Bonjour à tous !

Je m'excuse encore du cliffhanger précédent ahah, j'espère que la suite ne vous décevra pas !

On rentre clairement dans une ambiance plus anxiogène, les avertissements suivants ne sont pas à prendre à la légère ! N'hésitez pas à mettre de côté cette histoire si celle-ci devient trop douloureuse à lire (ou à passer les prochaines lignes si vous ne voulez pas vous spoiler mais c'est risqué) : TW drogue et alcool comme toujours mais aussi et surtout violence envers soi-même / auto-mutilation / self harm.

Et si jamais vous vous sentez mal, ou seul, ou que vous vous reconnaissez dans le comportement de Peter, surtout parlez-en.

Bonne lecture !


Harry avait l'air aussi incrédule que lui.

— Qu'est-ce que ton père fout ici ?

— Aucune idée, mais s'il nous voit, je suis mort, Harry ! Mort et enterré !

Son ami haussa un sourcil, sceptique.

— Bah, il était d'accord pour que tu restes dormir à la maison, non ?

— Pour que je dorme ! Pas pour le reste ! Je ne me suis même pas lavé les dents !

Harry le fixa quelques secondes, éberlué, avant qu'un sourire éclose sur ses lèvres.

— Et c'est ça qui t'inquiète ? Que tu ne te sois pas brossé les dents ? Oh, Petey…

Peter se retint de le prendre par les épaules et de le secouer. S'il n'était pas étranger à son charme, le flegme de Harry pouvait parfois s'avérer insupportable.

— Pas que ça, putain, Harry ! T'as vu nos têtes ? T'as senti nos haleines ?

— Pas vraiment, mais si t'insistes…

— J'ai pas le droit de boire, encore moins de fumer ! L'alcool et la drogue, c'est triplement interdit chez les Stark !

Il jeta un regard désespéré autour de lui :

— Faut que je parte sans qu'il me voit. T'as pas une sortie de secours cachée quelque part ?

Harry se gratta la tête. Il ne cessait de réprimer ses bâillements et ne paraissait pas le moins du monde inquiet pour son ami. Il prit le temps de repousser une mèche rebelle sur le front de Peter (celui-ci secoua la tête, agacé), avant de déclarer :

— Tu pourrais passer par le jardin et escalader la clôture, elle n'est pas très haute. Mais franchement, pourquoi tu stresses ? C'est ton père, il va rien te faire.

Peter n'en était pas certain. Il croyait déjà entendre le sermon de Tony, qui ne manquerait pas de lui rappeler en long, en large et en travers qu'il était désormais un grand frère et qu'en tant que tel, il se devait d'être irréprochable. Il ramènerait tout à Morgan, comme à son habitude, et ignorerait les raisons qui avaient conduit Peter dans cette chambre, à se débattre avec les draps emmêlés autour de ses jambes pour s'enfuir le plus vite possible de la maison de son meilleur ami.

Malheureusement, le plan esquissé par Harry tomba à l'eau à l'instant même où ils s'engagèrent dans le couloir principal : de l'autre côté arrivait déjà un Tony furibond, talonné de près par un Norman Osborn qui paraissait avoir passé l'intégralité de la nuit dans son bureau, vêtu du même costume et affichant la même expression distante et polie que la veille au soir.

— Ah, tu es là ! s'exclama Tony en apercevant les deux adolescents, figés comme des statues à côté de la baie vitrée menant aux jardins.

— Euh… salut Tony ! Euh, ça roule ?

Ignorant les balbutiements de son fils, Tony se planta devant lui, prit son visage entre ses mains et inspecta ses pupilles d'un air furieux.

L'estomac de Peter fit une chute vertigineuse.

D'une façon ou d'une autre, son père savait.

— Qu'est-ce que tu lui as donné ? demanda-t-il d'un ton hargneux en direction de Harry.

Loin de se laisser impressionner, l'adolescent haussa soigneusement le sourcil, comme il l'avait fait quelques instants plus tôt dans sa chambre.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, Mr Stark, répondit-il calmement.

