Faussement outrée, Candice stoppa sa marche et écarquilla les yeux. Insupportable ?! répéta-t-elle silencieusement. Donc c'était vraiment ça ce qu'il pensait d'elle ? C'était vraiment ça que tout le monde pensait ? Vexée, elle garda le silence à nouveau alors que Suzanne vint y rajouter son grain de sel.

« Vous savez quand même que vous passez tout votre temps à vous disputer hein… fit remarquer la petite qui avançait devant eux en soupirant.

- Et c'est de sa faute ! s'accusèrent-ils mutuellement.

- Et c'est chiant !

- Suzanne ! Les gros mots ! »

Elle roula des yeux, agacée par la remarque de son père. Et du haut de ses huit ans, la petite semblait déjà bien perspicace. D'autant plus que Suzanne passait tout son temps avec des jeunes bien plus âgés qu'elle et semblait ne vouloir qu'une chose : les imiter. Et certes les études sociologiques montraient que la préadolescence se manifestait de plus en plus précocement mais, il était hors de question pour Antoine de la considérer comme une grande.

« Ça va, c'est rien… ajouta Candice avant de s'attirer les foudres d'Antoine. Puis elle a raison… On devrait pas se disputer comme ça tout le temps…

- À qui la faute ? se contenta-t-il de répondre sans sourire. »

Ok… Là sur ce coup, Antoine n'avait peut-être pas tout à fait tort et mieux valait ne pas renchérir pour éviter une confrontation houleuse. Mutique, elle se contenta donc de les suivre jusqu'à leur villa où les 4 autres semblaient s'amuser autour d'un jeu de cartes. Suzanne les rejoignit avec engouement avant de recevoir l'ordre d'aller se coucher. Et au bout de quelques protestations, Antoine eut gain de cause et sa fille grimpa les escaliers la moue boudeuse. Candice profita de leur départ pour s'asseoir avec les siens.

« Alors ? C'était bien ?

- De la magie… Donc pas terrible…

- Comme d'hab ! ironisa Jules. Verre de vin ?

- Volontiers ! soupira-t-elle de satisfaction.

- Il fait toujours la gueule ?

- Je crois… Je sais pas trop…

- Allez viens jouer avec nous pour te changer les idées ! lança Emma en souriant »

Candice accepta et redemanda les règles du jeu, histoire de ne pas se faire avoir par ses enfants qui adoraient la faire perdre… Et la commandante s'immisça dans leur partie avec brillo et remporta les deux premières manches haut la main. Comme d'hab, Candice était la meilleure… et comptait bien fanfaronner. Et les choses tombaient bien puisqu'Antoine fit justement réapparition sur la terrasse.

« Euh… Je monte me coucher ! Je vous souhaite une bonne nuit…

- Déjà ? se désola Candice. Tu veux pas venir jouer avec nous ?

- Allez viens mettre une pâtée à maman s'te plaît… le supplia Léo.

- Nan… Puis faut mieux la laisser gagner, après elle est de mauvaise humeur… plaisanta-t-il. Allez à demain !

- Salut… lâchèrent-ils sans entrain alors qu'Antoine disparaissait dans la maison.

- Ah oui… Donc il fait toujours la gueule… observa Jules en grimaçant.

Candice fit la moue, coupable. Elle reposa les cartes sur la table et s'enfonça dans son siège avec tristesse.

- C'est à toi maman… lança Martin.

- Je joue plus… marmonna-t-elle boudeuse.

- Oh la la… lâchèrent-ils en chœur.

- On dirait vraiment une enfant, sérieux ! souffla Emma sans amabilité. Tu t'attendais à quoi ? Même nous on était saoulés…

- Mais j'arrête pas de m'excuser… J'essaye d'être aux petits soins pour me faire pardonner mais ça marche pas.

- Peut-être parce qu'il t'en veut vraiment !

- Il vous a parlé ?

- Nan… Depuis cet après-midi c'est un mur… C'est à peine s'il nous calcule…

- Fin' ambiance pourrie quoi…

- Non mais c'est juste le temps qu'il digère mes bêtises… Demain ça ira mieux… »

. . . . .

Candice sortit de leur salle de bain lessivée. Mine de rien la journée avait été longue. Elle s'était réveillée de bonne heure pour accompagner son fils sur ce marché, s'était retrouvée dans cette procession interminable, puis dans les embrouilles avec son chéri. Et l'après-midi n'en était pas moins rocambolesque. Nul besoin de rappeler que la détective avait fini au poste de police du coin et que son séjour en salle d'interrogatoire n'avait pas été de tout repos… Elle repoussa doucement la porte et observa Antoine concentré sur son téléphone. L'air penaud, elle approcha doucement et osa enfin se manifester.

« Je peux rester ici ou… tu veux que j'aille dans le canapé ?

- C'est toi qui vois…

- Ok… Je reste avec toi alors… sourit-elle en s'apprêtant à s'installer dans les couvertures. »

Antoine ne répondit pas, décidant plutôt de verrouiller son téléphone et de le poser sur sa table de nuit. Mutique, le commissaire se contenta d'éteindre sa lampe de chevet avant de s'allonger confortablement à distance de sa compagne. Visiblement, elle le comprit. Alors elle aussi s'allongea, le cœur blessé par la situation. Les minutes s'écoulèrent, longuement… Et la blonde ne pouvait s'acquitter des mots qu'Antoine lui avait balancé au visage plus tôt dans la journée. Ils volaient dans les airs tel un écho insupportable, présageant une nuit blanche infernale… Et la seule solution pour y remédier était la discussion. Certes il était tard et Antoine ne semblait pas très ouvert, mais Candice voulut quand même tenter…

« Dis ? chuchota-t-elle en se retournant vers lui. Tu le pensais vraiment, ce que tu m'as dit tout à l'heure ?

