Le silence s'était désigné comme son compagnon le plus cher au milieu du chaos qu'elle ressentait. Sa confiance bafouée, Ophélia laissait sa colère prendre le dessus. Elle marcha longtemps dans le château en ruminant. Elle revoyait le regard accusateur de la sorcière braquée sur elle, sa baguette pointée dans sa direction, prête à lui faire du mal.
Abomination
Voilà comment elle l'avait nomménommée. Pauvre folle, pensa Ophélia en serrant les poings. Elle était normale. Rien de plus.
Vous êtes une sorcière. Mensonge. Elle n'avait rien d'une sorcière, son être le lui hurlait. Dumbledore pouvait bien sortir les plus beaux discours ou une montagne de lettres de sa mère, elle n'en démordrait pas.
_Aucune chance que je fasse partie des leurs, dit tout haut Ophélia en arpentant de nouveaux couloirs.
Perdue avec ses propres émotions, elle n'avait pas une seule fois tenté de retourner jusqu'à sa chambre. Tous les tableaux qu'elle croisa sur sa route se retinrent de faire le moindre commentaire sur son passage. S'ils ne voulaient pas se voir arrachés du mur et leur toile déchirée, il valait mieux qu'ils se taisent.
Sa marche intensive finit par adoucir sa frustration. Seule et une nouvelle fois perdue, elle se retourna plusieurs fois dans l'espoir de reconnaitre quelconque détail pour retrouver son chemin. Après plusieurs vaines tentatives, elle finit par se résoudre. Elle n'arriverait pas à retrouver son chemin.
Elle s'adossa contre le mur le plus proche et maudit son emportement. Elle se laissa glisser contre la pierre. Au sol, elle détendit ses jambes en lâchant un souffle de satisfaction. La fraicheur du sol satisfaisait la moiteur de sa peau. Fatiguée, mais au moins rassasiée, Ophélia cala sa tête contre la moulure d'un pilier. Sans sa colère, il ne lui restait plus que la lassitude pour faire fléchir ses épaules.
_Pourquoi maman ? Pourquoi suis-je là ?
La question flotta dans l'air, à la recherche de sa réponse tant attendue. L'écho de sa voix mourut entre les murs. Irina n'était pas à ses côtés pour y répondre. Ophélia doutait même que sa mère lui répondrait honnêtement. Après tous ses secrets, aurait-elle la force de la croire ?
_Si tu recherches le savoir, il est juste à côté !
Ophélia sursauta. Elle était persuadée d'être seule. En se relevant, elle regarda le mur sur lequel elle s'était reposée. Accroché à celui-ci, un tableau animé y reposait. Les couleurs qui le composaient possédaient un éclat saisissant sous l'éclairage éloigné de la torche.
Le fond de la peinture représentait un jardin fleurissant de vie. Un arbre, peint dans un coin, abritait le seul personnage de la toile des rayons du soleil par son feuillage. Une jeune fille habillée d'une longue robe à froufrou s'approchait, grandissant à mesure que ses pas la menaient jusqu'à Ophélia. Elle avait un visage aux traits angéliques, des joues veloutées et des sourcils bien dessinés.
Elle se pencha pour effectuer une légère révérence, ce qui donna à Ophélia une vue sur son cou gracile bien mit en valeur par le col de sa robe. Ses cheveux mi-longs aux reflets d'automne dansèrent par son geste. Quand son visage se redressa, sa frange flotta gracieusement au-dessus de ses sombres prunelles.
_Tu sembles triste et perdue, fit remarquer la fillette en la détaillant de la tête aux pieds. Vas-tu te mettre à pleurer si tu ne sais rien ?
Ophélia, absorbée par sa grâce, resta silencieuse. Elle était certes fermée quand ça touchait à la magie, mais elle savait reconnaître la beauté quand elle la voyait, magique ou non. Sous l'emprise de son émerveillement, sa main se leva, prête à se poser contre la toile. Immédiatement, le tableau poussa une plainte, outré par son audace.
_On ne t'a jamais appris qu'il ne faut pas toucher les œuvres d'art ? s'énerva la jeune fille.
Elle recula sa main, les sourcils levés et bredouilla des excuses.
_Désolée…Je n'avais jamais vu une peinture si belle. Et encore moins parler avec un tableau vivant.
Elle vit la fillette pousser un rire, sa colère déjà dissipée.
_Il est vrai que ma peinture est très réussite. Mais nous sommes fragiles, il ne faut pas trop nous secouer, Miss Low.
_Tu me connais ?
_Si je te connais ? ria la peinture. Tous les tableaux de ce château savent qui tu es. Ton arrivée et ta tentative de fuite de l'école sont les derniers sujets les plus tendances parmi nous autres. Entre nous, les nouvelles vont vite !
Ophélia grimaça en repensant à sa querelle avec le concierge. Elle reconnaissait qu'elle n'y avait pas été de main morte pour le faire lâcher prise.
_Je vois que je suis devenue célèbre…souffla-t-elle dans un mélange d'humour et de gêne.
_Assez pour que je daigne t'adresser la parole.
La fillette fit quelques pas de côté pour cueillir des fleurs. Les reflets cuivrés de ses cheveux s'intensifiaient, comme si les rayons du soleil en étaient des véritables. Le phénomène obnubilait Ophélia.
_Au moins, tu sembles ne plus être sur le point de pleurer. Je déteste les larmes. Monsieur Gregor se morfond tous les jours que son cadre devrait être en chêne et non en bois de châtaigner…Ses pleurs incessants m'insupportent !
Face à ce tableau animé, elle céda un sourire. Cette petite était assez amusante et mystérieuse avec ses airs de fée des bois. Après ces derniers jours, elle n'aurait jamais pensé trouver un bref moment de répit avec une peinture magique. La banalité de leur conversation créa un baume autour de son cœur.
_Tout à l'heure, tu as dit que le savoir se trouvait à côté, que voulais-tu dire ?
_C'est simple pourtant, se moqua le tableau. L'antre du savoir est en haut de cette paire d'escaliers. Toi qui demandais ""pourquoi,", je me suis dit qu'il fallait que tu te rendes à l'endroit où se trouvent les réponses. En tout cas, c'est ce que je conseillerais à un élève.
L'antre du savoir ? Ophélia tourna son visage vers le début des escaliers non loin du tableau. Elle hésita à s'y aventurer. Après tout, elle parlait bien à une peinture, devait-elle écouter ces conseils ?
La petite fille, amusée par son hésitation, l'invita d'un geste de la main, le sourire aux lèvre.
Ophélia inspira un bon coup et ravala sa crainte. Elle emprunta les premières marches, la gorge serrée. Il lui suffisait de rebrousser chemin si quelque chose d'étrange l'attendait.
