Holà muchachos !
Et voici un nouveau chapitre, pour lequel on continue dans l'angoisse !
Petits triggers: alcool, pensées assez fortes d'auto violence/mutilation, dévalorisation...
Pour expliquer un peu mes inspirations pour cette histoire, je me me souviens que lorsque j'avais l'âge de Peter, j'étais fascinée par tout ce qui avait un effet déshinibant (alcool et autres), j'y cherchais une sorte de solution pour être plus bavarde, drôle, intéressante, pour me sentir normale et m'intégrer quoi (spoiler: ce n'est pas du tout de ça dont j'avais besoin, mais disons qu'à l'époque on n'était pas super sensibilisés aux troubles psychiques). Parfois, lorsqu'on se sent différent, on ferait n'importe quoi pour se fondre dans la masse et se sentir juste à sa place.
Alors les ressemblances avec cette histoire s'arrêtent là mais ça reste quelque chose qui me tient à cœur !
Là dessus, bonne lecture !
Peter était ébloui par les lumières qui cascadaient des lustres, constellant les coupes de champagnes de reflets irisés. L'odeur des petits-fours se mêlait à celle des fleurs décoratives et aux parfums des invités, à la fois raffinés et capiteux : patchouli, musc et rose se disputaient à la fleur d'oranger et au bois de santal. Les conversations formaient une toile étourdissante autour de lui, il ne cessait d'être bousculé par des hommes en costumes et des femmes en robes de soirée qui enfonçaient leurs sacs à main contre sa poitrine pour qu'il se décale. Chacun de ses sens était mis à rude épreuve, la nervosité menaçait d'engloutir chaque fibre de son corps.
Si cela n'avait tenu qu'à lui, il aurait imité Gwen et se serait réfugié chez Harry, dans le réconfort de son laboratoire et de sa vodka d'exception — mais Tony ne lui avait pas vraiment laissé le choix.
— Ce soir, c'est le gala de charité annuel de Stark Industries. Dépêche-toi de mettre ton costume, Happy nous attend déjà en bas.
Peter, qui venait tout juste de rentrer du lycée et s'apprêtait à informer son père qu'il était invité à passer la soirée avec Harry et Gwen, fut pris de court.
— Hein ? Quel gala ? Et quel costume ? avait-il balbutié, ses doigts s'activant sur l'écran de son téléphone pour prévenir ses amis.
— Je t'en ai parlé la semaine dernière, Pete. Il y aura une réception, puis un concert de je-ne-sais-plus-quel chanteur d'opéra en goguette, tous les notables et les artistes du moment sont invités. Tu avais dit que ça avait l'air intéressant.
— J'ai dit ça, moi ? geignit Peter.
Son père avait laissé échapper un soupir :
— Écoute, moi non plus, ça ne m'enchante pas d'y aller ; malheureusement, j'ai déjà utilisé toutes les excuses possibles et imaginables pour y échapper ces dernières années, et je doute qu'on croit encore à la disparition brutale de ma quatrième grand-tante imaginaire. Et pour ta parfaite information, nous avons retrouvé les trois premières quelques jours après leur disparition, occupées à siroter des mojitos à Punta Cana, Dieu merci, Happy a accepté de jouer le jeu et de leur créer des profils sur Facebook.
— N'écoute pas les bêtises de ton père, mon chéri. Ton costume t'attend dans ta chambre, l'avait interrompu Pepper en se glissant aux côtés de son époux pour rajuster son nœud papillon.
— La cravate est optionnelle, avait précisé Tony alors que Peter ouvrait la porte de sa chambre, fouillant dans sa mémoire pour se souvenir de la dernière fois où on lui avait parlé de ce gala de charité — tout ce dont il se rappelait, c'était les protestations et les sanglots de Morgan lorsqu'elle avait compris qu'elle était trop jeune pour participer à la prochaine soirée organisée par Stark Industries.
Il avait découvert avec stupeur la veste et le pantalon bleu nuit posés sur son lit, accompagnés d'une boîte contenant des chaussures de ville en cuir verni qui paraissaient encore plus inconfortables que celles assorties à son uniforme scolaire.
