Emma commença à sortir des ingrédients de ses placards et de son réfrigérateur. Elle parlait en même temps, expliquant chaque étape avec une simplicité déconcertante.

« Tu vois, ici en Toscane, nous n'avons pas toujours les mêmes légumes à chaque saison, alors nous devons improviser. Prends ces tomates, par exemple. » Dit-elle en en tenant une entre ses mains. « Elles sont légèrement plus acides en cette période de l'année, mais si tu les associes avec quelque chose de plus doux, comme cette ricotta fraîche... » Elle montra un bol de fromage crémeux. « … tu crées un équilibre parfait. »

Regina observa Emma avec une attention croissante, malgré elle. L'aisance avec laquelle Emma manipulait les ingrédients, la manière dont elle décrivait les saveurs et les textures, commençaient à la captiver. Cela n'avait rien à voir avec les techniques rigides qu'elle connaissait en Californie, c'était plus instinctif, plus ancré dans la nature.

« Tu veux essayer ? » Demanda Emma en passant une planche à découper à Regina.

Regina hésita, puis, presque malgré elle, elle accepta. « Très bien, » dit-elle, prenant un couteau. « Mais ne crois pas que je vais me laisser séduire par ces méthodes… archaïques. »

Emma sourit, amusée par la résistance obstinée de Regina. « C'est ce qu'on verra. » Elle lui montra comment couper les tomates en tranches fines, ajoutant des herbes fraîchement cueillies et un filet d'huile d'olive pressée à froid. « Ici, tout est une question de simplicité, de laisser les ingrédients parler d'eux-mêmes. »

Regina suivit les instructions, coupant, mélangeant, goûtant. Peu à peu, la tension dans ses épaules se relâcha, et elle se surprit à apprécier le processus. La colère qui l'avait animée plus tôt s'apaisait, remplacée par une curiosité qu'elle n'avait pas ressentie depuis longtemps.

« Ces herbes. » Dit-elle tout à coup, brisant le silence qui s'était installé entre elles. « J'aime utiliser le basilic et le thym, mais ici, tu utilises beaucoup de sauge et de romarin. Pourquoi ? »

Emma sourit, ravie de voir Regina s'intéresser enfin. « La sauge et le romarin sont robustes, ils poussent bien dans ce climat, et leurs saveurs complètent les légumes méditerranéens. Mais le basilic et le thym ont aussi leur place, surtout en été. La cuisine est un mélange de ce que tu as et de ce que tu sais. »

Après un moment de silence, Regina posa le couteau et leva les yeux vers Emma. « Je... je m'excuse pour tout à l'heure. » Dit-elle, sa voix plus douce, presque timide. « Je suis venue ici pour me défouler sur toi, mais la vérité, c'est que je ne savais pas où aller pour calmer ma colère. Je suis seule ici, et… c'est difficile. »

Emma, touchée par cette confession, lui offrit un sourire chaleureux. « C'est normal, Regina. Ce n'est jamais facile de s'adapter à un nouvel environnement, surtout quand on est habitué à tout contrôler. Mais tu n'es pas obligée de tout porter sur tes épaules. »

Regina hocha la tête, réfléchissant à ce que venait de dire Emma. « J'ai l'habitude de tout contrôler· » Avoua-t-elle après un moment. « C'est difficile pour moi de... lâcher prise, de laisser les ingrédients dicter la direction. »

Emma lui jeta un regard compréhensif. « La cuisine est aussi une question de confiance, Regina. Confiance en toi, en tes compétences, et en ce que la nature te donne. Ici, tout est un peu plus... lent, plus organique. Mais cela ne veut pas dire que ce n'est pas aussi puissant, ou même plus. »

Elles continuèrent à cuisiner ensemble, le temps s'étirant autour d'elles comme un fil d'or. Ema montra à Regina comment préparer un risotto avec des asperges fraîches et un soupçon de vin blanc local, tandis que Regina lui expliquait quelques-unes de ses propres techniques, comme l'utilisation subtile de la lavande dans un dessert.

