23 septembre 2026

C'était quand même fou, penser à tout ce qui pouvait arriver à la même date rien qu'à un an d'intervalle. En tout cas, Tadashi en éprouvait un vertige non-négligeable.

Oui, il était revenu au sanctuaire Hamada pour le jour de l'équinoxe d'automne. Ça s'était passé comme l'année dernière – vu qu'il s'était retrouvé à accueillir les visiteurs – et en même temps, ça n'avait pas été pareil.

L'année dernière, Tadashi avait seulement joué le rôle de l'assistant, le gamin qui porte le costume et donne la réplique mais ne croit pas vraiment dans l'illusion théâtrale. Juste un figurant, et ce n'est pas si grave, on en trouvait plein comme ça.

Cette année-là…

Un couple qui s'était un peu attardé au sanctuaire en avait profité pour discuter un peu avec Grand-père de l'état du sanctuaire, et l'homme avait demandé si le successeur prenait les choses au sérieux, ce à quoi il s'était vu confirmer que oui, on ne peut plus sérieusement.

Successeur. Comme disait le vieux Bert qui aimait ses croissants au café, une personne qui vous traite de poivrot, riez-en, deux personnes qui vous traitent de poivrot, commencez à repenser votre style de vie. C'était la deuxième année où Tadashi assistait Tomeo Hamada dans l'exercice de ses fonctions, et la congrégation avait remarqué ça.

Bien sûr que pour eux, il était le successeur, la dix-neuvième génération montante qui remplacerait le dix-huitième prêtre attitré une fois celui-ci trop vieux pour assumer sa charge. Il était Hamada, et la lignée Hamada avait passé le contrat avec le kami, n'est-ce pas, alors ce devait être lui, il fallait que ce soit lui qui reprenne le flambeau.

Tout à coup, il avait étouffé. Eu besoin de prendre l'air, une fois tout le monde parti.

Grand-père paraissait se douter de quelque chose, mais il n'avait pas sourcillé, il l'avait juste regardé s'éloigner un peu dans les profondeurs du parc, et Tadashi avait cru voir une ombre de compréhension et de sympathie effleurer son visage.

Il avait refusé de se retourner pour confirmer cet aperçu.


Si Fred avait su qu'il était sur le point de convoquer le dieu tutélaire du sanctuaire familial, il lui aurait fait la tête pour ne pas l'avoir invité au préalable. Et s'il avait été présent, il aurait bégayé d'enthousiasme et aurait probablement convaincu le Démon Chien que la race humaine avait irréparablement sauté dans la folie tête la première par sa conduite.

C'était le deuxième argument pour commettre l'acte au Japon. L'argument majeur, c'était que Tadashi avait ses réserves quant à la tolérance du MACUSA regardant les créatures qui ne résidaient pas dans la dimension matérielle en temps normal. D'accord, les youkai se baladaient et logeaient à peu près convenablement à San Fransokyo, mais leurs existences n'en restaient pas moins liées au physique plutôt qu'au spirituel. L'adolescent métis avait la certitude que les dieux ne jouaient pas dans la même cour.

En attendant d'en savoir plus, il se cantonnerait donc au pays où c'était plus ou moins légal de discuter avec un esprit. Et non, il ne dirait rien à Fred – pas juste pour éviter la prise de tête, l'autre garçon semblait vraiment investi dans la perspective de devenir une Sentinelle et Tadashi refusait de compromettre cet avenir en impliquant son ami dans des histoires pas très propres, ne serait-ce que tangentiellement.

Tiens, encore une autre raison pour l'autre ado de se vexer, l'absence de cérémonial quelconque. Après tout, quand vous pouviez pratiquer la magie, il fallait que ça en jette, forcément, et ça signifiait signes cabalistiques et bougies dégoulinantes, non ?

Et bien, non. Dans un soupir, Tadashi s'assit par terre sans plus de façons (il était assez loin du sentier, personne ne le verrait et les arbres alentours offraient une bonne couverture) et s'éclaircit la gorge. Le nom remonta le long de sa trachée et glissa sur sa langue jusqu'à entrer en collision avec ses dents, ce que le garçon prit comme indication d'ouvrir la bouche.

« Inuyasha. »

Immédiatement après avoir lâché les syllabes, un frisson lui courut le long du dos. Mais peut-être s'agissait-il d'un coup de vent ?

