Regina Mills avait toujours été une enfant sérieuse, presque grave, bien avant que la vie ne l'oblige à grandir plus vite que les autres. Sa mère, Cora, était une femme dure, une émigrée italienne qui avait quitté la Toscane pour les promesses du rêve américain. Cora avait élevé ses filles avec une main de fer, convaincue que seule la discipline et l'autodiscipline pouvaient mener au succès. Pour Regina, l'aînée, cela signifiait des attentes toujours plus élevées, un amour conditionnel qui ne se manifestait que dans les réussites académiques ou les accomplissements visibles. Dès son plus jeune âge, Regina comprit que l'amour de sa mère devait se mériter, et que la moindre faille était inacceptable.
Regina Mills n'avait jamais réellement compris pourquoi sa mère parlait toujours de la Toscane avec une telle passion. Les souvenirs d'enfance étaient remplis d'histoires racontées avec nostalgie, de photos aux bords effilochés montrant une petite maison en pierre entourée de champs dorés, et de cette mélancolie discrète dans la voix de sa mère, lorsqu'elle évoquait les années passées en Italie avant de s'installer en Californie.
Cora ne s'embarrassait pas de mots doux ou de gestes de tendresse. Elle considérait ces démonstrations comme des faiblesses inutiles, surtout envers Regina. Ce n'était pas par malveillance, mais par conviction que la vie était une lutte constante où seules les plus fortes survivaient. Regina devait être forte. Elle devait exceller. Et ainsi, un mur de glace commença à se former autour de Regina, brique par brique, fait de cette rigueur et de ce besoin désespéré d'être à la hauteur des attentes de sa mère.
Le contraste avec sa sœur cadette, Zelena, était saisissant. Zelena, de six ans plus jeune, avait reçu une éducation bien différente. Moins de pression, plus de douceur, plus de moments volés à l'insouciance. Peut-être était-ce dû au fait qu'Cora, après avoir mis au monde une première fille si sérieuse et déterminée, souhaitait un équilibre, ou peut-être était-ce simplement le fruit du hasard. Quoi qu'il en soit, Zelena grandit avec une légèreté que Regina n'avait jamais connue. Là où Regina passait des heures enfermées dans sa chambre à étudier, Zelena gambadait dans le jardin, perdue dans ses jeux enfantins. Là où Regina s'appliquait à suivre les consignes strictes de sa mère, Zelena osait désobéir, éclatant parfois de rire lorsqu'elle se faisait prendre, provoquant chez leur mère un mélange d'agacement et de tendresse.
Regina voyait tout cela, et au fil des ans, un sentiment de froide distance s'installa entre les deux sœurs. Regina ne jalousait pas Zelena. Elle considérait simplement qu'elles étaient différentes, que sa mission dans la vie n'était pas de rêver ou de jouer, mais de réussir. Elle en vint à voir l'affection que leur mère donnait à Zelena comme une preuve de la faiblesse de Zelena, de son incapacité à comprendre la réalité dure du monde. Regina ne voulait pas, ne pouvait pas se permettre ces faiblesses.
Regina, née et élevée à San Francisco, avait grandi dans l'effervescence de la ville, bercée par les brumes matinales de l'océan Pacifique et les saveurs fraîches des marchés fermiers. Elle aimait se perdre dans les ruelles étroites de Chinatown, humer les épices exotiques ou encore discuter avec les pêcheurs au port. La cuisine était rapidement devenue son refuge, un univers où elle pouvait expérimenter, créer et surtout, contrôler. Alors que ses camarades jouaient dehors, Regina passait des heures dans la cuisine familiale, reproduisant les recettes de sa mère, ajoutant sa touche personnelle à chaque plat.