À mesure que les heures passaient, l'atmosphère entre elles se transforma. Ce qui avait commencé comme une confrontation se changea en une collaboration douce, presque naturelle. Les rires discrets commencèrent à remplacer les répliques tranchantes, et les gestes se firent plus fluides, moins contrôlés.

Finalement, le repas fut prêt. Emma dressa la table avec simplicité, allumant quelques bougies pour éclairer la pièce maintenant plongée dans l'obscurité. Les plats étaient disposés avec soin, chaque élément ayant trouvé sa place. Regina observa le résultat de leur travail, ressentant une étrange satisfaction, une sorte de paix qu'elle n'avait pas connue depuis longtemps.

Elles s'assirent enfin pour déguster leur création. Regina prit une bouchée du risotto, savourant le goût riche et complexe des asperges combiné à la texture crémeuse du riz. C'était différent de ce qu'elle faisait habituellement, mais c'était indéniablement délicieux.

« Ce n'est pas mal. » Admit-elle enfin, un sourire en coin. « Peut-être que je pourrais m'y habituer. »

Emma rit doucement. « Peut-être qu'il y a plus d'un chemin pour atteindre la perfection, Regina. Parfois, il suffit juste de prendre le temps de découvrir des routes que l'on n'aurait jamais envisagées. »

Regina hocha la tête en silence, savourant une nouvelle bouchée. Elle sentait que quelque chose en elle se détendait, une barrière invisible qui commençait à se fissurer. La rigidité de son esprit s'effritait peu à peu face à l'approche plus intuitive d'Emma. Et même si elle ne l'admettrait jamais ouvertement, elle savait qu'il y avait quelque chose à apprendre de cette femme, quelque chose qu'elle ne pourrait découvrir qu'en s'ouvrant à cette nouvelle façon de voir les choses.

Leur conversation se poursuivit, doucement, naturellement, comme si la colère initiale n'avait jamais existé. Elles discutèrent de recettes, d'épices, d'aromates, et de leurs philosophies culinaires respectives. Regina expliqua comment elle aimait utiliser des notes subtiles de safran pour apporter une touche d'exotisme à un plat, ou comment une pincée de sel de mer pouvait transformer une sauce simple en une explosion de saveurs. Emma, en retour, lui parla de la façon dont elle accordait ses plats avec les cycles de la nature, comment chaque saison apportait ses propres trésors à découvrir.

À un moment donné, Regina se retrouva à parler de sa mère, une femme austère qui lui avait appris à cuisiner en lui inculquant un respect presque militaire pour la précision. « Elle était stricte, mais c'est grâce à elle que je suis devenue ce que je suis aujourd'hui. » Dit-elle, sa voix plus douce que d'habitude.

Emma écoutait attentivement, ses yeux verts pétillant d'une curiosité sincère. « Il semble que tu portes une grande partie de ce que ta famille t'a transmis dans ta cuisine. »

Regina acquiesça. « Oui, c'est vrai. Mais ici… ici, j'ai l'impression que tout ce que je sais est remis en question. »

Emma se pencha en avant, posant une main réconfortante sur celle de Regina. « Ce n'est pas une mauvaise chose, Regina. Parfois, il faut tout déconstruire pour pouvoir reconstruire quelque chose d'encore plus beau, de plus authentique. »

Regina la regarda, surprise par le contact, mais ne retira pas sa main. « Peut-être que tu as raison. Peut-être que je dois apprendre à lâcher prise, un peu. »

Un sourire complice naquit sur les lèvres d'Emma. « Je suis sûre que tu y arriveras. Et qui sait, peut-être qu'un jour, tu trouveras un équilibre entre ta rigueur californienne et notre liberté toscane. »

Le reste de la soirée se déroula dans une atmosphère détendue, les deux femmes partageant leurs histoires, leurs idées, et, à leur insu, bâtissant des ponts entre leurs mondes si différents. Leurs différences, autrefois sources de friction, semblaient désormais les rapprocher, leur offrant une richesse de perspectives qui ne demandait qu'à être explorée.

