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Quand la nuit nous dévorera

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Introduction: Accord des instruments

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La ruelle était sombre, étroite et suintait l'humidité. Il s'affaissa contre le mur, la respiration haletante.

Merde.

Sa main pressa la plaie béante qui lui déchirait le flanc dans l'espoir d'arrêter l'hémorragie. Il sentit le sang chaud et collant goutter entre ses doigts. Il n'avait pas besoin de regarder pour savoir que ça n'augurait rien de bon.

Merde.

Il s'était laissé avoir comme un bleu. Il retira d'une main tremblante le masque qui lui couvrait le visage et le jeta plus loin dans la ruelle. Ce simple geste lui arracha un grognement étouffé de douleur. Une immense chape de fatigue s'abattit sur lui. Il essaya de se redresser, mais ses jambes refusèrent de le soutenir.

Merde.

Sa tête retomba contre le mur, et un long gémissement franchit ses lèvres. C'était là, dans ce quartier moldu immonde, qu'il allait crever, entouré par des non-mages.

L'image même de l'Enfer.

Un sourire de mépris tordit ses traits tandis qu'il crachait une gerbe de sang sur les pavés irréguliers.

Cette mission aurait dû être une formalité. Un petit raid préventif dans une ville sans importance pour terrifier la population, juste de quoi rappeler à l'ennemi que l'ombre du Seigneur planait toujours sur eux, omniprésente, et qu'ils pouvaient frapper n'importe quand, n'importe où.

Il servait le Seigneur depuis longtemps. Il avait embrassé ses idées, partagé son ambition dévorante, son désir impérieux de refondre le monde et son besoin désespéré de réformer la société sorcière. Il l'avait suivi sans faillir, gravissant les échelons, gagnant en prestige et en pouvoir. Il avait atteint le sommet, un poste de haut fonctionnaire au ministère, avec tout ce que cela impliquait de contrôle et d'influence. C'était tout ce qu'il avait jamais voulu.

Du moins, à l'époque.

Il ferma les yeux. Un frisson glacé le parcouru. Il ne devait pas s'endormir. Surtout pas.

Il repensa soudainement à Potter. Ce gamin avait tout fichu en l'air. Sa simple existence était une malédiction. Le Héros avait vaincu le Seigneur et depuis, tout partait à vau-l'eau, périclitait. C'était incompréhensible. Comment un enfant avait-il pu anéantir un sorcier aussi puissant ?

Il l'avait rencontré, il y a longtemps, et Harry Potter n'avait absolument rien d'exceptionnel. C'était un adolescent comme tant d'autres: impertinent, impulsif et immature. Peut-être plus doué que la moyenne, mais avec une éducation désastreuse et des mentors médiocres. De quoi l'enfoncer plus que l'élever. Rien qui aurait dû faire de lui une menace.

Cela faisait plus de dix ans qu'il ne l'avait pas croisé. Il entendait parler de lui, à droite à gauche, mais le Survivant restait insaisissable. Il contrait parfois quelques-uns de leurs raids, éliminait des partisans, déjouait leurs plans, forgeait des alliances improbables… Toujours présent, mais toujours hors de portée. Aussi évanescent qu'un spectre.

Et parfois, Lucius se surprenait à se demander s'il n'avait pas suivi le mauvais leader, surtout en voyant ce qu'était devenu son Maître. Personne ne revenait de la mort indemne, et la création des horcruxes avait été une folie.

Ce n'était qu'un avis personnel.

Avant Potter, ils avaient pourtant eu une ambition claire, une organisation impeccable. Tout était réfléchi, calé au millimètre près. Leur projet était établi avec précision et leur motivation était sans faille. Mais, quand le Seigneur avait… ressuscité… il n'avait plus été que l'ombre de lui-même. Lucius n'avait vu en lui qu'un étranger et il avait commencé à craindre pour sa famille. Il était resté par peur, et c'était là la pire des raisons pour rester fidèle à une cause.

Le Maître, autrefois si charismatique, avide de pouvoir et brillant, n'était plus qu'un être laid, pétrit de peur, paranoïaque et obsessionnel.

Leurs missions avaient perdu de leur grandeur, elles n'étaient plus que de pathétiques tentatives pour traquer Potter.

Potter, Potter, Potter.

De quoi en faire une overdose.

Ils devaient le trouver, le capturer mais surtout, surtout ne pas le tuer. Que voulait en faire le Seigneur? Ça, c'était un mystère. Lucius ne comprenait pas cette frénésie. Il y avait bien la prophétie, mais n'avait-elle pas déjà trouvé son accomplissement ? Le gamin avait vaincu le Seigneur. Certes, il était revenu, mais la prédiction s'était réalisée. Alors pourquoi s'acharner ainsi sur Potter ? Cette obsession excessive sapait le moral des troupes.

Lucius avait bien tenté d'aborder le sujet avec le Seigneur, mais c'était comme parler à un mur et il n'avait récolté, de ses inquiétudes, qu'une session de torture toute spécialement dédiée à lui. Le souvenir du Crucio dans ses chairs lui fit grincer des dents. Il espérait au moins que le spectacle avait été divertissant.

Il avait froid, maintenant. Il savait ce que cela signifiait. Il tenta de se lever une dernière fois, mais ses jambes ne répondirent pas et il se laissa retomber lourdement sur le sol.

Les enfoirés. Ils n'avaient pas raté leur coup. Le pouvoir attisait décidément bien des jalousies. Ses propres hommes avaient fomenté cette rébellion. Des gosses qu'il avait lui-même formés, et qui se voyaient déjà calife à la place du calife.

