Auteur : Nat. Eh ouais. Incroyable, hein.
Disclaimer : Tolkien pour le canon, moi pour le reste. Je vais à l'essentiel aujourd'hui.
Warnings : Géographie valinorienne approximative et extrapolations personnelles sur les modes de vie des Valar et Maïar. Ce texte parle de chasseurs et d'animaux relativement sauvages, il y aura donc des scènes de chasse dans des chapitres à venir. Et Celegorm (ou Tyelkormo, c'est son nom en quenya) se paie le luxe d'être probablement OOC et obstiné comme pas deux. La persévérance, c'est une qualité !
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Chapitre 2
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Tyelkormo essuya d'un revers de main une larme de dépit qui coulait sur sa joue. Il donna un coup de pied rageur dans une pierre et l'envoya rouler quelques mètres plus loin, sans grands égards pour la douleur à l'orteil que cela lui provoqua. Jamais il ne s'était senti aussi humilié. Il avait passé des heures dans le temple d'Oromë à Tirion à écouter les prêches des maîtres de culte ! Il avait voyagé pendant des semaines (trois semaines et deux jours, pour être exact) ! Il avait arpenté la forêt pendant toute une journée à la recherche de la clairière de la cérémonie ! Il avait acheté le silence et la complicité de son frère à grand renfort d'arguments percutants, de promesses contraignantes et de regards humides de chiot battu ! Il avait même menti à ses parents et à son grand-père ! Et tout cela pour quoi ? Néant ! !
Le jeune prince retrouva sa pierre et l'agrémenta d'un second coup de pied, plus fort que le précédent, qui la fit décoller du sol. Elle alla heurter l'écorce d'un bouleau et disparut dans un tapis de fougères qui dépassait la hauteur du genou. N'ayant plus rien sur quoi passer ses nerfs à vif, Tyelkormo ramassa une branche morte et entreprit de battre les larges feuilles des fougères. De nouvelles larmes de colère perlèrent dans ses yeux. Cette journée aurait dû être le plus beau jour de sa vie, le plus glorieux, et il venait tout juste de devenir le pire et le plus humiliant de tous. Rien ne s'était passé comme il l'aurait fallu !
Et dire qu'il avait été si fier lorsqu'il s'était trouvé là-bas, debout au milieu de la clairière !
Il s'était bien senti un peu déplacé, au début. Il avait eu la vague impression d'avoir interrompu quelque chose. Un peu comme la fois, quelques années auparavant, où il avait débarqué dans la salle du conseil au beau milieu d'une réunion de dignitaires de Tirion. Son grand-père le roi l'avait vertement tancé, mais ce n'était pas de sa faute à lui ! Il ne savait même pas qu'il devait y avoir un conseil ce jour-là. Il voulait juste jouer avec les figurines que les adultes posaient et déplaçaient sur les grandes cartes étalées sur la table. Mais quand il avait dit cela, il s'était fait doublement sermonner.
Lorsqu'il s'était avancé au centre de la clairière et que tous les Maïar l'avaient regardé, il s'était soudain senti aussi mal à l'aise que lors de ce lointain jour. Il avait alors relevé la tête pour ne pas montrer son malaise et avait regardé autour de lui avec attention.
Il avait souvent eu l'occasion de croiser des Maïar dans la maison de son père ou de son grand-père, mais aucun d'eux n'avaient jamais eu des allures aussi étranges que ceux qu'il avait vus devant lui à cet instant. Il avait d'abord cru qu'ils ressemblaient à des elfes, juste plus grands, comme d'habitude. Puis il avait remarqué des détails pour le moins incongrus. Dans leurs tenues, tout d'abord. Ils ne portaient que de courtes tuniques de cuirs et de fourrures qui leurs dénudaient les bras et les jambes, et sur leur peau découverte des cercles et des lignes avaient été peints, formant des motifs complexes aux couleurs uniques pour chacun. Leurs cheveux – ou leur fourrure, Tyelkormo n'était pas vraiment certain du terme à employer – leurs cheveux, donc, différaient eux aussi de l'ordinaire : plus ternes, avec une coiffure plus lâche et moins sophistiquée, ils étaient cependant ornés de toutes sortes de breloques insolites. Mais le plus surprenant dans leur apparence restait les autres détails. Une des femmes présentes avait des pupilles en forme d'amande, comme les chats, et la pointe des oreilles couverte de poils. Une autre avait quatre, cinq yeux… et plus encore, et d'un noir profond, sans iris, aux milles facettes réfléchissantes. Un homme avait des oreilles de cerf et le regard doux d'une biche, son voisin portait des cornes sur le front. Elles ressemblaient à celles des bœufs, et ses larges épaules étaient couvertes d'une épaisse toison bouclée. De courtes défenses recourbées sortaient de la bouche d'un autre homme à l'allure massive. Tyelkormo n'avait jamais vu de pareille assemblée ; et cela lui fit grande impression.