Une porte en fer forgé se dressait fièrement en haut des escaliers, solitaire. Les battements de son cœur ralentirent en l'absence de danger. Elle actionna la poignée, s'attendant à ce qu'elle lui résiste. Pour sa plus grande surprise, la porte s'ouvrit d'un cliquetis.
La Bibliothèque de Poudlard lui ouvrait les bras.
La rentrée n'ayant toujours pas débuté, la bibliothécaire, Madame Pince, n'avait pas pris la peine de la fermer à clé derrière-elle. Sans même le savoir, Ophélia enfreignait sa première règle du règlement de l'école.
L'odeur des vieux livres qui imprégnait l'air lui chatouilla les narines. Elle adorait la lourdeur que cette odeur apportait. À l'entrée, elle tomba sur un grand comptoir d'angle avec plusieurs piles de livres entassées dessus. Un espace avait été fait en plein milieu de ce désordre livresque pour un unique livre laissé ouvert à une page bien précise. Des emballages de friandises éventrés et une tasse vide de son thé trainaient tout autour.
Elle dépassa le comptoir pour s'attaquer au plus intéressant. Les nombreuses bibliothèques débordantes d'ouvrages étaient séparées par des tables pour étudier. Ophélia remarqua certaines grandes sections : Anti-sorts, Dragons, Potions et d'autres noms sonnantsonnants toujours plus magique. Sans vraiment avoir en tempstête ce qu'elle cherchait, elle se balada entre les livres, et effleura leur dos du bout des doigts.
Ophélia finit par trouver un rayon dédié essentiellement à l'école. Des fines particules de poussière s'étaient accumulées sur les étagères. Ce coin ne devait pas être souvent visité. Elle lut plusieurs titres à la suite pour enfin s'arrêter sur une rangée de livres qui ressemblaient plus à des carnets. Dans ses mains, elle souffla sur le premier volume qu'elle venait d'attraper. La poussière enlevée, les lettres d'or du titre se mirent à scintiller avec les rayons de la lune.
_Registre des élèves – Tome 1, lut-elle.
Elle l'entrouvrit et y vit des pages noircies de noms. Aucune date ne les accompagnait. Elle suivit du regard toutes les étagères où étaient classé les autres registres. Leur nombre était conséquent, mais pas insurmontable pour quelqu'un n'ayant aucunement l'envie de dormir.
Avec précaution, elle se chercha une bougie qui trainait vers le bureau de la bibliothécaire et s'installa sur une table, une pile de registres sur celle-ci. Elle n'avait qu'un objectif : trouver le nom de sa mère.
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Mme Pince se dirigeait vers sa bibliothèque en ce début de matinée, l'empressement de reprendre sa lecture de la veille faisait accélérer son pas. Il lui restait assez de temps pour flâner avant que les ennuis viennent empiéter sur son paisible havre de paix. Bientôt, sa piètre patience fera face à des élèves dénigrant les précieux livres dont elle était la gardienne.
C'est là qu'elle poussa son cri le plus assourdissant de toute sa carrière.
Assise seule à une table qui croulait sous des montagnes de livres, Ophélia lisait. Ses yeux, dont les cernes s'étaient assombris, suivaient attentivement les mots du carnet qu'elle tenait fermement entre ses mains. Malgré la bruyante entrée de la bibliothécaire, elle ne daigna pas abandonner sa lecture.
Outrée de sa présence et effarée par ce spectacle inattendu, la sorcière s'avança.
_Miss LOW ! Que faîtes-vous là à cette heure ? Ne me dites pas que vous avez passé la nuit ici ?
Ses paroles eurent l'air de la réveiller de sa lecture intensive. Ophélia releva son visage et dévisagea Mm Pince.
_Oh. C'est déjà le matin, remarqua la jeune femme en se tournant vers la lumière du jour.
La bibliothécaire bafouilla des phrases incompréhensibles, ses joues se parèrent de rouge et ses yeux se remplirent d'éclairs.
_Vous. N'aviez. Pas. Le. Droit ! s'emporta Pince en perdant ses moyens. Il est strictement interdit de se rendre à la bibliothèque la nuit.
Ophélia s'étira contre le dos de la chaise, elle ne faisait guère attention au regard noir dardé sur elle. Elle se leva et passa à côté de la sorcière de manière nonchalante.
_Si c'est interdit, il faudrait déjà fermer à clé derrière-vous. C'est un conseil pour la prochaine fois.
Le carnet qu'elle lisait précédemment se retrouva calé sous son bras. Avant de sortir elle se retourna pour rajouter quelque chose.
_Ah, et si vous pouviez ranger à ma place, vous seriez gentille. Avec tous vos sorts, j'en suis sûre que ça être vite fait.
En quittant la Bibliothèque, elle perçut les nombreuses insultes qui lui étaient dédiées. Si la fatigue ne tirait pas autant ses traits, elle se serait permise d'en rire. Elle sentait ses jambes flageolantes quand elle finit de descendre les marches. Le manque de sommeil commençait sérieusement à poser problème. Pourtant, à la seconde où elle fermait les yeux, elle ressentait une prise sur sa gorge qui la faisait suffoquer.
_Alors ? Le savoir t'a aidé ?
La fillette du tableau se tenait assise au milieu des fleurs, une couronne de pâquerettes placée dans ses cheveux.
_Pas vraiment. Mais j'ai trouvé quelque chose d'intéressant.
La peinture s'apprêtait à poser une nouvelle question à Ophélia, mais en voyant ses yeux briller de détermination, elle se contenta de lui sourire et lui demanda de revenir la voir de temps en temps. Ophélia lui en fit la promesse tout en continuant son chemin.
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Il l'avait retrouvé dans la cour du clocher, accoudé à la fontaine et le regard porté en direction du pont.
On lui avait appris la nuit qu'elle avait passée à la bibliothèque et ses demandes aux tableaux pour la diriger jusqu'à l'extérieur. En se mettant à sa recherche, il craignait qu'elle soit partie toute seule en direction de la forêt interdite.
Albus fut rassuré en l'apercevant simplement assise au soleil. Il alla à sa rencontre tout en gardant le silence. Sans le lui demander, il se permit de s'asseoir à ses côtés. Elle ne fit aucun mouvement à son approche, elle resta simplement à sa place, le dos légèrement vouté et ses cheveux s'emmêlant à chaque passage du vent.
_Je vous dois des excuses, débuta Dumbledore.
Ophélia continua à l'ignorer et d'admirer la beauté de la nature environnante. Le directeur ne se laissa pas abattre et continua.
_Le professeur Trelawney n'aurait jamais dû vous menacer. Elle est une sorcière qui se perd parfois dans ses visions. Cependant, cela ne justifie en rien son comportement, je me suis assuré que ce genre d'incidents ne puisse plus se reproduire.
Un rire sonnant faux se libéra d'entre les lèvres d'Ophélia.
_Des excuses ? Vous pouvez vous les garder. Vous m'aviez promis que je serais en sécurité, mais c'était faux.