Pas qu'il ait jamais apprécié leur compagnie ou éprouvé la moindre affection pour eux, mais la trahison faisait tout de même un peu mal.

Comme si le destin s'acharnait sur lui, la pluie se mit soudain à tomber. Doucement d'abord, comme une caresse froide, puis de plus en plus dru.

Les rigoles d'eau se teintaient peu à peu de rouge, traçant des chemins écarlates qui serpentaient jusqu'au caniveau. Un rire amer le secoua. Malgré tout ce qu'il avait accompli, malgré tous ses sacrifices, il allait crever ici, seul comme un rat, dans cet endroit qu'il avait toujours méprisé.

Il ne voulait pas mourir.

Pas maintenant.

Il y avait encore tant de choses qu'il devait accomplir, tant de plans laissés inachevés. Ses yeux roulèrent en arrière, en direction du ciel couvert et il lutta pour garder ses paupières ouvertes.

Une pensée fugace pour son fils traversa son esprit. Qui allait veiller sur lui, le protéger ? Narcissa était trop émotive, trop fragile pour affronter ce monde seule. Il pria pour qu'ils ne fassent rien de stupide une fois qu'il serait parti.

Sa main, jusqu'alors fermement pressée contre la plaie béante de son flanc, glissa lentement, retombant mollement sur les pavés détrempés. Le sang jaillit de plus belle, emporté par la pluie en une petite rivière.

Il soupira.

Il savait que ce n'était plus qu'une question de minutes.


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Le temps se figea.

Une ombre s'étendit sur lui et la pluie cessa de le fouetter. Il entendait son propre souffle, rauque, résonner dans sa poitrine, mais il y avait un autre son. Un clapotis désagréable: comme si les gouttes d'eau frappaient une surface creuse.

« Vous allez mourir si vous ne vous relevez pas. »

Sans blague, génie.

Lucius leva péniblement les yeux, les paupières lourdes comme du plomb. Un homme —non, un gamin de tout juste 20 ans— se tenait devant lui, tenant un parapluie au-dessus de sa tête. Ses cheveux bruns dégoulinaient d'eau et ses yeux de la même couleur brillaient d'une étrange lueur sous le reflet des réverbères. Il portait un jean usé et un manteau de cuir noir.

Un moldu, probablement.

Il ne semblait pas effrayé. Juste curieux.

« On se connaît, peut-être ? » Lucius avait craché ces mots difficilement. Sa gorge brûlait comme si on venait de lui enfoncer mille clous chauffés à blanc dans l'œsophage.

Réduit en cendre par la douleur.

Les lèvres du garçon se retroussèrent légèrement : « Ça dépend. Vous venez souvent dans le coin ? »

Merde. Où était sa baguette ? Il n'avait qu'à se débarrasser de ce moldu insolent. Il pourrait utiliser ses dernières forces pour ça. Finir en beauté, dans un dernier Avada.

Son esprit hurlait pour l'action, mais son corps refusait de suivre. Il tenta de lever la main, mais celle-ci resta vissée au sol, inerte.

Le garçon se pencha un peu plus vers lui: « Vous voulez que j'appelle de l'aide ? »

« Pas... besoin... d'aide... » maugréa Lucius et une nouvelle bouffée de sang s'échappa de ses lèvres pour tracer un sillon écarlate jusqu'à son menton.

L'homme tendit la main pour effacer du pouce la trace rouge. Il y avait dans ses gestes une douceur déconcertante : « Vraiment ? Vous n'avez pourtant pas l'air au mieux de votre forme. »

Lucius lança à son inconnu un regard qu'il espérait meurtrier : « Ça ira mieux... dans quelques minutes. Le temps... que je... me repose. »

Le garçon s'accroupit pour se mettre à sa hauteur. Il semblait décontracté, comme s'il avait tout le temps du monde. Il maintenait toujours le parapluie en place, protégeant Lucius de la pluie battante. « Si je vous ramène chez moi, vous promettez de ne pas me tuer ? »

« Je ne... promets rien du tout. » Répondit Lucius d'une voix rauque.

Un éclat de rire secoua le garçon : « Vous êtes décidément peu accommodant. J'essaye de vous sauver la vie, là, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué. »

«Je ne vous ai rien demandé.»

Une voix féminine résonna à l'entrée de la ruelle : « Lock ! Tu viens ou quoi ? Qu'est-ce que tu as trouvé ? »

Le garçon se retourna vivement, haussant la voix pour se faire entendre: « Rien ! Juste un chat sauvage que j'essaye d'apprivoiser. Partez sans moi, je vous rejoindrai plus tard ! »

Lucius grimaça à cette comparaison dégradante. Le moldu se retourna vers lui, l'observant avec un mélange de curiosité et de sérieux: « Alors, qu'est-ce que vous en dites ? Vous préférez rester ici et mourir sous la pluie, ou vous me laissez tenter ma chance pour vous sauver ? »

Lucius hésita. Sa première impulsion était de rejeter l'aide de ce type insolent, mais la réalité s'imposait à lui : il n'avait pas vraiment d'autre choix. Ses forces l'abandonnaient à chaque seconde et il n'avait plus ni l'énergie ni les moyens de se tirer seul de cette situation.

« Faites ce que... vous voulez. » murmura-t-il enfin, avec la résignation d'un homme qui n'a plus rien à perdre. Le goût amer de l'ironie le submergea une fois de plus, mais il n'avait plus la force de lutter contre elle.

Le garçon sourit, mais, déjà, les ténèbres emportaient Lucius.

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