habituer. Et puis vous connaissez le dicton : il faut soigner le mal par le mal, éluda Harry en reprenant une gorgée de vodka.

Une dizaine de minutes plus tard, Gwen comme Peter s'étaient resservi trois fois et l'alcool commençait à leur faire tourner la tête. Leurs yeux, en particulier, étaient particulièrement brillants ; quand à leur conversation, elle se déliait plus facilement, Peter avait l'impression d'avoir du savon sur la langue.

— Vous savez ce que c'est, le problème ? Vous accordez trop d'importance à ce que vos vieux pensent de vous, affirma Harry en glissant de son fauteuil pour se rapprocher du duo. Vous valez beaucoup plus que ce qu'ils vous ont mis dans la tête !

— Et comment peux-tu savoir ce qu'on a dans la tête ?

— Ça se voit. Toi, par exemple, Stacy…

Il approcha la main du visage de la jeune fille. Peter se crispa, mais ses sens d'araignée lui indiquèrent qu'aucun danger ne planait sur eux, et les doigts de Harry effleurèrent simplement la joue de son amie.

— T'es intelligente, t'as de la répartie, t'as pas peur de boire de la Beluga et en plus, t'es une belle fille. Pourtant, tu restes dans ton coin, t'es l'une des plus discrètes de la classe, alors que si tu prenais un peu confiance en toi, tu nous écraserais tous !

— Elle n'a peut-être pas envie de nous écraser, objecta Peter.

— Je n'ai pas envie de vous écraser, confirma Gwen en grimaçant.

— C'est une façon de parler. Tu nous éblouirais, si tu préfères. Gwen Stacy, la lumière de la capitale. (La main de Harry se dirigea vers Peter, et celui-ci sursauta lorsque son index s'enfonça contre son front.) Et toi, t'es pas en reste, Stark.

— Peter, corrigea vivement l'adolescent.

— Malgré ton nom de famille, t'as rien à voir avec les autres gars de la classe. Tu vis avec les Avengers, ton père est le mec le plus riche de la ville, il y en a plein qui tueraient pour être à ta place, et toi tu rases les murs, on dirait que t'as peur qu'on te remarque.

— Ce n'est pas un défaut, de ne pas vouloir se faire remarquer, dit Gwen.

— C'est vrai, admit Harry en riant. Un point pour toi, Stacy. Mais je maintiens : tous les deux, je suis sûr que vous avez beaucoup de choses à dire, mais que vous les refoulez à cause de votre bonne éducation.

— C'est pour ça que tu nous fais boire ? Pour découvrir nos démons intérieurs, et toutes nos mauvaises pensées refoulées par l'éducation de nos parents ? demanda Peter, ce qui fit rire Gwen.

Harry esquissa un rictus amusé.

— Effectivement, c'est un des moyens que j'ai en réserve.

— Ah ouais ? Et t'en as beaucoup d'autres ?

Il les gratifia d'un clin d'œil mutin. Peut-être était-ce à cause de la vodka, mais celui-ci fit rougir les deux adolescents.

— Pour le découvrir, il va falloir accepter ma compagnie ! Enfin, seulement si vous le voulez bien. Je ne force jamais personne à rien, c'est pas mon genre.

— On pourrait… commença Peter, et Gwen poursuivit d'une voix hésitante :

— … essayer.

— Potentiellement, ajouta Peter.

— Hypothétiquement, appuya Gwen.

— Parfait. Dans ce cas, prenez une dernière gorgée de Beluga, avant que je vous montre un truc énorme, qui vous convaincra définitivement !

— Euh… ça dépend quel truc. Il y en a qui sont allés en prison pour ce genre de proposition, dit Peter.

D'après les gloussements de Gwen, elle pensait exactement à la même chose que lui. Harry sourit de plus belle, nullement gêné par l'allusion.

— Va pas trop vite en besogne, Stark ! Non, ça n'a rien à voir avec ma personne. Mais c'est quelque chose qui vous plaira, j'en suis sûr !

Harry les entraîna dans une succession de pièces obscures et leur fit grimper des volées de marches vertigineuses. Après un trajet qui parut durer une éternité, ils parvinrent à une porte blanche qui dénotait du reste par sa simplicité, et sur laquelle un panneau « ENTREE INTERDITE »avait été placardé.

— Ok, ça devient un peu louche, là, fit remarquer Peter.

— Si ça te rassure, je peux t'assurer qu'il n'y a pas un chien à trois têtes, là-derrière.

Harry sortit de sa poche un badge plastifié qu'il passa sur la serrure. Après un petit « clic ! », la porte coulissa et leur dévoila une grande pièce blanche. Peter et Gwen écarquillèrent les yeux, frappés de stupeur.