Lorsqu'elles eurent terminé le repas, Regina se leva pour partir, la lune haute dans le ciel éclairant son chemin de retour. Avant de franchir la porte, elle se tourna une dernière fois vers Emma.

« Merci. » Dit-elle, ses yeux rencontrant ceux d'Emma. « Pour tout ça. »

Emma hocha la tête, un sourire chaleureux illuminant son visage. « De rien, Regina. Reviens quand tu veux. La porte est toujours ouverte. »

Regina esquissa un sourire en retour, quelque chose de rare pour elle. « Peut-être que je le ferai. »

Et alors qu'elle s'éloignait dans la nuit, le son de ses pas résonnant doucement sur le gravier, Regina savait que quelque chose avait changé. Ce n'était pas juste une soirée en cuisine, c'était le début de quelque chose de plus grand, de plus profond. Peut-être que la Toscane avait encore bien des choses à lui apprendre.

Les jours passèrent sans que Regina ne donne signe de vie à Emma. Cette absence soudaine laissa un vide étrange à la ferme, un manque que même Emma, pourtant si ancrée dans ses habitudes, ressentit. Elle se demandait pourquoi Regina ne venait plus. Peut-être avait-elle enfin décidé de retourner en Californie, de renoncer à cette terre étrangère qui ne semblait pas vouloir se plier à ses exigences. Mais au fond, Emma savait que ce n'était pas dans le caractère de Regina de fuir ainsi.

En réalité, Regina s'était plongée à corps perdu dans la création d'un nouveau menu pour son futur restaurant. Elle y mettait toute son énergie, mélangeant ses techniques perfectionnées au fil des ans avec les enseignements simples mais profonds qu'elle avait appris de son temps passé avec Emma. L'idée d'incorporer des éléments toscans dans sa cuisine la fascinait et la terrifiait à la fois. Elle voulait honorer cette terre tout en restant fidèle à son style unique.

Cependant, malgré tous ses efforts, quelque chose manquait. Regina sentait qu'elle ne parvenait pas à atteindre le niveau d'excellence qu'elle s'imposait. Frustrée, elle décida de s'aventurer dans les restaurants locaux, espérant y trouver des réponses. Mais sa posture fermée et son attitude perfectionniste ne jouaient pas en sa faveur. Les restaurateurs toscans, attachés à leurs traditions, n'étaient pas enclins à partager leurs secrets avec une étrangère qui semblait plus intéressée par la technique que par l'âme de la cuisine.

Après plusieurs échecs, Regina se résigna à l'idée qu'elle avait besoin d'aide. Elle quitta alors sa somptueuse maison pour Florence, la grande ville de la région, où elle espérait trouver un second capable de l'assister dans son projet.

Mais Florence, avec son charme antique et son ambiance artistique, la détourna temporairement de sa mission première. Elle se perdit dans les ruelles pavées, les marchés animés, et les cafés en terrasse. C'est là, par hasard, qu'elle tomba sur un ancien collègue, un chef italien avec lequel elle avait travaillé des années auparavant.

« Regina ! » S'exclama-t-il en la voyant. « Ça fait des années ! Que fais-tu ici, en Toscane ? »

« Archie! » Répondit-elle avec un sourire rare. « Je suis ici pour un projet. J'ouvre un restaurant... enfin, j'essaie. »

Archibald Hopper, avec son sourire chaleureux et son air décontracté, la prit par le bras.

« Viens, tu dois absolument voir mon nouveau restaurant. Tu pourras me dire ce que tu en penses, et peut-être qu'on pourra trouver une solution à ton problème. »