Bien qu'il ne l'avouerait jamais devant témoins, il s'était senti troublé. Particulièrement quand le Maïa aux défenses s'en était pris à lui. Mais il ne s'était pas laissé démonter pour si peu ! Il n'avait rien laissé paraître. Il pouvait être fier de lui, et il l'avait été. Il n'avait encore vu que douze printemps et il se trouvait là, lui, le troisième fils de Fëanáro, celui sur qui personne n'aurait jamais parié. Il était là, lui, le premier des siens à s'être rendu dans cette clairière sacrée. Le seul elfe, pour autant qu'il sache, à s'être tenu droit devant Oromë et à avoir demandé à le servir en personne. Il devait devenir le plus jeune elfe à entrer au service d'un Vala. Il s'était montré plus brave que n'importe qui ! Même son cousin Findekáno n'aurait jamais osé entreprendre ce qu'il venait d'accomplir, et pourtant tout le monde dans la famille tenait Findekáno pour courageux. Il était plus vaillant que lui !
Et il y avait eu Oromë. Oromë l'avait regardé, Oromë lui avait parlé. Oromë l'avait écouté.
Tyelkormo avait imaginé ce moment magique à maintes reprises. Cet instant unique où il formulerait sa demande. Il en avait rêvé presque toutes les nuits. Cela ne se passait jamais tout à fait de la même façon, mais toujours Oromë lui souriait et se levait pour l'accueillir. Il n'était pas censé rester assis sur son siège en le regardant de haut comme il l'avait fait. Il n'était pas censé le renvoyer dans les jupes de ses parents comme s'il n'avait été rien d'autre qu'un bébé geignard.
Il n'était pas censé dire non !
L'elfe blond donna un dernier coup de bâton sur les plantes et s'aperçut soudain qu'il avait totalement étêté le tapis de fougères. De l'autre côté du massacre, caché entre les racines tordues d'un vieux chêne, un lapin brun l'examinait en tremblant.
« Qu'est-ce que tu regardes, toi ?! Va-t'en ! ! »
Tyelkormo avait crié, et le lapin craintif s'aplatit comme s'il voulait fusionner avec la mousse recouvrant le sol.
« Va-t'en, va-t'en ! Je ne veux pas te voir ! DEGAGE ! ! »
De toutes ses forces, le garçon lança son bâton sur l'animal apeuré. Il n'avait pas pris le temps de viser et la branche morte heurta seulement le tronc de l'arbre au-dessus de la pauvre bête. Mais celle-ci détala tout de même sans demander son reste. Alors seulement Tyelkormo se rendit compte qu'il était furieux. Il tremblait presque autant que le lapin, ses poings se crispant sporadiquement, et il avait envie de frapper.
Avec un cri de colère, le jeune elfe donna un dernier coup de pied qui arracha la tige d'un plant de fougère ; mais il en avait déjà déchiré les feuilles avec le bâton alors cela n'avait plus beaucoup d'importance. Il s'éloigna d'un pas vif, en écartant les broussailles avec rage, et en tentant maladroitement de maîtriser sa respiration et les battements effrénés de son cœur.
C'était comme lorsque les autres enfants, à Tirion, se moquaient de lui à cause de la couleur de ses cheveux. Eloigne-toi, lui disait toujours son grand frère dans ces cas-là, trouve-toi un endroit calme où personne ne peut t'embêter. Tyelkormo regarda autour de lui. Il n'y avait pas de route dans les bois, seulement des bouts de sentiers tracés à travers les sous-bois emmêlés par les passages répétés des animaux ; et celui qu'il avait suivi l'avait mené près d'un grand saule aux branches tombantes. Cela formait comme une hutte de verdure, traversée par un filet d'eau claire qui coulait près de l'arbre, et le garçon furibond décréta que cet endroit-là ferait l'affaire. Il se précipita donc entre les branches pendantes, écartant l'épais rideau de feuillage. Il se laissa tomber au sol, dos contre le tronc, assis entre deux racines, et se prit la tête entre les mains.