— Est-ce que je dois demander à mon IA d'analyser vos sangs respectifs, à Peter et toi ?

— Je suis navré mais je crains que pour ça, vous ne deviez demander l'autorisation à mon père, et qu'il ne manquera pas de s'y opposer, objecta Harry.

Norman Osborn sembla se faire un plaisir d'acquiescer :

— Ce ne sont que des enfants. Laissez-les donc faire des expériences, ils ne font de mal à personne.

— Parlez pour votre enfant, pas le mien !

Le père de Harry soupira :

— Calmez-vous, Stark. Vous n'avez pas l'impression d'en faire trop ?

La voix de Tony monta dans les aigus, trahissant sa colère:

— Moi, en faire trop ? Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez vous ? Il est mineur, bon sang ! Ils sont tous les deux mineurs et, tant qu'ils sont sous ce toit, ils sont placés sous votre responsabilité ! S'il était arrivé quelque chose à mon enfant...

— Tony… tenta Peter, mais une nouvelle fois son père l'ignora.

— Je ne veux plus que vous ou votre fils s'approche de Peter, compris ?

— Voyons, Stark, pas la peine d'être aussi radical. Nos fils s'entendent à merveille, et qui sommes-nous pour les séparer ? (Norman Osborn afficha un air chargé de regrets.) Réfléchissez un peu. Vous ne pensez pas que si nous leur interdisons de se fréquenter, ils feront, à l'inverse, tout leur possible pour se voir ?

— Non, rétorqua sèchement Tony. A ce que je sache, nous ne sommes pas dans un mauvais remake de Roméo et Juliette.

Il prit Peter par le bras et le tira en direction de la sortie.

— Allons-y.

— Salut, Pete, dit Harry en lui décochant un clin d'oeil qui n'avait pas pu échapper à Tony. On se revoit au lycée.

— Ce fut un plaisir de faire ta connaissance, Peter, ajouta Norman Osborn. Laissez-moi vous raccompagner…

— Pas la peine, on retrouvera le chemin, coupa Tony.

Sa poigne était solide et, pourtant, Peter était persuadé qu'un léger tremblement secouait ses mains.

Il avait garé sa voiture devant la maison des Osborn. Il fit asseoir Peter sur le siège passager et attacha sa ceinture sans prononcer le moindre mot. L'adolescent resta également silencieux, tout d'abord car il ne savait pas quoi dire mais, surtout, parce qu'il commençait à se sentir vraiment très nauséeux : il craignait que s'il ouvrait la bouche, il se mettrait à vomir sur le tableau de bord.

Ce fut pire encore lorsque la voiture se mit à rouler. Peter sentait la salive s'accumuler au fond de sa bouche, un bourdonnement lancinant s'ajoutait à la douleur qui pulsait dans sa tête. Il ferma les yeux, essaya de respirer profondément, et retint de justesse un hoquet au goût de bile.

— Friday, je veux un rapport complet sur ce qu'a pris Peter.

Tony devait porter une oreillette, car Peter n'entendit pas la réponse. C'était probablement mieux. Que pouvait donc déceler l'IA ? Les shots de vodka ingérés la veille ? Les joints qu'ils s'étaient partagés ? Avec un peu de chance, son organisme en avait déjà brûlé une bonne partie — suffisamment, du moins, pour que Friday n'en détecte qu'un mince échantillon…

Lorsque la voiture s'arrêta enfin, Peter eut le mince espoir que le pire était derrière lui et qu'il pourrait retourner dans sa chambre, s'effondrer sur son lit et tout oublier ; malheureusement, Tony ne semblait pas vouloir en rester là. Il coupa le contact et se tourna vers lui, le visage fermé. L'orage noircissait son regard.

— Suis-moi, ordonna-t-il d'un ton qui ne souffrait d'aucune contestation.