Ce fardeau de l'excellence, Regina l'avait porté seule, encore alourdi par la tragédie qui frappa la famille lorsqu'elle était adolescente. Leur père, Robert Mills, un homme aimant mais souvent absent à cause de son travail, tomba gravement malade. Ce fut une maladie brutale, qui éroda rapidement ses forces, l'emportant dans une agonie lente et déchirante. Regina, à l'époque âgée de quinze ans, dut assister à cette descente aux enfers, impuissante. Elle était déjà marquée par l'austérité de son éducation, et cette épreuve la poussa à s'enfermer encore davantage dans une carapace impénétrable.
Cora, elle, réagit à la maladie de son mari en se durcissant encore plus, si cela était possible. Regina et Zelena furent tenues à l'écart, protégées des derniers moments les plus douloureux, mais cela n'eut pour effet que d'accentuer la solitude de Regina. Sans le savoir, elle comprit alors que montrer ses émotions, c'était risquer de souffrir, risquer de perdre le contrôle. Alors elle s'enferma dans ce qu'elle savait faire de mieux : réussir.
Le décès de leur père marqua un tournant. À peine la terre fut-elle retombée sur le cercueil que Regina se jeta à corps perdu dans ses études et dans la cuisine, trouvant dans la rigueur des recettes et la précision des techniques culinaires un refuge contre la douleur. Le regard d'Cora se durcit encore, exigeant davantage d'elle. Regina se conforma, acceptant ce fardeau comme un devoir, une dette envers la mémoire de son père, et une façon d'obtenir, peut-être, enfin l'approbation sans faille de sa mère.
À seize ans, elle était déjà une force de la nature, une jeune femme déterminée, disciplinée, et souvent décrite comme froide par ses camarades de classe. Alors que d'autres adolescents rêvaient d'amour, de fêtes et de plages ensoleillées, Regina ne se voyait qu'à travers un unique objectif : la réussite. Le rêve d'une vie simple, faite de romance, de moments doux ou de détente ne lui avait jamais traversé l'esprit. Elle trouvait ces pensées inutiles, presque dangereuses. Pourquoi perdre son temps à rêver quand il y avait tant à accomplir ?
Après le lycée, elle quitta la maison familiale avec une précision quasi militaire. Direction San Francisco et l'une des meilleures écoles culinaires du pays. Là, elle se démarqua immédiatement, non seulement par son talent, mais par son approche impitoyable de la cuisine. Pour elle, chaque plat était une bataille à remporter, chaque service un défi à relever avec une perfection clinique. Ses professeurs la respectaient, ses camarades la craignaient. On disait d'elle qu'elle était glaciaire, que rien ne semblait la troubler. Les rares fois où elle laissait transparaître une émotion, c'était une frustration froide, une impatience envers ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas se plier aux exigences de la haute cuisine.
Mais sous cette carapace de glace, il y avait une solitude immense.
Regina ne se permettait jamais de s'attarder sur ses émotions ou ses désirs personnels. Toute tentative de détente ou de plaisir semblait superflue, une distraction qui l'éloignait de son objectif ultime. Sa vie était une série de défis à surmonter, de hauts standards à atteindre. Les moments de répit ou de bonheur étaient des luxes qu'elle ne pouvait se permettre, surtout dans un monde aussi compétitif que celui de la haute gastronomie.
Regina traversa les années d'école culinaire avec une détermination inébranlable. Son restaurant à San Francisco, "Regina's Table", devint rapidement un symbole de perfection culinaire. Chaque plat qu'elle créait était une œuvre d'art, une démonstration de sa maîtrise technique et de sa discipline. Les critiques louaient sa capacité à transformer des ingrédients simples en expériences gastronomiques inoubliables. Ses soirées étaient souvent remplies de clients ravis, de récompenses, et de pressions croissantes.
Mais malgré les succès, Regina ressentait un vide qu'elle ne pouvait pas combler.