Ensuite, disait son grand frère, ferme les yeux et imagine-toi dans un jardin désert, ton jardin secret. Puis respire lentement, très lentement, et compte chaque fois que tu inspires de l'air. Compte jusqu'à vingt, cinquante, ou même jusqu'à cent, c'est toi qui sais de quoi tu as besoin. Tu peux te boucher les oreilles et chanter la berceuse de Káno si ça peut t'aider.
La berceuse n'avait pas vraiment de paroles, parce que son autre frère les inventait au gré de ses fantaisies et qu'il lui arrivait de ne même pas utiliser de vrais mots pour la chanter. Mais Tyelkormo connaissait la mélodie, et il la fredonna. Il respirait déjà plus doucement et son cœur battait moins vite. Le sang cognait moins dans ses tempes et ne l'assourdissait plus autant. Il se calmait un peu. Il compta dans sa tête, les mains plaquées sur ses oreilles et les yeux hermétiquement clos, jusqu'à cent vingt-deux. Puis il s'embrouilla, ne sachant plus trop s'il avait compté cent vingt-trois ou cent vingt-quatre. Alors il arrêta. Il fredonna la berceuse encore quelques instants, puis il arrêta cela aussi. Il rouvrit les yeux et les oreilles.
Les rayons déclinants de Laurelin traversaient le rideau de feuilles du saule et baignaient l'air d'une lumière verte, diffuse, irréelle. Quelques insectes voletaient en bourdonnant, leurs ailes cristallines luisant de brefs éclats de couleurs. L'eau du petit ruisseau qui coulait au pied de l'arbre scintillait en une myriade de diamants. Tyelkormo tendit la main pour en saisir une poignée et le contact de l'eau fraîche sur ses doigts lui fit du bien. Il sentait dans son dos l'appui solide du tronc, dont l'écorce crevassée était d'un gris foncé. L'elfe blond releva la tête. L'arbre n'était pas très grand, ses plus hautes branches ne devaient pas monter à plus d'une demi-douzaine de mètres. Mais il était ancien. Peut-être était-il centenaire. Il avait poussé contre un très gros rocher, sur lequel reposait la plus basse et la plus épaisse de ses branches, et dont jaillissait le filet d'eau claire et froide. Sur le sol tout autour du saule, à l'abri de sa cloison de rameaux feuillus, s'était étendue une mousse épaisse et moelleuse percée de discrètes violettes. Il régnait un calme presque mystique dans cette cachette de verdure, et Tyelkormo se sentait apaisé lui aussi. Il referma les yeux et appuya sa tête contre l'écorce de l'arbre.
Maintenant que tu es calmé, disait enfin son grand frère, repense à ce que tu as fait et ce que tu as dit lorsque que tu étais en colère. Si tu crois avoir fait des bêtises, essaye de les réparer. Et si tu crois avoir fait de la peine à des gens, va présenter tes excuses. Ce n'est pas grave si ces gens sont fâchés contre toi et ne veulent pas t'écouter. L'important, c'est que tu le fasses et que tu sois sincère, parce qu'ils s'en souviendront.
Tyelkormo repensa au petit lapin qu'il avait effrayé. Heureusement que le bâton qu'il lui avait lancé ne l'avait pas touché. Il repensa aussi à la clairière des Maïar qu'il avait quittée de la manière la plus cavalière qui soit. Tous les adultes et la plupart des enfants détestaient lorsqu'il faisait cela, à Tirion, et sûrement Oromë n'allait pas déroger à cette règle. Il avait sans doute laissé une très mauvaise impression au Vala en s'enfuyant comme un malpropre. Il fallait qu'il retourne le voir et qu'il présente des excuses pour cela. Le garçon réfléchit un instant et retrouva son sourire. Il avait été pris au dépourvu par le refus d'Oromë mais, maintenant qu'il était prévenu, il allait pouvoir argumenter et défendre sa requête. Et Oromë ne pourrait pas faire autrement que d'y accéder. Il devait le prendre comme disciple.