Peter n'eut pas d'autre choix que d'obéir. L'appartement était silencieux ; Pepper et Morgan dormaient encore, il pouvait entendre leurs respirations régulières à travers les portes closes de leurs chambres. Tony l'entraîna de l'autre côté, dans la salle de bains ordinairement réservée aux invités (le plus souvent un Avenger de passage à New-York). Il fit tourner les robinets de la douche, insistant particulièrement sur le robinet d'eau froide.

— Est-ce que c'est vraiment obligé ? geignit Peter. Je peux me doucher plus tard, tu sais.

— Enlève tes chaussures, répondit son père.

Peter aurait voulu s'exécuter, mais ses doigts avaient du mal à démêler ses lacets. Pourquoi les avait-il autant serrés ?

Il sursauta lorsque son père mit un genou à terre et l'aida à retirer ses baskets.

— Merci… commença-t-il, mais son père lui fit signe de se taire et entreprit de faire passer son t-shirt par dessus sa tête.

Lorsqu'il fut torse nu, Peter tenta de nouveau :

— Je peux me débrouiller tout seul, tu s…

— Non. D'après Friday, tu n'es pas encore dans ton état normal, et je n'ai aucune envie de me retrouver aux urgences parce que tu aurais glissé sous la douche.

— Mais…

— Chut. Tais-toi. La prochaine fois, tu y réfléchiras peut-être à deux fois avant d'avaler n'importe quoi.

Peter ne trouva rien à répliquer. Rougissant de colère et de honte, il retira son jean, ne gardant que ses sous-vêtements, et fit un pas sous la douche.

L'eau était froide, un frisson partit du creux de son dos et remonta jusqu'à sa nuque. Il eut la désagréable surprise de constater que Tony se tenait juste derrière lui. Il aurait voulu lui dire de partir, qu'il pouvait très bien prendre sa douche tout seul, mais comme pour le contredire, un liquide brûlant et acide remonta brusquement le long de son oesophage et manqua de l'étrangler. Son père le rattrapa de justesse alors qu'il se pliait en deux pour vomir dans le siphon de la douche.

— Regarde-toi, Peter... crut-il entendre.

La suite fut plus confuse. Les mains de son père touchèrent son front, ses cheveux, puis on lui passa une serviette propre sur le visage et le corps. Un bref geignement s'échappa de ses lèvres, peut-être de désespoir, ou simplement était-ce une façon de signifier sa fatigue, sa lassitude, sa tristesse.

— Est-ce que ça en valait vraiment le coup, bambino ? soupira la voix lointaine de son père.

Il crut sentir une caresse légère, tendre, contre son visage. L'instant d'après, il fut allongé dans son lit — il reconnut les draps blancs qu'avait choisi Pepper avant leur emménagement et qui lui donnaient l'impression d'être dans une chambre d'hôtel. Puis un rideau noir s'abattit sur ses pensées.

Lorsqu'il s'éveilla, les dernières heures lui apparaissaient sous forme de flashs, comme s'il ne s'agissait que de scènes issues d'un rêve éclaté. Son corps était lourd, il avait encore mal à la tête, mais sa nausée s'était estompée.

Bien que seul dans sa chambre, le siège à roulettes abandonné près de son lit trahissait la présence récente de quelqu'un. Probablement Tony. On avait aussi déposé une bouteille d'eau sur sa table de nuit, et Peter s'en empara avec reconnaissance. Jamais aucun liquide ne lui avait paru aussi délicieux, et il ne s'arrêta qu'après en avoir ingurgité les trois quarts.

En repoussant ses draps, il constata qu'on lui avait enfilé son vieux pyjama Hello Kitty. Il n'en conservait aucun souvenir et il s'empressa de se changer, privilégiant un sweat-shirt MIT et un jean confortable. Ses chaussures étaient introuvables, mais ses chaussons rouges et bleus l'attendaient sagement devant la porte de sa chambre.