Comment il sut que quelqu'un se tenait derrière lui, il n'en avait aucune idée, mais il le savait. Tadashi avala sa salive.

« Ça faisait longtemps depuis la dernière fois que tu m'as appelé pour rien, Miroku » commenta le kami d'un ton vaguement amusé.

« Je m'appelle Tadashi » rectifia l'adolescent avant de tourner la tête.

Le Démon Chien avait la tête penchée, sourcil arqué. Il présentait une ressemblance saisissante avec un brave toutou qui sait que son maître n'a pas toute sa tête et décide de l'aimer malgré tout. Tadashi hésitait franchement à garder son irritation pour lui.

Ils s'observèrent un petit moment avant que le youkai ne vienne s'asseoir sans plus de façons à côté de son invocateur.

« Tu pues la mort » lâcha-t-il.

Là, ce fut au tour de l'adolescent de hausser les sourcils – règles du shintoïsme oblige, il s'était méticuleusement douché avant de commencer son service, alors question odeur corporelle, ça ne pouvait vraiment pas être si grave que ça. Ou alors…

« Littéralement ? »

Le Démon Chien fronça le nez.

« Pour l'instant, ça passe encore. Bon, une fois que tu seras vieux, je dis pas… Proximité plus grande avec ta propre mortalité, tu vois ? Plus grande infestation de revenants, aussi. Ça les attire comme pas permis, un relent pareil. »

Machinalement, Tadashi se demanda si c'était la raison pour laquelle les nécromanciens de bande dessinée, littérature et autres films de série Z étaient si souvent décrépits – un brin de connaissance ayant échappé à la censure, peut-être ?

Toutefois, ce fut promptement noyé sous la marée furieuse occupée à monter à l'intérieur de lui.

« Et moi alors ? J'ai pas mon mot à dire là-dessus, peut-être ? Et si je ne veux pas de morts qui me collent aux basques ? »

« Alors c'est tant pis » laissa tomber son interlocuteur surnaturel. « Tu devras faire avec, voilà tout. »

« Mais j'ai rien demandé ! » explosa enfin l'adolescent. « Enfin, quoi ! J'ai pas demandé à pouvoir sentir les morts ! J'ai pas demandé à passer un contrat avec toi ! J'ai pas demandé à devenir un prêtre ! Pourquoi personne ne prend jamais mon avis en compte avant de me balancer toutes ces conneries sur la gueule ?! »

A tous les coups, il avait la nuque écarlate, il la sentait déjà brûlante, et ses yeux aussi picotaient, mais il n'allait tout de même pas perdre ses moyens devant une divinité de pestilence et de sang – ça aurait vraiment été le bouquet.

Ladite divinité de pestilence et de sang l'observait avec… il ne pouvait pas identifier le sentiment précis. Peut-être de la… compassion ? Tristesse ? Dans ces eaux-là.

« Personne de rationnel ne voudrait ce genre de vie » concéda le kami. « Mais c'est celle que tu as, et aux dernières nouvelles, tu ne peux pas exactement l'échanger contre une autre, n'est-ce pas ? »

« Tu ne vas pas m'ordonner de me résigner à mon sort, j'espère ? » gronda Tadashi, vidé d'une bonne partie de son ardeur par son éclat de furie.

« Non. Juste… profite de la vie que tu as encore, pendant que tu peux. »

« Et c'est sensé me consoler ? »

Le Démon Chien le fixa de son regard jaune aux pupilles verticales.

« Je suis un expert en massacre et protection » se défendit-il hautainement, « pas un conseiller pour le bien-être mental. Il ne manquerait plus que tu veuilles me tenir la main. »

« En voilà une bonne idée » riposta l'adolescent, davantage pour provoquer une réaction que parce qu'il en avait envie.

Vu la manière dont son vis-à-vis grimaça – comme s'il venait de fourrer le nez dans un monceau de chaussettes sales – la plaisanterie n'était guère à son goût. N'importe comment, ce n'était pas à lui qu'elle devait plaire, mais à Tadashi, et elle lui plaisait, alors rien à redire, hein.

Enquiquiner la déité tutélaire de la famille, ah. Grand-père ne devait jamais apprendre ça, ou bien il en contracterait un anévrisme et Tadashi se retrouverait propulsé beaucoup trop tôt pour lui dans le rôle du successeur Hamada.

Au moins attendez qu'il décroche son diplôme universitaire avant de chambouler complètement son existence.