Ce vide était d'autant plus accentué par le fait qu'elle se détachait de plus en plus des autres. Ses relations étaient superficielles, souvent limitées aux interactions professionnelles. Les rares amis qu'elle avait se plaignaient de son absence émotionnelle, de son incapacité à se détendre ou à se montrer vulnérable. Regina était consciente de cette distance, mais elle n'avait jamais su comment combler le fossé entre elle-même et les autres. Son monde était celui de la cuisine, où chaque détail comptait, chaque erreur était impardonnable. Elle avait appris à ne compter que sur elle-même, à ne se fier qu'à sa propre force et sa propre rigueur.
Ambitieuse et talentueuse, Regina ne tarda pas à faire parler d'elle dans le milieu culinaire. À 25 ans, elle était déjà une étoile montante de la gastronomie californienne. Son restaurant à San Francisco, "Regina's Table", était devenu un incontournable pour les amateurs de cuisine fine. Elle avait obtenu une étoile Michelin à un âge où la plupart de ses pairs cherchaient encore leur voie.
C'est lors d'une soirée particulièrement difficile, alors qu'elle se retrouvait seule dans sa cuisine déserte, que Regina fit une découverte inattendue. En fouillant dans une vieille boîte que sa mère lui avait laissée, elle trouva une lettre, soigneusement pliée, adressée à elle. Dans cette lettre, sa mère parlait de la Toscane, de cette terre qu'elle avait quittée à contrecœur, mais qui ne l'avait jamais quittée en retour. Elle décrivait les collines verdoyantes, les oliviers sous le soleil d'été, et cette petite maison en pierre où elle avait rêvé de revenir un jour. Elle terminait par ces mots : « Regina, il est temps que tu découvres la terre de tes ancêtres, que tu ressentes ce lien profond qui m'a toujours appelée.»
Ces mots résonnèrent en elle comme un appel auquel elle ne pouvait plus résister. Regina avait toujours été connectée à sa mère par la cuisine, mais elle réalisa alors qu'il y avait une partie de cette connexion qu'elle n'avait jamais explorée. Quelques semaines plus tard, elle bouclait ses valises, fermait les portes de "Regina's Table" et montait dans un avion pour l'Italie.
La Toscane, lorsqu'elle la découvrit enfin, lui parut à la fois familière et étrangère. Les paysages que sa mère avait si souvent décrits prenaient vie devant elle : les cyprès bordant les chemins de terre, les collines couvertes de vignes, et cette lumière dorée qui baignait tout d'une sérénité que Regina n'avait jamais connue. C'était un retour aux sources, un retour à cette terre qui faisait partie d'elle, bien qu'elle n'y ait jamais mis les pieds auparavant.
Les premières semaines de Regina en Toscane furent un tourbillon d'émotions contradictoires. Dès son arrivée, elle se sentit à la fois exaltée par le potentiel de cette nouvelle vie et submergée par les défis qui l'attendaient. La transition de la Californie à la Toscane n'était pas seulement un changement de décor, mais aussi une transformation profonde de son mode de vie.
Pourtant, cette beauté paisible cachait un monde inconnu, rempli de coutumes locales, de bureaucratie italienne et de défis linguistiques. Même si elle maîtrisait les bases de l'italien, Regina s'inscrivit immédiatement à des cours pour rafraîchir ses compétences. Elle avait appris la langue il y a des années, principalement grâce à sa mère qui insistait pour qu'elle ne perde pas le lien avec ses racines italiennes. Cependant, son italien était rouillé, et elle savait qu'elle devait le perfectionner pour naviguer dans sa nouvelle vie avec plus d'aisance.
Sa nouvelle propriété, une ancienne villa du XVIIIe siècle située à quelques kilomètres de la ville de San Gimignano, était à la fois une bénédiction et une source d'anxiété. L'endroit était magnifique, avec des murs de pierre recouverts de vignes, des jardins luxuriants et une vue imprenable sur les collines environnantes. Mais elle était aussi immense et nécessitait des rénovations importantes pour être adaptée à ses plans. Regina savait que ce lieu deviendrait non seulement son chez-soi, mais aussi le cadre idéal pour le restaurant qu'elle projetait d'ouvrir.