Il était déjà quatorze heures lorsqu'il émergea dans la cuisine, l'estomac émettant des gargouillis affamés. Morgan était installée à table et dessinait avec application, des feutres étalés partout autour d'elle et la bouche ourlée de lait à la fraise. Lorsqu'elle le vit, elle parut étonnée, mais ne tarda pas à annoncer de sa voix flûtée :

— Papa n'est pas content du tout. Tu vas avoir de gros problèmes.

Etait-ce son imagination, ou se réjouissait-elle de la situation ?

Peter décida de ne pas se poser la question et de se servir un bol de céréales. Il sentait toutefois les yeux de sa soeur suivre chacun de ses mouvements, plein de curiosité et de cette supériorité dédaigneuse qui n'appartenait qu'aux enfants de six ans.

Il venait tout juste de reposer la bouteille de lait au frigo lorsque Tony entra dans la pièce. Morgan se jeta aussitôt dans ses jambes.

— Papa, regarde, je t'ai fait un dessin !

— Merveilleux, mon ange, répondit Tony en jetant un regard distrait aux gribouillis bariolés de sa fille. Très réaliste. Encore quelques efforts, et les Beaux-Arts t'ouvriront leurs portes.

— C'est toi, Maman, et tonton Happy !

— Oh, j'ai cru que c'était un grizzli. Mais dis-moi, ce n'est pas l'heure de jouer dans ta chambre ?

La fillette fit la moue.

— Je savais pas qu'il y avait une heure pour ça.

— Eh bien, je décrète qu'à partir de maintenant, dès qu'il sera… (Il regarda sa montre.) Dès qu'il sera quatorze heures et six minutes, ce sera l'heure d'aller dans ta chambre. Allez, hop hop hop, on file, Miss !

Elle ne sembla pas convaincue ; ses yeux allaient de son père à Peter, méfiants.

— Pourquoi ?

— Parce que ton frère et moi, nous devons avoir une conversation de grandes personnes, répondit Tony.

La curiosité prit aussitôt le pas sur le visage de Morgan et elle croisa les bras, affichant une moue butée.

— Moi aussi, je suis grande ! Je veux rester !

— Non. Ce dont nous allons parler n'est pas pour les petites filles.

— Mais…

— Et ce n'est pas négociable, dit-il d'une voix plus sèche.

Morgan dut remarquer qu'il était sérieux, car elle n'insista pas. Après un regard noir en direction de Peter — comme si c'était de sa faute si elle se faisait réprimander par son père — elle quitta la cuisine de mauvaise grâce, faisant claquer ses talons sur le carrelage.

Tony ferma la porte derrière elle, puis se tourna vers Peter. L'adolescent n'avait pas bougé, debout près du frigidaire, les doigts noués autour de son bol de céréales.

— Eh bien ? demanda Tony. Tu as quelque chose à me dire ? Et avant que tu ne sois tenté de me raconter des bobards, sache qu'il y a des images très reconnaissables de toi qui ont circulé sur internet toute la soirée, te montrant en train de fumer avec le fils Osborn sur les toits d'un pépiniériste. Tu peux remercier les équipes informatique et juridique de Stark Industries, elles ont réussi à tout supprimer, mais impossible de faire taire les rumeurs qui en ont découlé.

Peter nota que ses narines frémissaient légèrement, signe annonciateur qu'il allait passer un très mauvais quart d'heure. Ses doigts se crispèrent contre son bol, et il regretta vivement leur imprudence, à Harry et lui. Bien sûr que leur manège sur les toits de New-York attirerait l'attention : ce n'était pas tous les jours que les enfants des deux hommes les plus fortunés de la ville partageaient un joint au beau milieu de la journée !

— Je suis désolé, tenta-t-il en détournant le regard.

— Oh, tu es désolé. Désolé de quoi, exactement ? De ne pas être allé en cours ? De m'avoir menti ? D'avoir pris je-ne-sais-quelle substance avec le fils de Norman Osborn ? Ou de t'être fait prendre ?

Le coeur de Peter se mit à battre plus fort.

— Regarde-moi quand je te parle.