Le petit elfe se releva et quitta l'abri accueillant formé par le feuillage du saule. La luminosité dans la forêt avait baissée, la fin de l'après-midi devait être proche. Il fallait qu'il se dépêche de retrouver la clairière des Maïar. Les rayons de Telperion n'étaient pas aussi puissants que ceux de Laurelin et il risquerait de ne pas voir les obstacles s'il devait marcher dans l'obscurité. Il n'avait pas envie de trébucher contre des roches ou des racines invisibles, ni de se cogner la tête contre les branches basses. Très vite, il retrouva le sentier qu'il avait suivi plus tôt et le remonta au pas de course. Il ralentit cependant et s'arrêta en atteignant le tapis de fougères qu'il avait massacré dans sa colère. Ce n'était pas un spectacle très glorieux et le garçon blond se sentit mal à l'aise. Il s'accroupit et tenta de redresser une tige de fougère brisée, qui pendait lamentablement. Il la maintint droite pendant quelques instants mais elle retomba dès qu'il la lâcha.
« Je suis désolé, chuchota Tyelkormo. »
Mais les fougères ne lui répondirent évidemment pas. Il se releva donc et reprit sa route en courant. Le sentier qu'il suivait s'effaça sous ses pieds et il ralentit de nouveau, devant tracer son chemin au milieu des broussailles. Des ronces griffues accrochèrent sa robe longue et son surcot de coton, et le garçon regretta de ne pas avoir simplement porté des collants et une tunique courte. Il dut tirer sur le tissu pour le dégager et le déchira ce faisant. Alors qu'il s'apprêtait à piétiner le pied de ronces en représailles, il remarqua des brindilles cassées parmi les buissons alentours, dessinant comme un passage. Tyelkormo sourit de nouveau. C'était sûrement lui qui avait cassé ces brindilles lorsqu'il avait quitté la clairière précipitamment. Il devait être proche. Et en effet, quelques dizaines de mètres plus loin, après bien des efforts pour se frayer un passage dans la végétation dense, il déboucha enfin sur la clairière.
Le rayonnement de Laurelin avait encore baissé, les premiers rayons de Telperion venaient mêler leur éclat argenté à la lumière dorée de l'Arbre du Jour ; et la clairière était presque déserte. Tous les Maïar aux allures bizarres avaient disparus, partis Tyelkormo ne savait où. Seul restait Oromë, debout au centre de la clairière, le visage levé vers le bout de ciel que l'on apercevait entre les frondaisons. Tyelkormo aurait dû se sentir plus à son aise, à présent, seul avec celui qui devait devenir son maître. Il n'en était rien.
A dire vrai, le garçon se sentait encore plus fébrile qu'au début de l'après-midi.
Oromë lui tournait le dos et ne l'avait apparemment pas entendu approcher. Rien dans son attitude n'indiquait qu'il avait conscience de la présence du garçon qui l'observait avec attention. Déjà assis il lui avait paru démesurément grand. Maintenant qu'il se tenait debout, Tyelkormo réalisa qu'il mesurait bien deux fois la taille d'un elfe adulte, et tout autant en carrure. Mais ce n'était pas cela qui l'étonnait le plus dans l'apparence du Vala de la chasse. Les Valar et les Maïar qu'il avait l'habitude de voir à Tirion revêtaient les corps qu'ils se donnaient de vêtements à la mode des elfes. Ainsi le tablier de forgeron d'Aulë n'était-il pas fondamentalement différent de celui que portait Fëanáro dans sa forge ; et les robes formelles de Manwë n'étaient-elles pas moins sophistiquées que celles de son royal grand-père Finwë. Mais Oromë était le Vala du monde sauvage, et cela se ressentait jusque dans son habillement. En guise de tiare, le Chasseur était coiffé du crâne d'une bête immense que Tyelkormo ne connaissait pas, mais qu'il devinait redoutable. De majestueux bois de cervidé aux entrelacements complexes surmontaient son front, mais le jeune elfe n'aurait su dire s'ils appartenaient au crâne ou au Vala.
