6 avril 2026

Le samedi précédent, autrement dit avant-hier, Hiro avait fait ses adieux à Tante Cass et Tadashi avant de faire officiellement son entrée à l'auberge Kaede en tant que pensionnaire. Devant tout le monde, il avait fait comme si de rien n'était, mais son ventre n'avait pas arrêté de lui donner des crampes au point qu'il n'avait pas pu toucher au dîner préparé par Mme Okamoto, et pourtant il sentait plutôt bon, peut-être même aussi bon que la cuisine de Tante Cass.

Le dimanche d'hier, ses affaires pour l'école avaient été inspectées minutieusement pour vérifier qu'il n'avait rien oublié, et il s'était vu présenter son uniforme scolaire. Apparemment, ce serait le seul qu'il porterait, grâce à des sorts lancés sur le tissu pour lui permettre de grandir avec Hiro, ce qui était très chouette. Ce qui ne l'était pas tellement, chouette, c'était la couleur rose des vêtements. Un rose pâle un peu blanc, et si Hiro allait se promener avec le hakama et kimono d'uniforme, tout le monde le prendrait pour une fille !

« Tous les débutants ont un uniforme de cette couleur » avait déclaré M. Okamoto lorsque Hiro s'était plaint, « mais ça change selon tes notes. Plus tu es bon élève, plus la teinture évoluera, avec le rose au tout début, qui passe au rouge, puis violet, puis bleu, puis vert, puis jaune, avec doré au sommet pour les meilleurs. Alors travaille de toutes tes forces, comme ça, ton uniforme passera à la couleur supérieure. »

Puisque c'était comme ça, Hiro deviendrait le premier de sa classe, et personne n'irait jamais penser qu'il était une fille. Il avait quand même eu très chaud au cou quand Mme Okamoto avait insisté pour que lui et Ao-chan enfilent les uniformes – elle aussi en avait reçu un, puisqu'elle viendrait même si ce serait pour des cours spécialisés – les avait fait poser debout l'un à côté de l'autre et avait pris une photo. Il savait que Tante Cass verrait ça, et si elle montrait la photo à Tadashi, Hiro serait obligé d'aller cacher les chaussettes gauches de son frère pour l'empêcher de se moquer.

Et puis, le matin était venu, et Hiro avait dû se lever à sept heures – il avait beaucoup bâillé en dépit de s'être couché à dix heures du soir hier – pour petit-déjeuner, s'habiller et descendre avec Ao-chan dans le jardin de l'auberge où patientaient deux énormes oiseaux au regard inquisiteur.

« Les pétrels dressés sont très rapides, mais ils ne sont pas si nombreux que ça » avait expliqué M. Okamoto, « alors ils doivent utiliser un planning et des horaires pour aller chercher les élèves chez eux. Dans notre région, ils viennent à sept heures et demie, et ce sera ton horaire tant que tu vivras chez nous. D'accord ? »

Hiro avait acquiescé, puis M. Okamoto l'avait hissé sur le dos de l'oiseau, cartable et tout, s'était assuré que Hiro se cramponnait bien pour ne pas tomber, et l'oiseau s'était envolé.

Le vent froid du matin avait terminé de réveiller Hiro, et celui-ci avait ouvert grand les yeux pour ne pas rater une minute du trajet malgré un très, très gros vertige. Parce qu'il volait, et ça, il fallait s'en souvenir. Même s'il faisait froid, que le sol était loin et que les battements d'ailes de l'oiseau lui donnaient peur de lâcher prise, il voulait garder l'image du ciel bleu tout autour de lui, un bleu qui tirait sur le doré plus on se rapprochait de l'horizon.

Comme annoncé, le pétrel avait été rapide, et en dix minutes la pagode brillante de Mahoutokoro avait surgi du panorama, et l'oiseau avait entrepris d'atterrir dans une cour à l'écart, où plusieurs autres pétrels ne cessaient de se poser et de décoller, se déchargeant des enfants sur leurs dos avant de repartir en chercher.