Il avait hésité, mais avait finalement enfilé les vêtements choisis par Tony et Pepper. Son seul acte de rébellion avait consisté à ignorer les chaussures pour leur préférer ses vieilles baskets signées par MJ, bien plus familières et confortables. Lorsqu'il était ressorti de sa chambre, il avait senti le regard de Tony glisser sur ses pieds, mais l'homme n'avait fait aucune réflexion — au contraire, Peter avait cru voir l'ombre d'un sourire traverser son visage.
Le trajet en voiture jusqu'à la salle de réception avait été à la fois court et terriblement long, en grande partie parce qu'aucun passager n'interagissait mutuellement, à croire que chacun s'était réfugié dans sa bulle en acier trempé. Son père était sur son téléphone, essayant de calmer à distance une Morgan en pleurs ; Happy ne cessait de tripoter la radio, grommelant dans sa barbe à chaque nouveau jingle criard, et Peter avait regardé avec un sentiment mitigé les messages que lui avaient laissé Gwen et Harry sur leur groupe Whatsapp commun — sobrement intitulé « Les Avengers Juniors » assorti d'un smiley en forme d'alien —, lui souhaitant une bonne soirée et lui assurant qu'il leur manquerait.
⁂
Peter ne s'était pas attendu à être séparé de son père dès leur entrée dans la salle de réception. Une nuée de journalistes les avait encerclés, les flash des appareils photos avaient crépité de toutes parts. Happy avait aussitôt dressé sa silhouette massive devant Peter, formant un rempart humain entre eux et lui.
— Viens avec moi, ton père se débrouille avec eux, avait-il dit.
Et d'une main de fer, il l'avait guidé plus loin, dans un recoin où s'étaient rassemblés des invités si guindés que Peter se demandait comme ils tenaient encore debout, avec tous les bijoux dont ils s'étaient affublés.
— Quel étrange accoutrement, avait commenté une femme en scrutant ses baskets, esquissant une moue désapprobatrice.
— Vous feriez mieux de le laisser tranquille, c'est le fils du patron, avait répliqué Happy, puis il avait reçu un message sur son téléphone et, après s'être excusé et avoir rappelé à Peter de ne pas boire n'importe quoi, s'était éclipsé.
Peter était désormais seul, désorienté et à fleur de peau ; chaque nouvelle odeur, chaque nouvelle lumière, chaque nouveau bruit était comme un minuscule coup de couteau dans son échine. Il n'aurait su dire depuis quand il était devenu aussi nerveux ; il savait seulement qu'il rêvait de se boucher les oreilles et se réfugier loin de là, dans un recoin de plafond tranquille (et peut-être l'aurait-il fait s'il n'avait pas craint de donner une crise cardiaque à un ou deux invités un peu âgés).
Son téléphone se mit à vibrer et Peter s'en empara, soulagé d'avoir quelque chose auquel se raccrocher. C'était Harry et Gwen, qui lui avaient envoyé une photo de ce qui devait être la cuisine des Osborn : ils avaient posé plusieurs bouteilles de jus de fruits et d'alcool sur la table, ainsi que des citrons et de l'eau gazeuse, et levaient tous les deux les pouces en souriant à l'objectif. Peter remarqua que leurs pommettes étaient très roses, et eut un pincement au cœur en réalisant que Harry avait passé un bras autour des épaules de sa meilleure amie.
« On teste de nouvelles recettes, en attendant ton retour ! » avait écrit Gwen, puis : « Dis à Harry d'arrêter de vouloir me faire boire son punch, il est complètement raté, on dirait du vomi de chat ! »
« Ne l'écoute pas, Pete, elle a presque vidé le saladier » avait rétorqué Harry, avant d'ajouter : « Profite bien de la soirée chez les fossiles, fais gaffe à ne pas marcher sur un dentier. Si jamais tu t'ennuies, tu sais où nous trouver ! » Il avait conclu par un smiley clin d'œil, un deuxième smiley qui lui adressait un baiser, et un cœur — rouge, bien sûr : Harry ne faisait jamais dans la demi-mesure.
