PROLOGUE

La lettre de Jiraya était restée si longtemps au fond de sa boîte que Naruto l'avait quasiment oubliée, mais quand il l'avait prise entre ses doigts, il s'était souvenu de la première fois où il l'avait vue comme si c'était hier, et les paroles de son défunt parrain, prononcées sur son lit de mort, lui étaient revenues avec une clarté effrayante.

"Et pour mon filleul si spécial…Je veux que tu aies cette enveloppe scellée. Ne l'ouvre pas tout de suite, soit patient. Maintenant, écoute moi bien. Il viendra un jour où tu te sentiras écrasée par le fardeau de la vie moderne. Ton âme si lumineuse se ternira et tu te sentiras terriblement vide. Quand ça arrivera, petit, tu seras prêt pour ce cadeau."

Le blond avait pris l'enveloppe cachetée dans ses mains d'enfant, et l'avait rangée précieusement dans sa boîte à trésors maladroitement décorée de dessins de crapaud, avec l'étrange pressentiment que le vieil homme avait raison et qu'il en aurait besoin un jour. Son parrain était mort quelques jours après.

Il se souvenait encore de la peine qui l'avait dévasté, car après la mort de son parrain, il se retrouvait de nouveau seul. Il n'avait jamais connu ses parents, décédés peu après sa naissance, et Jiraya, qui avait pris soin de lui pendant des années, l'avait laissé lui aussi. Il avait grandi seul, tant bien que mal, laissant peu à peu la peine de côté. Ses amis disaient de lui qu'il rayonnait, que son sourire illuminait tout sur son passage, mais Naruto savait que malgré les apparences, il était encore et toujours désespérément seul.

Et sans qu'il ne s'en rendre compte, sans qu'il ne voit venir quoi que ce soit, La joie de vivre qui l'avait toujours caractérisé avait été étouffée, et son éternel sourire rayonnant s'était effacé. Jeune adulte, ayant des factures et un loyer à payer, il s'était retrouvé dans un open space cloisonné chez la multinationale Akatsuki, acceptant le seul emploi qu'il avait réussi à trouver. Enfermé dans un box minuscule qui ressemblait à un cercueil, et dans lequel il serait certainement enterré, il ne faisait plus qu'un avec le grand Akatsuki.

Ils étaient surveillés par des responsables sans visage, cachés derrière des vitres sans teint qui laissaient deviner leurs silhouettes et qui n'avaient rien d'humain. Naruto se demandait parfois si de vraies personnes se tenaient là, veillant à ce que tout le monde travaille sans relâche, à ce que personne ne détourne le regard de l'écran trop lumineux de leurs ordinateurs, pas même le temps de cligner des yeux.

Mais le pire résidait certainement dans les deux ampoules fixée à la vue de tous dans la pièce et qui régissaient son existence toute entière. Toute interaction entre humain avait été soigneusement effacée, et tandis que les silhouettes les épiaient, il recevait des instructions par mail, n'avait jamais adressé la parole à aucun de ses collègues, et il restait enfermé dans son bureau étriqué, noyé par le son de milliers de doigts tapant sur des milliers de claviers. Il travaillait quand la lumière disait de travailler, mangeait sans quitter sa chaise quand la lumière disait qu'il était l'heure de la pause repas, et rentrait chez lui quand la lumière disait qu'il était l'heure de partir.

Il retournait alors dans le petit appartement miteux dont il peinait à payer le loyer et s'endormait, vidé de toute énergie et de toute émotion.

Un soir que pourtant rien ne différenciait de tous les autres, alors qu'il n'arrivait pas à trouver le sommeil malgré la fatigue qui l'écrasait, il s'était soudain souvenu de la lettre de Jiraya. Il avait repoussé ses draps avec force, avait allumé la lumière et ouvert sa penderie, vidant celle-ci de son contenu sans se soucier du désordre ni du voisin qui donnait des coups sur le mur pour lui faire comprendre de faire moins de bruit. La vieille boîte à trésor était cachée sous une pile de vêtements oubliés, et c'est d'une main fébrile qu'il l'ouvrit. L'enveloppe était là, froissée et jaunie, mais toujours bien fermée. C'était là et maintenant, le moment était enfin venu, car il ne s'était jamais senti aussi gris et terne. Vide.

Le bruit du papier déchiré avait empli l'appartement, et aussi un petit peu son âme. Il lut rapidement la lettre et la rangea de nouveau dans l'enveloppe maintenant ouverte. Sans hésiter, il tira de sous son lit sa vieille valise poussiéreuse et commença à la remplir avec ses maigres possessions. A la première heure, il quitta son appartement. Il ne prit pas la peine d'appeler les ressources humaines de Joja, ils verraient bien assez tôt qu'il avait déserté son poste, et il serait probablement remplacé dans la journée, son bureau impersonnel attribué à un nouvel employé triste et seul. Il partait en direction de la côte sud, vers Stardew Valley.