Le vent souffla plus fort, frappant leurs vêtements et leur visage. La chaleur de la fin d'été s'éveillait avec la montée du soleil dans le ciel. Ophélia fixait intensément l'entrée du pont, se répétant bêtement sa tentative de fuite quelques jours plus tôt. Si seulement…
_Si seulement j'avais traversé ce pont, lâcha le directeur dans sa direction. C'est ce que vous êtes en train de vous dire.
Comme prise en faute, Ophélia fit une grimace mécontente. Le fait qu'il puisse lire si facilement en elle lui déplaisait fortement.
_Vous savez que vous avez fait le bon choix. Même si à cet instant, il vous semble être le pire de votre vie, reprit-il d'une voix apaisante.
_Arrêtez. Pas besoin d'essayer de me convaincre, j'ai bien compris que je ne serais jamais en sécurité avec des sorciers, fit-elle d'un regard courroucé. Et je ne suis vraiment pas d'humeur à vous écouter philosopher.
Sans attendre qu'il relance, elle sortit de la poche de sa robe une page recouverte de noms. Il reconnut au premier coup d'où provenait cette page arrachée impunément à son livre. Elle lui montra simplement la page qu'elle avait volé plus tôt dans le carnet.
_J'ai lu je ne sais combien de vos registres pour y retrouver une trace de ma mère. Je voulais me prouver que tout n'était qu'un autre mensonge, qu'elle n'était pas des vôtres, expliqua calmement Ophélia.
_Vous arriviez toujours à en douter ?
Elle fronça des sourcils.
_Je ne suis pas du genre à avaler tout ce qu'on me dit, être crédible, ce n'est pas mon genre.
Amusé, il déplia la page et passa doucement son doigt sur la ligne comportant le nom de sa disciple.
Irina Di Giaccolo – Serdaigle
L'unique fait de voir son nom inscrit le replongea dans des souvenirs d'un temps déjà révolu. Pendant quelques instants, celle qui se trouvait près de lui n'était plus Ophélia, mais une Irina dans son uniforme aux couleurs de sa maison et débordante de jeunesse. Cette illusion du passé lui sourit d'une manière si franche qu'il sentit sa main maudite prise de tremblements.
_Vous allez bien ?
Revenant dans le présent, Ophélia le regardait avec son regard bien plus tranchant et pourtant inquiet par sa soudaine absence.
_Vous disiez, ma chère ?
_Je vous demandais qu'au lieu de me faire de fausses promesses, vous pourriez plutôt m'éclaircir sur ça, fit-elle en pointant du doigt une partie du nom de famille. Je n'ai jamais entendu ma mère employer notre nom avec un "Di" devant. Vous avez une explication ?
_J'ignorais que ceci vous était inconnue. Je pensais que c'était une chose convenue entre vous de ne plus l'employer.
Ophélia répéta à voix haute le nom complet et sentit comme si quelque chose n'allait pas avec celui-ci.
_Cela fait plus pour bourgeois avec, ça sonne presque faux à mes oreilles.
_Faux ? Je peux vous assurer que cette impression est loin de l'être, dit-il avec malice.
_Que sous-entendez-vous par là ?
_C'est pourtant clair, Miss, ria le directeur. Vous venez d'une famille noble.
Elle lui lança un regard éberlué, comme s'il venait de dire la chose la plus incongrue du monde.
L'idée qu'elle puisse faire partie d'une famille de sang noble lui paraissait tout bonnement fantasque. Eduquée seulement par Irina, Ophélia ignorait déjà à quoi se résumait les familles dîtes "normales", alors une famille noble…
_À vrai dire, je n'ai pas de véritables explications à vous donner sur le choix qu'elle a fait. J'en avais déduit qu'Irina souhaitait vous rendre un peu plus anonyme en abandonnant une partie de son nom.
_Vous supposez beaucoup pour une personne à qui elle a juste laissé des miettes, trancha Ophélia.
Dumbledore ne rajouta rien. Il attendit le temps que les nerfs de la jeune femme se calment. Il avait bien remarqué que les sautes d'humeur d'Ophélia venaient principalement de la fatigue, c'était un autre sujet qu'il comptait aborder avec elle une autre fois.
Réalisant l'aigreur dans ses paroles, Ophélia présenta de brèves excuses. Elle ramena ses genoux contre elle, les enserrant de ses bras.
_Je ne sais plus qui elle est, murmura-t-elle les yeux perdus dans le décor.
_Vous redécouvrez Irina, ce n'est pas chose aisée de réapprendre ce qu'on connaissait. Celle que j'ai connue était une jeune sorcière talentueuse, aux paroles franches et à la curiosité insatiable.
Il prit une pause dans ses paroles. Ses mots faisaient étrangement écho avec sa récente vision.
_Toutes ces manigances vous rapproche de ce passé qu'elle vous a caché. Au lieu de voir ça comme une trahison, vous pourriez le prendre comme le moyen de mieux connaître votre mère.
_Mieux la connaître, dites-vous ? s'offusqua Ophélia. Nous sommes mère et fille, personne ne la connaît mieux que…
Elle s'arrêta en réalisant ce qu'elle allait dire.
_Vous avez raison, affirma Dumbledore. Vous êtes celle qui la connaît le mieux. N'êtes-vous donc pas curieuse d'en apprendre plus ?
Ophélia serra les poings sur ses genoux. Toutes ces tournures n'étaient que des tentations. Elle en avait conscience.
_Ce que je veux par-dessus tout, c'est rentrer chez moi. Vous le savez.
Dumbledore caressa distraitement le dos de sa main maudite tout en lui répondant.
_Si c'est votre unique désir, il faut que vous vous donniez les moyens de l'atteindre.
Ophélia soupira et se relava. Elle se tourna vers lui, les yeux brillants de fatigue et un air las accroché à son visage.
_Vous m'offrez une nouvelle vie que je ne souhaite pas. Une vie que je suis loin de pouvoir assumer. Je ne peux pas abandonner si facilement ce que je suis, vous pouvez bien comprendre ça.
_Ce n'est pas un abandon de vous-même. Vous resterez Ophélia.
Il se leva à son tour en braquant son regard dans le sien.
_Je vous offre la possibilité de vivre dans le monde magique, mais ceci reste votre choix. Laissez-moi vous aider à trouver ce que craignait Irina, pour que nous puissions vous renvoyer chez vous sans crainte.
_Qui me dit que vous n'allez pas changer d'avis ? répliqua Ophélia sur la défensive.
_Je ne vous retiendrais pas ici. Vous restez libre. Je souhaite seulement que vous restiez en vie, rien de plus.
Elle s'était torturée torturée l'esprit pour se trouver une autre solution, une échappatoire. Au milieu de ses pensées, une vérité en ressortait : sa vie était menacée. Cette vie qu'Irina s'était efforcée de garder à l'abris par de nombreux secrets, se trouvait désormais en danger sans qu'elle n'en sache la raison.
