- Tic tic tic.

Je grommelle en m'extirpant avec peine de ma couette. Qui peut bien m'envoyer un hibou à cette heure-ci ? Pattenrond, qui déteste tout ce qui porte des plumes, agite aussitôt sa queue en signe de mécontentement. L'oiseau toque à nouveau contre la vitre, ce qui me pousse à lui ouvrir bien vite : hors de question qu'il réveille ma mère ! Je décroche délicatement l'enveloppe qu'il porte à la patte et il s'envole aussitôt. L'enveloppe est lourde et faite d'un parchemin épais mais ce qui m'étonne le plus est le sceau de cire verte qui la scelle : un paon aux plumes déployées se distingue nettement : le sceau royal ! Ça doit probablement être une erreur mais l'adresse, écrite d'une encre dorée, est bien la mienne. J'ouvre le parchemin avec précipitation :

Mlle Granger,

Nous avons le plaisir de vous faire part de votre pré-inscription au processus de la Sélection.

Si vous souhaitez participer à cette occasion unique d'embrasser le destin d'épouse du prince et d'écrire avec lui une page de l'histoire de notre communauté magique, veuillez vous présenter au Ministère entre le 1er et le 8 août, munie du formulaire joint dûment complété.

Les 35 heureuses élues seront tirées au sort le 9 août et la Sélection débutera le 19. Les candidates seront logées au Manoir Malefoy toute la durée de leur séjour et la famille de chaque candidate recevra une compensation financière.

Les 6 dernières candidates intégreront les rangs de l'Élite et recevront l'Ordre de Merlin première classe.

Magiquement vôtre,

Dolores Ombrage

Ordre de Merlin, troisième classe

Directrice du Protocole

C'est une plaisanterie. Mon premier mouvement est de filer aux archives pour pouvoir en rire avec Héloïse, ma collègue et la seule personne de mon entourage qui se rapproche le plus d'une amie, puis je me rappelle que nous sommes au début de notre unique semaine de vacances. Tant pis, car je suis sûre qu'on aurait pu s'en délecter pendant un bon bout de temps. "Écrire une page de l'histoire de notre communauté". Bien sûr. "Une compensation financière". Encore mieux.

Un deuxième hibou débarque par la fenêtre et dépose sans plus de cérémonie mon exemplaire de la Gazette du Sorcier sur mon lit. Pattenrond bondit avec un peu de retard et manque de quelques centimètres le volatile. Depuis la victoire de Voldemort et la fin de la Guerre Civile, la Gazette du Sorcier est devenu le journal officiel du Royaume. Comme il fallait s'y attendre, la Sélection occupe toute la première page, plus un dossier spécial. L'image choisie pour illustrer l'article est celle du prince Drago devant le Manoir Malefoy et dans une position absolument pas naturelle. Ses cheveux d'un blond très clair sont plaqués en arrière et ses yeux gris sont tellement fixes que sans la brise légère qui agite sa robe de sorcier on pourrait croire que la photographie n'est pas magique. Il m'apparaît comme fade et sans aucun intérêt. L'article intérieur décrit longuement l'objectif de la Sélection : rapprocher la famille royale du Peuple en choisissant la future épouse du prince parmi 35 jeunes sorcières tirées au hasard et ce quelque soit la pureté de leur sang.

J'émets un gloussement. À qui veulent-ils faire croire ça ? La gagnante de la dernière Sélection, Narcissa Black, faisait partie d'une des familles les plus réputées pour la pureté de son sang, et ce n'était clairement pas un hasard. Tout ceci n'est qu'une gigantesque mascarade. Je jette le journal avec dégout et dévale les escaliers pour aller prendre un petit-déjeuner bien mérité après tant d'émotions.

Ma mère est déjà levée et me propose un café que j'accepte avec plaisir.

- Tu ne vas pas travailler ?

- Vacances !

- Ah oui, j'avais oublié. C'est déjà bien que tu aies une semaine de repos étant donné la manière dont ils t'exploitent le reste du temps.

