31 juillet 1988

« Alors, Daisy, il avance, ton roman ? »

La fillette brune renvoya un regard vert vaguement excédé à son père qui lui souriait espièglement, sachant très bien ce qu'elle écrivait.

« C'est la carte d'anniversaire de Viola » protesta-elle d'un ton grincheux. « Et t'as pas le droit de lire ! C'est des trucs de fille. »

« Donc si j'amène ta mère, tu la laisseras jeter un coup d'œil ? » voulut savoir James Potter, son regard noisette brillant derrière ses lunettes.

« Des trucs de fille, j'ai dit ! Pas des trucs de maman ! »

Le sorcier ne put retenir un rire tandis que sa fille rassemblait son matériel pour se sauver – probablement dans sa chambre, personne n'allait jamais la déranger là-bas, à l'exception de Danny quand le garçon était d'humeur particulièrement courageuse.

Chaque année, le 31 juillet était pour les Potter un jour aussi joyeux que mélancolique. Mélancolique car Viola – leur fille aînée – n'était pas là pour célébrer son anniversaire en compagnie de sa famille. Joyeux car c'était un an de moins qui les séparait de leurs retrouvailles.

Ce n'était pas de gaieté de cœur que James et Lily s'étaient séparés de leur première-née, mais que pouvaient-ils faire d'autre ? Leur maison détruite, la nation entière portant Viola aux nues – elle mettait encore des couches ! – et tous ces Mangemorts en liberté, qui saisiraient immanquablement l'occasion de s'en prendre à la Survivante s'ils le pouvaient.

Non, ce n'était pas de gaieté de cœur qu'ils avaient écouté les sages paroles de Dumbledore avant de le laisser placer leur fille aînée en lieu sûr. Et chaque année, la piqûre de l'absence se faisait sentir, à peine adoucie par la présence des jumeaux.

Danny et Daisy Potter avaient été une surprise inattendue pour le couple, une qui ne leur avait pas facilité la vie – Lily faisait encore des cauchemars à se rappeler la fois où un Danny de quatre ans avait failli être tué dans la rue seulement pour son nom de Potter, et c'était un miracle que James ne soit pas mort en défendant l'école primaire de Godric's Hollow de sympathisants de Voldemort décidés à enlever les enfants pour leur infliger qui savait quoi.

Une surprise inattendue mais en fin de compte accueillie avec abandon. Les jumeaux étaient vivaces, aimants et curieux concernant leur grande sœur, une curiosité que Lily et James s'étaient fait une joie de satisfaire – en s'efforçant de ne pas leur inculquer le mythe de la « Survivante ». Vraiment, certaines de ces histoires étaient tout bonnement grotesques. Daisy en particulier réclamait toujours plus de détails, attendant impatiemment le jour où elle ne serait plus l'unique fille de la maison.

Elle n'était pas la seule à attendre ce jour. Une fois revenus à Godric's Hollow, les Potter n'avaient pas manqué de garder une chambre libre – une chambre destinée à une fille de onze ans, avec des livres, une armoire ultra-profonde – Lily avait beau se prétendre raisonnable, elle adorait la mode – et plusieurs posters de Quidditch aux murs – la passion de James refusant de se laisser museler. Si Viola n'aimait pas, elle pourrait toujours changer avec une affiche des Bizzar Sisters ou ce qu'elle voudrait.

Tout ce que la chambre – et la famille Potter – attendait, c'était Viola elle-même, leur fille aînée, leur absente, leur attendue, et la possibilité que la pièce ne soit jamais occupée ne leur effleurait même pas l'esprit.


Albus Dumbledore était incontestablement un grand homme. Vainqueur de Grindelwald, Président-Sorcier du Magenmagot, Manitou Suprême de la Confédération Internationale des Sorciers, Ordre de Merlin première classe et Directeur de Poudlard, l'Angleterre sorcière le tenait pour l'exemple auquel tout sorcier de bien devrait aspirer.

Ce que l'Angleterre sorcière oubliait – ou peut-être refusait de voir – était qu'un grand homme peut rarement se permettre le luxe d'être un homme bon. Les exigences du pouvoir ne manquaient jamais de broyer la naïveté et les bonnes intentions, jusqu'à ce que le malheureux les ayant détenus finisse par ne plus se reconnaître.