Si elle partait, ils la retrouveraient. Si elle partait, elle mourrait.
Ophélia, entre deux clignements d'yeux, perçut une silhouette derrière Albus. La soudaine apparition ombrageuse la menaçait d'une baguette. Elle pâlit soudainement, la nausée rongea ses entrailles. Elle se détourna pour respirer un grand coup. Ses mains frottèrent rageusement ses paupières pour chasser la vision qui venait de s'imprégner sur ses rétines.
Elle pouvait retenter de s'enfuir, aller au plus loin que ses jambes pouvaient la porter. Mais pour aller où ? Tout droit dans les bras de cet homme.
Rester entourée de sorciers ne la rassurait pas. Néanmoins, elle n'avait pas d'autres choix. Cela lui coûtait de le reconnaître, mais Dumbledore restait le seul à lui avoir proposé son aide. Sans même rien demander en retour.
Elle mordilla sa lèvre inférieure de frustration.
_Vous avez une promesse à tenir, monsieur le directeur. Je pense que c'est le moment d'y aller.
_C'est vous qui décidez, Miss Low.
L'entendre user à son tour de ce faux nom l'irrita encore plus, mais elle se garda de faire une réflexion.
Dans un geste de galanterie, Dumbledore lui présenta son bras qu'elle étudia avec un brin de condescendance. Cela aurait plutôt été à elle de le lui proposer. Elle mit de côté ses pensées sans importance et accepta le bras du vieil homme.
/_/_/_/
À la vue des premiers arbres, Ophélia dut se faire violence pour ne pas faire machine arrière. L'intensité des flashs de son agression s'intensifiait à chaque pas qu'elle faisait en direction de l'imposante forêt.
L'orage était là. Il grossissait dans sa poitrine, jusqu'à faire tressaillir son âme. Ces rafales d'émotions qu'elle subissait ne l'aidaient pas à avancer.
Albus ressentit à travers la manche de sa robe ses tremblements, elle était terrorisée. Il pensa qu'elle allait abandonner à la vue de la cime des arbres. Il se doutait que la terreur lui murmurait cruellement les plus sinistres des scénarios.
_C'est par ici ! indiqua énergiquement Hagrid.
Le garde-chasse avait rejoint leur balade pour indiquer le chemin à suivre, avec comme second guide Crockdur dont les filets de bave faisaient des sillons derrière lui. Ophélia, qui avait un certain amour pour les animaux, n'avait pas émis le moindre intérêt au chien baveux. Son esprit était bien trop centré vers l'endroit qu'ils comptaient atteindre.
Avant de totalement rentrer dans la forêt, le corps d'Ophélia se stoppa. Toutes les fibres qui la composaient refusaient de continuer. Son souffle s'était coupé brutalement et se terra au plus profond de ses poumons.
Son instinct était clair. Au fond de ces bois, la mort l'y attendait.
La tienne ou celle de ta mère ? lui susurra une pensée.
Les deux.
Les deux étaient cruellement possibles.
Elle se força à imaginer Irina lui souriant, prononçant son nom. Elle avait peur, une peur qu'elle n'avait jamais connue auparavant, et pourtant, elle ne pouvait pas abandonner. Ophélia avait besoin d'être sûre.
D'un hochement décidé, elle donna l'autorisation à Hagrid de poursuivre leur marche vers la forêt.
Leurs pas étaient étonnamment silencieux durant cette promenade au milieu des arbres de la forêt interdite. Bien que le soleil fût encore haut dans le ciel, ses rayons ne parvenaient pas à totalement traverser l'épais feuillage des arbres. Une ambiance tamisée accompagnait leur route sur la sombre herbe.
Dumbledore n'avait pas émis la moindre parole depuis qu'Hagrid s'était présenté. Il observait la jeune femme qu'il accompagnait du coin de l'œil. Elle présentait tous les aspects d'une personne en proie à un conflit intérieur. Lui qui souhaitait ardemment poser des questions sur Irina, s'était abstint. Peut-être qu'elle n'en avait pas encore conscience, mais Ophélia était la dernière personne qui avait côtoyé Irina depuis son départ du monde magique. Le directeur, bien que tiraillé par une furieuse curiosité, laissa ses questionnements pour plus tard. Il préféra se contenter de soutenir le bras tremblotant d'Ophélia.
Durant le chemin, Ophélia sentit son dos se raidir. Une vive sensation d'être observée parcourait sa peau et lui donna la chair de poule. Des bruits étranges s'échappaient dans plusieurs directions. Sa main se resserra davantage sur la manche du directeur. Ils n'étaient pas seuls.
_Les habitants de la forêt sont seulement curieux de nous voir au sein de leur repère. Tant que vous ne vous éloignez pas, rien ne vous arrivera, assura le garde-chasse, certain de son expertise.
Ophélia ne fit aucune remarque mais elle n'en pensait pas moins. Elle reporta tant bien que mal son attention droit devant elle, elle n'était pas loin de défaillir.
Au bout d'un certain moment, Hagrid leur signala qu'ils n'étaient déjà plus très loin.
_Je vous remercie pour votre temps, Hagrid. Vous pouvez retourner au château. Nous continuerons juste Miss Low et moi.
_Pas besoin de me remercier, Monsieur le directeur ! Appelez-moi s'il y a le moindre soucis.
Le garde-chasse baissa sa tête vers son chien.
_Allons-y Crockdur, j'ai une bonne portion de viande qui t'attend à la maison.
Soudainement plus motivé, Crockdur accéléra le pas sur le chemin du retour, emportant bien vite le garde-chasse entre les arbres.
Un regain d'énergie anima Ophélia. Elle était impatiente d'apercevoir au loin ce qu'elle cherchait, et accéléra la cadence à son tour. Pourtant, même en continuant d'avancer, la vue tant attendue de sa maison n'arrivait toujours pas. La forêt ne désépaissit pas, elle s'élargissait et devenait d'autant plus profonde.
La marche du vieil homme se mit à ralentir, signifiant qu'ils étaient sur le point d'arriver. Sa tête se tournait dans les moindres coins, mais aucune présence d'un quelconque jardin, encore moins celle d'une habitation dans les alentours.
_Regardez, incita le directeur en lui montrant d'étranges caractères gravés à même la terre.
_C'est quoi ?
_Des runes. C'est un langage assez ancien, il est utilisé par de nombreux peuples magiques, comme les sorciers, expliqua-t-il.
_En quoi ça me concerne votre cercle de runes ? fit Ophélia en fronçant les sourcils. Ma maison ne devrait pas être plus très loin maintenant, si nous...
_Pouvez-vous me dire en quelle année nous sommes ? coupa brusquement le sorcier.
Un oiseau croassa avant de s'envoler avec quelques-uns de ses frères juste au-dessus de leur tête. Dumbledore affichait un visage sérieux mais empreint d'un malaise croissant. Elle le regarda bizarrement, elle ne s'était pas attendue à une question si basique dans un tel endroit.