— Woaahh… !

Émerveillés, les deux adolescents pénétrèrent dans la pièce, talonnés par Harry. Il s'agissait d'un laboratoire d'une propreté irréprochable, où étaient rassemblés divers caissons remplis de liquides mystérieux, une multitude de fioles dans lesquelles s'épanouissaient d'étranges filaments lumineux et tout autant d'écrans sur lesquels défilaient des suites de chiffres incompréhensibles.

— C'est un laboratoire secret d'Oscorp Industries ? demanda Peter en s'avançant vers une paillasse où étaient empilées des notes, tracées d'une écriture fine et régulière sur du papier à carreaux.

— Pas exactement. C'était le laboratoire de ma mère, expliqua Harry, visiblement ravi par l'effet qu'avaient les lieux sur ses invités. C'est là qu'elle menait ses expériences personnelles, celles que désapprouvait mon père parce qu'il ne les estimait pas assez rentables. Il refusait qu'elle les fasse dans la tour d'Oscorp Industries, alors elle s'est installée ici.

— C'est incroyable… quel genre d'expérience elle faisait ? s'enquit Peter, essayant de déchiffrer les notes qu'il comprenait avoir été écrites par la mère de Harry.

— Des projets majoritairement destinés à lutter contre la pollution de la ville. Parce que cette foutue pollution touche tout, vous savez : l'eau, la terre, la végétation, l'air… surtout l'air ! Elle voulait trouver des solutions durables pour protéger l'écosystème de New-York et éviter qu'on s'empoisonne juste en respirant dès qu'on a le malheur de mettre les pieds en ville.

— C'était un beau projet, remarqua rêveusement Gwen.

Peter approuva, mais le visage de Harry s'assombrit légèrement :

— Un projet merveilleux. Dommage que mon père ait tout laissé tomber après sa mort.

— Tu veux dire qu'il a laissé tout ça en suspens ?!

— Plus ou moins. Lui aussi vient ici, de temps en temps, pour faire ses magouilles. Ne me demandez pas ce qu'il fabrique, j'en sais rien du tout et je m'en moque. Ça doit être vraiment passionnant, pour qu'il préfère ça plutôt que de passer du temps avec son fils. Enfin bon, je suppose que je ne peux pas rivaliser avec une fiole graduée.

Peter et Gwen ne trouvèrent rien à dire, déstabilisés par la soudaine amertume qui enrobait les paroles de leur interlocuteur, étiolant sa malice habituelle.

— Mais moi, j'ai décidé de continuer ses projets, ajouta Harry d'un air farouche. Quoi qu'en dise mon père, je pense qu'on pourrait changer la ville, avec tout ça. Et une fois qu'on aurait déployé les trouvailles de ma mère dans New York, on pourrait passer à une autre ville, puis à une autre… imaginez, notre action pourrait changer la face du monde !

Notre action ? répéta Gwen.

Elle semblait indécise, mais Peter savait, à son expression, qu'elle pensait exactement la même chose que lui : aussi bizarre que pouvait paraître Harry, son projet avait quelque chose d'indéniablement séduisant. Ce laboratoire pourrait être un moyen incroyable d'aider les New-yorkais, sans même avoir besoin d'enfiler un masque de héros !

Comme s'il lisait dans leurs pensées, Harry formula tout haut ce qu'ils avaient déjà deviné :

— Eh bien, j'ai pensé que vous pourriez m'aider. Gwen, t'es la première de l'école en chimie. Peter, je sais qu'il y a des trophées à ton nom, dans ton ancien bahut. Et puis ton père t'a sûrement appris un truc ou deux…

— C'est plutôt lui, qui a appris un truc ou deux à son père, corrigea Gwen.

— Je ne vous demande pas une réponse ce soir, poursuivit Harry. On a tout notre temps pour en parler. Mais, eh bien, si vous voulez faire partie du coup…

Peter sentait sa tête tourner légèrement — et cette fois-ci, la vodka y était totalement étrangère.

— Il n'y aura que nous trois ? voulut-il savoir.

— Que nous trois, confirma Harry. On pourrait se trouver un nom, si vous voulez. Un truc qui claque, comme les Avengers… en moins ringard, vu que la moyenne d'âge de leur troupe doit être de cinquante ans.

— Et pourquoi pas les Avengers Juniors ? pouffa Gwen. Après tout, les Avengers ont disparu de la circulation, depuis qu'ils ont affronté Thanos. On pourrait être la prochaine génération…les nouveaux sauveurs de la ville ! Et nous, au lieu d'avoir des supers pouvoirs destructeurs qui mettraient le monde en feu, on le sauverait grâce à la science !