Je passe sur cette remarque. Ma mère ne comprend pas ma situation et nous avons déjà eu cette discussion des centaines de fois. Pas besoin d'en rajouter une autre. Depuis ma sortie de l'école réservée aux sorciers nés de parents moldus, je travaille aux archives du ministère. Honnêtement, c'est un métier loin d'être épanouissant mais j'ai beau avoir réussi mes années d'études avec brio et les félicitations de tous mes professeurs, c'est le mieux que puisse m'offrir mon statut de Sang-de-bourbe.

Depuis que Voldemort a ramené la paix, la communauté magique est organisée selon le sang. Tout en bas de l'échelle se trouvent les elfes de maisons, les gobelins et autres créatures magiques non humaines. Puis il y a nous, les Sangs-de-Bourbe, qui sommes à peine tolérés au sein de la communauté magique : nous servons pour les tâches magiques les pus ingrates. Les Sang-Mêlés s'en sortent un peu mieux. Mon meilleur ami, Harry Potter, en est un et il est sorcier-soldat. Il a longtemps été en poste au Palais mais vient d'être muté au Manoir Malefoy. Je ne doute pas que la famille de son père ait fait pression : les Potter sont une très ancienne famille et sans la mésalliance de son père avec une né-moldu Harry aurait un rang beaucoup plus important. Au-dessus, il y a les Sang-Propre ou plus communément Sorciers, la plus grande partie de la communauté magique. Ce sont ceux dont les parents sont sorciers, ou prétendent l'être. Une grande partie des archives sert d'ailleurs à cela : surveiller la pureté du sang.

Et au-dessus de tout, il y a les Sang-Pur, descendants directs des premiers sorciers. Ils forment l'aristocratie du Royaume et détiennent la majorité du pouvoir. La famille Malefoy était la plus proche de Voldemort à l'époque de son ascension, ce qui explique sans doute qu'il les ait investi des fonctions royales avant sa mort. Certains prétendent cependant qu'il n'est pas mort et que son esprit erre toujours, mais à mon avis c'est une légende : aucun sorcier ne peut vaincre la mort.

C'est sur cette pensée que je finis mon petit déjeuner. Je passe le plus clair de ma journée à compulser l'Histoire de Poudlard, l'école dédiée aux Sang-Purs et aux Sorciers. Malgré mon travail aux archives, ma passion pour l'histoire est loin d'être assouvie. Les documents anciens sont facilement accessibles mais un flou immense entoure l'histoire de la Guerre Civile. Pourquoi y a-t-il eu une guerre ? Qui étaient les rebelles et que voulaient-ils ? Leur chef, Dumbledore, aurait voulu s'emparer du pouvoir mais très peu d'informations subsistent sur lui. Le mystère reste entier et il continue à me passionner.

Le soir venu, je prétexte une fatigue importante pour filer dans ma chambre. Je ne dois pas attendre longtemps avant de voir apparaître une silhouette juchée sur un balai volant.

- Ron !

Évidemment, mon roux préféré s'arrange pour trébucher en escaladant la fenêtre et pour jurer en se tenant le pied, faisant ainsi un boucan infernal : il a toujours été assez maladroit. À moitié amusée, à moitié inquiète que le bruit puisse alerter ma mère. Je ferme la fenêtre en vitesse.

- Hop là ! Atterrissage en douceur ! se vante-t-il.

Je n'ai pas le temps de lui lancer une pique que déjà il me prend dans ses bras et m'embrasse comme si sa vie en dépendait. Puis il enfouit son visage dans mon cou en grognant :

- J'ai attendu de faire ça toute la journée...

Honnêtement, qui pourrait résister à ça. Alors bien évidemment tout se gâte quand il repère la lettre d'Ombrage.

- Quoi ! Tu as été pré-inscrite ?

- On dirait que ça t'étonne ! Après tout j'ai 18 ans et d'après la Gazette, toutes les sorcières entre 17 et 20 ans ont reçu la même.

- Arrête, mas sœur ne parle plus que de ça.

- Elle va s'inscrire ?