- Candice… Il est minuit passé là… souffla-t-il dépité.

- Je sais… Mais j'ai besoin de savoir…

- Je vois même pas de quoi tu parles…

- Tu penses vraiment que je mérite pas d'être aimée ?

- C'est pas ce que j'ai dit.

- Un peu quand même…

- Nan, maugréa-t-il sans amabilité. J'ai dit que tu ne méritais pas tout ce que je te donnais, c'est différent.

- Sauf que je comprends pas pourquoi tu dis ça…

- Tu comprends pas ?

- Bah non je…

- Si tu réfléchissais un peu Candice, tu comprendrais… Et c'est pas la première fois que je t'en parle…

- Parler de quoi ?

- Que c'est douloureux de se rendre compte que la femme que t'aimes... Bah elle t'aime pas autant que toi tu l'aimes…

- Hein ? lâcha-t-elle surprise en se redressant. Mais tu dis n'importe quoi là, Antoine.

- Nan… Parce que tu sais, aujourd'hui, j'ai pas mal réfléchi hein… Et j'ai réalisé beaucoup de choses…

- Comme ?

- Que je passais pour un con à tout te céder, tout le temps…

- Mais ça, c'est normal quand on est amoureux…

- Ouais c'est normal… C'est normal quand l'autre cède en retour aussi. Sauf que là, c'est pas le cas. C'est ton boulot en premier, ensuite c'est toi, et après c'est les autres… Ça a toujours été ça…

- Pardon mais, là tu oublies quelques détails j'ai l'impression… Je te rappelle que j'ai refusé le poste à La Rochelle pour rester à Sète et être avec toi, pareil pour Paris alors qu'on me proposait un poste un or. Et je te rappelle aussi que c'est pour toi, que j'ai fini au placard de la financière !

- Oui… sauf que toi aussi y a un détail que t'oublies… c'est qu'à chaque fois que tu t'es sacrifiée, c'est parce que t'avais peur de me perdre, parce qu'on était pas ensemble… Dès que je m'éloignais, tu te sacrifiais pour me prouver que tu m'aimais… Et ça marchait hein ! Puisqu'à chaque fois je revenais… Mais maintenant que je suis acquis, c'est fini.

- Mais…

- Bah oui parce que maintenant que je suis acquis, tu sais très bien que quoique tu fasses je finirai par te pardonner parce que je t'aime. En fait, c'est une solution de facilité pour toi. Tu mènes ta vie, tranquille, et moi bah je t'attends, bien sagement, comme un con. Et dis pas le contraire, même tes enfants l'ont remarqué.

Mutique, Candice laissait désormais quelques larmes couler sur ses joues.

- Tu dis ça alors que je t'ai déjà prouvé plein de fois que c'était faux et que je t'aimais… Si c'était pas le cas, jamais je t'aurais fait cette non-demande. J'ai même fini par te demander de venir vivre à la maison… Et j'ai accepté la financière pour qu'on reste ensemble alors que j'en avais aucune envie…

- Oui… T'as accepté le poste avant de te barrer pour créer ton truc de détective sans m'en parler, parce que visiblement mon avis compte pas beaucoup pour toi. Et t'as attendu que les enfants partent de chez toi pour me demander de venir parce que tu t'ennuyais toute seule…

- C'est n'importe quoi… murmura-t-elle sans défense.

- Alors désolé d'avoir été si dur tout à l'heure, mais oui je le pensais. Et j'ai supporté jusque-là, mais là je commence à en avoir marre.

- Donc quoi ?

- Quoi « quoi » ?

- Bah c'est quoi l'issue ? Tu me ponds un discours où tu me dis que je suis détestable, que tu me supportes plus, que t'en as marre… Donc y a une suite ?

- J'en sais rien…

- C'est ça… marmonna-t-elle blessée. Et comme les autres, tu finiras par me quitter…

- Ah bah c'est sûr qu'en te comportant comme tu le fais, on y court directement hein !

- Moi qui pensais que tu m'aimais pour ce que j'étais…

- Mais y a aimer et supporter, Candice ! Tout a une limite ! s'emporta-t-il avec lassitude. Mais non, toi tu te remets jamais en question. C'est toujours les autres le problème…

- Parce que j'ai pas reconnu mes torts peut-être ?! s'énerva-t-elle à son tour. J'ai passé la soirée à m'excuser ! Qu'est-ce que je peux faire de plus, hein ?!

- Oh… J'ai pas envie de m'énerver comme ça à cette heure-là ! Je t'ai dit ce que je pensais, maintenant t'en fais ce que tu veux !

- Laisse-moi juste la fin des vacances pour te prouver que t'as tort…

- On verra… »

On verra… répéta-t-elle intérieurement. Bien sûr qu'on verra ! Et bien sûr qu'elle allait lui prouver qu'il avait tort. Et cette démonstration commençait dès maintenant ! Et au lieu de s'isoler dans son côté de lit, la blonde osa réduire la distance qui les séparait. Certes Antoine ne lui offrait que son dos, mais ça n'était pas grave. Suffisait juste pour Candice de l'enlacer doucement. Chose qu'elle fit en s'excusant dans une supplique. Antoine ne répondit pas mais ne la repoussa pas, laissant sa main réchauffer son torse. Les mots avaient été dits et leur sort était désormais entre ses mains.