Une fois sa monture à terre, Hiro avait essayé de descendre sans se casser la figure. Il pensait y être assez bien parvenu, et heureusement parce qu'il n'aurait pas voulu se donner en spectacle devant la fille qui l'avait approché tout de suite après.

« Hamada Hiro-chan, c'est bien toi ? » avait-elle demandé en japonais.

« Ou-Hai ! » avait-il répondu, embarrassé d'avoir presque commis une boulette en lui parlant anglais, et il était sûr que son accent était affreux, car Oikawa-sensei faisait toujours une petite grimace de pitié quand il discutait avec elle en japonais.

Si la fille trouvait son accent affreux, elle ne le dit pas. Elle devait avoir deux ou trois ans de plus que lui, ses cheveux étaient très longs et noir avec des reflets bleus, tirés en queue de cheval, et elle avait des yeux rouges aux pupilles verticales toutes fines, comme un serpent.

« Je m'appelle Yarizakura Hime » fit-elle, et à sa façon de parler, on aurait dit une impératrice. « Pour cette année, je suis supposée t'aider à t'adapter à l'école. Ça veut dire que tu m'appelles Hime-sempai, c'est compris ? »

« H-Hai, Hime-sempai » souffla Hiro qui commençait à avoir peur, c'est qu'elle avait pas l'air commode. Et si elle décidait de s'énerver après lui ?

Et puis, d'un seul coup, Hime-sempai eut un grand sourire qui lui donna l'air beaucoup plus gentil.

« Et bien, viens, Hiro-chan » dit-elle en lui prenant la main, « je vais te montrer ta salle de classe. »

Peut-être que tout se passerait bien, finalement.


Il y avait un tableau noir au mur, et plusieurs rangées de tables avec des chaises alignées devant le bureau du professeur. Des affiches colorées étaient placardées à intervalles réguliers sur le mur où il n'y avait pas de fenêtre, et tout au fond de la pièce, une grande cage en verre reposait sur une table spéciale. Jusque là, c'était une salle de classe toute bête.

Ce qui était moins bête, c'était les signes des affiches qui se modifiaient tous seuls, les pépiements étonnamment mélodieux des moineaux à l'intérieur de la cage, et la palette multicolore des cheveux, des yeux, parfois même de la peau des enfants installés à leurs bureaux. La magie était là, comme si de rien n'était.

Personne n'avait l'air très nerveux, et Hiro trouvait ça très injuste. Ceci dit, comme l'avait annoncé M. Okamoto, tout le monde portait un uniforme rose, alors c'était toujours ça.

Et puis, la maîtresse entra. Enfin, Hiro supposait que c'était la maîtresse. Elle avait la peau très claire mais pas autant qu'Oikawa-sensei, de très longs cheveux noirs attachés avec un ruban blanc, et elle portait un long kimono bleu décoré de fleurs orangées à cinq pétales. Avec elle, une odeur d'herbe coupée et de fleurs vint dans la pièce.

« Bonjour à vous tous » fit-elle d'une voix douce, qui n'eût pourtant aucun mal à remplir la salle. « Je suis Yamabuki Otome-sensei, votre professeur principal pour l'année. »

Quelques voix fluettes marmonnèrent des salutations, mais dans l'ensemble, la classe garda le silence. Yamabuki-sensei ne s'offusqua pas.

« Ce trimestre, nous allons apprendre les hiragana, comment les lire et les écrire, et apprendre les nombres de un à vingt, ainsi que les opérations mathématiques qui incluent ces chiffres. Nous allons aussi couvrir les animaux et les plantes qui vivent dans notre archipel, et nous aurons aussi des périodes de sports. Enfin, pour ceux qui le veulent, il y a plusieurs ateliers l'après-midi de type peinture, lecture et musique. »

Une petite main se leva avec hésitation.

« Oui, rappelle-moi ton nom… ? »

« Ah… Ayano, sensei. Aishi Ayano. C'est… c'est beaucoup… non ? »

Yamabuki-sensei adressa un sourire rassurant à la fille qui trébuchait sur ses mots.