— Les Avengers Juniors, ça me va ! Pete ?

— Ça me va aussi, dit l'adolescent, ne pouvant réprimer un sourire en songeant à quel point il aurait été heureux de faire véritablement partie des Avengers, quelques années plus tôt, et à quel point ce désir était désormais éteint — mais la proposition de Harry faisait naître en lui un espoir, une excitation qu'il n'avait pas ressentie depuis des lustres.

Leur nouvel ami leva les deux mains, paumes redressées ; Peter et Gwen y firent claquer leurs propres mains, riant de leur projet et de leur insouciance.

— Ouaaiiis, parfait ! Pour fêter ça, je vous propose une dernière tournée de Beluga ! C'est moi qui offre !

Lorsqu'ils repartirent de chez Harry, Peter et Gwen riaient aux éclats, bras dessus bras dessous. Ni l'un ni l'autre n'aurait pu expliquer leur bonne humeur ; ils savaient seulement que la nuit leur semblait particulièrement belle et accueillante, parfumée par la brise chaude de la fin de l'été. Au-dessus de leurs têtes, la voûte céleste paraissait avoir été dessinée spécialement pour eux : les étoiles brillaient de mille feux, se reflétant en paillettes dorées et argentées sur leurs prunelles rêveuses.

— S'il savait ce qu'il s'était passé, mon père m'enfermerait dans la cave de l'immeuble jusqu'à ma majorité, rit Gwen, avant de trébucher et de se rattraper de justesse au coude de Peter. Oups, désolée !

— Je t'en prie : rattraper les demoiselles en détresse, c'est ma spécialité !

— C'est vrai, sourit Gwen, avant de paraître songeuse. Ou plutôt, c'est la spécialité de Spider-Man. Mais ça fait super longtemps que personne ne l'a vu, non ?

Le rire de Peter s'étouffa dans sa gorge et il détourna le regard.

— Non, confirma-t-il simplement.

Il inspira une grande bouffée d'air, devinant le regard inquiet de Gwen sur lui.

— Désolée, je ne voulais pas…

— Non, tu as raison. Ça fait trop longtemps que Spider-Man est aux oubliettes. Il faudrait sûrement remédier à ça…

Était-ce l'ambiance de cette étrange nuit New-yorkaise ? L'alcool qui se liait à leurs haleines ? La présence de Gwen contre son épaule, tendre et familière ?

Peter ne s'était pas senti aussi léger depuis très longtemps. Pour la première fois depuis des mois — depuis l'Eclipse, peut-être —, le désir de retrouver son alter-ego héroïque brûlait ses veines : il avait envie de grimper aux murs, de bondir de toiles en toiles, de goûter à l'ivresse indescriptible d'une chute libre !

Spider-Man lui manquait.

La seule chose qui le retenait d'enfiler son costume, c'était le message que Karen ne manquerait pas d'envoyer à Tony pour le prévenir que Peter avait recommencé à patrouiller — non sans avoir, au préalable, avoir avalé une quantité non négligeable de vodka. Déjà que Peter lui avait promis d'être de retour avant vingt-deux heu…

Oh, merde.

— Quelle heure il est ?

Gwen suivit son regard jusqu'à sa montre et étouffa une exclamation de surprise.

— Oh non, déjà vingt-trois heures ? Je vais me faire tuer !

— Moi aussi ! J'avais promis à Tony que je serai rentré à vingt-deux heures…

— Rentre vite, je vais prendre le métro, dit Gwen.

— Non, je t'accompagne, répliqua Peter. Hors de question que je te laisse te promener toute seule à cette heure-ci !

— Je ne suis pas en sucre, objecta son amie. Et si jamais un malabar me colle de trop près, je t'appellerai pour que tu le convainques de me laisser tranquille, promis !

Sans lui laisser le temps de protester, elle le serra brièvement dans ses bras et trottina jusqu'à l'entrée du métro le plus proche, sa queue-de-cheval blonde bondissant dans son sillage. Peter la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans l'escalier et vérifia sa localisation sur son propre téléphone portable. Il attendit de la voir s'engouffrer dans une rame de métro avant de prendre la route qui le mènerait chez les Stark, priant pour que Tony se soit endormi avant son retour.

Tony ne s'était pas endormi.

Peter le trouva dans sa chambre, assis sur le siège de son bureau, les mains croisées derrière la tête et l'air particulièrement indéchiffrable.

— Hey, Tony, dit Peter d'un ton dégagé en posant ses affaires par terre. Tu n'es pas encore couché ?

— Non, comme tu peux le constater.

Il n'y avait aucune malice dans la voix de l'homme. Aucune chaleur, rien qui ne laissait supposer qu'il était heureux de le revoir.