Dumbledore savait pertinemment ce détail. Il savait que la tête coiffée de la couronne reposait rarement – si ce n'est pas du tout – en paix. Il savait qu'un dirigeant se devait de faire passer les intérêts du peuple avant sa conscience, se devait de faire des choix douteux.

Tel que retirer Viola Potter à ses parents pour l'abandonner dans le monde Moldu, chez une tante dont l'amertume envers le monde sorcier n'était plus à prouver.

Le vieux sorcier ne l'avait pas fait par pure cruauté – Viola Potter devait être protégée, et la sang-magie utilisée sur la maisonnée Dursley lui offrait une protection bien supérieure à toutes les défenses de la résidence Potter. Sans compter que l'isolement dans le monde Moldu garantissait que la fillette ne deviendrait pas une horreur pourrie gâtée – un adulte raisonnable avait déjà du mal à ne pas laisser l'adoration des masses lui monter à la tête, alors imaginez l'effet sur une enfant ne connaissant rien d'autre.

Et puis, si Viola Potter ignorait tout du monde sorcier, elle accepterait facilement un mentor, quelqu'un qui pourrait lui indiquer le chemin correct à suivre. Quelqu'un qui ferait d'elle un point de ralliement pour la Lumière, qui développerait le symbole qu'elle était déjà en un flambeau de vertu qui marquerait les pages de l'histoire sorcière de Grande-Bretagne.

C'était ainsi qu'il la voulait, un successeur qui poursuivrait la tâche de faire de l'Angleterre sorcière un bastion de paix et de tolérance, et il ne lui vint tout bonnement jamais à l'esprit qu'elle désirerait emprunter un autre chemin.


Viola Potter n'avait jamais célébré son anniversaire – pas de gâteau, pas de cartes, pas de cadeaux. A quoi bon gaspiller les ressources des Dursley alors que ceux-ci pouvaient plutôt pourrir leur rejeton de manière indécente ? La fillette n'avait même pas su la date exacte.

Cette année, Kikyô avait décidé de se permettre tout ce dont elle avait été privée auparavant ce jour-là, afin de bien marquer le coup : après tout, c'était son premier anniversaire passé entièrement libre. Libre des Dursley, libre du monde sorcier – même si celui-ci l'ignorait et ne le découvrirait pas avant encore trois ans – libre du regard des autres.

Alanguie sur l'herbe du Japanese Tea Garden, protégée des rayons du soleil par un camélia des plus feuillus, la fillette somnolait les yeux ouverts, une boîte en carton vidée de la tarte à la myrtille qui l'avait occupée à côté d'elle. Elle flattait machinalement son nouveau bracelet du pouce.

Mine de rien, avoir à garder sa balle d'étoile telle quelle n'était pas bien pratique, poussant le kitsune à l'intégrer à une fine chaîne d'argent pour constituer un bijou tout simple. Impossible de perdre un bracelet quand celui-ci vous serre bien le poignet.

Sur la chaîne avait été également enfilé un anneau taillé dans une pierre noire – du jais, sans doute – orné seulement de quelques entailles figurant un œil triangulaire à la pupille fendue. La bague Peverell, insigne du chef de famille, qui se morfondait dans les comptes Potter depuis le Moyen Âge. Si James Potter n'en voulait pas, et bien tant pis pour lui. Qu'il ne se plaigne pas en découvrant que Kikyô avait revendiqué cet héritage pour elle – de manière parfaitement légale, puisqu'un héritier déchu avait le droit de revendiquer un autre nom dans son ascendance.

Et oui, elle n'était plus une Potter, si bien que quiconque essayant de localiser Viola Potter se casserait les dents tout net sur le manque de directions – bien fait pour eux. Ça signifiait aussi qu'elle ne recevrait probablement pas de lettres pour Poudlard – autre avantage, ça.

Oui, elle était aussi libre que le vent, et elle tenait à le rester, même si ce n'était pas toujours facile de coucher dans les rues. Surtout quand vous étiez une créature magique dans le corps d'une petite fille – ce n'était pas seulement la racaille ordinaire qui s'intéressait à vous. Et comme San Fransokyo était un melting-pot de cultures, il fallait se montrer encore plus vigilant.

Enfin, elle pouvait gérer. Probablement. Ce n'était pas comme si elle avait un autre choix.