Ses cheveux blond cendré étaient retenus sur sa nuque en un chignon lâche paré de plumes et de peignes en os peints. D'autres ornements, que le petit prince Noldo ne pouvait identifier, agrémentaient les mèches rebelles qui s'échappaient de sa coiffure. Il portait également des colliers de dents, de griffes et de perles d'os, et son poignet droit arborait des bracelets de cuir teint et de fibres de lin tressées et colorées. A l'instar de ses Maïar, Oromë n'était vêtu en ce jour de célébration que d'une sombre tunique au liseré de cuir ciré qui couvrait ses jambes jusqu'aux genoux. Ce vêtement pouvait sembler bien simple, pour habiller un esprit supérieur, malgré le raffinement de ses broderies délicates et sophistiquées. Le Vala de la chasse, paradoxalement, ne portait aucune arme, pas même un couteau, et seul un imposant cor d'ivoire pendait à la ceinture de cuir tressé qui lui ceignait les hanches. Un manteau de fourrure recouvrait ses épaules, bien que le printemps touchât à sa fin, laissant ses bras découverts. Sa peau brune, couleur d'écorce, était parcourue de longues lignes courbes qui dessinaient d'étranges arabesques sur ses bras et sur ses jambes. Le jeune garçon ne pouvait en détacher les yeux, fasciné : il aurait juré qu'une lumière, tantôt verdoyante et tantôt mordorée, coulait au cœur de ces dessins insolites. Ceux-ci s'étendait jusque sur ses pieds qui, découvrit alors le garçon, étaient nus.
« Pourquoi es-tu revenu, fils de Fëanáro ? »
Tyelkormo sursauta et son cœur faillit en manquer un battement. Il n'avait pas eu peur (il n'avait peur de rien, sauf parfois de son père, mais en tout cas surtout pas des Valar que tout le monde disait si bons), mais il avait été sacrément surpris par la voix profonde du Chasseur s'adressant à lui. Il n'avait pas pensé qu'Oromë avait remarqué son arrivée. Il déglutit, redressa la tête et explicita la raison de son retour :
« Je suis venu vous présenter des excuses pour… »
Comment ses frères appelaient-ils cela, déjà ?
« …Pour mon…hésita-t-il, incertain des termes à employer. »
Puis les mots lui revinrent en mémoire et il acheva triomphalement :
« Pour mon comportement inconsidéré ! »
Oromë tourna la tête pour le regarder et Tyelkormo sentit de nouveau sur lui le poids de ses yeux pailletés d'or. Il ne se laissa pourtant pas démonter et précisa :
« Je suis navré d'être parti sans prendre congé. Ce n'était guère poli. »
Une curieuse lumière brilla une seconde dans les yeux du Vala, mais Tyelkormo ne sut pas comment l'interpréter. Peut-être n'était-ce qu'un reflet des rayons de Laurelin et de Telperion. Le Chasseur ne dit rien, se contentant d'hocher lentement la tête. L'enfant elfe ajouta :
« Je suis aussi désolé d'avoir effrayé le lapin et d'avoir abîmé les fougères. Je ne voulais pas leur faire de mal, mais j'étais en colère. Je fais des bêtises quand je suis en colère. »
Oromë se tourna complètement vers lui, mais il resta muet. Son regard ambré était indéchiffrable. Tyelkormo garda le silence un instant avant de lâcher du bout des lèvres ses derniers mots, car ils lui coûtaient beaucoup :
« Je vous présente mes excuses.
-Et je les accepte, répondit enfin Oromë, car je vois les efforts qu'elles t'ont demandés. »
Tyelkormo sentit qu'un poids, qu'il n'avait pas eu conscience de porter, venait d'être retiré de sa poitrine. Il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Il avait montré sa bonne volonté. Il pouvait repartir sur de bonnes bases, à présent. Son regard plein d'espoir monta à la rencontre de celui, fait de pure lumière liquide, du Vala. D'un vif mouvement de tête, le petit elfe écarta une mèche blonde qui se balançait devant ses yeux. Il avança d'un pas vers le centre de la clairière et vers l'esprit qui s'y trouvait.
« Je veux devenir votre disciple. Vraiment, appuya-t-il. »
Tyelkormo avança encore d'un pas, aussi fier et assuré qu'il pouvait l'être (et ce n'était pas peu dire).
« J'ai pris ma décision. »
Oromë cligna des yeux. Les arabesques de lumière s'étendaient aussi sur la peau de son cou, découvrit son jeune vis-à-vis, mais s'interrompaient au niveau de sa mâchoire. C'étaient ses yeux, ses profonds yeux à l'éclat mordoré, qui illuminaient son visage.