Peter aurait donné n'importe quoi pour être avec eux. Il rêvait de retrouver la délicieuse euphorie qui s'était épanouie dans sa poitrine tout au long de leur dernière soirée, en particulier lorsque Gwen et lui avaient retrouvé la fraîcheur de la rue et avaient brièvement marché l'un contre l'autre sous une voûte céleste envoûtante. A cet instant, il se souvenait s'être senti léger et heureux, comme le Peter Parker de ses souvenirs, celui qui passait son temps libre avec Ned ou à patrouiller dans les artères de New-York, et qui apprenait peu à peu à connaître le super-héros qui était son père. A cette époque, il avait encore l'espoir d'avoir trouvé un foyer stable…
Il ravala les larmes qui menaçaient de lui échapper et, sans réfléchir, attrapa l'une des flûtes de champagne que distribuait un serveur à tour de bras. Celui-ci ne fit pas attention à lui et Peter s'empressa de s'éclipser vers les couloirs vides de l'hôtel où se tenait la réception, serrant le verre entre ses doigts moites et prenant garde à ne pas le briser.
⁂
Les toilettes de l'hôtel étaient composées d'immenses cabines privatives dotées de lavabos dorés, serviettes moelleuses, savons parfumés et crèmes pour les mains. Peter verrouilla la porte derrière lui et posa son verre — encore intouché — sur le rebord du lavabo. Il avait besoin de se rafraîchir le visage, et il passa un long moment à faire ruisseler de l'eau sur sa peau, comme s'il était possible de faire disparaître son malaise aussi facilement qu'une vilaine tâche sur sa chemise — mais le seul soulagement qu'il ressentait était lié aux moments où il retenait sa respiration, jusqu'à ce que ses poumons n'en puissent plus et qu'il avale de grandes gorgées d'air mêlées de gouttes glacées. Ses pensées, momentanément figées par le besoin irrépressible et douloureux de respirer, reprenaient alors de plus belle.
Il redressa finalement le visage et eut un sursaut en voyant son reflet dans le miroir encadré d'ampoules tamisées. Était-il vraiment devenu cet adolescent pâle, aux joues creusées, au regard distant et aux vêtements hors de prix ?
Ses yeux retombèrent sur le verre abandonné sur le lavabo. Il reprit son téléphone portable, cadra l'image afin que l'on ne puisse pas deviner qu'il était enfermé dans des toilettes de luxe et photographia le champagne dont les bulles lui évoquaient ces lampes à lave dont il avait tant rêvé, lorsqu'il était plus jeune.
Il envoya la photo sur le groupe Whatsapp qu'il partageait avec Gwen et Harry. « C'est tout ce qu'on a, ici ! » tapa-t-il. Les réponses de ses amis fusèrent si vite qu'il les soupçonna avoir gardé leurs téléphones dans les mains. « Mdr, tu t'embourgeoises, Chou-Pete » avait écrit Harry, non sans des clins d'œil qui firent sourire l'adolescent. « Waw, la classe ! M. Stark t'a laissé en prendre ? » avait demandé Gwen, mais Harry avait répondu avant que Peter n'en ait eu le temps : « Pas besoin d'autorisation, c'est pas vraiment de l'alcool, Gwennie-Chérie. Nos vieux boivent ça comme de l'eau. »
Peter approuva d'un smiley cœur, décidant de ne pas se formaliser des surnoms que leur avait attribué Harry, ni de penser à la tête qu'aurait fait MJ en sachant qu'on l'avait appelé Chou-Pete (il ne savait pas si c'était mieux ou pire que Gwennie-Chérie).
Il rangea son téléphone et se décida enfin à tremper ses lèvres dans son verre de champagne — ce mystérieux breuvage qui suscitait tant de passion parmi le gratin de New-York. Dans son empressement, il but si rapidement que les bulles lui remontèrent dans le nez et il se mit à hoqueter, recrachant par les narines une bonne partie de la boisson. Il s'essuya le visage, rougissant de sa propre bêtise, et tenta de reprendre une gorgée de sa boisson — mais il ne tarda pas à vider le reste du verre dans l'évier.
Après avoir repassé un peu d'eau sur son visage, il ressortit de la cabine et faillit heurter un homme essoufflé qui arrivait en sens inverse et épongeait son front luisant avec un mouchoir en papier.
— Oups, désolé, m'sieur, dit Peter.
L'homme le regarda d'un air confus, et un mauvais pressentiment serra le ventre de l'adolescent.
— Euh… vous allez bien ? Je peux peut-être vous aider ?
— Tu ne devrais pas rester ici, petit, répondit l'homme, les doigts serrés autour de son mouchoir. Va-t'en.
