« Une école de magie » laissa tomber Cass qui regrettait amèrement d'avoir reporté les courses à plus tard cet après-midi – c'est pour le coup qu'elle n'aurait pas dit non à un cookie ou cinq. « Genre, baguette magique, chaudron et crapaud baveux ? »
« Si vous désirez le modèle occidental, il faudra vous adresser à Ilvermorny » fit Oikawa sur un ton d'excuse. « Ou bien aller voir sur le continent européen... »
« Il y a d'autres écoles ? » s'écria Hiro, les yeux brillants de manière quasi littérale – la magie d'un kitsune recourant lourdement à la métamorphose, ça provoquait parfois des résultats intéressants.
La femme des neiges lui adressa un sourire indulgent.
« Une multitude, mais le monde magique reconnaît officiellement onze académies principales, parmi lesquelles notre propre établissement. Nous avons également conclu un accord avec une autre, Ilvermorny, qui s'occupe d'étudiants provenant de tout le continent nord-américain et ce avec une pédagogie remarquable. »
« Quel accord ? » voulut savoir Tadashi, que le mot alarmait – les contrats avec les youkai constituaient trop souvent une bonne raison de s'inquiéter.
« San Fransokyo compte pratiquement comme un centre de population asiatique, mais les origines de ses résidents ne changent rien au fait que la ville se trouve sur la côte américaine » rappela Oikawa. « Ce qui donne à Mahoutokoro autant qu'à Ilvermorny le droit de réclamer les jeunes enfants magiques d'origine nippone ou coréenne nés sur le sol des États-Unis, pour les former et les éduquer en fidèles travailleurs. Vous vous en doutez, nous avons frôlé le conflit ouvert avant que le MACUSA (c'est à dire le Congrès Magique d'Amérique du Nord) et le Bureau des Onmyôji (la partie du gouvernement impérial qui s'occupe des affaires arcanes) ne finissent par trouver une solution. »
Cass fronça les sourcils.
« De quelle sorte ? »
La femme des neiges se redressa imperceptiblement, sans doute la force de l'habitude alors qu'elle leur présentait un discours bien rôdé.
« La scolarité à Mahoutokoro débute à partir de sept ans, tandis que celle d'Ilvermorny ne commence qu'après onze. Si Hiro-kun est inscrit à Mahoutokoro, il suivra le cursus habituel comme tout élève né en territoire asiatique jusqu'à ses onze ans, où il se verra offrir l'option d'être transféré à Ilvermorny. Il pourra également opter pour l'alternance, auquel cas il suivra les deux programmes, américain et japonais, et aura la possibilité d'être diplômé des deux. »
« Ce n'est pas un peu… exigeant, comme politique éducative ? » hasarda faiblement la tenancière qui ouvrait des yeux ronds.
Les lèvres décolorées d'Oikawa s'amincirent.
« Il est question de deux académies très cotées au niveau mondial, Long-san. Nos élèves sont parmi les meilleurs, nous attendons d'eux qu'ils excellent, rien de moins. »
Le regard doré s'adoucit.
« N'oubliez pas qu'il y a un délai de quatre ans pour remettre votre réponse. L'essentiel est que Hiro-kun puisse s'épanouir et affiner ses dons dans le cadre qui le mettra le plus en valeur. »
« Je vais apprendre à changer les gens en cochon ? » s'enquit l'enfant. « Et à faire des feux d'artifice en tapant dans les mains ? »
« Tout cela et tellement plus encore » promit la femme des neiges. « Mais je dois te prévenir que ce ne sera pas pour tout de suite : il te faudra travailler dur si tu veux devenir un onmyôji digne de ce nom. »
« Pourquoi vous employez ce terme ? » interrogea Tadashi plutôt curieux – aux dernières nouvelles, le mot désignait l'astrologue impérial, dont les devoirs imposaient de combattre les youkai. Quoique, il s'agissait surtout de créatures agressant les humains, peut-être le surnaturel était-il laissé en paix du moment qu'il ne tuait ou mutilait personne ?