« Ça peut donner l'impression de faire beaucoup, oui. Mais une fois le programme entamé, tu t'amuseras tellement que tu ne verras pas le temps passer, je te le promets. »

Un bras fut fougueusement brandi en l'air.

« Sensei ! Y a combien de gens qui ont des youkai dans la famille, ici ? »

Hiro ne put s'empêcher de sursauter. Plusieurs grincements de chaise raclant le carrelage et hoquets lui indiquèrent que sa réaction n'était pas un incident isolé. Yamabuki-sensei plissa les yeux, jusqu'à ce que le garçon ayant posé la question se ratatine sur son siège.

« C'est très grossier de demander cela » fit-elle, la voix plus douce du tout.

« … Pardon, sensei » renifla l'impoli.

« Tu es pardonné pour ton premier jour, mais à ta place, je ne recommencerais pas » lui conseilla-t-elle.

Hiro hésita un moment avant d'élever sa propre main.

« Oui, tu es… ? »

« Hamada Hiro… Sensei, et la magie dans tout ça ? »

Le sourire de Yamabuki-sensei était revenu.

« Nous l'étudierons pendant les cours, bien sûr. Pensais-tu vraiment que ce serait une option séparée ? »

Hiro sentit ses oreilles brûler.

« Heu... »

« Hiro-chan, la magie fait partie de la vie de tous les jours. Il faut juste apprendre à la voir. Et il faut aussi apprendre à s'en servir correctement. Pour ça, il faut une bonne base, commencer par les petites choses. Tu comprends ? »

Hiro hocha la tête, trop gêné pour répondre à voix haute.

« Bien » fit Yamabuki-sensei quand le silence s'étira assez pour que tout le monde comprenne que c'était la fin des questions. « Chaque journée commence à partir de huit heures et quart pour finir à quinze heures et demie. Il y aura une pause d'une heure et demie à midi pour que vous puissiez manger. Les ateliers commencent à la fin des cours et durent jusqu'à dix-sept heures. Si vous n'arrivez pas à vous repérer dans le château, n'hésitez pas à consulter un plan – il y en a un dans chaque couloir – ou à demander l'aide d'un sempai. »

C'était facile.

« La classe doit rester propre, et les oiseaux ont besoin qu'on leur donne à manger. Chaque semaine, deux élèves seront chargés de faire le ménage, à tour de rôle. Je me chargerais de vous rappeler quand c'est votre tour, et vous devrez essuyer le tableau, vérifier que les oiseaux ne manquent de rien et ramasser toutes les saletés qui traînent. La poubelle est à côté de la porte, servez-vous-en. »

C'était facile aussi.

« Et maintenant que nous avons établi les règles, nous allons jouer à un petit jeu. Nous sommes vingt-quatre enfants ici, et ça veut dire que chacun d'entre vous doit se souvenir de vingt-trois noms en plus du mien. Alors nous allons nous présenter par nos prénoms, et chacun devra ajouter sa couleur préférée. Pour moi, je dirais que je m'appelle Yamabuki-sensei et que j'aime le blanc. Vous pouvez faire ça ? »

Tout le monde y passa. Ce n'était pas si terrible, après tout c'était juste une couleur (violet, pour Hiro), pas votre pire secret.

« Parfait ! Maintenant, il faut dire son nom et sa couleur préférée, mais il faut aussi savoir le nom et la couleur des deux personnes assises à gauche de vous, alors écoutez bien vos voisins. Ça ira comme ça : je m'appelle Yamabuki-sensei et j'aime le blanc. À côté de moi, il y a Ayano et elle aime le noir. À côté d'Ayano, il y a Oka et elle aime le bleu. »

Un peu plus compliqué mais toujours rien d'un cauchemar. Ça aidait à retenir les noms, de les répéter. Et Yamabuki-sensei n'avait pas l'air du genre à s'énerver.

Oui, ça allait bien se passer.