Le mauvais pressentiment grossit, diffusa un flot d'adrénaline dans les veines de l'adolescent.
— Euh... Vous êtes sûr que tout va bien ? Non pas que je vous soupçonne d'avoir une arme dans la poche, mais euh la dernière fois que j'ai vu quelqu'un d'aussi nerveux il voulait braquer une boutique et ahem disons que vous avez quelques similitudes ?
— Tu ne devrais pas rester ici, répéta l'homme. Mêle-toi de tes affaires, ou tu le regretteras.
Puis il ajouta, comme s'il se parlait à lui-même :
— Je ne savais pas qu'il y aura des enfants ici, putain.
Peter regarda autour de lui, incertain quant à la conduite à tenir. L'homme en profita pour le contourner et continua précipitamment son chemin, se dirigeant droit vers la salle de réception.
— Attendez, M'sieur ! J'étais pas vraiment sérieux, quand je parlais d'arme… oups, désolé !
Peter avait essayé de retenir l'homme par le bras, mais n'avait pas bien dosé sa force et avait déchiré sa veste — de la manche jusqu'à la poche. Quelque chose tomba alors par terre, rebondit et atterrit aux pieds de l'adolescent en deux morceaux : une boule métallique d'un côté, une goupille de l'autre.
Durant quelques secondes d'horreur, Peter crut qu'il s'agissait d'une véritable grenade — puis celle-ci explosa, et une nuée de fumée s'éleva dans les airs. L'homme jura et s'enfuit ; Peter voulut le poursuivre, mais il ne voyait plus rien. L'air était envahi de volutes noires, sa gorge était en feu.
Et puis soudainement, il ne fut plus au gala de charité de Stark Industrie, vêtu d'une veste et d'un pantalon de costume de luxe. Il était sur un champ de bataille, il portait son uniforme de Spider-Man, et le goût du sang se mêlait à celui de la poussière sur ses lèvres. Ses sensations lui échappaient, il s'enfonçait dans des abysses terrifiantes — il ne pouvait plus respirer, il y avait un poids sur sa poitrine et il savait qu'il était en train de mourir… Il y avait des voix au loin, mais il était incapable de comprendre ce qu'elles racontaient…
— Vous avez entendu ce bruit ?
— Oh mon Dieu, quelque chose a explosé ?!
— Qu'est-ce que…
— Il y a un enfant par terre !
— Un enf… Peter ? PETER !
La fumée s'estompait peu à peu, dévoilant un ciel blanc, aveuglant, sans soleil ni nuages. Celui-ci fut vite dissimulé par un visage en contre-jour que Peter ne reconnut pas immédiatement.
— Il est blessé ?
— C'est votre fils, M. Stark ?
— Est-ce qu'on doit appeler une ambulance ?
La personne penchée au-dessus de lui (quand était-il tombé ?) ne prêta pas la moindre attention aux questions qu'on lui posait. Ses mains étaient posées sur les joues de Peter, mais celui-ci ne les sentait pas — il ne sentait plus rien, il était persuadé que son corps se décomposait, tombait en poussière…
— P'pa, je… je ne me sens pas très bien… parvint-il à hoqueter.
Le visage de son père était flou mais il pouvait deviner, à sa façon de parler, qu'il était agité.
— Je suis là, Peter, je m'occupe de tout, dis-moi seulement ce qu'il se passe, quelqu'un t'a fait du mal ?
Peter ne comprenait pas le sens de sa question. Il était perdu dans une boucle sans fin, loin, très loin d'ici, sur une planète balayée de sable rouge…
— Je… je ne veux pas partir… hoqueta-t-il, car c'était les seuls mots qui parvenaient à se frayer un passage jusqu'à ses lèvres.
— Que… quoi ?
— Je ne veux pas partir, je ne veux pas partir, je ne veux pas partir…
Les yeux de Tony s'écarquillèrent d'horreur et ses mains raffermirent leur étreinte autour de son visage. Il força Peter à le regarder dans les yeux, à affronter ses prunelles sombres et paniquées.
— Peter, trésor, pourquoi est-ce que tu dis ça ?
— P'pa, s'il te plaît, je ne veux pas… je ne veux pas mourir…
— Tu ne vas pas mourir, Peter, je te le promets. Friday, répète-moi ce qu'il s'est passé, plus lentement !