L'adolescent se força à lever les yeux. Ceux de son père n'avaient jamais été aussi sombres. Aussi furieux.

Il se demanda brusquement pourquoi il s'était servi des céréales : sa gorge était si serrée qu'il avait du mal à avaler sa propre salive, alors de la nourriture solide…

— A quoi est-ce que tu pensais ? insista Tony, dont la colère semblait attisée par le silence de son fils. Tu crois que tout ça est un jeu ? Que tu peux décider de jeter ton avenir et ta santé à la poubelle, pour le plaisir de… de quoi, au juste ? Impressionner ton ami ? Jouer les rebelles ? Attirer l'attention de Norman Osborn ?

Le volume de sa voix augmenta :

— Est-ce que tu as seulement pensé à ta famille ? A l'effet que ça pourrait provoquer à ceux qui tiennent à toi, de te voir dans cet état ? C'est quoi, la prochaine étape ? Que je sois obligé de te maintenir la tête pour que tu ne t'étouffes pas dans ton propre vomi ?

Peter n'en revenait pas. Son père ne comprenait-il donc rien ? Ne voyait-il pas que s'il s'était laissé tenter par les paradis artificiels que lui avait proposé Harry, ce n'était ni par jeu, ni par provocation, mais par besoin ? C'était la seule façon qu'il avait de retrouver de la force. Du courage. Et l'esquisse d'un bonheur que le claquement de doigts de Thanos lui avait brutalement arraché.

Il riposta, en dépit de la honte qui brûlait le creux de son ventre :

— Ça va, c'était juste un peu d'herbe, pas de quoi en faire toute une histoire ! Tous les ados ont déjà testé, je vois pas pourquoi ça t'énerves autant !

— Alors quoi, j'aurais dû attendre que Harry te propose du LSD avant de réagir ?!

Peter réalisa qu'il était peut-être allé trop loin, mais il était trop tard pour faire marche arrière, et il ajouta, tout en ayant parfaitement conscience de s'enfoncer :

— Sauf que ce n'était pas du LSD ! Juste un joint, comme ça, pour se détendre ! Désolé d'être une telle déception, je ne pensais pas que les erreurs étaient réservées aux autres. J'avais oublié qu'il fallait être parfait, dans cette famille.

Il sentait les larmes lui monter aux yeux.

— Parce que tu penses que la famille de Harry est un meilleur exemple à suivre ? rétorqua Tony.

— Au moins, quand je suis avec Harry, je peux être… moi, et juste moi !

— Mais il n'y a pas que toi, Peter ! Tu ne peux pas agir comme si tu étais seul au monde, comme si tes actes n'avaient aucune conséquence ! Pas après que…

Il s'interrompit, mais le reste de sa phrase était limpide comme de l'eau de roche. Pas après que je t'ai ramené d'entre les morts. J'ai failli tout sacrifier pour toi, et voilà comment tu me remercies ?

Ce qu'il ne comprenait pas, c'était que Peter ne lui avait jamais demandé de le sauver.

— Je ne veux plus que tu ailles chez ce garçon, déclara brusquement Tony.

Peter cligna des yeux, pris de court. Alors son père comptait s'arrêter là ? Ne pas chercher à comprendre davantage ce qu'il s'était passé, la veille au soir et au cours des dernières semaines ?

Il ne se souvenait pas d'avoir reposé son bol de céréales, pas plus qu'il n'eut conscience d'avoir enfoncé ses ongles dans ses paumes — jusqu'à ce que la douleur, fulgurante et libératrice, cisaille délicieusement ses nerfs. Il cacha ses mains dans son dos, préférant se concentrer sur le sang qu'il sentait perler sous ses ongles plutôt que sur les mots de son père.

— Je ne peux pas t'interdire de le fréquenter au lycée, mais plus de soirées ensembles, ou de devoirs en communs, ou n'importe quelle excuse pour passer plus de temps que nécessaire avec lui. Il a une très mauvaise influence sur toi et, au lieu d'en faire ton modèle, je te conseille plutôt de te souvenir de qui sont tes vrais amis. Que diraient Ned et MJ, en te voyant ?