"C'est le lieu parfait pour démarrer une nouvelle vie." disait la lettre. Il espérait de tout coeur que Jiraya avait raison.

Naruto avait brièvement expliqué au proriétaire de l'immeuble, qui logeait au rez-de-chaussée, qu'il quittait son appartement, s'excusant maladroitement en passant une main dans ses cheveux blonds. Il avait signé quelques papiers, payé ce qu'il lui devait et était parti en courant vers la gare routière la plus proche.

Les horaires indiquaient que le prochain bus pour la côte sud partait dans un peu plus d'une heure, ce qui lui laissait un peu de temps. Il s'était payé un café dans un petit bar jouxtant la gare et il avait demandé s'il pouvait passer un appel. Le patron à la mine renfrognée avait accepté de mauvaise grâce, et il s'était dépêché de se saisir du téléphone avant qu'il ne puisse changer d'avis. La veille, il avait griffoné précipitamment un numéro au dos de l'enveloppe contenant la lettre de Jiraya et il le composa d'une main fébrile. La tonalité se fit entendre, et il ne fallut que quelques secondes avant que quelqu'un ne décroche.

- Allô? Ici le Maire Sarutobi, que puis-je faire pour vous?

Naruto reconnut tout de suite le nom du Maire, se rappelant le post-scriptum de la lettre qui disait "Si le vieux Sarutobi est toujours en vie, passe lui le bonjour de ma part!". Légèrement plus détendu, il inspira et répondit :

- Heu… Bonjour, je suis Naruto Uzumaki. Mon parrain avait une ferme à Stardew Valley, près de Pelican Town, il y a de celà quelques années. Il me l'a léguée mais je ne l'ai appris que récemment.

- Par Yoba… Vous êtes vraiment de la famille du vieux Jiraya?

- Oui… Je voulais vous prévenir que j'ai acheté un ticket de bus, je compte venir m'installer à la ferme.

- Oh! Je suis un peu surpris, mais vous êtes bien évidemment le bienvenue à Pelican Town, nous manquons de sang neuf et tout le monde sera ravi de vous accueillir. Quand arrivez-vous? Une semaine ou deux?

- Dans….

Il consulta l'horloge murale et fit rapidement le calcul.

- Dans environ trois ou quatre heures.

Le Maire Sarutobi resta sans voix, aussi Naruto en profira pour ajouter :

- Au fait, mon parrain vous salue!

Et il raccrocha.

Naruto avait payé en liquide un aller simple pour la côte sud et était monté dans le bus sans se retourner, hissant sa valise dans le filet au-dessus de sa tête et s'installant sur un des sièges élimés. Il n'avait pas fallu longtemps pour qu'une fois le bus en route, le ronronnement du moteur le berce. Il n'avait pas fermé l'œil de la nuit, excité par son projet de départ, et il s'était endormi en moins de quelques minutes dans le bus presque vide. Il ouvrit les yeux plus de deux heures plus tard alors qu'une bonne partie du trajet était déjà derrière lui. Il jeta un œil sur les passagers du bus et ne reconnut qu'une dame d'un certain âge arborant un chignon serré de cheveux gris. Elle était montée en même temps que lui, mais elle descendit à l'arrêt suivant en remerciant le chauffeur. Naruto, étrangement reposé par ces deux heures de sommeil assis dans un bus, se sentait plus serein qu'il ne l'avait jamais été au cours de ces dernières années. Posant son coude sur le rebord de la fenêtre, il appuya son menton sur sa main et se plongea dans la contemplation du paysage qui défilait devant lui. La ville triste et sale était bien loin derrièr, et tout ici était verdoyant et plein de vie.

Le bus traversa une dernière grande ville, Zuzu selon le panneau, et la quitta après un bref arrêt auquel tous les autres passagers descendirent, et s'élança sur une route de moins en moins large à mesure que les kilomètres défilaient. Peu à peu, il ne vit plus signe de la civilisation. Le bus roula un peu plus d'une demi-heure avant de finalement s'arrêter devant un panneau passablement délabré où un écriteau "stardew valley" pendait, légèrement de travers. La mention "terminus" s'éclaira d'une lumière rouge à l'avant du bus, et le chauffeur attendit sans un mot qu'il récupère sa valise. Naruto la tira hors du filet et, après avoir vérifié rapidement qu'il n'avait rien oublié, quitta le véhicule en saluant le chauffeur de la tête. Le bus redémarra aussitôt, repartant sur la route au bitume abîmé après avoir fait demi-tour et laissant Naruto sur un petit chemin de terre dévoré par des touffes d'une herbe au vert éclatant.