Peter n'entendit pas la réponse — et même si cela avait été le cas, il doutait qu'il aurait été en mesure de la comprendre.
Son père ne tarda pas à se pencher de nouveau vers lui, posant une main douce, rassurante, contre sa poitrine dans laquelle son cœur battait comme un oiseau pris au piège. Peter ne put s'empêcher de laisser échapper un gémissement terrifié.
— Shhh, bambino. Je suis là. Je ne te laisserai pas partir, plus jamais, tu m'entends ? Plus jamais. Tu dois seulement te concentrer sur ma voix, d'accord ? Je suis là, on est au gala de charité de Stark Industries, et tu es en sécurité. D'après Friday, quelqu'un a fait exploser un fumigène avec une sorte de gaz hallucinogène, j'ai prévenu la sécurité, tout le monde est sur le coup, celui qui a fait ça ne s'en sortira pas indemne, je te le promets.
La main libre de son père caressait lentement sa tête, ses doigts s'enfonçant tendrement parmi ses boucles trop longues, l'aidant à s'ancrer dans le présent.
— Reviens avec moi, Peter, s'il te plaît.
Peter battit des cils. Il prenait lentement conscience de son environnement : la moquette rouge et dorée sous sa joue, le plafond blanc au-dessus de sa tête, son père agenouillé près de lui, les traits rongés par l'inquiétude, et derrière lui, une foule d'anonymes en tenues chatoyantes dont les murmures formaient un va-et-vient étourdissant.
— P'… p'pa ? murmura-t-il, déboussolé.
— C'est moi, confirma Tony d'une voix douce. Tu es avec moi, Pete ? Tu peux me dire où nous sommes ?
— L-le… le gala… il y avait un homme… il avait une sorte de grenade fumigène… Tony, je… je me sens bizarre…
— C'est normal, tu as reniflé une belle saloperie, mais selon les analyses de Friday, ça s'est presque estompé de ton organisme et a priori, tu n'auras aucune séquelle. Est-ce que tu peux te lever ?
Alors que son père l'aidait doucement à se redresser, le scrutant attentivement en quête de la moindre égratignure, quelqu'un les prit en photo, faisant sursauter Peter. Tony aussi l'avait remarqué, car ses yeux se teintèrent de noir et il jeta un regard assassin par-dessus son épaule.
— Si je vois la moindre photographie de cette soirée dans les médias, je retrouverai son auteur et ferai en sorte que plus jamais, il ne soit en mesure de se mêler de ce qui ne le regarde pas. Maintenant, si vous n'avez rien de mieux à faire, allez donc reprendre un verre, manger des petits-fours, comparer la taille de vos boutons de manchette, bref, partez, le spectacle est fini !
Peter ne se souvenait pas l'avoir déjà vu aussi furieux. Les invités reculèrent, intimidés, s'écartant pour laisser passer un Happy visiblement fébrile.
— Il s'est enfui, Boss, mais on a réussi à avoir son visage, c'est une question d'heures avant qu'on l'identifie, dit-il, avant de diriger son regard vers Peter. Comment va le petit ?
— Un peu secoué mais, d'après Friday, il n'est pas blessé. On va rentrer, je ne veux pas qu'il reste ici.
Happy se précipita pour aider Tony à remettre Peter debout. L'adolescent rougit en constatant que ses jambes tremblaient et qu'il avait besoin du support de son père pour ne pas trébucher.
A cet instant, personne n'aurait pu se douter qu'il était en réalité un super-héros.
— Cet homme ne t'a pas touché ? Il ne t'a rien dit ? demanda Tony alors que Happy restait devant eux, bloquant la vue des curieux.
— N-non… il a juste dit q-que… il ne s'attendait pas à voir un en-enfant…
Il repensa ensuite à la grenade qui avait roulé à ses pieds, et un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale.
Il entendait encore le bourdonnement du champ de bataille ; la sensation que les atomes de son corps se délitaient ne s'était pas totalement estompée. Son père et Happy dirent quelque chose, mais Peter aurait été incapable de répéter leurs paroles — il ne savait même pas s'ils s'adressaient à lui ou non.