_Ce n'est pas vraiment le moment pour penser à la date.
_Au contraire, c'est le moment parfait pour que vous le réalisiez…
_Vous me faîtes perdre mon temps, répliqua-t-elle exaspérée.
_Aujourd'hui, nous sommes le 10 août 1998, fit Dumbledore en l'observant avec attention.
Comme il l'avait déjà deviné, Ophélia fronça les sourcils en tiquant sur la date.
_Je vous ai déjà dit que ce genre de blague ne me faisait pas rire.
Dumbledore resta stoïque à sa réponse. Il ferma quelques instants les yeux, le visage tourné vers le ciel. Une partie du mystère venait de s'éclaircir en seulement quelques phrases. Il pensa immédiatement à Irina. Au fond, il était loin d'être étonné que sa disciple ait pu trouver un moyen pour accomplir un tel prodige.
Prodige qui demandait maintenant un prix.
_Ce que je vais vous expliquer va sûrement vous paraître incongrue, mais j'aimerais que vous m'écoutiez jusqu'au bout, débuta Dumbledore en replaçant ses yeux azur sur elle.
Il était parfaitement conscient que son annonce allait être dévastatrice. L'une des rares promesses qu'il avait pu lui faire venait de s'envoler en éclat. Dumbledore n'aurait jamais le pouvoir de la renvoyer chez-elle.
_Irina a disparu un beau jour, sans laisser la moindre trace derrière-elle, reprit-il d'un ton plus bas. Je n'ai jamais su ce qui avait pu lui arriver pour qu'elle disparaisse. J'ai eu beau la chercher par tous les moyens qui m'étaient donnés, elle est restée introuvable.
Il prit une pause dans ses explications. Il revivait ces heures de recherches intensives, ces missives déchirantes qu'il échangeait avec les parents inconsolables d'Irina. L'espoir de la revoir s'était amenuisé avec les années, rendu à l'état de rêve inatteignable.
_Et puis j'ai reçu cette lettre…Vous, vous êtes apparue en plein milieu de cette forêt ou personne ne s'aventure. Je n'ai pas cessé de me questionner par quel moyen vous auriez-vous pu survivre par la simple utilisation d'un retourneur de temps. La réponse m'échappait. Mais maintenant, tout est clair.
_Mais de quoi vous parlez ?
_Ce collier, celui que vous tenez tant à conserver sur vous, se nomme un retourneur de temps. Il sert, comme son nom l'indique, à revenir dans le passé. Il a le pouvoir d'agir sur le temps, mais seulement pour faire quelques heures en arrière. Par contre, en ce qui concerne le vôtre, je soupçonne qu'il possédait un pouvoir plus grand…Bien plus que de simples heures, votre retourneur pouvait sûrement remonter des années.
Le regard du directeur se perdit vers la gorge d'Ophélia, il y aperçut la chaine qui retenait ledit retourneur de temps brisé.
_Votre mère, sans que je sache par quels moyens, s'est aventurée dans le futur pour s'y cacher, et ça pour une raison qui me dépasse encore. Voici la raison pour laquelle elle est restée introuvable durant toutes ces années.
Elle fut sur le point de le couper, mais le directeur continua ses explications avec aplomb, devançant sa tentative.
_Son cadeau vous a ramené ici, en 1998, tandis qu'Irina est restée à votre époque. Vous venez du futur, Miss Low. Tout ce que vous avez connu ne s'est sûrement pas encore produit.
Ophélia plissa les yeux au fil de ces explications.
_C'est la même fichue forêt qui aborde notre maison. Bien sûr que tout est ici !
Elle se détourna de lui et regarda le reste de la forêt de manière affolée. Elle eût beau forcer sur sa vision, elle ne percevait aucun signe de bâtisse, ni le moindre sentier qui aurait pu lui donner raison.
_Vous n'allez pas réussir à me faire peur, il suffit d'avancer pour que nous tombions dessus.
Elle comptait reprendre son expédition, mais Dumbledore se plaça devant-elle pour lui couper la route. Le regard d'empathie qu'il lui lança broya le cœur de la jeune femme. Cette empathie, elle l'avait déjà vu dans certains regards de parents à son encontre. Une empathie qui glissait si aisément vers une pitié remplit d'amertume.
_Ophélia…
La voix du sorcier se brisa sur son prénom. C'était son rôle de lui annoncer, de lui faire accepter. Il craignait sa réaction, il craignait le désespoir qu'elle allait ressentir en réalisant ce que l'univers lui avait arraché.
_Nous vous avons trouvé au centre de ce cercle même, seule. Aucun humain n'habite dans cette forêt.
_C'est n'importe quoi, s'insurgeât-elle.
Le directeur voulut répondre mais se retint. Le silence était bien plus éloquent que n'importe quelle explication. C'est ce qu'il s'efforça à croire.
Son manque de parole fit froncer d'autant plus les sourcils d'Ophélia.
Du peu qu'elle savait du vieil homme, c'est qu'il ne manquait pas de talent en tant qu'orateur. En le voyant si soudainement démuni de ses belles phrases et métaphores, les yeux toujours empreints de peine, retourna les tripes d'Ophélia. Il tenta de poser sa main sur son épaule, un geste qui se voulait apaisant. Elle repoussa du revers de la main son geste, les yeux flamboyants.
_Je ne peux y croire ! hurla fiévreusement Ophélia en secouant la tête. Ce n'est pas possible !
Elle ressentait une vive colère qui ne cessait de croitre. Ophélia était persuadée qu'il lui avait menti, que la lettre devait être fausse elle aussi. Tout ce qu'il venait de lui raconter était faux. Il avait accepté de l'accompagner dans l'espoir de la berner. Sa mère était quelque part à l'attendre et cet homme l'empêchait de la rejoindre.
_Vous me racontez des conneries. Rien de tout ça n'est vrai, continua-t-elle sur la même lancée. J'en suis sûre qu'elle n'est pas loin. Elle a dû appeler quelqu'un et elle attend mon retour. Vous ne m'empêcherez pas de…
Le collier qu'elle portait toujours à son cou bougea grâce à la brise. Elle se stoppa dans son monologue. Son corps devint raide comme de la pierre. Elle attrapa par réflexe entre ses doigts le sablier et baissa son visage vers son verre brisé. Son pouce appuya dessus et le perça. Une goutte de sang roula de son pouce jusqu'aux restes du collier. Les souvenirs de son agression se bousculaient en trombe, entourés d'une brume qu'elle n'arrivait pas à faire disparaitre. Ophélia sentait un puissant feu brûler de l'intérieur, dont la puissance la faisait pâlir.
Son regard s'égara vers le cercle de runes si peu familier, la fougue de sa colère s'épuisait dans la contemplation de ces arabesques inconnues.
Le doute s'était insinué.