« Et moi la mienne, répondit le Vala d'un ton aussi grave que sa voix. Je ne peux te garder avec moi.
-Mais pourquoi ? se récria Tyelkormo, la déception et l'humiliation revenant brûler son orgueil déjà malmené.
-Tu n'es pas prêt à suivre la voie du Chasseur. »
Oromë leva de nouveau les yeux vers le ciel, à présent traversé des seuls rayons de Telperion.
« Il se fait tard. Tu peux passer cette nuit en paix dans la forêt, mais tu la quitteras aux premiers rayons de Laurelin. Rentre chez ton père, prépare-toi et, si c'est toujours ce que tu souhaites, tu pourras revenir vers moi lorsque tu seras prêt. »
Oromë disparut avant que le son de ses derniers mots ne fût englouti par la nuit tombante. Il n'était plus là, mais il était partout. Il était la Forêt.
« Mais prêt à quoi ? geignit Tyelkormo. Je suis prêt ! »
Seul le vent soufflant dans les branches lui répondit.
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Il lui fallut le double de temps pour rebrousser chemin qu'il n'en avait mis pour retrouver la clairière. Tyelkormo avait de bons yeux, mais les bois d'Oromë étaient trop loin de l'Arbre de la Nuit et bien trop touffus pour permettre aux rayons d'argent de Telperion d'éclairer correctement son chemin. Il s'emmêla plusieurs fois les pieds dans les buissons qui cernaient la clairière et manqua même de perdre sa besace en tombant. Fort heureusement, ce ne fut pas dans le roncier qui avait déchiré sa robe. Une fois sorti des broussailles, le garçon blond s'aperçut avec horreur qu'il ne retrouvait pas le sentier menant au saule. Il tourna en rond pendant plusieurs minutes, scrutant le sol avec attention mais sans le moindre succès. Il allait vraiment se croire perdu et commencer à s'inquiéter lorsqu'il mit par hasard le pied parmi les fougères qu'il avait si sauvagement attaquées plus tôt dans la journée. A partir de là, retrouver le sentier s'avéra facile, mais il le suivit sans prêter attention à ce qui l'entourait et il passa devant le saule et son abri de feuillage sans le remarquer. Il en fut quitte pour faire demi-tour et se montrer plus attentif. Et enfin, ce fut avec un réel soulagement que l'enfant elfe se glissa de l'autre côté du rideau de feuilles protectrices.
L'obscurité qui régnait dans sa cachette était presque totale. Ce fut à tâtons que Tyelkormo s'avança jusqu'au tronc de l'arbre. Il mit un pied dans le ruisseau froid, ce qui lui arracha un juron qui aurait fait pâlir sa mère et lui aurait valu une belle réprimande s'il avait été à la maison. Une seconde injure lui échappa lorsqu'il trébucha contre une racine et qu'il s'écroula sur le tapis de mousse. Cette fois-ci, à la maison, il aurait certainement été privé de dessert. Mais il n'était pas à la maison, se dit-il en suivant la racine à quatre pattes jusqu'à trouver le tronc du saule, et d'ailleurs il n'avait pas faim. Il se sentait surtout très fatigué. Il avait beaucoup marché et la journée avait été riche en émotions, songea-t-il en s'allongeant sur la mousse, entre deux racines, pelotonné contre le tronc. Il trouva encore la force d'enlever sa tiare d'argent pour la ranger dans sa sacoche. Il en sortit la cape qu'il y avait roulé en boule au plus chaud de la journée pour s'en recouvrir, maintenant que la fraîcheur envahissait les bois. Puis il glissa la besace sous sa tête en guise d'oreiller avant de sombrer dans un lourd sommeil sans rêve.
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Tyelko : 0 / Oromë : 2
Fin de la première mi-temps. T'en fais pas Tyelko, l'important c'est de participer.
Pour une fois, j'ai attendu d'avoir intégralement rédigé une première version de mon histoire avant de commencer à la poster sur ce site. Elle comporte 16 chapitres et je pense la mettre à jour toutes les deux semaines, histoire de pouvoir alterner avec d'autres textes. Merci d'avoir lu, n'hésitez pas à laisser un petit commentaire ! Bonne fin de semaine !