- Évidemment ! Comme tout le monde !

- Non pas comme tout le monde.

Ron se stoppe et me regarde fixement.

- Mais enfin, Mione, c'est la chance de ta vie !

- La chance d'écrire une page de l'Histoire avec un grand H ? Je suis au courant.

- Sois sérieuse !

- Non, toi sois sérieux, je ne vais certainement pas m'inscrire à ce truc.

- Tu ne comprends pas ! Les six dernières candidates ne reçoivent pas seulement l'Ordre de Merlin, elles accèdent à l'un des statuts les plus enviés du monde magique. Tu pourrais faire ce que tu veux, avoir le travail que tu veux au lieu de végéter aux Archives du palais.

Je reste un instant muette. Faire le métier de mes rêves. Avoir l'opportunité d'occuper une véritable place dans le monde magique. C'est presque trop beau pour être vrai. Je me reprends cependant bien vite et flanque la première page de la Gazette sous le nez de Ron.

- Parce que tu crois qu'il me suffit de parader en robe de luxe pour atteindre l'Élite ? L'objectif est bel et bien de séduire le prince ! Comment tu peux vouloir une chose pareille ?

- Hermione... Je pensais que tu avais déjà compris... Si tu atteins ce grade, plus rien n'empêchera qu'on se marie.

La famille de Ron est en effet une famille de sang-pur mais son père a été radié de son grade de sorcier pour "intelligence avec les Moldus", sans que personne ne sache ce qui s'est vraiment passé. Cela explique que la famille Weasley habite dans mon quartier, pourtant réservé aux Sang-de-bourbes, dans une maison complètement biscornue appelée "le Terrier". Bien évidemment, il est hors de question pour Ron de se lier avec une sang-de-bourbe car cela signifierait jeter un peu plus l'opprobre sur sa famille et ruiner la carrière de son frère ainé Percy qui occuper une place inespérée de conseiller du ministre. Nous n'avions ainsi jamais évoquer de projet d'avenir - à part éventuellement s'enfuir - sans pour autant pouvoir se détacher l'un de l'autre.

Et voilà qu'il me suffit de séduire le prince Malefoy pour accéder à tout ce dont j'ai toujours rêvé ! Pourtant je m'en sens absolument incapable : comment pourrais-je faire semblant d'aimer un autre que Ron ? Le procédé me dégoute sans compter que la probabilité que je sois sélectionnée est extrêmement faible.

- Tu l'as dis toi-même, tout le monde va s'inscrire, je n'ai aucune chance.

- Dans ce cas là qu'est ce qui te fait hésiter ?

J'en reste coite. Ron n'a pas souvent le privilège de me faire taire. Il en profite pour m'embrasser et nous roulons tous les deux sur mon lit. Ses mains se font plus possessives ses baisers plus profonds et je sens mon corps s'embraser à son contact.

- Tu promets de t'inscrire ?

Entre deux soupirs, je lui souffle :

- Oui, je promets.

Notre entrevue est de courte durée puisque Ron doit rentrer chez lui. Il m'embrasse une dernière fois en me disant :

- Je t'aime, Hermione.

- Je t'aime.

Puis il part par la fenêtre en balai. Je songe que depuis deux ans que nous sommes ensemble, il ne me l'avait jamais dit avec une telle intensité. Je sais ce que je veux à cet instant : je veux passer ma vie avec Ron. Pourquoi ai-je fais cette stupide promesse ?

La nuit portant conseil, je me réveille le lendemain plus sûre de moi. Je vais remplir ce formulaire comme je l'ai promis à Ron. Sur toutes les sorcières du pays, j'ai vraiment trop peu de chance d'être sélectionnée. Le questionnaire est assez court. Il y a les rubriques habituelles : nom, prénom, âge, ascendance, taille, poids, couleurs des yeux, des cheveux, de la peau. J'ai plus l'impression d'être un balai qu'un être humain ! Je pars ensuite pour le Ministère via la Poudre de cheminette.