_Vous ne retrouverez pas Irina.
L'affirmation de Dumbledore lui fit relever son visage.
_Vous mentez, répondit-elle d'une voix tremblotante.
La colère avait laissé place à une peur viscérale. Elle le poussa de sa route et se mit à appeler plusieurs reprises sa mère. Elle se retournait dans toutes les directions en cherchant désespérément le moindre indice qui prouverait qu'il avait tort. Ses appels se perdaient dans l'immensité de la forêt. Son esprit n'arrivait pas à assimiler cette réalité qui s'évertuait de sauter devant ses yeux. Contre sa poitrine, les battements de son cœur déferlaient avec rage.
Elle ne pouvait pas accepter cette vile vérité, cela lui était inconcevable. Un monde où elle n'était plus là, un monde sans la personne qui comptait le plus pour elle. Ophélia lui avait promis de rester à ses côtés, de l'épauler, et ça, jusqu'à la toute fin.
En n'ayant rien trouvé malgré ses efforts, elle se retourna vers Dumbledore qui fit un simple non de la tête, défait. Un geste si banal et pourtant rempli de sincérité. Il observa, impuissant, la lente descente en enfers de sa nouvelle protégée. Il hésita à s'approcher d'elle pour la soutenir.
Un soubresaut l'éprit. Elle réalisa qu'elle ne pourrait pas la revoir, pas même pour des derniers adieux. L'espoir se défit d'elle, elle était abandonnée à son sort. La douleur la fit tomber à genoux en plein dans le cercle de runes. Ses mains, qui étaient restées inertes le long de son corps, se mirent à gratter frénétiquement la terre.
Plongée dans une véritable transe, son corps se mit à bouger. Elle se mouvait par l'énergie du désespoir.
_Ramenez-moi. Ramenez-moi, implorait-elle en continue aux runes qui restaient muettes face à ses supplications. Pitié, ramenez-moi !
Perdue.
Elle se sentait perdue dans ce vaste univers.
Des larmes s'écoulaient de ses yeux tandis qu'elle répétait sans discontinuer sa demande. Face à ce déchirant spectacle, Dumbledore décida de l'arrêter une bonne fois pour toute en la prenant dans ses bras.
Il posa une main à l'arrière de son crâne pour la tenir contre lui. Ophélia n'avait pas la force de le repousser, au lieu de ça, elle s'accrocha à sa robe de sorcier du peu de force qu'il lui restait.
_Je suis désolé, murmura-t-il tout en continuant à lui caresser les cheveux pour tenter vainement de la consoler.
La seule réponse qu'il eut d'elle fut une longue lamentation qui rompit la tranquillité de la forêt et de ses habitants. Ils restèrent enlacés un long moment, jusqu'à ce que les larmes se tarissent sur ses joues rougies.
Dumbledore finit par la ramener au château en la soutenant par le bras. Leur remontée fut longue et lente. Alors qu'elle avait eu tant de mal à y rentrer, Ophélia l'avait supplié de la laisser dans le cercle de runes. Elle n'avait plus prononcé un seul mot depuis que les larmes s'étaient stoppées.
Pour atténuer le douloureux évènement, le directeur lui avait fait préparer une chambre accueillante et confortable. Il espérait profondément qu'elle puisse y trouver ses marques. C'était tout ce qu'il pouvait faire pour le moment.
Assise dans le seul fauteuil de la chambre, elle fixait sans broncher le mur à la couleur crème en face d'elle. Sous ses ongles se trouvait encore de la terre de la forêt qu'elle avait si désespérément grattée. Le mutisme dans lequel elle s'était plongée inquiétait le vieux sorcier qui tenta par quelques phrases de la faire réagir.
Rien ne permit de la sortir de son silence.
Elle restait concentrée sur son mur. Plongée dans les pensées les plus profondes qui n'appartenaient qu'à elle.
Il comprit qu'il n'était pas encore temps de la sortir de cet état. Pour son propre bien, Ophélia devait rester seule. Sans plus attendre, Dumbledore décida de la laisser en proposant de revenir la voir le lendemain matin. Il indiqua qu'au moindre problème, elle devait prononcer le nom de " Betsy" et que de l'aide lui sera immédiatement apportée.
Un léger hochement de tête plus tard, il n'était plus là.
Inconsciemment, ses épaules se détendirent un peu plus contre le dossier. Elle replia ses jambes contre elle pour y déposer sa tête. Ses yeux se fermèrent lentement. Tout comme son esprit brouillé. Tout se ferma.
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Severus voulait s'arracher les cheveux face aux pauvres traductions que la professeure de runes venait de lui faire parvenir par hibou. Ces quelques phrases ne suffisaient pas à le satisfaire. Frustré de ne pas réussir lui-même à élucider l'énigme de ce rond de runes, il rangea rageusement le parchemin dans son bureau.
La tête posée dans sa paume, il souffla, dépité. Peut-être pourrait-il confectionner quelques potions pour détendre ses nerfs. Cela faisait bien plusieurs jours qu'il n'avait pas touché à un chaudron, trop obnubilé par toute cette histoire.
Il se leva de sa chaise et s'approcha d'un placard à la recherche d'un verre pour accompagner son activité. Sa frustration se décupla quand il remarqua qu'il avait entamé la dernière bouteille qu'il avait.
_Sale ivrogne, pesta le sorcier contre son soi passé.
Déterminé et envahi par une soif qu'il voulait assouvir, Severus se mit en quête de quoi contenter son gosier. Il sortit de son bureau et prit la direction des cuisines.
L'odeur des plats du soir planait déjà dans les cuisines animées par les allées et venues des petits elfes de maison. Comme une machine bien huilée, ceux-ci s'affairaient derrière les fourneaux en faisant tinter marmites et poêles.
Le chef cuisinier repéra immédiatement l'entrée du professeur dans les cuisines et vint le saluer avec véhémence. Déjà ennuyé par tant de fougue, le sorcier demanda s'il pouvait prendre une bouteille dans les réserves. Tandis qu'il essayait de se dépatouiller de cet elfe cuistot beaucoup trop enjoué à son goût, une autre conversation attira ses oreilles.
Non loin de là, deux elfes de maison discutaient de la nouvelle invitée du château. La plus jeune des elfes tenait fermement un plateau repas entre ses mains, un sourire jusqu'aux oreilles.
_Betsy est fière ! clama la petite elfe. Le directeur lui a demandé de s'occuper de l'invitée. Betsy va lui apporter son repas ce soir.
_Tu ne devrais pas être si heureuse ! J'ai pu la voir de loin l'autre jour et elle dégage une odeur étrange… À ta place, je ferais tout pour ne pas croiser la route de cette sorcière, la mit en garde le plus âgé.