Peter retint une grimace.

Okay, ça ne va pas être un super bon moment.

— Tu peux y aller, maintenant. Je suis rentré, je vais bien, pas la peine d'en faire toute une histoire, tenta-t-il néanmoins.

Les narines de Tony eurent un frémissement inquiétant.

— Oh, vraiment ? Parce que tout va bien, tu crois que ça te donne le droit de n'en faire qu'à ta tête ?

Peter leva les yeux au ciel.

— Regarde-moi quand je te parle, Peter.

Il soupira, mais consentit à plonger ses yeux dans ceux de Tony. Ces derniers étaient noirs comme de l'encre, pleins d'une colère contenue.

— Je t'ai laissé aller chez ce Harry sans te poser de questions, tu n'avais qu'une seule consigne : rentrer avant vingt-deux heures. Je pensais pouvoir te faire confiance, après tout, tu sais lire l'heure, ça aurait dû être dans tes compétences. Or, il est presque minuit. Qu'est-ce que tu as à dire pour ta défense ?

— Désolé, je n'avais pas compris que c'était un tribunal, ici, répliqua Peter.

Il sentait ses joues brûler de colère, à l'instar du visage de son père qui se colorait peu à peu de rouge.

— Ne me parle pas sur ce ton, Peter.

— Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? explosa soudainement l'adolescent, avec une telle intensité que même son père eut un sursaut et, un bref instant, une expression de pure interrogation se peignit sur son visage. Ouais, je n'ai pas vu l'heure passer, je suis désolé mais, Tony, tu vois bien que je vais bien, j'ai juste passé une soirée avec mes amis, dans une maison super-sécurisé où on ne risquait absolument rien ! Y a vraiment pas de quoi en faire un putain de drame ! J'ai connu bien pire, avant, quand je patrouillais, et tu ne disais rien !

— Ton langage...

— Quoi, mon langage ? Qu'est-ce que ça peut te foutre ?

Tony se redressa et, brusquement, Peter réalisa qu'il était peut-être allé trop loin. Le visage de son père était froid, lisse, fermé. Sa bouche, légèrement pincée, paraissait ravaler des mots qu'il craignait de regretter. Et son regard…

C'était un regard où, derrière la colère, l'indignation, il pouvait lire un mélange de déception et de douleur. Et la réalité heurta Peter de plein fouet : son père était blessé par son comportement.

Pourtant, lorsqu'il ouvrit la bouche, son ton était calme. Las. Comme si l'épuisement dominait le reste.

— Écoute, on parlera de tout ça demain, quand les émotions seront un peu retombées. Là, ni toi ni moi ne sommes en état de discuter. Va te laver les dents, mettre ton pyjama et au lit.

— Je ne veux pas attendre dem...

— Non. Ne dis plus rien. (Il soupira.) Je ne veux pas me disputer avec toi, Peter. Pas maintenant. Et puis on va finir par réveiller Morgan, si on continue comme ça…

Il ajouta quelque chose, mais Peter n'entendit pas la suite. Ses oreilles s'étaient mises à bourdonner dès que le prénom de Morgan avait traversé les lèvres de son père.

Morgan. Morgan. Morgan. Évidemment. Il n'y a que pour elle qu'il s'inquiète.

Le reste, il n'en a strictement plus rien à foutre.

Il ne répondit pas, se dirigeant d'un pas vif vers la salle de bain. Il se brossa les dents si violemment que lorsqu'il cracha dans le lavabo, il y avait un peu de sang mêlé au dentifrice qui coulait sur la porcelaine blanche. Il ne put s'empêcher d'avoir un sourire amer, songeant que c'était bien la seule blessure qu'il se serait infligée durant cette soirée — Tony n'avait donc aucune raison de s'inquiéter.

L'espace d'un instant — un instant à la fois effrayant et enivrant —, il imagina davantage de sang sur sa peau, et la douleur de sa chair déchirée, remplaçant celle qui battait dans sa poitrine. Et cette image avait quelque chose d'irrésistiblement apaisant…

Il se secoua intérieurement, s'arrachant à ces pensées, et alla se coucher.

Alors qu'il était à moitié endormi, il crut sentir une caresse légère sur son front, et une voix lointaine, d'une douceur désarmante :

— Je vais finir par devoir me teindre les cheveux, si tu continues de contribuer à leur grisonnement précoce. Mais je t'aime. Et je t'aimerai toujours, quoi qu'il se passe. Bonne nuit, Spider-Baby.

La sensation d'un baiser contre ses cheveux, puis le bruissement léger d'une porte qui se refermait…

Mais cela ne devait être qu'un rêve.