Daisy n'avait pas annoncé à ses parents, à son frère ou à ses neveux l'existence d'un nouvel ajout sur la tapisserie familiale – vraiment, Papa et Maman vivaient dans la même maison que la tapisserie, ils finiraient bien par s'en rendre compte tout seuls, ils auraient déjà dû s'en rendre compte et rameuter la famille entière autour de cette découverte, alors non, elle n'éprouvait aucun scrupule à garder le secret pour l'instant.
Et puis, comme ça, elle pourrait mener son enquête paisiblement. Elle ne voulait pas avoir ses parents sur le dos, à contester ses décisions alors que c'était elle le détective privé qui avait résolu une bonne trentaine de disparitions sans avoir de l'aide, alors que c'étaient James et Lily qui avaient perdu Viola pour commencer.
Mesquin, probablement, mais Daisy n'avait jamais prétendu être une sainte, y compris à ses débuts quand elle était nettement plus jeune et arrogante.
Enfin, il fallait en revenir à la piste, au quatrième neveu qu'elle venait de découvrir, le fils de Viola qui venait de fêter ses onze ans et était habilité à intégrer Poudlard par vertu de descendre de la famille Potter, une lignée fermement enracinée en Grande-Bretagne depuis que les Romains avaient décidé de visiter ces îles trop pluvieuses et brumeuses pour les ajouter à leur Empire.
Si Hiro Hamada pouvait aller à Poudlard, il avait besoin d'en être informé. Et pour cela, il avait besoin de recevoir une lettre d'inscription.
Ce que peu de résidents du Royaume-Uni savaient, c'était que deux plumes bien particulières étaient nécessaires afin qu'un enfant magique puisse obtenir la lettre l'autorisant à rejoindre la communauté sorcière. La première, la plus cruciale, était la Plume d'Acceptation qui rédigeait le nom du bambin dans le Livre d'Admission après avoir détecté une trace de magie accidentelle. La seconde plume était plus ordinaire, mais spécifiquement envoûtée afin de déterminer les adresses les plus obscures, les plus compliquées, celles qui poussaient les facteurs à s'arracher les cheveux et les poils de barbe et de moustache.
Pour gagner accès à l'une de ces plumes, il fallait soit être en bon termes avec la faculté enseignant à Poudlard, soit appartenir à cette dernière pour contourner les restrictions administratives. Daisy n'était pas un professeur, et elle n'avait aucunement l'intention de solliciter une faveur à quelqu'un employé par Dumbledore, l'homme ayant convaincu ses parents d'abandonner leur première-née dans une maison ne lui convenant absolument pas, l'homme qui fourrait son nez partout alors même qu'on ne le lui demandait pas.
Ce qu'elle avait sous la main, c'était la Carte du Maraudeur – momentanément empruntée à l'aîné de ses neveux avec la promesse de la lui rendre rapidement, Tatie D prépare une surprise et non, tu ne peux pas avoir d'indice, mais je te promets que ça va te laisser sur le carreau quand tu sauras – qui indiquait les passages secrets de l'antique forteresse, et les recoins les moins explorés du bâtiment, Pettigrew avait trahi ignoblement ses amis mais sa contribution en tant que rat capable de se glisser absolument partout avait été inestimable pour créer ce merveilleux outil de chahuteur.
Une fois sa destination fixée, Daisy n'avait plus besoin que de transplaner à Pré-au-lard pour se glisser dans la cave de Honeydukes, esquivant le propriétaire au passage et vu que c'était la morte-saison d'été ce n'était pas si compliqué, remonter le long tunnel jusqu'à finir dans un couloir qu'elle peinait à reconnaître puisque cela faisait si longtemps depuis qu'elle était allée à l'école, éviter les professeurs et les fantômes alors qu'elle filait vers l'alcôve où les plumes attendaient que le Directeur ou son adjoint vienne examiner la liste des futurs élèves et crocheter la serrure.
Une fois dans la place, il s'agissait juste de saisir une enveloppe, de déposer une plume dessus et de déclarer que c'était pour Hiro Hamada, dans la promotion de septembre 2029, et d'attendre le cœur battant que la plume se redresse et commence à rédiger.