Les épaules de Rogue se redressèrent en les écoutant. Il n'était pas coutume d'entendre un elfe de maison parler de l'odeur d'un sorcier, encore moins pour justifier le fait de se tenir loin de celui-ci. Plus d'un mystère s'entrelaçait autour de la jeune femme ou, comme il préférait dire : sa nouvelle source de problèmes.
L'imaginer en train d'être bien installée dans ses quartiers tandis qu'il se tuait à comprendre les runes fit bouillir son sang. En rajoutant la joyeuseté de Betsy dans l'équation, sa mauvaise humeur s'amplifia. Il avait vraiment besoin d'un verre pour se détendre, mais cette quête pouvait bien attendre. Puisqu'il ne pouvait assouvir sa soif dans l'instant T, une idée bien plus alléchante venait de germer dans son esprit.
Betsy, qui n'avait pas du tout porté attention à la présence du professeur, était sur le point de transplaner dans la chambre d'Ophélia quand Rogue se posta devant elle. Il lui arracha le plateau des mains avec force.
_Ce soir, c'est moi qui m'en occupe. Où se trouve sa chambre ? demanda Rogue d'une voix dénuée de politesse envers la pauvre elfe terrifiée.
Le seul moyen qu'il avait trouvé adéquat pour calmer sa colère était de confronter directement la gêne qui en était la cause.
Betsy lui indiqua en bégayant le chemin tout en retenant ses larmes. Le sorcier s'en alla sans un dernier regard pour les elfes, ceux-ci ébranlés par le comportement exécrable du professeur.
Rogue ne s'était pas attardé sur les déboires de l'elfe de maison. D'un coup de baguette il fit léviter le plateau à côté de lui et suivit les indications qu'il avait récolté. Il se rendit jusqu'à la chambre d'Ophélia, ses mâchoires se serrant à mesure qu'il approchait. Il trouva facilement la bonne porte et s'y arrêta.
Rogue toqua une première fois.
Puis une seconde fois.
Soit elle n'était pas là, soit elle ne daignait pas lui répondre. Son intuition lui soufflait qu'elle faisait la sourde oreille. Sur un coup de tête, il décida d'ouvrir la porte sans être invité.
Il la trouva assise dans l'unique fauteuil de la chambre, les bras enroulés autour d'un coussin plaqué contre elle.
D'un rapide coup d'œil, il remarqua que la pièce principale était assez spacieuse, agrémentée des meubles essentiels pour y vivre. Une bibliothèque presque vide se trouvait non loin du fauteuil dans lequel elle était installée. De l'autre côté, un bureau en bois comblait une partie du mur avec une petite horloge dont le tictac brisait le silence.
Tout était plutôt simple, sans artifices.
Et pourtant, Ophélia, au milieu de cette chambre, se sentait tout comme dans une cage.
Encore consternée par la balade dans les bois et tout ce que le directeur lui avait révélé, Ophélia ne prêta aucune attention aux coups portés contre la porte.
En entendant quelqu'un rentrer, elle leva son regard sans conviction. Elle n'eut pas grand mal à le reconnaître avec tout ce noir dont il était habillé. Sa tête se reposa contre le coussin, visiblement pas plus intéressée que ça par sa présence imposée.
Le plateau termina sa lévitation en douceur sur une table basse. Pour la première fois depuis qu'elle était arrivée au château, Ophélia n'eut aucune réaction face à un acte de magie.
_Votre repas, indiqua froidement Rogue en ne la lâchant pas du regard.
Elle ne fit pas un geste envers le repas dont la saveur aurait pu donner l'eau à la bouche de n'importe quel être vivant. La douce odeur du plat, préparé avec amour par les elfes de maison, ne fit pas réagir d'un iota la jeune femme qui ignora tout bonnement le plateau.
Ce silence, cette posture…Cela sautait aux yeux aiguisés de Rogue. Quelque chose l'avait chamboulé. Il n'avait pas la moindre idée de ce qui avait pu abattre sa fougue, mais c'était à son avantage. Un rictus se dessina sur ses fines lèvres.
_Notre chère invitée manque d'appétit ? Ce repas est loin d'être empoisonné, débuta sournoisement le sorcier en faisant quelques pas dans la chambre.
Il n'avait aucune raison valable d'entamer une discussion qui possédait tout pour tourner mal. C'était même sûr que le directeur serait contre le fait qu'il vienne titiller sa nouvelle protégée. Pourtant, il ne pouvait manquer l'occasion de creuser un peu plus autour de cette femme dont il ne savait rien, et sans être dérangé par un élément extérieur.
Ophélia se borna dans l'ignorance. Son manque de réaction agaçait le sorcier, il ne s'était pas déplacé pour lorgner un mur humain.
_C'est ainsi qu'on vous a éduqué ? D'être irrespectueuse envers ceux qui vous apportent soins, nourriture et gîte ?
À l'énonciation de l'éducation, le regard perdu d'Ophélia s'accrocha sur sa personne.
_Amusant. Parler d'éducation alors que vous rentrez dans ma chambre sans attendre mon consentement et ni même me saluer. Nous avons tous une vision différente de l'éducation, manifestement, fit Ophélia d'une voix flegmatique.
La légère marche du professeur s'arrêta en face du fauteuil.
Son attitude changea. Le rictus qui avait pris plaisir à se former venait de s'effacer de son visage. Une véritable façade de glace venait de se placer au-dessus d'elle, la surplombant.
_Dumbledore s'évertue à dire que vous n'êtes en rien un danger. Je pourrais tout bonnement y croire, à votre simple vue, on voit facilement que vous n'êtes qu'une enfant effrayée.
Il avait susurré ces mots en plaçant délicatement ses mains sur les rebords du fauteuil. En étant désormais à sa hauteur, les prunelles du maître des cachots se mirent à luire étrangement.
_Cependant, je trouve que vous ne partagez pas grand-chose sur votre soi-disant agression. Auriez-vous des raisons de nous dissimuler des choses ? questionna le sorcier en élevant plus la voix.
Bien qu'il eût éloigné la piste d'une potentielle ennemie en elle, Rogue était persuadé qu'elle leur cachait des informations clés. Son instinct lui intimait de ne pas ignorer cette affaire. Le fait de ne pas savoir ce qui se cachait derrière l'existence de cette femme pourrait leur être fatale sans qu'ils ne le soupçonnent.
En plongeant son regard onyx dans le sien, Severus se glissa à l'intérieur de son esprit.
Sa legilimancie força sans soucis l'entrée, aucunes barrières mentales n'étaient érigées pour la protéger. Il comptait bien récolter tous les secrets d'Ophélia entre ses mains et mettre fin à toute cette mascarade.
À peine rentré, Severus se stoppa dans sa fouille. Aucun flot de pensées ne venait à sa rencontrer, il n'y avait qu'un silence pesant. Il avait beau forcer, il ne voyait pas un seul, mais seulement des abysses. Déconcerté par ce vide, il accentua son sort pour y créer une faille.
Son avancée ne mena à rien de plus.