Je débarque dans un gigantesque hall au milieu duquel trône une imposante statue de Voldemort en or massif. Ce n'est pas la première fois que je viens ici, mais je n'avais jamais vu une foule aussi dense. Le service d'accueil est absolument débordé par une horde de jeune filles surexcitées. Je me décide à me passer de leur aide et repère seule le couloir menant au bureau d'inscription. La pièce est étroite et je me retrouve coincée entre une mère qui houspille sa fille - pourtant presque rachitique - d'avoir pris du poids et un groupe d'amie qui glousse en se demandant laquelle d'entre elle portera le mieux le nom Malefoy. Qu'est-ce que je fais là ? Je suis sur le point de faire demi tour quand j'aperçois au loin deux têtes rousses : Molly, la mère de Ron, et sa sœur Ginny.

- Mme Weasley !

- Hermione ! crie Ginny, surexcitée, en se jetant dans mes bras.

- Bonjour ma belle, me sourit Molly.

- Quelle coïncidence !

Étant donné la foule oppressante, je suis ravie d'avoir retrouvé deux visages connus et nous papotons désormais gaiement, emporté par le flot des prétendantes.

- Je me demande pourquoi toutes ces filles sont peinturlurées de la sorte, grommelé-je en regardant une blonde maquillée comme un balai volé nous passer devant.

- Et bien, pour la photo ! me répond Ginny d'un air surpris.

Molly m'explique alors que les prétendantes ne font pas que déposer leur questionnaire mais sont aussi prises en photo. Moi qui pensais qu'il s'agissait simplement pour le ministère de vérifier le consentement et l'âge des jeunes filles ! Mais c'est finalement assez logique : un simple enchantement suffirait à valider la candidature dans ce cas. Si je doutais déjà de ma réussite je n'ai désormais plus aucun espoir : je porte une vieille robe de sorcier et mes cheveux sont plus hirsutes que jamais.

- Ne t'inquiète pas ma chérie, tu es magnifique, me sourit Molly sans avoir l'air de trop y croire.

- Évidemment Hermione, renchérit Ginny, même Ron dit qu'il te trouve belle !

Je prends un air un peu timide et gêné de circonstance tout en invoquant Merlin pour que Molly ne se doute de rien.

- Ah celui-là il cache bien son jeu, soupire Molly, mais je suis sûre qu'il a une fiancée secrète, il ne fait que chantonner ces derniers temps, lui qui est toujours un peu renfermé et ronchon.

Un accès de culpabilité me tord le ventre. Bien sûr que Ron est heureux : il est persuadé que je vais réussir tandis que de mon côté je fais inconsciemment tout ce que je peux pour échouer. Et le pire c'est qu'il ne m'en voudra même pas. J'ai hâte que tout ça soit derrière nous et que nous trouvions une autre solution ensemble, une qui n'implique pas la famille royale ou un stupide concours.

Cette idée me soutient le reste de la file d'attente et c'est en pensant à mon futur avec Ron et à tous mes espoirs que je fais un grand sourire au photographe, pourtant aussi aimable qu'un chaudron rouillé.

- On se dépêche ! À la prochaine !

Je vais devenir Mme Weasley et aucune règle stupide de pureté du sang ne pourra m'en empêcher.

Une semaine plus tard, je suis affalée sur mon lit en train de lire " L'Histoire de Poudlard ". Je n'ai pas pu beaucoup avancer ma lecture ces derniers temps étant donné que je passe presque tout mon temps avec Ron. Notre relation est au beau fixe : mon roux préféré est heureux que j'ai une chance de m'en sortir et je suis heureuse qu'il soit heureux. La vie est simple, parfois.

Quand le hibou vient m'apporter la Gazette du Sorcier je saute aussitôt sur mes pieds et m'empresse de défaire le parchemin. La situation politique est tendue en ce moment suite à des affrontements entre un pays allié du royaume et l'empire magique chinois. Mais ce que je vois sur la première page n'a rien à voir avec un quelconque problème géopolitique : il s'agit de ma photo en pleine page.

Ce sont les résultats de la Sélection.

à suivre...