Deux longues secondes, Daisy fut seule avec le battement de son sang dans ses oreilles et ses gorges, avant que la plume ne se décide enfin à frémir et gratter le papier, une élégante calligraphie qu'elle déchiffra avidement, n'attendant même pas que la plume finisse son œuvre.
Hiro Hamada,
Le plus petit lit du grenier,
Lucky Cat Café, Nihonmachi,
District de Western Addition, San Fransokyo
État de Californie
États-Unis d'Amérique
L'Amérique. Daisy n'était pas surprise, c'était après tout en Amérique que Viola avait disparu, mais – San Fransokyo ? La brigade spécialement montée par le Ministère anglais avait fouillé la ville de fond en comble puisque c'était le dernier endroit où Viola avait été aperçue vivante, comment se faisait-il qu'ils ne l'avaient pas retrouvée ? Certes, les fonctionnaires d'intérêt publique avaient gagné une réputation d'incompétence assez méritée, mais à l'époque, cela n'avait pas été aussi aggravé !
Non, non, Daisy ne pouvait pas ruminer des idées noires et des fantasmes revanchards à l'encontre des incapables ayant bâclé spectaculairement les recherches toutes ces années auparavant, quand la piste était encore relativement fraîche au lieu de figurer parmi les innombrables mystères classés sans suite et sans aucun espoir de résolution.
Et bien, maintenant, elle tenait un espoir de résoudre le mystère, n'est-ce pas ? Une chance de rencontrer enfin Viola, d'apprendre en quoi avait consisté la vie de celle-ci, si elle était heureuse avec le père de Hiro, si elle prévoyait d'envoyer le petit à Ilvermorny parce que c'était plus près et parce que l'académie américaine avait forcément dû les contacter en premier mais maintenant il existait une deuxième option…
Est-ce que Viola savait que son fils était magique ? Est-ce que Viola savait qu'elle était une sorcière, pour commencer ? Elle devait obligatoirement se douter de quelque chose, autrement Daisy ne voyait pas comment sa sœur aurait pu échapper à toutes les tentatives de recherche la concernant, l'incompétence ne pouvait pas aller à ce point, mais si une petite fille paniquée utilisait accidentellement ses pouvoirs pour qu'on la laisse tranquille, il y avait une bonne chance pour que l'enquête capote et tourne court.
Daisy pourrait demander des précisions à Viola quand les sœurs seraient finalement face-à-face. Pour l'heure, la détective privée devait quitter Poudlard tout aussi discrètement qu'elle y était entrée, renvoyer la carte du Maraudeur à Jimmy avec ses remerciements et peut-être une boîte de ses gâteaux favoris, et puis s'en aller au Département des Transports du Ministère afin de solliciter un Portoloin qui l'emmènerait de l'autre côté de l'Océan Atlantique, pas une mince affaire en raison de la distance et du fait que c'était une destination étrangère.
Oh, et elle devait également se renseigner sur San Fransokyo, histoire de ne pas commettre de faux pas une fois arrivée là-bas. Daisy en avait entendu de belles sur le compte du gouvernement nord-américain – le Royaume-Uni méprisait peut-être les mariages entre sang-purs et nés-Moldus, mais au moins vous pouviez épouser qui vous vouliez, vous pouviez même parler à un Moldu là où la loi de Rappaport vous expédierait illico en prison.
Certes, la loi avait été abrogée en 1965 lors du combat pour les droits civiques. Et San Fransokyo – n'était-ce pas une enclave asiatique ou quelque chose du même goût ? La Chine et le Japon ainsi que leurs voisins immédiats avaient toujours été tellement plus relâchés en ce qui concernait le Statut du Secret. Bon, les communistes avaient commis des ravages en voulant faire table rase du passé et de la superstition, et l'intrusion des mœurs occidentales n'avait pas aidé non plus, mais en général l'Asie ne faisait que peu d'efforts pour dissimuler la population magique aux yeux des habitants plus ordinaires.
Voyons, où Daisy pourrait-elle trouver une brochure, qu'elle sache si San Fransokyo était plus américaine ou asiatique en la matière ?