La soudaine proximité qu'il avait imposée durant leur échange avait permis à Ophélia de mieux étudier les traits de son visiteur. Il possédait un nez imposant et un teint assez cireux. Des cernes soulignaient le dessous de ses yeux, sa fatigue était flagrante. L'étudier si longtemps commença à la déranger. Elle préféra dissimuler sa gêne plutôt que de lui donner la joie de la voir mal à l'aise. Elle ne s'était pas rendu compte une seule seconde de la tentative d'intrusion mentale.
_Je n'ai rien à vous dire.
Aux paroles d'Ophélia, il abandonna son sort avec amertume. C'était bien la première fois qu'il se retrouvait devant une telle situation. L'esprit de la jeune femme avait été scellé.
Il se doutait qu'elle n'était pas à l'origine d'un tel sortilège, quelqu'un s'en était chargé à sa place. La curiosité de Severus n'en devenait que plus insatiable, il désirait découvrir ce qui pouvait bien se cacher derrière une telle protection si drastique.
_Tout ce que vous avez fait, et ce que vous ferrez à l'avenir, me concerne, répliqua-t-il. Vous n'êtes pas accueilli à bras ouverts, vous nous avez été imposée. Il serait temps de comprendre que vous êtes seulement tolérée dans ce château par la trop grande gentillesse du directeur.
Discrètement, un tressautement fit mouvoir la bouche de la présumée invitée. Rogue crut durant quelques instants qu'elle allait enfin abandonner sa placidité pour se laisser consumer par ses émotions. Il comprit assez vite son erreur de jugement.
_Cela vous amuse ? cracha le professeur devant l'ébauche de sourire moqueur sur les lèvres d'Ophélia.
_Je viens juste de penser que vos élèves devaient vous manquer. Vous n'avez pas assez de travail pour vous divertir, alors vous venez ici. Je comprends, c'est loin d'être agréable de s'ennuyer à son boulot, répondit-elle.
Sa remarque aurait presque réussi à lui arracher un haussement de sourcil. Il découvrait qu'elle pouvait faire preuve de répondant quand elle n'était pas en proie à la panique. Malgré son piteux état apparent, elle gardait en réserve de l'impertinence. Cela ne pouvait que plaire au serpent qui imaginait déjà Ophélia ployer une bonne fois pour toute.
_Je veux simplement vérifier que vous nous évitiez une seconde escapade improvisée pour des mièvreries. Il serait plus que regrettable qu'on retrouve votre cadavre aux alentours de la forêt interdite au petit matin, alors que nous sommes loin d'avoir élucidé la raison derrière votre présence en ces lieux.
Il laissa un temps avant de se pencher un peu plus vers elle.
_Bien que, d'après vos misérables jérémiades de la dernière fois, il est fort possible que nous retrouvions ceux de votre mère avant les vôtres.
Rogue jubila devant la décomposition de son visage.
Une immonde image du corps de sa mère sans vie s'était imposée à Ophélia. L'effroi envahi son âme de manière incontrôlable, elle vacilla sans détours vers ses sombres souvenirs. Elle ressentit de nouveau ses blessures lui brûler, son sang s'écoulant sur son corps, le poids du regard de son agresseur sur sa personne, sa férocité, sa folie…
Ophélia bondit littéralement du fauteuil et le bouscula et renversa la table basse par la même occasion. Le repas se répandit sur le sol de la chambre tandis qu'elle s'était réfugiée vers la seule fenêtre de la pièce. Elle lui tournait le dos, et lui ne perdait pas une miette du spectacle qu'il avait lui-même engendré.
_Vous ne savez rien, absolument rien !
_Il suffit de me répondre. Qu'est-il arrivé ? Auriez-vous des choses à vous reprocher, des actes épouvantables à taire ?
Rogue ne cachait en aucun cas son amusement, sa voix ressemblait à du velours empoisonné aux oreilles d'Ophélia. Il profitait autant qu'il pouvait de sa peine, en essayant par la même occasion de combler sa propre frustration d'avoir échoué à lire dans son esprit.
_J'en parlerai qu'à votre directeur. Partez, maintenant, ordonna-t-elle en essayant de contenir sa rage.
Ses mains tremblaient sans qu'elle puisse les contrôler. Son esprit lui imposait la vision de sa mère assassinée, elle se rejouait en boucle dans sa tête.
_Vous pensez pouvoir me donner un ordre ? répondit-il sarcastiquement.
_Trouvez quelqu'un d'autre sur qui déverser votre sarcasme ! s'écria Ophélia en se retournant vers lui d'un coup sec. Vous n'avez plus rien à faire ici alors sortez de cette chambre.
Il ne fut aucunement impressionné par son ton. Au contraire, plus elle flamboyait de rage, plus Rogue se sentait satisfait. Un pur plaisir qu'il ne se refusait pas.
Il remarqua du coin de l'œil l'heure, il était temps de partir s'il ne voulait pas qu'on remarque son absence au dîner.
_Je reviendrai pour vous poser quelques questions et vous n'aurez pas d'autre choix que d'y répondre. D'ici là, faîtes en sorte d'être plus présentable la prochaine fois.
Sa remarque s'accompagna d'un coup d'œil écœuré sur sa robe tachée et ses ongles noirs de terre. Il décida de s'en aller malgré l'absence de réponses intéressantes. Alors qu'il passait la porte, il lui souhaita un bon appétit ironique qui plana dans la pièce bien après son départ.
Ophélia s'approcha de la porte pour la fermer à clé. Par simple précaution purement farfelu, elle rajouta une chaise contre celle-ci, en ne se rendant pas compte du comique de cette défense face à des sorciers. Le sentiment de sécurité fut éphémère, mais tout de même appréciable. La panique la quittait peu à peu, les images s'en allant avec.
Calmée et debout après plusieurs heures, elle remarqua pour la première fois les moulures qui décoraient son plafond. Intriguée par ces moulures qu'elle trouva magnifiques, elle s'avança pour mieux les observer, son pied marcha en plein dans un liquide.
_Merde…
Le repas du soir, dont l'existence était sortie de sa tête, avait étendu son territoire sur une bonne partie du tapis. Ophélia fit une petite moue, elle détestait gâcher de la nourriture. Elle ramassa ce qu'elle put et remit en place la table basse. Certes, il était trop tard pour le plat, mais elle pouvait toujours se contenter du petit pain et du fruit en dessert.
C'est en mettant un genou au sol qu'elle posa ses yeux sur le vêtement qu'elle portait et ses mains. Elle se revit à terre, son corps se mouvant de lui-même et qui accompagnait ses supplications. Les paroles de Rogue se rejouèrent à ses oreilles. Cela l'horripila.
Elle partit dans la salle de bain. Ophélia se regarda dans la glace avant de se déshabiller.
Cet homme, bien qu'abject, n'avait pas tort sur ce point. Elle faisait peur à voir.