Sa décision de créer un nouveau restaurant en Toscane n'était pas motivée par la gloire ou l'ambition, mais par un désir profond de redécouvrir la simplicité, l'authenticité, ce lien avec la terre et ses produits, qu'elle avait perdu en Californie.
La villa comportait plusieurs bâtiments annexes, dont une ancienne grange qu'elle prévoyait de transformer en cuisine professionnelle. Mais pour le moment, Regina se concentrait sur l'essentiel : rendre la maison habitable et préparer le terrain pour son restaurant.
S'installer en Toscane impliquait de nombreuses démarches administratives. Regina commença par obtenir un permis de séjour, un processus qui lui prit plus de temps qu'elle ne l'avait imaginé. Entre les visites à la municipalité locale, les discussions avec des avocats et les traductions de documents officiels, elle se rendit rapidement compte que rien ne serait facile. Mais Regina n'était pas du genre à reculer devant les obstacles. Elle se plongea dans ces formalités avec une détermination inébranlable, traitant chaque étape comme un défi à relever.
Elle engagea également un consultant local pour l'aider à naviguer dans les méandres de la bureaucratie italienne, surtout en ce qui concernait les permis de construire et les autorisations nécessaires pour ouvrir un restaurant. Cela nécessitait de nombreux rendez-vous avec les autorités locales, des inspections et une paperasse infinie. Mais Regina était motivée par une vision claire de ce qu'elle voulait accomplir. Elle voyait déjà son restaurant se dresser au sommet de cette colline, attirant les gastronomes du monde entier.
Au-delà des démarches administratives, Regina savait que s'intégrer dans une communauté aussi soudée que celle d'un petit village toscan ne serait pas facile. Les premiers jours furent marqués par une certaine méfiance des habitants. Les locaux la voyaient comme une étrangère, une Américaine venue avec ses idées grandioses, et ils n'étaient pas certains de savoir comment la recevoir.
Cependant, Regina fit un effort conscient pour se faire accepter. Elle commença par fréquenter le marché local, où elle engageait des conversations avec les marchands, apprenait les noms de chacun et posait des questions sur leurs produits. À chaque visite, elle achetait quelque chose de nouveau, cherchant à montrer qu'elle voulait non seulement consommer, mais aussi comprendre et apprécier la culture locale. Peu à peu, les regards méfiants se transformèrent en sourires timides, et les échanges commerciaux devinrent des discussions amicales.
L'une des rencontres les plus marquantes fut avec le vieux Giuseppe, un fermier qui vendait ses légumes et son vin au marché depuis des décennies. Au début, il se montra réticent à l'idée de discuter avec Regina, mais son intérêt sincère pour ses produits et sa volonté d'apprendre l'italien le touchèrent. Bientôt, ils commencèrent à parler régulièrement, Giuseppe partageant ses histoires de la région et ses conseils sur la culture locale. Cette amitié naissante fut un premier pas important pour Regina dans son intégration.
Les cours d'italien devinrent rapidement un moment clé de ses semaines. Regina s'inscrivit à des cours privés donnés par Sofia, une enseignante passionnée qui avait vécu toute sa vie en Toscane. Ces leçons se déroulaient dans une petite salle de classe située au cœur du village, et Regina les attendait avec impatience. Elles étaient bien plus qu'un simple exercice linguistique ; elles représentaient pour elle une immersion dans la culture locale.
Sofia, avec sa patience et son enthousiasme, réussit à rendre ces cours captivants. Elle n'enseignait pas seulement la grammaire et le vocabulaire, mais aussi les subtilités culturelles, les expressions idiomatiques, et l'histoire derrière certaines coutumes italiennes. Regina apprenait à parler non seulement la langue, mais aussi à penser comme une Toscane. Les leçons devinrent un espace où elle pouvait se détendre, se connecter avec la communauté et se préparer à sa nouvelle vie.