Ses pensées devaient s'être désolidarisées de son corps, car il était dans la voiture conduite par Happy et l'instant d'après, il se retrouvait dans le salon des Stark. Happy avait disparu, et Tony et Pepper parlaient vivement, prenant toutefois garde à ne pas élever la voix — probablement pour ne pas réveiller Morgan. Les bras de son père étaient fermement enroulés autour de ses épaules, et ne le lâchèrent que lorsqu'il fut allongé dans son lit, en pyjama, douillettement emmitouflé dans sa couette. Une nouvelle fois, la transition entre les scènes échappa à Peter, comme s'il évoluait en pilote automatique.
— Je suis désolé, Pete. Je ne voulais pas que la soirée se passe comme ça, murmura Tony, après s'être assis au bord de son lit.
Il avait cessé de caresser son front. Peter mourait d'envie de lui demander de recommencer — il brûlait d'un contact, d'une nouvelle marque d'affection de la part de son père — mais il se retint de justesse, se souvenant qu'il était censé être mature, désormais. Un grand frère, et un super-héros.
— Tout est de ma faute, ajouta Tony d'une voix brisée. Je n'aurais jamais dû te laisser tout seul. Je suis désolé, trésor.
Il soupira, et ses traits semblèrent se creuser, comme si les années passées loin de Peter réclamaient leur dû.
— Enfin bon, tu as eu suffisamment d'émotions pour la soirée, je vais te laisser te reposer. Si tu ne te sens pas bien, demain, tu pourras rester à la maison.
Peter hocha la tête, car il devinait que c'était ce qu'on attendait de lui. Tony esquissa un sourire, avant de reprendre un air sérieux :
— Une dernière chose… d'après les analyses de Friday, il y avait des traces d'alcool dans ton sang. Je sais que tu es raisonnable, que je peux avoir confiance en toi et qu'il y a sans doute une explication logique à ça, Friday a peut-être fait du zèle, mais j'ai quand même besoin d'être rassuré, sûrement mon côté vieux jeu, comme dirait Pepper, mais bref, ahem, j'ai besoin de savoir. Peter, est-ce que tu as… tu as bu ?
Peter sentit son cœur battre plus fort — ou tomber, si cela avait été organiquement possible.
Ne pas rougir, ne pas rougir, ne pas rougir.
— N-non, prétendit-il, s'efforçant de ne pas détourner le regard afin de ne pas attiser les soupçons de son père. Juste un peu de, euh, de jus de fruits. (Il repensa aux messages de Gwen et Harry, et improvisa :) Mais il y avait d'autres trucs à côtés, des mélanges bizarres, alors peut-être que je me suis trompé, ou que euh le verre avait été mal rincé ou qu'un truc avait giclé, j-je ne sais pas…
— Oui, sûrement, s'empressa d'approuver Tony, et ses traits se détendirent, dévoilant son soulagement. D'ailleurs, je crois que moi aussi, j'ai pris le verre de quelqu'un d'autre à un moment, ou alors c'est l'inverse, en tout cas, je suis certain que ce n'est pas moi qui l'ai tartiné de rouge à lèvres et d'ailleurs, si Pepper te pose la question, je n'ai aucune idée d'où ça vient. Enfin bon, ce n'était pas grand-chose. Seulement, fais attention, d'accord ? Je… je ne voudrais pas qu'il t'arrive quoi que ce soit.
Peter fut incapable de répondre et se contenta d'acquiescer. Son père sourit et sa main vint brièvement presser son épaule à travers la couette.
— Bonne nuit, bambino.
Il déposa un baiser contre ses tempes et, l'espace d'un instant merveilleux, Peter eut de nouveau l'impression d'avoir quatorze ans— et qu'il n'y avait que son père et lui, contre le reste du monde.
Il s'en voulut aussitôt et pressa ses paupières de toutes ses forces pour retenir ses larmes. Lorsqu'il fut certain que Tony était reparti, éteignant la lumière derrière lui, il laissa toutefois un sanglot lui échapper et il planta machinalement son ongle dans la paume de sa main pour ravaler sa tristesse.
Il avait déjà gâché la soirée, alors à quoi bon en rajouter ?
La douleur poinçonna sa peau. Il rouvrit la main, devinant le sang qui perlait sur sa paume, et lutta pour ne pas en vouloir davantage.