« Oh, c'est une marque de mon côté tatillon » commenta distraitement la créature vêtue de blanc. « Un onmyôji est un magicien mettant ses dons au service du trône, n'est-ce pas ? Et notre école forme des enfants magiques afin qu'ils puissent devenir de bons sujets japonais. Si vous n'aimez pas, vous pouvez toujours dire mage, ou sorcier, ou ce qu'il vous plaira. »
Cass porta une main à son front pour le masser lentement, comme si sa tête s'était vitrifiée sans prévenir et qu'un mouvement brusque risquait de la faire voler en éclats.
« C'est… très gentil à vous d'être passée, mais il faut vraiment que je dorme là-dessus. On pourrait… en rediscuter plus tard ? »
Le timbre de sa voix tenait plus de la supplication que de la question polie. Oikawa dut s'en apercevoir car elle prit la pauvre tante en pitié.
« Voici ma carte de visite, avec mon adresse pour l'été inscrite au dos. Envoyez-moi un mot avant la fin de la semaine, si cela ne vous dérange pas. Mon agenda est malencontreusement encombré, alors une réponse rapide serait très appréciée. »
« Je crois qu'on va pas avoir le choix » finit par commenter Tadashi alors que lui et sa tante se retrouvaient enfin seuls dans la cuisine. « Si on refuse de le laisser partir pour devenir un magicien comme à la télé, Hiro va faire sauter la baraque. Et je crois pas que ce sera très métaphorique, comme explosion. »
Cass braqua sur lui un index rageur.
« Je suis toujours furieuse » proféra-t-elle ou serait-il plus juste de dire qu'elle tenta de proférer, les cachous dont elle s'était rempli la bouche constituant un obstacle non négligeable à l'intelligibilité de son élocution.
Tadashi n'en comprit pas moins, avantage d'une longue cohabitation et d'une familiarité plus longue encore.
« Hé, c'est pas que j'ai pas été te raconter que Hiro n'était pas exactement un gosse normal car je voulais te provoquer des ulcères. »
« Nan, seulement faire grimper mon cholestérol » ronchonna Cass après avoir avalé tout rond sa bouchée de cachous.
« Papa m'avait fait promettre de garder le secret. »
Tout d'un coup, Tadashi paraissait ne plus avoir quatorze ans, mais dix. Plus l'air de l'adolescent découvrant l'indépendance, mais du gamin dont la vie entière vient de se briser à cause d'un conducteur négligent.
Le goût mentholé des cachous se fit amer sur la langue de Cass.
« Je ne crois pas que l'obligation de se taire ait été encore applicable » fit-elle d'une voix nettement moins chargée en émotion.
L'adolescent fronça le nez.
« Tu comprends pas : Papa s'y connaissait en youkai, il me racontait tout le temps des histoires dessus. Il avait grandi là-dedans, il savait les trucs les plus dingues, les détails les plus bizarres du folklore. C'était basiquement l'autorité suprême, alors qu'est-ce que j'aurais dû penser quand il me prévenait que si je racontais à mes copains de classe ou à un instit ou même à la boulangère les petits tours dont maman était capable, elle allait partir et je la reverrais jamais plus ? »
Les yeux marrons de Tadashi s'étaient recouverts d'une fine pellicule liquide menaçant de déborder.
« J'en faisais des cauchemars, à l'époque. Je la voyais partir et j'avais beau essayer tous les moyens qui me passaient par la tête, je pouvais jamais la retenir. Elle s'en allait à chaque fois. Alors je disais rien, à personne. J'ai jamais rien dit, mais elle est partie quand même, et Papa est venu avec elle. »
Cass se leva de sa chaise pour étreindre son neveu celui-ci resta figé un court instant avant de se détendre.
« Il faut vraiment qu'on en reparle demain » conclut-elle. « En plus de tout ce fatras d'école pour sorciers. Pourquoi ton frère ne pouvait pas juste être surdoué ? »
Dans ses bras, Tadashi fut secoué d'un petit rire.
« T'as pas encore compris que c'est un problème sur pattes, Hiro ? »