Peter gratta davantage les plaies. La douleur colmatait quelque peu sa colère, mais elle n'était pas suffisante. Il fallait qu'il creuse plus profondément, qu'il atteigne la chair pour ne plus entendre les reproches de l'homme qui, naguère, avait tant représenté pour lui — et qui aujourd'hui ressemblait de plus en plus à un inconnu.

— Bien sûr, ton couvre-feu est désormais fixé à dix-neuf heures, week-end compris. Et je veux un compte-rendu détaillé de ton emploi du temps.

Peter prit un grande inspiration.

Plus de Harry. Plus de soirées. Plus de temps libre.

Qu'allait-il lui rester ?

— Au passage, à la moindre suspicion, Bruce te fera un dépistage complet. Friday lui a envoyé les résultats du test qu'elle a effectué dans la voiture, alors inutile d'essayer de lui cacher quoi que ce soit.

Plus de Bruce non plus. Qui d'autre est au courant ? L'intégralité des Avengers ?

— D'accord, parvint à dire Peter d'une voix qui cherchait désespérément à être indifférente. C'est tout ?

Tony soupira. Une expression de souffrance traversa brièvement ses traits, déconcertant Peter, mais lorsqu'il rouvrit les yeux, ses prunelles n'exprimaient qu'une froide détermination.

— C'est tout. Tu as bu ton eau ?

— Oui, répondit Peter.

— Très bien. Si tu as mal à la tête, dis-le moi, je te donnerai un des cachets spécial Spider-Kid que nous avons fabriqués.

— D'accord, répéta-t-il.

Son père avait retrouvé cet air las qu'il lui accordait d'ordinaire, comme si ses sourires ou éclats de vie étaient désormais réservés à Pepper et Morgan.

— Tu peux y aller.

Peter ne se fit pas prier. Il regagna précipitamment sa chambre ; là, seulement, il rouvrit les mains et constata les dégâts causés par ses ongles. De fines zébrures rougissaient ses paumes, mais le sang avait déjà coagulé, la douleur n'était plus qu'un souvenir lointain.

Son père ne le comprenait pas. Personne ne le comprenait. Personne ne cherchait à le comprendre, sauf Harry. Harry et Gwen.

Il se laissa tomber sur son lit et y resta un long moment, hagard. Dix minutes ? Une heure ? Il n'aurait su le dire. Ce furent les voix lointaines de Tony et Morgan qui le tirèrent de sa torpeur : la fillette riait aux éclats et parlait à toute vitesse, en proie à une irrésistible joie ; Tony essayait de la calmer, mais il était impossible d'ignorer les rires qui faisaient chavirer sa voix.

Ils étaient tellement heureux, lorsqu'il n'était pas là…

Peter se souvenait encore des reproches formulés par sa soeur.

T'as fait pleurer papa.

Il est plus pareil, depuis que t'es là.

Puis les reproches de Tony. Sa colère, sa déception. Son épuisement. La souffrance que lui causait son fils.

Peter serra les dents, ses ongles s'activant de plus belle, ne se limitant plus aux mains mais remontant le long des avant-bras, cherchant par tous moyens à faire disparaître le désespoir qui gonflait dans ses veines, dans sa poitrine, dans son esprit, partout, comme des mauvaises herbes qui poussaient sous sa peau.

Et lorsque ses ongles ne furent plus suffisants, son regard se tourna tout naturellement vers la petite salle d'eau attenante à sa chambre, où se trouvaient une trousse de premiers soins et, surtout, des accessoires comme des lames, des ciseaux et autres objets coupants.

Il resta figé, le coeur balançant d'un extrême à l'autre.

Y aller ? Ne pas y aller ?

De l'autre côté du mur, Morgan rit à nouveau et Tony lui murmura qu'il l'aimait.

Peter se releva.

Et poussa la porte de la salle d'eau.